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Faut-il brûler Jeanne ?

Jeanne part. En juillet. Elle quitte le Centre de Santé Mentale où nous exerçons, après y avoir travaillé moins d’un an. Une infirmière qui quitte une unité de soin, a priori, il n’y a pas de quoi fouetter un chat, ni rédiger une communication. Des infirmières arrivent, d’autres partent, c‘est la vie d’une institution. Ce départ résonne cependant différemment. Nous allons voir comment il interroge à la fois le fonctionnement d’une profession, d’une équipe et d’une institution. La réflexion autour de ce départ sera l’occasion de peser l’équipe et nous fournira quelques outils pour penser l’équipe et son fonctionnement.

 

Une arrivée qui interroge

 

Jeanne n’est pas infirmière de secteur psychiatrique. Elle n’est pas non plus infirmière polyvalente. Elle a passé un diplôme d’état à l’ancienne, entendez par là, avant la fusion des études d’infirmière. Nous savons tous ce que cela signifie : elle a bénéficié d’une formation de qualité en ce qui concerne les soins somatiques, mais a beaucoup de manques en psychiatrie. Son parcours professionnel ne l’a jamais amenée à fréquenter la psychiatrie, elle est sans expérience pratique du soin en santé mentale et ignore l’essentiel des théories opérantes dans ce champ. Aussi, quand en février 2005, le cadre de l’unité nous annonce son arrivée pour le premier août, l’équipe infirmière est scandalisée. L’équipe est composée d’infirmiers de secteur psychiatrique, d’infirmiers polyvalents et d‘infirmiers d’état qui semblent cohabiter plus ou moins harmonieusement. Une politique de formation continue volontariste a permis aux uns et aux autres de se muscler cliniquement ; que ce soit dans la pratique des entretiens infirmiers, dans la gestion des problèmes de violence, de l’écriture ou de la démarche de soins. A deux exceptions près, chaque soignant d’une équipe composée d’une douzaine d’infirmiers dépasse les dix ans d’expérience professionnelle, en intra et en extra-hospitalier.

L’équipe est blessée. Elle se sent rabaissée, déniée, déqualifiée. Quoi ? La direction des soins qui affecte Jeanne à ce poste estime qu’il est possible d’exercer en extra-hospitalier sans aucune expérience du secteur, ni de la psychiatrie. Jeanne n’a jamais vu un patient psychotique décompensé, elle n’a jamais fait une visite à domicile, elle n’a jamais été confrontée à un patient violent et devrait être capable d’accueillir les patients, d’évaluer leur état, de les orienter. Plus grave, dans un établissement qui prône l’articulation intra/extra-hospitalier, il serait possible de travailler sur le secteur sans connaître les locaux d’hospitalisation, ni même les soignants qui y travaillent. Cela nous paraît impensable pour ne pas dire fou. Quid de notre travail, quid de notre réflexion clinique, quid de notre expérience ? Il serait, certes, possible de se positionner comme tuteur, d’accompagner ses premiers pas. Elle est affectée le premier août, c’est-à-dire, au beau milieu des vacances, au moment où nous sommes le moins nombreux. Il aurait suffit qu’elle travaille un mois en intra-hospitalier pour s’initier à la psychiatrie, au secteur, à la folie. En septembre, elle aurait commencé au Centre de Santé Mentale avec un petit peu plus d’expérience, au sein d’une équipe prête à l’accueillir.

Quelques patients difficiles défrayent la chronique en ce mois de février 2005. Une de nos collègues, chevronnée, vient de s’arrêter en accident de travail, après avoir été agressée verbalement et physiquement par un patient dont on peut dire qu’il pose des questions diagnostiques. Le mode d’expression de ses symptômes amènent certains membres de l’équipe à le considérer comme un psychopathe, d’autres le voient plutôt en schizophrène héboïdophrène, d’autres encore hésitent entre un état-limite et un trouble sensitif. Face à un patient dont le mécanisme de défense principal est l’identification projective, les infirmières ont du mal à penser le soin. La plupart des soignantes se sentent en insécurité. Elles estiment avoir du mal à se protéger, à se tenir à l’écart des éclats de ce patient, il faudrait en plus qu’elles encadrent une débutante. Elles pensent que l’inexpérience de Jeanne la met non seulement, elle, en danger mais également l’équipe toute entière. C’est dans ce contexte miné que la direction des soins affecte Jeanne. Il convient de rajouter afin d’être complet que des profils de poste ont été élaborés, notamment autour du pôle extra-hospitalier. Inutile de préciser que Jeanne n’en remplit aucun pré-requis. Il faut dire à la décharge de la direction des soins, qu’elle est en crise, qu’elle ne pèse plus sur rien vampirisée qu’elle est par une direction générale convaincue de son omnipotence.

