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L'information sur le médicament

Les " petites menteuses " 

 

Intervention au 8° congrès de l'ANHPP Association des Hospitaliers Pharmaciens et Psychiatres Villejuif 26 et 27 Novembre 1998

 

La présentation commençait par la lecture de notices de médicaments, puis....

Comment dire la vérité, rien que la vérité :

Au cours d'une campagne électorale, on dit beaucoup de mensonges. On ment pour synthétiser et simplifier une pensée, on ment pour aller plus vite, on ment par conviction (c'est le cas le plus tragique, car en réalité le menteur ne ment pas, il dit le faux par manque d'information), on ment par vice.

Bon, eh bien c'est comme ça un peu partout !

C'est la vie.

Le sujet est clos, point à la ligne……

Pourtant, ne vous arrive-t-il pas d'avoir parfois la nostalgie de quelqu'un qui dirait la vérité, toute la vérité, rien que la vérité ?

Par bonheur, deux catégories d'opérateurs intellectuels viennent satisfaire ce profond désir de limpidité et de franchise, nous prouvant que l'on peut suivre le précepte évangélique :
" Que votre parole soit oui, oui, non, non, ; ce qu'on y ajoute vient du malin ".

Les premiers sont ceux qui rédigent ce que les italiens appellent les " petites menteuses ". Par une ironie sémantique, il s'agit des notices d'emploi (dont nous verrons combien elles disent vrai) accompagnant tout emballage pharmaceutique, les seconds sont les responsables de l'aide en ligne des logiciels.

Les auteurs des notices " menteuses " ont appris depuis leur plus tendre enfance que lorsqu'on doit dire quelque chose, il faut dire tout ce que l'on sait et rien que ce que l'on sait, ni plus ni moins. C'est pourquoi, à la rubrique " contre-indications ", on lit souvent "allergie à l'un des composants du produit ". En d'autres termes, si vous prenez ce médicament et qu'aussitôt après vous vous écroulez par terre, avec de la bave verte à la bouche et un encéphalogramme plat, cela signifie que vous devez interrompre votre traitement.

Mais la réticence est parfois source de mensonge, aussi l'auteur tient-il à tout vous dire, sans rien vous cacher : " les études statistiques ont prouvé que chez certains sujets, le produit peut provoquer les réactions suivantes : sécheresse du gosier, céphalées, vomissements, vertiges, arthrose, diarrhées, conjonctivite, érythème, colite spasmodique, coliques néphrétiques, maladie d'Alzheimer, fièvre jaune, péritonite fulgurante, aphasie, cataracte, herpès zostérien, acné sénile, menstruations hebdomadaires chez les sujets de sexe masculin, syndrome de Krauss-Eldermann, zeugma et hystéron-protéron…… ".ECO (U) , Comment voyager avec un saumon, nouveaux pastiches et postiches, éditons Grasset et Fasquelles, 1997.

Le décret du 15 mars 1993 relatif aux actes professionnels et à la profession d'infirmier affirme que les soins infirmiers, préventifs, curatifs ou palliatifs sont de nature technique, relationnelle et éducative (art.1). Ils ont pour objet d'appliquer les prescriptions médicales et les protocoles établis par le médecin, de participer à la surveillance clinique des patients et à la mise en œuvre des thérapeutiques. (art.1).

Dans le cadre de son rôle propre, l'infirmier vérifie la prise des médicaments et surveille leurs effets. Il doit également éduquer le patient et son entourage. (art.3).

Comment développer chez les patients les aptitudes et connaissances nécessaires sur leur traitement ?

Quelles informations donner, quelles explications fournir ?

Dolbeau et Apt (DOLBEAU (N), APT (M), Psychiatrie et soins infirmiers, collection Prépa D.E. infirmier, édtions Lamarre, 1994) énoncent que l'infirmier doit intervenir dès que le traitement est prescrit par le médecin, si l'information donnée n'a pas paru assez claire. L'infirmier devra alors expliquer au patient les raisons du traitement, l'effet bénéfique et l'évolution escomptée, les effets secondaires possibles, les raisons des modifications, etc..

