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Travailler en Institution




Le travail en équipe pluridisciplinaire est une partie intégrante de l'exercice de la profession d'infirmier(e). Cet aspect de notre profession prend parfois même une importance prépondérante dans la quotidienneté, surtout lorsque l'ambiance relationnelle d'un service, d'un secteur et/ou d'une institution a une fâcheuse tendance à se dégrader.
Il suffit pour s'en convaincre si besoin est, d'écouter les plaintes itératives et trop souvent légitimes des uns et des autres en terme par exemple, de relation hiérarchique.
Il suffit aussi d'observer combien nombre de soignants, éprouvant souvent un manque de reconnaissance, sont dans l'association d'un malaise professionnel et privé dans lequel il devient difficile de faire la part des choses et c'est d'ailleurs presque à tous les coups, le carambolage des événements qui fabrique du mal de vivre. Dans les témoignages des uns et des autres, on perçoit combien l'ambiance générale des institutions, malgré pour toutes, les mêmes contraintes économico/politiques et des protocoles de fonctionnement standardisés, peut variée d'un établissement à l'autre sans qu'on puisse véritablement l'expliquer.

La difficulté à exercer son métier en toute sérénité est parfois d'autant plus grande en éprouvant la sensation de n'être plus qu'un pion, que l'exercice du pouvoir est empreinte ici ou là de brutalité froide. Bien souvent, au-delà des commissions de fonctionnement institutionnelles mises officiellement en place, les moments de rencontre inter-hiérarchiques au cours desquels dans le passé nous tentions de donner du sens aux décisions impératives ont disparu.
Ce phénomène qui s'inscrit sans doute dans une nouvelle conception de management, participe aussi sans doute, d'un malaise fait d'incompréhension entraînant une démotivation d'un certain nombre de personnel, au sein de ce que j'appelle des institutions déviantes ayant oublié la notion de base de l'exercice de nos professions si particulières, qu'est l'humanisme. La notion d'humanisme, de mon point de vue, ne peut pas s'exercer que dans le cadre unique d'une mise en situation de prise en charge, mais va bien au-delà en passant par le respect de la fonction de chacun et de sa différence, dans le cadre d'un travail en pluridisciplinarité.

En tant qu'infirmier de base sans que ce terme ne soit le moins du monde péjoratif dans mon esprit, je constate combien nombre de collègues refrènent trop souvent à présent en certain lieu, leurs élans soignants qui les ont amenés à choisir ce métier. Ce phénomène qui n'est pas du au hasard correspond à un état de mal être et beaucoup de soignants ne pensent plus à se protéger de l'incidence des pathologies mentales qu'ils fréquentent de près mais ont le soucis grandissant de se protéger de l'institution qui les emploie. C'est autant d'énergie déviée qui n'est pas mise au service du patient et qui ne participe pas du coup, à la qualité du service rendu.

On pourrait penser que les malaises institutionnels sont chose marginale et pourtant le nombre de témoignages à ce sujet qui va grandissant , laissent peut-être entendre que les nouvelles formes de gouvernance ont des effets pervers. Ceux qui sont en difficultés dans ce genre de contexte et heureusement ce n'est pas, je peux en témoigner, partout le cas, ne voient pas le bout du tunnel, parce qu'on se demande si quelqu'un, au-delà de la gérance économique de l'hôpital, réfléchit de manière plus globalisée à notre devenir.

Combien de soignants d'un certain âge aspirent enfin à leur retraite pour fuir une institution, non pas la fréquentation des pathologies qu'ils ne supportent plus, dans laquelle ils ne savent plus se situer. Il va sans dire que dans le silence isolant contre partie de multiples discours, des soignants dont nous ne connaissons le nombre, ne peuvent encore œuvrer qu'au prix d'un soutien médicamenteux.