Nous sommes en février, Jeanne doit débuter en août, quelques soignants dont je suis, proposent d’écrire une lettre collective à la direction des soins afin de la mettre face à ses responsabilités. Le but est également de réagir alors que nous ne connaissons pas Jeanne, qu’il s’agit d’une position de principe et non pas d’une attaque personnelle. Un consensus mou ne permet pas de rédiger ce courrier. Je considère que s‘il s’agit d’une décision d’équipe, je n’ai pas à prendre la plume, n’ayant pas vocation à être le leader de cette équipe. Les deux cadres de l’unité ne s’associent pas à cette initiative. Ils ont pris leurs responsabilités et adressé un courrier à la direction des soins. Ils y ont repris quelques uns des points soulevés en introduction et expliquent qu’en s’y prenant de cette façon, on rend problématique l’intégration de Jeanne dans l’équipe. Leur courrier reste lettre morte, tout comme la pétition que l’équipe n’écrira pas.

Le temps passe. Le mois d’août arrive, et Jeanne aussi. Rien n’a été pensé pour l’accueillir, ni l’accompagner. Rien n’a été élaboré du vécu de l’équipe. La réticence qui n’a pu se concrétiser alors que Jeanne n’était pas encore arrivée va se cristalliser. Jeanne sera accueillie comme un chien dans un jeu de quilles. C’est elle, en tant que personne qui sera rejetée, pas sa position, pas la position impossible dans laquelle elle est mise. Quittons le descriptif et essayons de penser à partir de quelques concepts.

 

L’équipe

 

Reprenons l’argumentaire de cette journée. « La notion de travail en équipe pluriprofessionnelle participe aux fondements du soin en psychiatrie. Elle pose les conditions nécessaires pour un exercice professionnel où s’articule compétence individuelle et dynamique des compétences collectives. ».

« On va en parler en équipe », « L’équipe pense que … », « C’est une décision d’équipe » ; en psychiatrie, il n’est pas de jour sans qu’une de ces phrases ne vienne opposer un collectif à la singularité d’une demande, d’une initiative, d’une subjectivité. L’équipe qui pense, qui parle, qui décide, décrit aussi bien les deux infirmiers présents cet après-midi-là que les 17 équivalents-temps plein réunis lors d’une réunion de fonctionnement. Elle peut se limiter aux infirmiers. Le cadre de proximité peut en être ou non. Elle peut s’enrichir du médecin, d’un psychologue, d’un éducateur spécialisé et d’une assistante sociale, des aides-soignantes et des deux ASH. La réalité qui apparaît dans les discours et dans les pratiques est mouvante. Le concept, auquel la notion renvoie, rarement défini,  brille essentiellement par son aspect fourre-tout. La notion d’équipe semble surtout se caractériser par un fantasme unitaire, qui, lui seul permettrait de fonctionner.

Face à la nef des fous, il y a l’équipe, ce pourrait être une façon ironique de définir l’équipe. Les mots de la famille « équipe », selon le Grand Robert de langue française (1), apparaissent dans la langue au 12ème siècle. Ils dérivent de l’ancien normand skipa, de skip navire. L’équipage, c’est d’abord ce qui sert à équiper un navire, c’est-à-dire les vivres, les voiles de rechange mais aussi les ressources humaines qui lui permettrons de naviguer. Du 16ème au 19ème siècle, le substantif « équipage » a une acception assez proche de celui d’équipe. L’équipe, au 17ème siècle, et c’est son premier sens, est une petite flottille appartenant au même armateur. Ce n’est qu’à partir de 1864, que le mot décrit « un groupe de personnes unies dans une tâche commune ». On passe du bateau aux hommes. L’équipe se divise entre hommes d’équipe (les ouvriers) et chef d’équipe (le contremaître). Si vous pensez que l’équipe, c’est la galère, c’est que vous n’avez pas l’esprit d’équipe, c’est-à-dire l’esprit qui anime une équipe « dont les membres collaborent en parfait accord ». Si vous n’avez pas l’esprit d’équipe, vous serez considéré comme un individualiste, quasiment comme un anarchiste. La mutinerie n’est pas loin.

L’origine maritime du mot n’est pas sans conséquence. On peut affirmer qu’il n’est d’équipe que pluriprofessionnelle. Sur un bateau, statuts, rôles et fonction, sont par nature nettement différenciées. Si la vigie s’occupe du repas, si le mousse cargue les voiles dans les huniers, si le quartier maître se prend pour le capitaine, le naufrage n’est pas loin. Sur un bateau, ce n’est jamais l’équipage qui décide mais le capitaine, lui-même aux ordres de l’armateur.

Vary, éducateur, définit l’équipe comme « un groupe de salariés travaillant dans la même entreprise ; en même temps, c’est un collectif d’humains se côtoyant régulièrement au même endroit, avec tout ce que cela peut supposer de sympathie, de conflits, de liens … C’est encore un outil fonctionnel de travail créé par une institution dans un projet plus ou moins défini. » (2)

 

Le poids de l’histoire

 

Jusqu’en 1994, « l’équipe », forcément « soignante », en psychiatrie, est constituée majoritairement d’infirmiers, c’est-à-dire de professionnels, ainsi que le note M.F. Gasseau, issus d’une même « matrice » dont le fantasme identitaire s’inscrit jusque dans le réel au travers du marquage extérieur de la « blouse blanche ». (3) Ce même corps, pris dans une « même » enveloppe qui conforte les liens originaires de ces soignants entre eux va imploser avec l’arrivée d’infirmiers issu d’une ou de deux matrices différentes. 