Expliquons donc :
Monsieur Brasiléo est hospitalisé dans le service depuis un peu plus de neuf mois. C'est un patient avec qui régulièrement nous faisons un bout de chemin et qui est souvent hospitalisé sous contrainte pour des troubles graves du comportement sur la voie publique. Monsieur Brasiléo n'a pas quarante ans, il est totalement désinséré socialement. La prise de toxiques majore ses hallucinations et ses idées délirantes. La prise en charge intra-hospitalière touche à sa fin. Monsieur Brasiléo est de moins en moins envahi par ses hallucinations et n'est plus totalement mutique. Il paraît comprendre la nécessité du traitement et l'accepte sans aucun problème. D'ailleurs celui-ci est en phase régulière de diminution.

Je trouve le moment idéal pour commencer à faire un travail avec lui autour de son traitement en vue de sa sortie.
Je lui propose donc, un dimanche tranquille, de venir voir la préparation de son traitement et de pouvoir dans les semaines à venir le préparer lui-même. Je voulais en outre, savoir ce qu'il connaissait de ses médicaments et apporter quelques précisions si cela s'avérait nécessaire.

La réponse fut cinglante : " Vous ne pensez tout de même pas que je vais continuer à prendre un traitement quand je serais sorti, et ça ne me servira à rien ce que vous avez à me dire " et il tourna les talons me laissant avec les médicaments et mes explications.

Bon, expliquer un médicament à quelqu'un qui n'a pas envie de le prendre, je n'avais peut-être pas choisi le bon chemin.
Peut-être que je n'étais pas la personne qu'il souhaitait pour pouvoir parler de cela. J'ai choisi de laisser un peu de temps au temps. Monsieur Brasiléo évitait soigneusement de me rencontrer pendant quelques jours. Quel danger pouvais-je représenter pour lui ? Peur que je puisse peser sur sa future sortie ?

Nous avons pu enfin nous retrouver sur un autre terrain. Celui des activités qu'il faisait, sur le plaisir qu'il éprouvait à les faire. Par ce biais, nous avons abordé son arrivée dans le service, ses angoisses folles et son désir de ne plus souffrir.

Ne plus souffrir, oui, mais ce qu'il désire par dessus tout c'est être un homme, un vrai. Un que l'on respecte, dont parfois on peut avoir peur. Et le médicament en lui ôtant l'idée d'être le diable, lui ôtait aussi cette idée de grandeur et il n'était plus alors qu'un homme malade, faible et à la merci de nous les femmes-infirmières.

Monsieur Brasiléo sait pertinemment que son traitement sert à combattre ses hallucinations, il sait que ses perceptions ne sont pas réelles mais qu'elles lui permettent d'exister comme un homme debout malgré la souffrance qu'elles lui imposent.

Le travail alors, n'a pas été d'expliquer le traitement, ni ses effets bénéfiques ou secondaires, mais de travailler sur l'estime de soi de ce patient et sur sa vision de l'homme.

 

Philippe a 40 ans, psychotique avec dominante des traits psychopathiques, en raison de l'importance du délire, c'est ce qu'il est convenu d'appeler un "patient difficile". Après de nombreuses années d'hospitalisation, nous avons réussi à "bricoler" avec lui une sortie d'essai sous HO avec des accueils hebdomadaires à l'hôpital.

Outre un traitement neuroleptique retard, il lui est prescrit deux neuroleptiques sédatifs, une benzodiazépine et un correcteur. Lorsqu'il est à l'extérieur, Philippe gère lui même son traitement, c'est à dire qu'il ne le prend que très irrégulièrement voire pas du tout.

Philippe est ré-hospitalisé depuis trois semaines à la suite d'une recrudescence délirante avec sentiment de persécution et risque de passage à l'acte hétéro-agressif.

La reprise d'un traitement conséquent a permis un rapide retour à la normale... c'est à dire un comportement relativement adapté à la vie de l'hôpital où ne prédominent plus que les traits psychopathiques.

Une nouvelle sortie d'essai est programmée pour le milieu de la semaine prochaine. En conséquence, le médecin diminue progressivement son traitement oral pour arriver à des doses plus proches de ce qu'il consomme à l'extérieur. Hier le médecin a supprimé la prise de midi, ne reste qu'une prise unique le soir.

En début d'après midi, Philippe n'est pas bien, il réclame alors de l'Artane ®. Les réponses négatives des infirmières sont claires et justifiées:

"Vous n'avez pas eu de traitement ce matin et ce midi, vous n'avez donc pas besoin d'Artane ®".

Je connais Philippe depuis mon arrivée dans l'unité, il y a deux ans. Je l'ai accompagné dans ses recherches d'hôtels ou dans d'autres démarches à l'extérieur. Je suis aussi présent lors d'entretiens médicaux où il faut reprendre les transgressions dans le pavillon, ou lorsqu'il a fallu l'isoler.

