Introduction
" Aujourd'hui, c'est l'infirmier " gendarme " qui participe à l'entretien ?
- Il faut bien que les infirmiers soient un peu carabiniers, Graziella. Vous avez parfois du mal à trouver vos limites, non ? "
Dehors, il pleut. Dans le bureau médical, à l'hôpital de jour, c'est un peu du soleil d'Italie qui vient d'arriver avec Graziella. Je l'imagine bien apportant la polenta à une tablée d'enfants. Sauf que de mamma, Graziella n'a que la carrure. Il faut avoir reçu suffisamment de bons soins maternels pour devenir une mamma. Il ne faut pas avoir été abandonnée dès l'enfance par sa mère. Il est des parcours chaotiques parsemés de séjours en institution qui prédisposent davantage aux troubles du caractère qu'aux caresses. Mais çà, çà n'empêche pas le désir d'être mère. Alors Graziella a deux enfants et pas de mari. Quand tout va mal, elle leur donne la seule preuve d'amour qu'elle a reçu : les coups. Parcours classique d'une femme carencée. Graziella est une de ces patientes perturbatrices de service qui font le bonheur des psychiatres institutionnels. Ailleurs elle serait rejetée. A l'hôpital de jour, on tient. Certes, lorsqu'il s'est agit de lui proposer un infirmier référent, nous nous sommes tous défilés. Sur sa feuille de traitement, dans l'espace réservé au nom des référents, Danielle, ma collègue, a écrit " Toute l'équipe ". Autrement dit personne. Je n'ai pu que rajouter " sauf Dominique ". Alors je suis l'infirmier " gendarme ", un modèle non déposé d'infirmier référent : le référent malgré lui.
Nous sommes pour un temps ce qui tient lieu de famille à Graziella. Les attaques contre le cadre sont nombreuses, nous sommes tous divisés en " bon " et en " mauvais " objets (plus souvent en mauvais d'ailleurs).
" On va baisser un peu le traitement. A la place du valium 10, je vais vous prescrire du valium 5.
- C'est le petit cachet bleu ?
- ........
Le médecin se tourne vers moi et m'interroge :
- Oui c'est çà Graziella. Le valium 10, c'est le petit cachet bleu. A la place du petit cachet bleu, vous aurez un cachet jaune.
- Alors d'accord, je veux bien. "
Pour Graziella comme pour la plupart des patients, le médicament n'est pas simplement une substance destinée par ses qualités physico-chimiques, à combattre un trouble ou une lésion. "Une définition plus large du médicament tiendra compte de l'ensemble de ses interactions, car le médicament est une substance prescrite dans un cadre et elle incarne la représentation symbolique d'une demande (patient) et d'une intention (médecin)" (1).
Le valium 10 ce n'est pas le petit cachet bleu. Le petit cachet bleu c'est l'objet commun à Graziella, au Dr. Hanon (c'est le nom du médecin de l'hôpital de jour) et à l'infirmier. Pour Graziella le petit cachet bleu, c'est une couleur, une forme prescrite par son médecin, par celle qui ressemble le plus pour elle à une bonne mère. Pour le Dr Hanon, je ne sais pas ce qu'est le valium. Il me plaît de penser qu'une femme qui a été institutrice, puis pédiatre avant d'être psychiatre n'a pas la même représentation du valium que ses confrères. Le valium pour moi, c'est une plaquette qui est tout en bas de l'armoire à pharmacie tableau "A". Il faut se baisser pour la saisir. C'est aussi les gouttes infectes que je donne à ma fille quand elle dépasse les 39° de température pour prévenir les convulsions. Même avec du miel, le valium conserve son goût. Ma fille fait toujours la même grimace. Qu'en pense Graziella ? Donne-t-elle du valium à son bébé ? Je ne lui ai jamais posé la question. Pense-t-elle qu'on lui donne un médicament de bébé ? Pense-t-elle qu'on donne un médicament d'adulte à son bébé ? En tout cas on n'en sort pas. C'est toujours une histoire de parents, de bébé, d'abandon.
Le médicament est aussi un moyen de médiatiser la relation soignant/soigné.
