La chambre d'isolement est une chambre fermée à clé destinée à contenir les pulsions auto ou hétéro-agressives de patients hospitalisés en psychiatrie. Telle qu'elle est utilisée en France, elle pose trois séries de problèmes : des problèmes éthiques qui interrogent le droit et le respect des libertés fondamentales, des problèmes cliniques qui impliquent de poser des indications à bon escient et surtout d'en apprécier véritablement l'aspect thérapeutique et des problèmes pratiques qui supposent l'aménagement d'un lieu spécifique, la création de procédures explicites qui permettent de concilier nécessités sécuritaires, nécessités cliniques et respect des libertés.
Afin de clarifier ces différents problèmes, nous vous exposerons d'abord une enquête menée en 1994-96 auprès de 440 infirmiers de secteur psychiatrique travaillant dans 28 hôpitaux à travers la France. Ensuite, nous vous présenterons une étude prospective actuellement en cours de validation visant à préciser les indications et les effets thérapeutiques des MCI.
Pourquoi prendre la chambre d'isolement comme objet d'étude ?
Pour deux raisons essentielles:
Dans notre société, l'enfermement des fous fait partie du contrat moral passé jadis entre l'Etat et la Psychiatrie naissante. Ce contrat imposait des impératifs de soins dont certains véhiculent encore aujourd'hui une profonde violence qui marque considérablement l'inconscient collectif du microcosme psychiatrique. Parmi ces soins, on citera les injections de force, la contention, la sismothérapie et donc l'isolement.
Ces moyens thérapeutiques sont au coeur de la dualité soignante qui oppose la répression à la volonté d'être dans la relation thérapeutique. Opposition taboue qui interroge en fait le soignant sur la légitimité de sa pratique.
2) Des raisons scientifiques :
Une première recherche bibliographique nous a montré que si de nombreux textes décrivent l'histoire des pratiques psychiatriques pour les dénoncer ou au contraire pour les vanter, peu se sont interrogés sur la légitimité de celles-ci.
Ainsi, confrontés à la même question les experts de l'ANDEM qui travaillaient à un audit clinique portant sur l'isolement ont montré depuis qu'il n'y avait aucune référence en France. Cette opacité ne signifie pas que nul n'avait réfléchi sur cette pratique, de nombreuses équipes (Soisy sur Seine, La Verrière, etc.) l'ont abordé en séminaire clinique, ceux-ci n'ont cependant jamais été rédigés à des fins de publication.
En 1994 nous avons effectué une première enquête dont le but était d'interroger les pratiques infirmières vis à vis de l'isolement.
Basée sur un questionnaire constitué de 20 items, cette enquête a été réalisée en deux temps:
- A un échelon local, au centre hospitalier d'Esquirol, elle a surtout mis en évidence des disparités significatives dans les pratiques d'isolement.
Cette première étape a débouché sur l'élaboration d'un protocole, document écrit sur lequel sont notés les différents éléments de surveillance à prendre en compte pour chaque patient isolé.
- Dans un second temps, l'enquête a été étendue à différents hôpitaux à Paris et en province : 440 infirmiers exerçant dans 28 hôpitaux ont répondu aux questionnaires. Leurs réponses ont été confrontés aux 23 critères définis par l'ANDEM.
Le questionnaire composé de trente questions ouvertes ou semi-ouvertes visait à décrire l'approche infirmière de l'isolement (représentations, prescription, consensus, modalités pratiques, information au patient et à sa famille, indications, modification de traitement, etc.).
Nous ne vous présenterons qu'une partie de l'analyse des réponses reçues.
Les indications : les infirmiers relèvent trois comportements justifient le plus souvent la mise en chambre d'isolement :
* actes agressifs, violence envers un tiers (82 %),
* agitation psychomotrice (80 %)
* et dangerosité (73 %).
La durée moyenne d'isolement est inférieure à sept jours, avec 15 % de séjours de moins de 24 heures. Les patients isolés le sont en général dans les 24 heures suivant leur hospitalisation, voire au cours de la première semaine de soins.