Il faut se souvenir qu’en psychiatrie, le cadre unique a longtemps prévalu. Une équipe infirmière issue, le plus souvent, d’un même centre de formation assumait toutes les tâches et ne rendait compte qu’au médecin, seul capitaine à bord après Dieu (et encore !). Les infirmiers, souvent formés, à l’IFSI, par le médecin même, entretenaient avec lui une relation privilégiée, empreinte d’un certain paternalisme médical qui parlait de ses infirmiers comme il parlait de ses malades. Les professions paramédicales et les travailleurs sociaux vont progressivement apparaître et s’intégrer à l’institution laissant aux infirmiers l’unique gestion du quotidien. Adieu veau, vache, cochon et paradis terrestre ! Les infirmiers, parallèlement, vont sortir de l’asile et fonder le secteur psychiatrique dont ils seront le fer de lance. Pas tous. L’asile survit mais quelque chose a changé. Les infirmiers se sont ouverts à la psychologie, à la sociologie, aux sciences humaines. Leur enseignement qui fait la part belle à la clinique, à la dynamique de groupe les prépare à animer des activités psychosociothérapiques. Les pratiques vont être de moins en moins carcérales. Les unités d’agités vont fermer, les lits se vider. Là, où prospéraient des concentrations hospitalières de 150 patients plus ou moins chronicisés ne resteront que deux unités d’entrée de vingt lits. C’est au moment de leurs plus belles réussites que les infirmiers de secteur psychiatrique reçoivent un coup de poignard dans le dos : lors de la préparation à l’harmonisation européenne des diplômes, un obscur fonctionnaire d’un quelconque ministère oublie de déclarer leur profession. Ils n’existent plus. Entendez par là que leur profession n’existe plus, que plus personne, jamais, ne sera formé aux soins psychiatriques, qu’ils seront sans descendants, sans postérité. Leur lutte désespérée, n’y fera rien. Leurs propres collègues des soins généraux, infirmières libérales en tête et CEFIEC (c’est-à-dire ceux qui ont pour mission de former les futurs infirmiers) saisiront le Conseil d’Etat pour faire casser le peu de reconnaissance qu’on daignait leur accorder. Ce traumatisme ne sera jamais digéré. Sur un plan sociologique, la profession d’ISP reste la seule profession supprimée sur une erreur jamais reconnue, de l’appareil d’état.

Dans un tel contexte, on peut imaginer que la cohabitation avec leurs collègues des soins généraux ne saurait être simple. De tous temps, des infirmiers diplômés d’état ont travaillé, par goût, en psychiatrie ou en pédopsychiatrie. Le diplôme d’état leur permettait d’y travailler du jour au lendemain. La formation continue incitait à un partage des savoirs et valeurs. La clinique n’y perdait pas trop, pourvu que le secteur qui les accueillait soit suffisamment dynamique pour proposer des séminaires de réflexion et des synthèses longitudinales.      

La réforme des études d’infirmier qui crée l’infirmier polyvalent vient bousculer cet équilibre. Le polyvalent est une sorte de bâtard. Il est trop relationnel pour les IDE anciennes moutures, et trop dans le « faire » pour les vieux ISP de moins en moins nombreux et de plus en plus âgés. Il n’est accepté par aucun des deux corps. Il doit faire ses preuves. Sauf que. C’est le bâtard qui ramasse l’héritage. Les polyvalents, dans une profession dont la durée de carrière ne dépasse pas, en moyenne, dix ans, se retrouvent majoritaires et imposent doucement leurs façons de faire.

Comment faire équipe quand trois sensibilités différentes du soin cohabitent dans un même corps professionnel, dans un même collectif ? Comment faire équipe, quand de fait, existent dans ce même corps deux statuts différents ? Parallèlement, dans de nombreux départements, la psychiatrie a quitté son asile fétiche si lointain des grandes villes et s’est installée à l’hôpital général au plus près de la population. La psychiatrie, pour de nombreuses directions des soins, peu sensibles à la spécificité du soin psychiatrique, voire même parfois hostiles, constitue un gisement de professionnels qu’il est facile de déplacer au gré des absences à remplacer, qui en chirurgie, qui en réanimation, qui en pédiatrie. Tous ? Non. Les ISP ne sont pas déplaçables. Leur non-statut, leur interdit de travailler dans les services de soins généraux auprès de « vrais » malades. On comprend mieux le sens du mot polyvalent. C’est une variable d’ajustement.