Besançon dans cette optique définit l'image interne du médicament comme "une représentation inconsciente à forte charge fantasmatique et qui s'est élaborée au cours du développement par le biais des mécanismes d'introjection et de réjection " (12). "Balint et Israël, reprend Besançon, nous ont parfaitement montré que le médecin est un personnage important dans les premières années de l'enfant et qu'il appartient à son univers réel et fantasmatique et qu'il va largement contribuer à sa vision ultérieure de la maladie et de la santé, tempérant, nuançant ou au contraire aggravant l'anxiété maternelle"(13).
C'est en fonction de ces premières expériences que se constituera l'image interne du médicament, bon ou mauvais, nourrissant ou destructeur. La réaction du médecin à l'anxiété maternelle et l'effet du médicament sur cette anxiété paraissent être alors deux facteurs décisifs.
Bien au delà de sa composition chimique, de ses propriétés pharmacologiques, de son pouvoir thérapeutique, le médicament est un objet fantasmatique. Cette fantasmatisation conditionne l'adhésion au traitement mais aussi l'effet thérapeutique du produit prescrit.
S'il est évident que le médecin prescripteur doit faire en sorte de convaincre le patient du bien-fondé d'une prise régulière, en quoi l'infirmier qui lui connaît la couleur des cachets est-il concerné par ce qui semble n'appartenir qu'à la relation médecin-malade ? En quoi suis-je moi concerné par ce qui se joue autour de la prescription alors que cela fait près de trois ans que je n'ai pas distribué de médicament ?
1 - Le rôle infirmier autour du traitement
Le décret du 15 mars 1993 relatif aux actes professionnels et à la profession d'infirmier affirme que les soins infirmiers, préventifs, curatifs ou palliatifs sont de nature technique, relationnelle et éducative (art.1). Ils ont pour objet d'appliquer les prescriptions médicales et les protocoles établis par le médecin, de participer à la surveillance clinique des patients et à la mise en œuvre des thérapeutiques, de favoriser le maintien, l'insertion ou la réinsertion des personnes dans leur cadre de vie familial et social (art.1).
Dans le cadre de son rôle propre, l'infirmier vérifie la prise des médicaments et surveille leurs effets.
Chambre d'isolement, Martine va mieux, les injections sont arrêtés au profit d'un traitement per os qu'elle accepte plus ou moins facilement.
Le traitement conséquent, mélange différents ingrédients thérapeutiques. Un des produits visiblement ne supporte pas la cohabitation avec les autres et donne une coloration trouble. La potion ainsi présentée a été refusé par Martine. Que faire, reprendre les injections qui lui indurent les fesses ? Martine y est également hostile.
La situation risque de bloquer. L'infirmière va alors se transformer dans l'urgence en petit chimiste. Plusieurs essais seront nécessaires mais le résultat est correct. Il suffit de mettre les différentes gouttes dans un certain ordre pour que les produits ne précipitent plus. Le résultat présenté ainsi va être accepté sans problème. Petite recette de cuisine appréciée par la patiente et par l'équipe qui va l'employer et l'adopter.
Pauvres ruses qui ne font que différer le problème de l'observance du traitement une fois le patient rentré chez lui. Faire prendre un traitement à un patient fut-il non consentant aux soins n'offre pas réellement de difficultés, il suffit d'être assez nombreux. Il en va différemment quand l'objectif de soins prend en compte la sortie du patient.
Pour Marjorie, le traitement c'est l'inquiétude. Tant de chimie avalée sans qu'elle ne puisse contrôler quoi que ce soit aux actions qui vont se passer dans son estomac, ses reins, son foie.
Avec elle, un temps sera nécessaire pour lire les indications, contre-indications, les lui expliquer régulièrement pour qu'elle accepte d'avaler ce qui la tue de l'intérieur.
Eduquer, expliquer au patient son traitement, mais également tenter de convaincre ses propres collègues.
Réveil du matin, bouche pâteuse, chacun vient vers 8 heures prendre son traitement à la pharmacie. Personne n'a jamais remis en cause ce rituel immuable. Jean, lui a 18 ans, il n'a jamais connu la psychiatrie. Il n'a jamais pris de traitement. Ceux donnés ici n'ont pas un goût agréable et à jeun lui donne des nausées violentes. Il demande à les prendre après le petit déjeuner.