La chambre d'isolement apparaît aux infirmiers avoir trois fonctions essentielles :
* un espace clos qui incite au respect des limites (73 %),
* un espace de reconstruction (69 %),
* et un sas de sécurité pour l'équipe et les autres patients (67 %).
Etablissements |
Espace clos qui incite au respect des limites |
Espace de reconstruction |
Sas de sécurité pour l'équipe et les autres patients |
Esquirol |
79 % |
72,50 % |
52 % |
Sarreguemines |
83 % |
74 % |
71,50 % |
St-Venant |
72 % |
52 % |
80 % |
La Roche/Yon |
100 % |
100 % |
53 % |
Toulouse |
75 % |
35 % |
65 % |
Pontorson |
68 % |
49 % |
74 % |
Argenteuil |
62,50 % |
100 % |
25 % |
Thouars |
75 % |
93,75 % |
62,50 % |
Total |
73 % |
69 % |
67 % |
Les infirmiers reconnaissent deux grandes fonctions : une fonction sécuritaire et une fonction thérapeutique clairement différenciée selon les lieux.
Il s'agissait de vérifier le taux de prescriptions médicales.
Etablissements |
Prescription médicale écrite systématique |
Non systématique |
Esquirol |
60,50 % |
39,50 % |
Sarreguemines |
95,50 % |
4,50 % |
St-Venant |
2 % |
98 % |
La Roche/Yon |
73 % |
27 % |
Toulouse |
58 % |
42 % |
Pontorson |
70 % |
30 % |
Argenteuil |
87,50 % |
12,50 % |
Thouars |
12,50 % |
87,50 % |
Total |
56 % |
43 % |
Une fois sur deux le patient est isolé en dehors de toute prescription médicale.
Trois remarques qualitatives s'imposent :
- Tout cela vérifie ce que nous énoncions à propos de l'opposition entre l'aspect sécuritaire et l'aspect soignant de l'isolement. Lorsque prime l'aspect sécuritaire, la MCI n'est pas prescrite par le médecin.
- Lorsque les équipes utilisent des protocoles, les médecins sont plus souvent à l'origine des mise en chambre d'isolement (70,50 %).
- Il en va de même lorsque les portes des Unités fonctionnelles sont ouvertes (73 %).
On notera comme exception statistique l'Unité pour Malades Difficiles de Sarreguemines. L'arrêté du 14 octobre 1986 qui réglemente les UMD stipule que les patients qui y sont admis " nécessitent des protocoles thérapeutiques intensifs adaptés et des mesures de sûreté particulière ... ". Ce qui tendrait à montrer que seul un texte réglementant l'isolement permettrait le respect de cette exigence élémentaire.
Etablissements |
Le plus souvent |
Non |
Esquirol |
83 % |
17 % |
Sarreguemines |
74 % |
24 % |
St-Venant |
56 % |
44 % |
La Roche/Yon |
94 % |
6 % |
Toulouse |
40 % |
60 % |
Pontorson |
64 % |
26 % |
Argenteuil |
75 % |
25 % |
Thouars |
62,50 % |
35,50 % |
Total |
75 % |
24 % |
La chambre d'isolement ne semble être qu'exceptionnellement l'occasion d'un conflit entre les différents membres de l'équipe. Notons tout de même que ce consensus est plus rare dans les secteurs où la MCI est avant tout " sécuritaire ".
La loi du 27 juin 1990 énonce que toute personne hospitalisée avec son consentement pour des troubles mentaux bénéficie des mêmes droits et statuts qu'un malade hospitalisé dans un service d'hôpital général. En cela il ne peut être retenu contre son gré et encore moins isolé.
Etablissements |
Modification de placement si H.L. |
Pas de modification |
Esquirol |
30 % |
50 % |
Sarreguemines |
1 % |
99 % |
St-Venant |
0 |
80 % |
La Roche/Yon |
67 % |
33 % |
Toulouse |
0 |
75 % |
Pontorson |
15 % |
60 % |
Argenteuil |
12 % |
78 % |
Thouars |
0 |
80 % |
Total |
13 % |
75 % |
Il est clair que sur ce point précis la loi n'est pas respectée. Nous excepterons, là encore l'U.M.D de Sarreguemines qui ne reçoit pas de patients en H.L et l'hôpital de La Roche/Yon.
