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Les Difficultés de la Transmission

 

 

Dans le langage technique, la transmission est un ensemble de rouages qui a vocation à faire circuler une énergie produite, afin de la rendre efficiente.

Cela signifie, au-delà du rôle propre, que la mission de tout un chacun est transpersonnelle et que pour faire une comparaison en parallèle, la transmission des informations est un élément clef, de la qualité des soins de l’univers hospitalier.

 

Essentielle dans le partage d’informations via le dossier patient pour les médecins, la transmission des données est aussi éminemment importante au niveau paramédical. Elle l’est peut-être encore plus, dans le milieu du soin psychiatrique, dans lequel la parole et l’échange sont prioritairement vecteurs de soin.

 

Ecrire, parler, échanger, s’interroger à voix haute, débattre à bâtons rompus, se laisser aller à associer, dire les émotions et impressions, faire des observations, se sentir libre de donner son avis, ne pas craindre le jugement, communiquer le subjectif tout autant que ce qui paraît objectif, avoir un peu confiance en ce que l’on dit ou écrit, observer ce qui se passe en soi, savoir ne pas toujours être d’accord, être parfois seul à penser ce que l’on pense, accepter de douter, chercher les points de convergence et l’endroit fuyant de la bonne distance au regard de l’autre et de soi, sont avec d’autres, des outils privilégiés du soin psychique. Le premier instrument du soin dans nos professions d’intervenants en psychiatrie, est nous-mêmes, faisant partie d’un au-delà ensemble, qu’il convient de ne pas oublier pour que des soins dignes de ce nom, puissent être qualitativement prodigués. On peut parler d’une gymnastique psychique permanente, qui occupe par moment les esprits au-delà de la porte du temps de travail, tout en prenant garde que ça ne devienne pas envahissant.

 

Mettre des mots sur les maux, sur les émotions douloureuses et les sentiments mitigés, sur les épisodes de vie qui ont laissé des cicatrices et sur des défenses psychiques qui ont toujours leur raison d’être, c’est comme mettre un peu de baume apaisant sur les douleurs, pour peu que les mots soient adaptés et posés avec délicatesse et précaution. Encore faut-il très souvent, trouver le mot juste, celui qui dans l’intention, va peut-être dénouer un peu le plexus psychique noué.

 

Il n’est pas toujours naturellement aisé, de trouver le mot qui parle, celui qui va transmettre une image qui va ensuite circuler sur l’écran intérieur de l’esprit, afin de s’interroger sur soi. La transmission à l’autre, en tant que témoin de ce qui se passe en soi, n’est pas un exercice qui coule de source. Mais c’est pourtant en cet exercice que prend racine, la qualité de la transmission d’informations, porteuses de soins psychiques en équipe. Sans doute faut-il pour cela de la pratique et savoir donner du temps au temps. Sans doute faudrait-il pour cela, que les moments de transmission en équipe, ne soient pas en certains lieux de soin, minutés de manière trop comptable et restrictive, afin de laisser libre cours au subjectif, si important en termes de pathologies psychiques. L’observation de ce qui se passe en soi, le temps donné, la pratique et l’expérience, les échanges, sont assurément des ingrédients qui valent leur pesant d’or, mais on peut aussi penser qu’ils ne suffisent pas à la libre circulation des mots.

La transmission orale demande une certaine volubilité dans laquelle les mots se mettent à naturellement danser ensemble, mais ceux-ci n’en font parfois qu’à leur tête : certains se font désespérément absents, quelques-uns prennent la place des autres, quelques autres se mélangent qui font que ce qui est dit, ne correspond pas à l’intention. Parce que le temps de la transmission orale est précipité, qu’il faut penser vite et traduire rapidement, les mots se bousculent parfois et ne parviennent pas à représenter avec suffisamment de précision, les pensées. L’idée selon laquelle, ce qui se conçoit bien s’énonce clairement, est un leurre, même lorsque la pensée a auparavant suffisamment mûrie. Il se pourrait que la difficulté dans la transmission orale, réside dans une relation temporelle difficile, entre le processus de penser et celui des exigences extérieures.

 

En cela, les temps de l’écrit qui n’ont pas à faire avec le même tempo, sont de mon point de vue, une aide précieuse qui complète les moments de la transmission orale. Au-delà des obligations qui nous sont faites de devoir assurer une traçabilité des actes infirmiers, les deux aspects de la transmission que sont l’écrit et l’oral, se nourrissent mutuellement, pour contribuer à une toujours meilleure qualité des soins. La gymnastique de l’écrit qui a parfois besoin de volonté et d’effort, qui peut être par moments une souffrance dans la quête du juste mot s’approchant au mieux de l’idée à transmettre, est l’humus d’une volubilité orale mieux aisée. Se donner du temps pour écrire en respectant le rythme des pensées, savoir s’arrêter lorsque les pensées ne viennent pas ou nagent dans la confusion, c’est progressivement entrer en harmonie avec soi et au bout du compte, se sentir apaisé.