Le rite est remis en cause, l'organisation du service aussi. L'équipe s'affronte en deux camps. Pourquoi accepter à un ce que l'on va refuser aux autres ? Négociations, palabres... rien n'y fait.... Le traitement se prend à 8 heures, pas de favoritisme.
Quelques infirmiers prennent le risque de ne le donner qu'après le déjeuner. Jean peut manger sans nausées et vient prendre son traitement ensuite. Mais cela n'aura qu'un temps... Une fois habitué au service Jean devra se plier aux règles établies.
Hélène est une femme âgée, très âgée. De passage dans le service pour un état d'agitation, elle commence à se remettre doucement. Le soir, après le repas, elle se prépare au sommeil. A 20 heures l'heure de la distribution des médicaments du soir, Hélène est déjà endormie ou en passe de l'être. Difficile pour elle de revenir en chemise de nuit pour prendre son dernier médicament. Le choix aurait pu être facile. Soit lui donner un peu avant qu'elle ne se couche soit lui porter jusqu'à son lit. Mais comme pour Jean, l'équipe se divise.
S'il suffisait de prescrire des médicaments pour que les patients les prennent, cela aurait fini par se savoir. Ces quelques instantanés décrivent quelques unes des ruses de sioux utilisées par les infirmiers pour faire passer la pilule.
L'infirmier ne saurait donc être un distributeur passif de médicaments. S'il doit s'assurer de leur prise et surveiller leurs effets. Il doit aussi et surtout, éduquer le patient et son entourage afin de favoriser son maintien et son insertion dans son cadre de vie habituel.
Face aux demandes et aux plaintes des patients, l'infirmier est souvent en première ligne. Il lui est impossible d'être neutre, il lui est impossible de ne pas entendre.
Il ne suffit pas d'énoncer une fois pour toutes l'effet d'un traitement, ses effets secondaires ou tout autre renseignement, encore faut-il que cette information soit comprise, intégrée et qu'elle ait un sens pour celui qui la reçoit. A quoi sert d'expliquer à un patient que l'haldol combat les hallucinations s'il est absolument convaincu de la réalité de ses étranges perceptions ?
Informer un patient sur son traitement suppose qu'on l'aide à prendre conscience de sa maladie, à ébaucher une critique de son délire. C'est un acte thérapeutique élaboré qui s'inscrit dans la relation soignant/soigné.
Faut-il rappeler que le "pharmakon" des Grecs anciens signifiait tout à la fois le poison et son antidote ?
Ainsi "il y a donc tout un domaine symbolique et imaginaire , individuel et collectif, qui se trouve manié tout autant que les aspects pharmacologiques" (15). Il s'agit là comme l'écrit Marie-Cardine d'une véritable synthèse psycho-chimique. Le médicament est "vraiment en propre un objet symbolique proposé à l'investissement du médecin, du pharmacien, de l'infirmier comme à celui du malade"(16).
C'est parce que le médicament est aussi un objet symbolique qu'il y a une façon spécifiquement psychotique de le prendre, c'est parce que le psychotique ne différencie pas à tout coup le nom et la chose qu'on pourrait écrire en paraphrasant Lacan que le patient psychotique n'ingère pas un produit pharmacologique mais un signifiant.
C'est ainsi que Marie, délirante chronique, aux moments où elle refusait son traitement n'acceptait qu'un seul produit : l'akineton. Pour lutter contre l'emprise de sa voisine qui lui pompait son énergie, qui la refroidissait, il lui fallait de l'Akénaton, médicament du pharaon, il n'y avait que çà qui pouvait la réchauffer.
Le médicament c'est d'abord des modalités de prise : des piqûres qui trouent la peau des fesses de Daniel auquel on injecte en plus des bulles d'air, des piqûres qui font gonfler les testicules d'Armand. Le traitement est parfois agression, mais aussi manifestation d'une limite, certains feront tout pour "mériter" une injection qui leur sera administrée manu militari.