Les syndicats ne font plus référence que pour certains, quand le parcours individuel ne vient pas entraver au sein même de ces organisations, la libre parole. Nul ne mesure les incidences de tels climats dans la qualité de la prise en charge des patients. Nul ne mesure et personne ne paraît vouloir se soucier d'un investissement d'apparence répondant à des critères de jugement au travers d'une note et d'appréciation annuelle qui a son poids en terme de déroulement de carrière. Il y eut une époque pas si lointaine, où les soignants, parce que la fibre empathique chevillée à l'âme pouvait s'exprimer, revenaient de bon gré sur des jours de repos pour assurer la continuité d'un atelier dont ils étaient référents. Ces mêmes soignants aujourd'hui, s'organisent pour ne plus répondre au téléphone dans un état d'esprit qui vise à une protection individuelle qui ne se voit pas institutionnellement. Nul ne sait encore une fois, pourquoi telle ou telle institution soumise aux mêmes contraintes que les autres, entrent dans une déviance faite de violence institutionnelle froide dont personne ne se sent responsable.

Le mal alors est d'autant plus douloureux qu'insituable, impalpable même si chacun à son niveau du rouage y va de ses attributions, sans forcément mesurer les dégâts humains individuels. Il n'est pas dans mes intentions de dire que tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes dans le passé car il y aura aussi eu dans l'histoire de la psychiatrie, nombre de déviances dramatiques.

Cependant, il y a de quoi s'interroger quant à la formation des jeunes psychiatres d'aujourd'hui, quant à la gestion de l'aspect humain de leurs équipes dans lesquelles j'inclus la hiérarchie encadrante infirmière. On sait bien que le rôle actuel des cadres de santé s'est dangereusement rapproché des préoccupations économiques et administratives mais ce qui paraît aggravant en la matière, c'est que le rôle de régulateur du médecin de service qui donnait du sens aux prises en charge dans le cadre de la globalité institutionnelle, semble être de plus en plus déserté.

Il y a certes un contrôle accru des pratiques infirmières qui sous certains aspects ont amélioré la qualité du soin mais, un dysfonctionnement sérieux s'installe quant aux possibilités pour le personnel à s'exprimer quant à la qualité des relations et des échanges qui se devraient d'être constructifs et mutuellement respectueux avec l'encadrement. Il me semble qu'il en va autant de la qualité des soins que de l'ambiance dans laquelle ceux-ci sont prodigués en sachant que ces deux notions sont intimement liées. Lorsque dans un service, l'ambiance est à la confiance mutuelle, il n'est déjà pas toujours aisé de travailler tous ensemble et en cela nous apprenons beaucoup en pratique à faire avec les personnalités, les changements d'humeur, les désirs, les jalousies parfois des uns ou des autres.
Tout cela fait partie d'une pratique institutionnelle nécessitant un regard sur soi indispensable pour toujours préserver la qualité des prises en charge.

Mais quand en plus de la gestion quotidienne des relations au sein d'une équipe, vient s'appliquer une mécanique froide de gestion des ressources humaines, la situation devient vite pesante et le " sauf qui peut " individuel s'organise tant bien que mal. Il semble pourtant et çà se racontait déjà sous les vieilles lunes, que le premier outil dans les soins psychiatriques soit nous-même.

Dans chaque profession, l'entretien et la prise en compte de l'état des outils est chose indispensable à une réalisation d'un travail digne de ce nom. Quand alors, l'élément clef du processus de soin qu'est le soignant au contact du patient, sera-t-il pris en compte dans un souci d'une relative quiétude indispensable à une écoute de qualité ?

Je vis en ce qui me concerne une situation professionnelle dans laquelle règne à tous les niveaux de la hiérarchie et c'est tant mieux, le respect de la parole de l'autre et même, le soucis du bien-être de chacun. J'ai découvert cette nouvelle situation qui m'a étonné au détour d'une mutation. Pour autant j'entends et j'écoute, des collègues d'ailleurs dire et redire encore une souffrance qui ne peut laisser de marbre et me donne envie de l'évoquer.

Merci de m'avoir lu.


Jean.Héno
2007


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