L’ISP, lui, est rivé à la psychiatrie. Il n’a pas d’autre choix que de choisir entre l’intra ou l’extrahospitalier, mais l’extrahospitalier, à Gap comme ailleurs, ça se mérite. Il faut montrer patte blanche. Il faut avoir fait ses preuves. Il faut être chevronné. Il faut correspondre au profil de poste implicite. Il faut, d’une certaine façon, faire partie d’une élite. C’est en tout cas ce qui se dit dans les unités intra-hospitalières. Aux ISP l’extra, aux polyvalents (et aux asilaires) l’intra. Qu’ils commencent par faire leurs preuves, on verra après. Sauf que démographie infirmière aidant, les polyvalents frappent à la porte de l’extrahospitalier. Sans avoir fait ces fameuses preuves. En position de force. Face au manque d’infirmiers, ils exigent : « C’est à prendre ou à laisser. J’ai des propositions plus intéressantes en chirurgie orthopédique. » Le premier crime de Jeanne, c’est de prétendre travailler en extra-hospitalier sans avoir été initiée à la psychiatrie par un temps conséquent à l’asile. Circonstance aggravante, elle est issue de la dernière promotion de l’ancien diplôme d’état. Elle n’est même pas polyvalente ! Les infirmiers de l’équipe ont attendu qui deux ans, trois ans avant d’être jugés digne de l’extrahospitalier. C’est tout un système de valeurs, de statuts, plus ou moins implicites, que son arrivée remet en cause. Et ce seront ceux qui sont les moins assurés statutairement qui seront les plus rejetant.

L’histoire pèse d’un poids très lourd. Différentes strates du passé survivent dans le présent.

Trois sensibilités, deux statuts mais que dire des rôles et des fonctions ?

Pour aller plus loin, il nous faut retourner au concept d’équipe.

Qu’est-ce qui unifie ce qui ne pourrait être qu’un conglomérat, qu’une juxtaposition d’individus ? Qu’est-ce qui fait équipe ?

 

L’équipe est un groupe

 

Paul Fustier et la dynamique de groupe nous proposent deux niveaux d’analyse de l’équipe : un niveau rationnel qui cherche à dire la tâche, ce que l’on fait, pourquoi et comment, avec un degré variable d’imprécision, et un niveau affectif qui dit que se retrouver là, autour d’une tâche commune, mobilise des affects.

L’équipe est un groupe et nous pouvons donc reprendre à notre compte la définition du groupe restreint en sachant que le groupe/équipe ne correspond qu’en partie aux caractéristiques du groupe restreint.

Un groupe restreint est « un ensemble d'individus dont l'effectif est tel qu'il permet à ceux-ci des communications explicites et des perceptions réciproques, dans la poursuite de buts communs. » (4)

Dans le cas particulier d’une équipe extra-hospitalière, où tous, hors congés, sont présents en même temps dans l’institution, il me semble que l’on peut cheminer à partir de cette définition.

L’équipe aurait, ainsi, sept caractéristiques :

- Les interactions. Chaque membre du groupe agit et réagit par rapport à tel membre ou au groupe tout entier, et de façon directe, sans intermédiaire. L'interaction postule que les conduites, les interventions, les opinions émises ne sont pas des expressions personnelles « en soi » mais sont déterminées (au moins partiellement) par ce que font ou ce que disent les autres, par une inter-influence et par une perception confuse de la situation dans la quelle le groupe comme tel se trouve.

- Emergence de normes. Les normes sont les règles de conduite qui se constituent progressivement, qui forment le code des valeurs du groupe. Ce code varie d'un groupe à l'autre.

- Existence de buts collectifs communs. La poursuite en commun et de façon active des mêmes buts, dotés d'une certaine permanence, assumés comme buts du groupe, répondant à divers intérêts des membres, et valorisés constitue le ciment du groupe.

- Existence d'émotions et de sentiments collectifs, correspondant aux situations dans lesquelles se trouve le groupe et engageant à des actions et réactions collectives. Ces deux dernières caractéristiques garantissent la cohésion du groupe.

- Emergence d'une structure informelle qui est de l'ordre de l'affectivité et qui est l'organisation et la répartition de la sympathie-antipathie, les voies par lesquelles circule l'influence, la position des membres « populaires » et des « rejetés », la naissance de « cliques » ou de sous-groupes dans le groupe, avec les pôles de conflit ou d'attraction. Informelle parce que non-officielle, cette structure peut entrer en opposition avec une structure officielle imposée de l'extérieur.

- Existence d'un inconscient collectif. L'histoire commune vécue par le groupe, son existence collective, son passé, sont sources de problèmes latents ou de « points sensibles » qui, sans être présents à la mémoire actuelle, font partie de la vie du groupe et de ses réactions. Le groupe n'a, par ailleurs, pas conscience des phénomènes psychologiques déterminant les conduites de ses membres, et ceux-ci n'ont pas conscience des phénomènes psychologiques déterminant leurs conduites en groupe.

- Existence d'un équilibre interne et d'un système de relations stables avec l'environnement.

Toute action groupale exige une certaine structuration, laquelle engendre immédiatement une autorité (une règle, des responsabilités groupales, des rôles et une coordination des rôles, des sanctions). La structure formelle est relative aux objectifs du groupe, et définit des fonctions par rapport à ces objectifs. La fonction définit un des moyens stratégiques pour réaliser les buts du groupe. Elle se situe dans l'ensemble des éléments dynamiques de cette réalisation et implique un système global dans lequel elle s'insère, une place ou une position dans ce système, un rôle à tenir (remplir la fonction), des capacités (efficience, compétence). (4)

Lorsqu’elle arrive dans l’équipe, Jeanne est investie d’une position sociale, d’un statut officiel, d’un rôle. Mettre en question son rôle, c’est contester son utilité par rapport aux objectifs de l’équipe, mettre en question sa personne, c’est contester son aptitude à remplir le rôle défini par l’équipe. Nous avons vu que nous pouvions légitimement contester son aptitude à remplir le rôle attendu. Que Jeanne soit en difficulté face au rôle attendu n’implique pas de l’attaquer personnellement, c’est-à-dire de ne pas lui adresser la parole, de la mettre à l’écart des prises en charge, de contester systématiquement ses choix.