Pour d'autres encore, tel Bruno, le traitement retard est un rituel. Sorti depuis 15 ans, Bruno refuse d'avoir son traitement retard au dispensaire. Il revient chaque mois dans l'unité de soins où il a été hospitalisé, y passe une demi-heure, consent à avoir son injection, s'informe des uns et des autres, puis repart jusqu'au mois suivant.
Le traitement est ponctuation du temps : il permet de découper la journée en différents moments d'échange : prise du matin, du midi, du soir et du coucher. Cette ponctuation joue également lorsque le patient est sorti, combien reproduisent chez eux le rythme de l'hôpital, mangent à 19 heures, prennent leur traitement (somnifères compris) à 20 heures, se couchent ensuite et se plaignent auprès de l'infirmier ou du médecin de ne pas suffisamment dormir ?
C'est parfois le traitement retard qui ponctue les rencontres avec l'équipe extra-hospitalière, le psychiatre faisant même coïncider entretien et injection retard.
Le traitement mobilise l'imaginaire du patient, l'absence d'information favorise la prolifération de liens imaginaires entre une substance et ses effets.
Le traitement aura des effets différents s'il est prescrit par l'interne de garde ou par le médecin chef, il aura des effets différents s'il est donné par l'infirmier référent plus rassurant, ou par un autre infirmier.
Le traitement ne se résume donc pas à l'action de molécules chimiques sur un organisme. Le traitement, en dehors de ces aspect " réel ", c'est d'abord la médiation d'une relation.
Autour de la distribution comme autour de la prescription, des échanges vont avoir lieu : questions posées, inquiétudes exprimées ... certaines interrogent la relation médecin-malade, d'autres l'institution soignante elle-même.
2 - L'institution
La vie institutionnelle se tisse des interactions, réciprocités et dépendances dont la pratique est à la fois cause et effet. Les membres de l'institution sont certes réunis sur des critères de collaboration à des objectifs communs, à une même pratique qui est ce par quoi l'institution se définit d'abord (le soin, la prévention, la formation, la thérapie,etc.). Mais ainsi que l'écrit Barus-Michel "les distances à la pratique ne sont pas égales, un tel enjeu suscite des stratégies différentes et là sans aucun doute joueront les dispositions inconscientes personnelles, mais pas seulement et pas pour l'essentiel, car chacun joue son jeu en fonction aussi de positions antérieures, passé professionnel, compétence, statut juridique, alliances ... La femme de ménage quelle que soit sa névrose, aura bien plus souvent une stratégie uniforme de soumission puisqu'elle a tout à perdre et peu à gagner. Le médecin-chef aura plus sûrement une position de force pour s'approprier la pratique et ses retours".
S'il est un domaine où s'expriment ces enjeux psychiques et ces rapports de force, c'est bien le médicament. Sa prescription, sa distribution, son administration, sa prise, sa surveillance, l'évaluation de ses effets sont autant d'occasion de s'opposer, de s'unir, de jouer sa propre partition.
Cela est d'autant plus vrai que chez le médecin la tendance à l'idéalisation du produit est renforcée par l'implication de tout soignant et notamment de tout médecin par rapport à la pratique médicale.
Ainsi que l'écrit Besançon, le médecin, comme tout homme "et par les mêmes mécanismes que nous avons évoqués, introjection, rejet, identification, aura une attitude de base vis à vis du médicament, de confiance indiscutée ou de méfiance. Cette attitude sera pondérée par son apprentissage scientifique mais modulera certainement plus qu'on pourrait le penser à une première approche ses attitudes thérapeutiques". Parmi les différentes spécialisations médicales, le psychiatre serait "idéalement à l'abri des écueils précédents (privilégier la démarche thérapeutique ou la démarche diagnostique). En réalité, il n'y échappe pas complètement et sa démarche est entachée d'a priori, de préjugés subjectifs, d'irrationalité; l'image interne qu'il a des médicaments étant également complexe et dépendante d'un grand nombre de facteurs non scientifiques".
Si la démarche du psychiatre est entachée de préjugés subjectifs, comment l'infirmier, pris lui-même dans ses propres préjugés, pourrait-il être clair quant au traitement qu'il distribue? L'infirmier a non seulement une image interne du médicament, mais également une image interne du médecin qui se réfère, entre autres, à ses années d'enfance. L'infirmier donne le traitement avec son savoir infirmier, avec son expérience professionnelle, avec sa connaissance des produits prescrits qui n'est pas la même que celle du médecin, avec sa perception de l'état du patient.