Ce jour là, quand il m'aperçoit Philippe m'interpelle:

"Vous pouvez faire quelque chose pour moi?"
"Peut-être, mais de quoi s'agit-il?"
"Je veux de l'Artane ® parce que je suis tendu"

Mes collègues viennent de lui dire non, il sait très bien que je ne lui en donnerai pas, il sait que je connais l'usage qu'il peut en faire parfois à l'extérieur, alors pourquoi m'en demande-t-il ? Simple provocation encore une fois ?

"Et pourquoi voulez vous de l'Artane ® pour vous calmer ?"
"Je suis tendu, je ne me sens pas bien, j'ai envie de casser une vitre, il me faut de l'Artane ®"
"Je ne pense pas que ce soit cela qui convienne pour vous détendre, venez avec moi à la pharmacie, nous allons voir ce qui vous est prescrit"

Haldol ®, Largactil ®, Tercian ® et Artane ®.

"L'Artane ® voyez vous, c'est pour quand les autres médicaments provoquent des effets secondaires qui vous gênent. Je ne crois pas que ce soit le cas aujourd'hui dans ce que vous me décrivez. Vous avez de l'Haldol ®, mais je ne crois pas que cela calme votre tension tout de suite. Il reste le Largactil ® et le Tercian ®. Je pense que ce dernier est adapté à votre état de cet après midi. Je peux vous donner une partie du traitement de ce soir et nous demanderons au médecin qu'il prescrive une prise à la demande quand ça ne va pas. Lorsque vous êtes dehors, c'est cela aussi qu'il faut prendre quand vous vous sentez tendu ou angoissé".

Philippe accepte et prend le traitement, il revient une demi heure plus tard pour me dire combien il se sentait mieux grâce à "mon" traitement, ne manquant pas ainsi de me pointer le clivage qu'il a cru opérer entre moi et les autres infirmières, ce que je tente d'éviter en disant devant lui aux collègues ce que j'avais fait.

Mais qu'ai je fait pendant ces quinze minutes avec Philippe?
L'ai-je informé sur son traitement?
Pour cela il aurai fallu que je lui dise que l'Haldol ® est un neuroleptique incisif, prescrit en raison de sa symptomatologie délirante. Que le Largactil ® est un neuroleptique sédatif prescrit pour lutter contre son impulsivité et le risque de passage à l'acte hétéro agressif. Que le Tercian ® est également un neuroleptique mais à visée plus anxiolytique, et qu'enfin l'Artane ® est un antiparkinsonien prescrit pour lutter contre les effets extrapyramidaux dus aux neuroleptiques.

N'ayant pas donné toutes ces informations, je n'ai donc pas informé Philippe sur son traitement.
Alors, lui ai-je expliqué son traitement?
Cela aurait consisté à lui dire que le premier neuroleptique lutte contre les idées qui l'envahissent et qui parasitent sa pensée, le second évite qu'il ne frappe les autres quand il s'emporte, le troisième doit faire disparaître ses angoisses, et l'Artane ® lutter contre les effets secondaires des trois précédents médicaments qui peuvent le gêner.

Ai-je essayé de désamorcer une crise?
Les première réponses négatives à sa demande d'Artane ® ne pouvaient satisfaire Philippe, il y avait un côté provocateur dans sa demande et la frustration allait appeler d'autres provocations dans l'après-midi. Ne voir que le côté provocateur, c'était passer à côté d'une autre demande, c'était faire l'économie d'écouter une plainte. Et pour se faire entendre, Philippe savait quoi faire, il n'avait qu'à briser une vitre, on aurait appelé l'interne de garde et il aurait eu un traitement. Comme je finissais peu de temps après, je n'avais peut-être pas envie de rester plus de temps au cas ou cela aurai dégénéré.

Ai-je voulu moi aussi faire preuve de provocation?
En répondant à sa demande d'Artane ® en lui proposant un neuroleptique, je savais qu'il ne serai pas satisfait de la réponse et que la prochaine fois il ne choisirait pas ce mode de provocation.