Les pensées ne sont pas seulement des entités abstraites, mais sont aussi des cellules vivantes qui ont besoin de leur temps de repos, qui ont besoin de se replier sur elles-mêmes, qui ont une respiration et des rythmes qui leur sont propres. De différentes couleurs, elles peuvent circuler rapidement ou tantôt prennent leur temps et sont quelquefois bloquées par un obstacle émotif.

Etre dans une volonté de transmettre au mieux consiste de mon point de vue, à faire l’effort d’aller à la rencontre de nos pensées, pour apprendre à mieux les connaître et tisser avec elles, un lien d’amitié.

 

Une  transmission de qualité, qui évite les ruptures dans la continuité des soins, fait assurément partie du respect que nous nous devons d’avoir, vis-à-vis des patients. Cela est de mon point de vue d’autant plus crucial, lorsque le dit patient est amené à rencontrer de nouveaux intervenants et que s’organise un relai. Il y a bien sûr et en tant qu’infirmier, à transmettre ce qui est connu de l’histoire du patient, de son évolution dans le processus de soin, de la qualité de la relation. Il y a que les transmissions d’équipe à équipe, se doivent d’être suffisamment claires, concises et ciblées tout en résumant au mieux l’ensemble de la situation, de manière en ce qu’en filigrane des mots, transpire la présence et la qualité d’être du patient. Il y a aussi qu’entre les mots, l’art relationnel d’être avec le patient qui est unique, se doit de transpirer en même temps que de situer à quelle étape de l’évolution dans le travail sur soi, se situe l’individu concerné. Ce pourrait être un gâchis que d’infantiliser, que de faire en sorte qu’un patient régresse à nouveau, alors qu’il est en cours d’évolution vers une certaine autonomie, parce que l’endroit où il se situe aurait été oublié dans la transmission.

 

La qualité des transmissions d’informations est de mon point de vue, plus importante encore dans les équipes de pédopsychiatrie de liaison, parce que ces unités de soin ont vocation à tisser des liens et parce qu’en général, elles n’interviennent auprès du patient que de manière transitoire et le plus souvent en situation de crise. Les liens à tisser sont multiples et se doivent d’être noués dans de multiples directions. Ils se doivent de se glisser dans les interstices, au-delà et au travers des clivages institutionnels et/ou individuels. Il peut s’agir dans les interventions, de témoigner des liens intimes entre le soma et le psyché chez l’individu, tout autant qu’au sein de l’institution et dans cet objectif, les transmissions d’infos en sont un élément. Il s’agit de permettre, aux liens avec l’extérieur de se poursuivrent et éventuellement de les réactiver. Il s’agit de tisser des liens entre des pensées et des pans d’histoire. Il s’agit, dans la spécificité professionnelle des équipes de liaison, d’être sourcilleux quant à l’organisation des relais de soins, car les zones de passage sont toujours des moments critiques, où le risque de rupture du processus de soin est presque toujours présent. La préparation du patient pour l’aider au mieux à franchir le passage d’une équipe à l’autre, est un élément de la réussite qui va assurément de pair, avec une transmission de qualité des informations, pour permettre à ceux qui prennent le relai, de recevoir dans les meilleures conditions possibles. L’accueil d’un patient n’est pas que l’affaire d’une équipe qui va prendre le relai, mais est aussi celle de l’équipe qui indique et qui se doit de le préparer en amont.

La transmission est un pont qui relie d’une rive à l’autre des êtres à la dérive et engage notre responsabilité de soignant et notre conscience professionnelle. A ce titre, transmettre au mieux des informations dans le domaine du soin psychique, n’est pas de tout repos, tant il demande aussi un regard sur soi savamment dosé, qui prend en compte autant que faire ce peut, la part du subjectif en nous. Les transmissions écrites ou orales, à n’en pas douter, sont réellement un soin qui demande autant d’implication, que la relation directe au patient. Prendre le temps de faire des transmissions correctes, c’est prendre le temps du recul et de la réflexion, dans une concentration nécessaire autour de l’idée qu’on se fait du patient, dans laquelle transpirent les observations concrètes tout autant que les impressions, qui sont elles aussi des informations susceptibles d’orienter les soins. Il y a bien sûr, que les intuitions et impressions sont sujettes à caution mais les ignorer, conduirait à un appauvrissement de la qualité des soins. Il convient sans doute, dans l’art de pratiquer le métier d’infirmier en psychiatrie, de se méfier du subjectif en soi tout en ne l’ignorant pas, dans une sorte de démarche faite de méandres, dans une permanente quête de la bonne distance au regard de ce qui se passe en notre fort intérieur. Dans l’intensité de la relation soignant/soigné, les intuitions soignantes existent, qui ne sont pas de l’ordre du tangible mais qui se devraient toujours de faire partie, en tant que tel et reconnu comme tel, des transmissions qui ici ou là, tendent de plus en plus à être formatées.

Héno.J (I.S.P)

11/04/10