Il peut le distribuer en étant convaincu de l'efficacité du traitement, en étant sceptique, en étant en conflit avec le médecin. En donnant le traitement, il distribue également la qualité de sa relation avec le médecin prescripteur.
Besançon note que "les attitudes vis-à-vis du médicament sont...un reflet quasi paradigmatique de l'ambivalence tant du médecin que du malade" (7), nous rajouterons qu'elles reflètent également l'état de la relation infirmiers/médecin.
L'infirmier n'oriente-t-il pas la prescription, n'adresse-t-il pas, lui aussi, une demande au médecin ?
Que le patient s'agite, que sa violence réelle ou supposée soit telle que l'équipe ne puisse la contenir, l'infirmier demandera, exigera une augmentation de traitement. Le médecin doit aussi savoir gérer l'angoisse institutionnelle. Combien d'internes ont du renoncer, sous la pression des équipes infirmières à diminuer le traitement d'un patient ? Combien de médicaments prescrits si besoin, sont donnés systématiquement ?
Informer un patient sur son traitement, est-ce lui dire qu'il a deux cent gouttes de Nozinan* parce qu'il renvoie à l'équipe infirmière quelque chose qu'elle ne supporte pas ? Comment pourrait-on tenir un quelconque discours sur ce traitement s'il ne se justifie que de l'angoisse, de l'aversion que le patient suscitent? La résistance de certains patients au traitement, résistance vécue par le patient et abondamment commentée par l'équipe infirmière, ne procède-t-elle pas parfois d'une collusion inconsciente visant à mettre le psychiatre en échec ?
La prescription et la distribution du médicament se réfèrent à l'ici et maintenant institutionnel.
Conclusion
Etre infirmier et vouloir réfléchir sur le médicament, sa distribution, sa prise, sur l'information donnée au patient psychotique : c'est s'aventurer sur un terrain particulièrement sensible. Il est pour nous bien clair qu'information médicale et information infirmière sont radicalement différentes, qu'elles doivent se compléter harmonieusement.
Nous notions en 1994 que l'exigence gestionnaire restreignait de plus en plus le pouvoir médical.
C'est ainsi que le médicament prescrit devait figurer au Livret Thérapeutique de l'établissement hospitalier; s'il n'y figurait pas, le pharmacien de l'établissement proposait de lui substituer son équivalent générique, son équivalent thérapeutique.
Les médecins libéraux n'échappaient pas à cette limitation de la prescription. La prescription médicale est devenue une prescription encadrée.
Depuis 1994, cette situation n'a fait que se préciser.
L'exemple du Viagra, autre cachet bleu, montre qu'un produit n'a même plus besoin de médecin pour pouvoir se développer. Il suffit d'une campagne de presse bien faite, pour qu'immédiatement les usagers en puissance se jettent sur le produit, même s'il n'a pas encore reçu son autorisation de mise sur le marché en France. Les médias modernes tels qu'Internet permettent une circulation non virtuelle des produits. Il n'est pas facile de résister à une telle pression médiatique, surtout lorsqu'il s'agit d'un produit aussi " connoté " que le viagra.
Les laboratoires se tournent de plus en plus vers les infirmiers, ce dont nous nous réjouissons. Un nombre croissant d'infirmier participent à l'élaboration de fascicules d'information sur le traitement, sur la maladie, sur les structures de soins.
Le triangle médecin/patient/infirmier est ainsi complètement bouleversé. Il l'est d'autant plus que l'évolution des études infirmières éloigne les infirmiers de la psychopharmacologie. Celle-ci est enseignée dans les cours facultatifs. La validation est organisée de telle sorte qu'il ne s'agit plus que d'une matière sur laquelle il peut être économique de faire une impasse.
Tout cela retentit sur le fonctionnement même de l'institution et donc sur tout ce qui entoure la prescription. Une approche uniquement biologique du traitement atteint ainsi vite ses limites. Il appartient à chacun des partenaires de remettre en cause son fonctionnement.
Anne-Marie Leyreloup, Dominique Friard.