Jeanne ne s’est pas engagée sans biscuit. Après s’être cherchée dans diverses spécialités médicales, elle a posé ses bagages quelques années en soins palliatifs mais ça, seuls ceux d’entre nous qui lui ouvriront leur porte le sauront. Jeanne possède une expérience certaine en termes d’écoute et d’accompagnement. Que ces qualités ne se soient pas exprimées auprès de patients psychotiques ne signifie pas qu’elle soit vierge de toute expérience de soin. Auprès des patients mourants et de leurs proches, elle s’est probablement plus investie que nombre d’infirmiers de secteur psychiatrique. Elle a appris à s’engager et à se désengager. Jeanne a également une expérience certaine des groupes de parole. Elle en a animé un certain nombre auprès des familles endeuillées. Elle s’est frayé un chemin professionnel bordé par la souffrance, le chagrin et la mort. Son expérience est de celle qui pourrait enrichir une équipe qui accepterait de l’accueillir avec ses manques, certes, mais aussi avec ses qualités. Certains membres de l’équipe vont essayer de permettre à Jeanne de s’intégrer. Les plus anciens. Ceux dont on peut dire qu’ils occupent, pour différentes raisons, une position marginale dans le groupe, ceux qui se situent dans le registre de la transmission. Ainsi, Jeanne participera-t-elle à la prise en charge, d’une dame âgée dépressive, qui n’arrive pas à faire le deuil de son mari mort cinq ans plus tôt. Lorsque Jacques, le patient qui pose tant de problèmes à l’équipe, reviendra au Centre de Santé Mentale, Jeanne ne succombera pas à l’identification projective, elle trouvera, d’emblée, la juste distance, ce qui est impardonnable. Elle saura retraiter les scories qu’il tente de projeter sur elle sans se prendre la tête. Ainsi co-animera-t-elle le groupe de musique réceptive. Son dynamisme et son enthousiasme trouveront là matière à s’exprimer. Elle se situe d’emblée dans le juste registre qui permet de créer un espace transitionnel sans infantiliser les patients. Elle conciliera nécessité de se former et animation d’une activité en se joignant aux animateurs du groupe de réflexion et de recherche sur les maladies des boyaux de la tête. Les patients pourront ainsi lui expliquer ce qui fait trouble pour eux, et les façons qu’ils ont de gérer ces troubles. Entendons-nous bien, elle n’est pas devenue une clinicienne hors pair. Ses manques théoriques sont toujours-là. Elle se laisse toujours aspirer par certaines situations mais son enthousiasme, son plaisir à rencontrer les patients lui permettent de compenser ces manques. Si elle se sent bien dans ces groupes, si elle s’y sent reconnue, les affrontements à fleurets mouchetés se poursuivent et s’aggravent. Un entretien, mené à deux, autour d’un patient alcoolique se termine par un clash entre Jeanne et l’autre infirmière. Les discours tenus sont symétriques. Chacune accuse l’autre de l’avoir agressé, de ne pas l’avoir écouté. L’arbitrage des cadres ne fait que complexifier une situation confuse.

Jeanne part en juillet. La rencontre n’a pas eu lieu. Essayons de comprendre pourquoi à partir de ces éléments de dynamique de groupe et d’une réunion initiée par les cadres, en février 2006,  dans le but de désamorcer la crise.

 

« L’équipe c’est qui ? »

 

Il existe plusieurs façons de penser l’équipe. Annie Petrognani, infirmière en soins palliatifs, en propose une jolie, dans un numéro récent de la revue Soins Gérontologie (5). L’équipe, c’est qui ?

L’équipe, c’est moi ! Par expérience, le soignant a appris qu’il ne pouvait compter que sur lui. Il tente, alors, par son attitude consciente et inconsciente, d’imposer son avis, en contestant toutes les opinions différentes des siennes.

L’équipe, c’est les autres ! Le soignant, pris dans des expériences anciennes, qui l’ont dévalorisé, considère que son avis et ses compétences sont beaucoup moins intéressants que ceux de ses collègues. Il va donc se taire et accepter de suivre la majorité ou le leader, même s’il n’est pas en accord avec la décision qui sera prise. Il se reproche son manque de courage mais ne sachant pas comment faire autrement, il finira par reprocher silencieusement aux autres (et notamment aux médecins) de ne pas être plus attentifs à sa présence. Cette position silencieuse, que l’on retrouve dans toutes les équipes infirmières, est un véritable poison qui nourrit les conflits d’équipe et interdit surtout l’expression de conflits qui faute d’être exprimés ne peuvent pas se travailler. Ne reste alors que la violence et le passage à l’acte.