Ai-je tout simplement éduqué Philippe à son traitement?
Philippe a pu vérifier sur le champ qu'elle était l'action de l'un des médicaments de son traitement. Grâce au soulagement que cela lui a apporté il a pu voir que ce médicament était adapté à son état de tension, qu'il lui faisait du bien. Peut-être qu'à l'extérieur il aura le réflexe dans de pareilles circonstances de prendre un comprimé de Tercian ®. De plus il a vu que l'un des médicaments prescrit pouvait avoir une action bénéfique, il peut alors supposer que les autres médicaments que nous lui donnons sont également prescrits pour "lui faire du bien".

 

CONCLUSION

Etre infirmier et vouloir réfléchir sur le médicament, sa distribution, sa prise, sur l'information donnée au patient psychotique : c'est s'aventurer sur un terrain particulièrement sensible. Il est pour nous bien clair qu'information médicale et information infirmière sont radicalement différentes et qu'elles doivent se compléter harmonieusement.

Nous notions en 1994 que l'exigence gestionnaire restreignait de plus en plus le pouvoir médical. C'est ainsi que le médicament prescrit devait figurer au Livret Thérapeutique de l'établissement hospitalier; s'il n'y figurait pas, le pharmacien de l'établissement proposait de lui substituer son équivalent générique, son équivalent thérapeutique. La prescription médicale est devenue une prescription encadrée.

Depuis 1994, cette situation n'a fait que se préciser.

L'exemple du Viagra montre qu'un produit n'a même plus besoin de médecin pour pouvoir se développer. Il suffit d'une campagne de presse bien faite, pour qu'immédiatement les usagers en puissance se jettent sur le produit, même s'il n'a pas encore reçu son autorisation de mise sur le marché en France. Les médias modernes tels qu'Internet permettent une circulation non virtuelle des produits. Il n'est pas facile de résister à une telle pression médiatique, surtout lorsqu'il s'agit d'un produit aussi " connoté " que le viagra.

Les laboratoires se tournent de plus en plus vers les infirmiers, ce dont nous nous réjouissons. Un nombre croissant d'infirmier participent à l'élaboration de fascicules d'information sur le traitement, sur la maladie, sur les structures de soins.

Je participe à un tel groupe de travail avec le laboratoire Orgalinophie. Notre objectif est de réaliser des petits livrets d'informations sur la maladie et sur les médicaments. Le groupe est constitué d'un psychiatre et de trois infirmiers. Si le psychiatre souhaite informer, les infirmiers, eux, veulent expliquer. La différence vaut qu'on s'y arrête.

La biologie et l'industrie pharmaceutique ont élaboré un vocabulaire spécifique qui permet aux différents spécialistes de se comprendre et de penser ensemble. Ce vocabulaire destinés aux professionnels constitue un obstacle souvent infranchissable pour les profanes désireux de se repérer sur les médicaments qu'ils prennent. Cet idiome est d'une certaine façon plié (voire re-plié) sur lui-même. Pour en pénétrer le sens, il faudrait le déplier, mettre à plat les différentes données qui le composent. Si toutes les données n'intéressent pas le profane; il est bien difficile de savoir celles qui sont pertinentes pour lui et celles qui ne le sont pas. Il serait possible de s'en sortir en lui fournissant l'ensemble des données disponibles, il n'aurait alors plus qu'à faire son tri. La tâche serait évidemment fastidieuse et vouée à l'échec. Pour être intégrées les données doivent être reliées à une culture, à un savoir déjà en place. Il apparaît absurde de vouloir informer sans prendre en compte ce que sait la personne que nous voulons informer.

M. Brasiléo le signifie bien à Anne-Marie, il ne veut rien savoir sur son traitement. Rien savoir ? Rien savoir de plus ? Rien savoir d'elle ? Rien savoir de la maladie ? Sur quoi ne veut-il rien savoir ? Ou sur quoi veut-il tout savoir ? Qu'est-ce qu'être un homme ? Peut-on être un homme au sens où lui l'entend et prendre un traitement ? Finalement, est-ce qu'un traitement, çà ne devrait pas servir à être un homme debout. Mais il y a tant d'homme couchés, parfois même chez ceux qui distribuent les médicaments. Et Philippe. Comment pourrait-on l'appeler un profane ? Il a des connaissances sur les substances toxiques que plus d'un infirmier lui envierait. Il a tout testé. Il sait les mélanges efficaces, ceux qui speedent, ceux qui font dormir. Il a tous ses courtisans qui cachent leurs médicaments aux yeux des soignants, qui lui amènent les bons produits au bon moment. Je suis sûr qu'il connaît même les traitements que prennent les autres patients de l'unité. Si Philippe avait réellement voulu avoir de l'artane ®, il l'aurait eu, allez dans l'heure, et sans demander à un infirmier. Et vous voudriez l'informer sur son traitement ?