Il s'agit des modalités écrites d'isolement ( mise en place d'une surveillance et transmission des différents éléments de surveillance)
Etablissements |
Protocole |
Rythme de surveillance infirmière |
Fiche de contrôle individualisée |
Eléments de surveillance |
Esquirol |
43 % |
56 % |
67 % |
61 % |
Sarreguemines |
69 % |
66 % |
11 % |
51 % |
St-Venant |
27 % |
56 % |
13 % |
36 % |
La Roche/Yon |
80 % |
73 % |
20 % |
80 % |
Toulouse |
43 % |
57 % |
29 % |
40 % |
Pontorson |
81 % |
88 % |
34 % |
61 % |
Argenteuil |
100 % |
87,50 % |
37,50 % |
50 % |
Thouars |
31 % |
37,50 % |
6 % |
44 % |
Total |
53 % |
60 % |
26 % |
60 % |
Statistiquement, une fois sur deux, aucun document écrit n'accompagne l'isolement. Ce chiffre est certainement surévalué, certains infirmiers précisant dans le questionnaire qu'ils utilisent un protocole non écrit. Nous estimons, vu le nombre de réponses positives à l'item " Fiche de contrôle individualisé " qu'environ 26 % des infirmiers utilisent un protocole écrit.
Dans les services où l'isolement est avant tout "sécuritaire" on note l'absence de documents écrits, au contraire des services où l'isolement thérapeutique prime.
Le suivi psychiatrique implique souvent un travail avec les familles, ce qui souligne l'importance de cette question. La situation est moins simple qu'il n'y paraît. Entre respecter le secret professionnel et informer les familles aucun texte ne nous donne de réponse.
Etablissements |
Oui |
Non |
Esquirol |
19 % |
69 % |
Sarreguemines |
6 % |
92 % |
St-Venant |
5 % |
95 % |
La Roche/Yon |
67 % |
33 % |
Toulouse |
15 % |
85 % |
Pontorson |
27 % |
42 % |
Argenteuil |
75 % |
25 % |
Thouars |
62,50 % |
31 % |
Total |
23 % |
70 % |
Les familles ne sont pas informées (à 70 %)
Les réponses infirmières apparaissent très dispersées comme si chacun avait hésité entre répondre selon sa pratique ou selon ce qu'il pensait de ce qu'il faudrait faire.
Qu'il y ait ou non un protocole d'établi dans l'unité fonctionnelle, que ce protocole recommande ou non de prévenir les familles ne change strictement rien.
D'une façon assez paradoxale, les unités fonctionnelles dont les portes sont ouvertes informeraient davantage les familles. Elles n'expriment par ailleurs pas les mêmes réticences.
Quant au patient lui-même : l'explication des raisons justifiant la MCI paraît être la règle (88 %). Cependant rien ne nous permet d'apprécier la nature de l'information transmise au patient.
Etablissements |
Jamais |
Quelquefois |
Esquirol |
74 % |
26 % |
Sarreguemines |
0 |
100 % |
St-Venant |
12 % |
88 % |
La Roche/Yon |
7 % |
83 % |
Toulouse |
0 |
87 % |
Pontorson |
80 % |
16 % |
Argenteuil |
37,50 % |
25 % |
Thouars |
100 % |
0 |
Total |
42 % |
55 % |
Seuls 42 % des infirmiers interrogés n'ont jamais attaché de patients. Cette pratique qui semble être très rare en Région Parisienne, l'est beaucoup moins en province.
Les protocoles sont muets sur l'utilisation de la contention. Qui la prescrit, quel matériel utiliser, etc. ?
La décision d'attacher le patient est prise par le médecin ou par l'équipe infirmière. Les soignants utilisent des bracelets de contention (76 %), des bandes de contention (42 %), des ceintures (31 %), des draps (23 %).
1) L'absence patente de consensus sur les pratiques d'isolement.