L’équipe, c’est personne ! Le soignant ne se fait pas confiance et il ne fait pas confiance aux autres pour apporter un éclairage pertinent sur la situation. Il croit qu’il n’existe aucune solution possible, même la moins mauvaise, et souvent, la seule raison pour laquelle il supporte encore de venir travailler est la nécessité de gagner sa vie. Il est dans un grand désarroi, surtout lorsqu’il s’est investi pendant des années et que, faute de soutien professionnel, il a lâché prise. Cette position s’inscrit sur l’axe du syndrome d’épuisement professionnel ou burn-out. Elle crée une formidable force d’inertie dans le groupe et annihile toute dynamique de création.  Il est évident que la suppression du diplôme d’ISP, avec le manque de reconnaissance qu’il implique, vient attaquer, d’abord ces soignants-là.

En ce qui concerne Jeanne, on peut dire que déçus du soin et silencieux, se rejoignent, dans une même attitude de rejet. Les conditions particulières de son arrivée viennent conforter ceux qui pensent qu’ils n’apportent rien de positif à l’équipe et angoissent ceux qui n’ont confiance ni en eux, ni en l’équipe. Les individualistes peuvent travailler avec Jeanne autant qu’ils travaillent avec les autres sans la rejeter plus qu’ils ne rejettent les autres. Elle ne fait, au fond que confirmer ce qu’ils pensent de l’équipe.

L’équipe, c’est nous. Le soignant qui choisit de travailler en s’appuyant sur ce postulat adopte une attitude volontariste. Sortir d’un rapport de domination pour entrer dans un rapport de partenariat et prendre le risque de parler en groupe est, avant tout, un « détricotage » intérieur. Le professionnel peut poser ses questions, oser contre-argumenter face à ses collègues et susciter une réelle interaction. C’est la position de l’altérité qui favorise le débat contradictoire. Mais, ainsi que le rappelle Annie Petrognani, « aucun soignant, quel que soit son niveau de responsabilité, n’a été préparé à travailler en équipe et la mosaïque des trajectoires personnelles, scolaires, universitaires constitue un fantastique kaléidoscope où chacun doit trouver sa place en conservant l’estime de soi-même et celle des autres. » (5)

 

Qu’est-ce qui pourrait nous unir ?

 

Qu’est-ce qui pourrait nous unir ? C’est par ces mots que le cadre de l’unité qui fait le secrétaire de séance conclut la réunion de crise de février 2006. Qu’est-ce qui pourrait unir les membres de cette équipe désarticulée ? Qu’est-ce qui pourrait amener les tenants de l’équipe c’est moi, de l’équipe c’est les autres, de l’équipe c’est personne à devenir l’équipe c’est nous ?

C’est au fond, au delà de la situation particulière que je décris, une question qui s’adresse à chaque équipe. Vous avez compris, je pense, qu’au delà de l’histoire de Jeanne, qui n’apparaît, au pire que comme un bouc émissaire, je parle d’autre chose. Jeanne est aussi un analyseur collectif, un point à partir duquel interroger le fonctionnement d’une équipe et de l’équipe en général, si tant est que l’on puisse parler d’équipe autrement que singulière.

Chaque membre du groupe agit et réagit par rapport à tel membre ou au groupe tout entier, et de façon directe, sans intermédiaire. L'interaction postule que les conduites, les interventions, les opinions émises ne sont pas des expressions personnelles « en soi » mais sont déterminées (au moins partiellement) par ce que font ou ce que disent les autres, par une inter-influence et par une perception confuse de la situation dans laquelle le groupe comme tel se trouve. Nous partirons de ce postulat.

La crise, le rejet par une partie du groupe de Jeanne et les réactions de Jeanne, est aussi ce qui nous unit, mais reprenons la question posée par le cadre : Qu’est-ce qui pourrait nous unir ?

Des buts collectifs communs.

L’équipe, dans un même lieu, regroupé sur trois niveaux, est organisée autour de plusieurs axes :

-         un axe CMP classique qui comprend accueil téléphonique, visites à domicile, entretiens d’orientation et d’accueil, injections retard, suivis réguliers, régulation des appartements thérapeutiques, ce que l’on pourrait nommer les tâches quotidiennes indispensables à la bonne marche du secteur ;

-         un axe CATTP, qui propose différentes activités à visée psychothérapique ou non, un accueil qui se confond avec l’accueil CMP ;

-         un axe psychiatrie de liaison et Centre d’Accueil et de Consultation, l’activité ne se situe pas au Centre de Santé Mentale mais les infirmiers qui le font vivre participent également à l’accueil CMP ;

-         un axe travail de réseau qui repose essentiellement sur les travailleurs sociaux mais auquel participent quelques infirmiers ;

-         un axe Maison d’Arrêt, composé d’une seule infirmière qui participe également à la psychiatrie de liaison, au travail CMP et au Centre d’Accueil et de Consultation.