Arrêtons-nous encore un peu sur le terme "information". Le verbe " informer " vient du latin " informare " : former, façonner, façonner l'esprit, donc instruire, d'où le sens actuel de mettre au courant. Les petites menteuses ne peuvent faire autrement que mentir par omission Informer, pour l'étymologie, c'est mentir, créer une forme qui va façonner l'esprit de celui qu'on informe. L'information ? Il y a des journaux télévisés pour çà ! Notre culture de plus en plus télévisuelle vient donner une forme à la notion d'information. On est informé à propos des médicaments que l'on prend de la même manière qu'on l'est du tremblement de terre au Nicaragua, des réactions de Saddam Hussein dans son bunker. Pas d'analyse, pas de réflexion, mais des images, une dramatisation (presque une mise en scène), une mise en mots de ce qui se passe, de ce qui s'agite, de ce qui est une certaine réalité extérieure. Ce qui compte ce n'est pas ce qui est dit, mais le fait que ce qui est dit soit porté par un homme-tronc qui nous sert de médiateur. Il s'agit d'une voix, d'une présence qui détoxique la réalité qui l'épurant nous la rende accessible, acceptable.

Cette démocratisation apparente qu'implique l'information télévisée n'est qu'une illusion. En ce sens, nous sommes tous des citoyens du village planétaire décrit par Mac Luhan. Et alors ? Le droit à l'information est un leurre. Les psychiatres doivent prouver qu'ils ont bien informé le patient. L'information, quelle information ? Nous ne saurons rien de plus que ce qui nous a été montré. Nous ne saurons rien de ce qui est réellement important. Il faudrait informer le patient sur son traitement et comment pourrait-on le faire sans lui parler de sa maladie, de ses symptômes, sans nommer cette maladie ? Sans se poser cette question fondamentale : comment prendre un traitement et rester un homme debout, c'est à dire un homo erectus (quel que soit le sens que l'on donne à erectus) ? Le succès du Viagra montre d'ailleurs bien qu'il n'est pas besoin d'être psychotique pour s'en soucier.

C'est fini. N'en déplaise à mon décret de compétence, je n'informe plus les patients sur leur traitement.
" La barre, comme tout ce qui est de l'écrit, dit Lacan dans le séminaire XX, ne se supporte que de ceci - l'écrit çà n'est pas à comprendre. C'est bien pour çà que vous n'êtes pas forcés de comprendre les miens. Si vous ne les comprenez pas, tant mieux, çà vous donnera justement l'occasion de les expliquer. "

Le verbe " expliquer " vient du latin " explicare " : déplier une figure géométrique, une forme, déployer, étendre, exposer en détail. Si informer, c'est plier, rendre d'une certaine façon obscur par façonnage expliquer en serait le contraire, expliquer serait rendre visible, compréhensible, transparent. Lorsque j'informe un patient, je suis celui qui sait et qui donne l'information, lorsque j'explique, je déplie et nous regardons ensemble. Il y a ce que je sais, il y a ce qu'il sait, ce que nous ignorons et se constitue ainsi dans cette rencontre autour de l'objet " médicament " un savoir nouveau et pour le patient et pour moi. Il est alors bien rare que nous en restions là. La question de la maladie, des symptômes se pose très vite. Et nous pouvons alors voguer vers d'autres rivages beaucoup plus intéressants. Parfois même nous construisons des histoires autour du médicament et de son nom. Parfois nous jouons ; nous inventons des nouveaux médicaments, nous cherchons le médicament idéal, nous en décrivons les bénéfices, inventons des effets secondaires, parce qu'un médicament çà a toujours des effets secondaires. On introduit ainsi du jeu. Mais çà, c'est une autre histoire.

Le savoir infirmier n'est ainsi pas un savoir magistral, ce n'est pas un savoir qui vise à écraser l'autre, c'est un savoir à partager.

Et au fond, existe-t-il quelque chose de plus intéressant que de partager quand on a fait le choix de travailler en psychiatrie ? N'est-ce pas la meilleure façon de permettre à l'autre d'être ou de rester un " homme debout " ?

 

 Emmanuel Digonnet (C.H. Esquirol Saint Maurice 94), Dominique Friard (Unité Provence C.H. Laragne 05), Anne-Marie Leyreloup(C.H. Esquirol Saint Maurice 94).


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