2) Une grande disparité entre des services où la notion de soin prédomine et d'autres où l'aspect sécuritaire est au premier plan.
3) Enfin, l'absence de l'écrit et de la formalisation écrite d'une loi minimale nous renvoie à un arbitraire qui interroge douloureusement notre éthique professionnelle.
4) L'impossibilité de repérer des indications autres que "sécuritaire" et de les remettre en cause.
5) Enfin, l'impossibilité d'apprécier la portée thérapeutique de l'isolement.
A un niveau local, (à l'hôpital Esquirol) cette enquête a permis de voir apparaître un protocole visant à accompagner le malade isolé. Notre volonté de pousser plus loin notre approche nous a conduit à établir une étude prospective actuellement en cours de validation.
Méthodologie :
Deux hypothèses de départ portant sur les indications et les effets thérapeutiques des MCI :
En situation, c'est rarement la sémiologie qui guide le soin (ici la MCI) mais bien plus le recours à l'agir suspecté ou déjà effectué par le patient. De ce fait, les indications sont cliniquement floues.
De même, le comportemental masquant la psychopathologie, les effets thérapeutiques de la MCI sont rarement discutés.
L'outil :
Partant du principe que le comportemental ne peut être dissocié de la dynamique psychique, nous proposons un questionnaire qui interroge de façon précise le praticien et l'équipe soignante sur les liens existant entre un contenu psychique et un passage à l'acte.
Pour cela, un questionnaire de départ va permettre au praticien de préciser l'indication de l'isolement. Il propose un balayage exhaustif de la sémiologie qui pour nous pourrait être rattaché à d'éventuelles indications d'isolement.
Puis, des questions semi-ouvertes et ouvertes seront soumises quotidiennement à l'équipe le temps de la durée de l'isolement et en suivra donc l'évolution.
Une dernière fiche interrogera enfin le clinicien sur la nature des effets thérapeutiques provoquée par l'isolement du malade.
Les moyens :
L'étude se déroulera à l'hôpital Esquirol, elle débutera en Septembre 98 pour une durée de 6 mois. Elle concernera donc un établissement de 350 lits de patients hospitalisés à temps plein pour des pathologies majoritairement psychotiques.
En résumé notre première enquête nous permet de dire que l'isolement n'est un soin que dans les secteurs où la MCI est considérée comme un " espace de reconstruction ". Lorsque l'aspect " sécuritaire " domine, n'existe aucune garantie pour le patient. Les secteurs où la notion de reconstruction est au premier plan ont souvent élaboré un protocole d'isolement. Ce qui différencie les secteurs où la notion de soin prédomine, c'est la place de l'écrit et la formalisation écrite d'une loi minimale.
Que le positionnement des institutions par rapport à la " loi " conditionne autant les modalités d'isolement ne peut qu'interroger le soignant. Cette interrogation paraît d'autant plus légitime que l'isolement est essentiellement justifié par des limites à opposer aux conduites agressives qu'elles soient dirigées contre un tiers ou contre l'individu lui-même.
Il faudrait donc avoir des critères cliniques les plus objectifs possibles permettant de présager que le patient supportera ou non l'isolement. Comment peut-on se rendre compte que la mesure n'atteint pas son objectif ? Quels pourraient être ces critères cliniques ? Il faudrait prendre en compte le système soignants/soignés (le fonctionnement institutionnel). La prescription doit-elle être étayée sur la pathologie, sur la nature du passage à l'acte, sur son sens, sur le niveau de régression, sur les thèmes délirants, sur l'importance de l'angoisse de morcellement, sur la capacité du patient à supporter la frustration, sur sa capacité à maintenir une relation différenciée ?
Il est une chose de constater que l'isolement peut avoir des effets paradoxaux, il en est une autre de pouvoir s'en passer. L'isolement s'apprécie en fonction des bénéfices/risques. Entre le risque d'aggravation des symptômes d'un patient agité susceptible d'être violent et la sécurité physique des autres patients, avons-nous les moyens d'hésiter ?
D. Friard, P.L. Lavoine