Ces différents axes de travail sont discutés, travaillés et dans l’idéal harmonisés dans un nombre conséquent de réunions au sein desquelles les soignants s’expriment ou non, selon leur personnalité, la qualité d’écoute du psychiatre référent. Face à une telle diversité, est-il possible de trouver des buts collectifs communs ? Les axes se sont rajoutés les uns aux autres. Les soignants ont augmenté progressivement leurs domaines d’intervention. Il n’a été renoncé à rien. Les cadres s’épuisent … à cadrer justement cette activité qui fait penser à une fourmilière ou à une ruche. Chacun détermine ses priorités qui peuvent varier selon le jour de la semaine, voire le moment de la journée. Ainsi le CATTP n’est-il qu’un espace théorique. Un infirmier fait une visite à domicile, enchaîne avec l’activité de musique réceptive avant de manger au foyer des jeunes travailleurs avec une patiente. Son après-midi commence par une réunion de régulation dans une entreprise d’insertion qui accueille des personnes à distance du monde du travail. Il poursuit avec un entretien d’orientation et d’accueil, va rejoindre sa collègue de la psychiatrie de liaison aux Urgences de l’hôpital général et termine sa journée par la préparation d’un semainier.

Les soignants se sont adaptés à une demande sociale constamment plus pressante, plus exigeante. La psychiatrie est sommée de s’occuper des locataires d’HLM un peu trop violents, ils doivent être présents aux Urgences, ils doivent accueillir le chagrin d’amour, la séparation douloureuse du vieux couple, le deuil dysfonctionnel, les toxicomanes en manque, les psychotiques comme ils l’ont toujours fait. Ils le font en s’étirant, s’étirant, s’étirant. Les tâches arrivent à être tellement parcellisés que l’objectif finit par n’être plus perceptible. C’est d’ailleurs à l’accueil, quasiment sur le seuil que la pression est la plus grande. Il faut accueillir, accueillir encore et encore. Etre disponible toujours. Cette disponibilité finit par être un objectif totalitaire qui épuise les soignants. Il n’est pas étonnant que c’est à ce point que le conflit entre Jeanne et ses collègues naît et se développe. Si une équipe, au sens large du terme, ainsi que l’observe Paul Fustier (6) peut se penser par la distinction entre soliste et choriste, force est de reconnaître que les soignants en extra-hospitalier sont tour à tour soliste et choriste, selon les jours, selon l’activité pratiquée, ce qui ne les aide pas à se repérer. Le soliste, pour Fustier, travaille en bureau, sur rendez-vous, dans des espaces-temps clairement délimités, en entretien, en visite à domicile programmée, lors d’une activité. Le soliste travaille dans la discontinuité, dans la séparation. Le choriste, lui, travaille dans la continuité. Il partage la vie quotidienne des patients. Au CMP, cette continuité de présence se manifeste par l’accueil, par la présence du soignant, par sa disponibilité à ce qui peut advenir. Chez chaque soignant, à des degrés divers, le soliste s’oppose au choriste, même si certains soignants sont davantage soliste que choriste. La logique de l’un est en contradiction avec la logique de l’autre. Comment alors se retrouver autour de buts collectifs communs ? La réunion de crise entérine ce dysfonctionnement, peut-être nécessaire, en évoquant des priorités différentes selon les soignants.

Des règles de conduite communes pourraient également être un ciment du groupe. Mais comment des règles pourraient être légitimes si elles ne procèdent pas d’objectifs communs ? Le cadre d’une activité est différent de celui d’une visite à domicile. Si l’accueil est prioritaire, s’il doit toujours y avoir un soignant présent à l’accueil comment concilier cette règle avec la régularité qu’implique une activité ? Les normes qui dirigent le soliste peuvent-elles être appliquées au choriste ? Comment se repérer dans cette fourmilière ? Il faut communiquer, mettre en commun, partager. « L’ambiance est difficile. Les informations passent mal ou pas du tout » regrettent les soignants lors de la réunion de crise. « On est dans un partage d’infos rapide et non dans la communication. Le travail par référents ne doit pas fermer le passage d’infos aux autres. » « La relation individuelle avec son patient devient négative si on le considère comme sa propriété. »

Mais comment échanger, partager si on ne peut se parler ? Si parler c’est dire à l’autre qu’il se trompe ? Si cet autre est convaincu de ne pas être à la hauteur, et si on est convaincu qu’il ne l’est pas ? « On a pas droit à l’erreur. »

Si un des cadres énonce que personne ne doit se sentir mis en accusation, ni en place de victime, c’est bien que c’est ce qui flotte dans l’air. « L’ambiance n’est plus professionnelle. On ressent un travail de clan. Les commérages, les critiques font que l’on se met à l’abri, qu’on se protège » et donc qu’on  ne transmet plus ce qui pourrait entraîner des conflits. On informe. On se débarrasse de ce qu’on a appris et on passe à autre chose. Pas de travail d’élaboration possible. « Il faut apprendre à supporter le désaccord et s’autoriser à se le dire  « On a peur de faire du mal à l’autre… »

Il est clair que dans un tel contexte, Jeanne a peu de chances de croître professionnellement.

« Il y a des personnes qui ne peuvent pas travailler ensemble et des personnes qui se sentent exclues. On ne sait pas se qui se passe… mais il y a un malaise. »

Ainsi, apparaît, ou plutôt se confirme l’existence d’une structure informelle qui rassemble les choristes contre ceux qui sont perçus comme davantage solistes et Jeanne, tous ayant comme défaut de ne pas assurer le quotidien, de ne pas être suffisamment présents, quelles qu’en soient les raisons. On retrouve dans ce sous-groupe les deux soignantes les plus anciennes du Centre de Santé Mentale actuel qui l’ont tenu à bout de bras après une crise similaire qui vit le départ fracassant des Grands Anciens qui six ans après ce départ n’en finissent pas de hurler leur colère d’avoir été chassé du paradis terrestre.

Qu’est-ce qui des crises précédentes survit dans l’actuelle ? A une équipe émotive semble avoir succédé une équipe froide, qui exprime peu ses affects. On préfère ne pas dire plutôt que de risquer l’affrontement. « Est-ce la gestion des émotions qui est à travailler ? On se torture peut être trop l’esprit … A-t-on peur pour sa place au CSM ? » risque un cadre. Est-ce qu’exprimer ses émotions entraînerait le départ du Centre de Santé Mentale ? Jeanne serait rejetée parce que davantage dans le registre émotionnel ? Elle ne pourrait que partir. Est-ce cette mauvaise gestion des émotions, qu’il s’agisse de la peur, de la colère, de la peine, de la joie ou de la culpabilité qui rend si difficile la prise en charge de Jacques qui projette littéralement sa peur de l’interaction à la tête des soignants et finit par les contaminer par sa peur ? Tout se passe comme si les émotions, et la vie qui va avec n’avaient pas droit de cité en ce lieu.

« Il n’est pas facile de travailler dans cette équipe. Quand on veut amener de la vie au CSM, cela ne convient pas. » « Tout est figé. Les patients ne sont pas les propriétés des soignants. » «  Il est insupportable de voir le mauvais accueil que l’on réserve parfois aux patients. » « On ne retrouve pas la convivialité qu’il peut y avoir dans d’autres équipes de soin. » « La spontanéité parait mal vécue. »

Est-ce Jeanne qui est rejetée ou un fantôme, une survivance d’un passé, glorieux ou misérable ? Il faudrait pour cheminer autour de cette question connaître l’histoire de la fondation de l’institution. L’histoire commune vécue par le groupe avant même l’arrivée des infirmiers actuels est inconnue de la plupart des soignants. La crise vécue par le groupe qui est aussi une crise de croissance, est-elle une création originale ou la répétition d’un scénario déjà vécu ? Faute de connaître les mythes fondateurs, il est impossible de répondre à cette question.

Il est difficile de ne pas faire le lien avec le projet de déplacement des lits intra-hospitaliers vers Gap qui suscite d’énormes réticences sur le pôle hospitalier. Une unité a été fermée sans que le moindre poste n’ait été redéployé sur l’extra-hospitalier alors que pour les médecins, le but de l’opération était de renforcer l’équipe et d’y mettre un peu de jeu. La direction générale de l’établissement, arc-boutée sur ses lits et sur le maintien de l’activité freine des quatre fers. C’est aussi dans ce contexte qu’arrive Jeanne. Tout se passe comme si son affectation avait été une provocation d’un directeur que la perspective d’hôpital 2007 a transformé en dictateur qui contrôle tout, y compris la direction du service de soins infirmiers. Le départ, choisi, de Jeanne vers l’hôpital est une sorte de retour vers l’envoyeur. Il ouvre sur un retour possible.

 

Conclusion

 

Ainsi que l’écrit Annie Petrognani, travailler en équipe dans le plus grand respect de soi et des autres est un défi quotidien, car nous sommes en partie « prisonniers de notre angoisse, de notre violence ou de notre désir de puissance » (5).  Si nous croyons que la solution réside dans le système de domination (prendre le pouvoir, laisser le pouvoir ou annihiler tout pouvoir) nous aggravons les rapports de force, et la situation clinique du sujet souffrant devient un moyen de « régler nos comptes » avec la vie, avec nous-mêmes ou avec autrui. Si nous optons pour le système d’appartenance avec toutes ses imperfections, nous pouvons peut-être trouver sinon des réponses adaptées du moins des questions qui nous permettrons d’avancer, même si le consensus n’est jamais le garant de la pertinence des décisions prises.

 

 

Dominique Friard

 

 

 

 

Notes

 

1-       Grand Robert de Langue Française, Dictionnaire Le Robert, Paris, 2001.

2-       VARY F., in VST, cité par GASSEAU (M.F.), L’équipe et l’interdisciplinarité, in Soins Psychiatrie, n° 198, octobre 1998, Penser l’équipe, pp. 6-10.

3-       GASSEAU (M.F.), L’équipe et l’interdisciplinarité, in Soins Psychiatrie, n° 198, octobre 1998, Penser l’équipe, pp. 6-10.

4-       MUCCHIELLI (R), La dynamique des groupes, E.S.F., Paris, 1980.

5-       PETROGNANI (A), Et si équipe rimait avec éthique, in Soins Gérontologie, n° 55, septembre/octobre 2005, Ethique, équipe et fin de vie, pp. 20-22.

6-       FUSTIER (P), Qu’est-ce qui fait donc équipe ?, in Santé Mentale, n° 66, mars 2002, Tous pour un ?, pp. 22-26.

 

 

 

 

2006



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