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L'hôpital psychiatrique et ses pratiques


Un jugement de conformité


Avec les pratiques d'évaluation, et le développement de l'accréditation, l'hôpital en général et les pratiques de soins en particulier sont entrés dans l'ère du soupçon. Il ne suffit plus de chercher à améliorer les pratiques, il faut apporter la preuve que les soins ont été accomplis selon les bonnes procédures, ce qui peut parfois être en contradiction avec les nécessités d'une clinique qui se doit d'être constamment en mouvement.
L'évaluation fait intrinsèquement partie de l'histoire de la psychiatrie. Lorsque Pinel, (premier aliéniste) est nommé à Bicêtre, le gardien Pussin, ancêtre des actuels infirmiers de secteur psychiatrique, lui remet un écrit qui évalue les améliorations apportées au service. Pinel s'appuiera sur cet écrit et sur la pratique de l'infirmier pour formaliser et théoriser ce qui deviendra le traitement moral. Esquirol, le principal disciple de Pinel, développera encore l'évaluation et s'adossera à ces chiffres pour décrire les éléments d'une technologie asilaire. C'est à partir de cette rigueur, notamment dans le domaine de l'observation clinique que va naître ce qui a été décrit sous le nom d'âge d'or de la psychiatrie. Lorsque après la deuxième guerre mondiale, Bonnafé et Paumelle s'attaqueront à la fermeture des unités d'agités, ils étaieront réflexion et pratique sur l'évaluation de l'état des patients en prenant en compte cinq critères objectifs, dont la diminution du nombre de contentions et l'évolution des écrits infirmiers. Si aux créateurs, aux révolutionnaires ont succédé les fonctionnaires, les gestionnaires puis les technocrates, il n'empêche que l'évaluation des pratiques est au cœur de la psychiatrie. Il suffit pour s'en convaincre de lire la collection des annales médico-pcyhologiques. Même s'il y eut des excès, les critères d'évaluation étaient élaborés par les cliniciens et prenaient en compte les critères de la clinique.
Les pratiques d'évaluation actuelles dont la démarche qualité fait partie naissent aux Etats-Unis entre 1910 et 1965. Les professionnels (comme en psychiatrie plus d'un siècle plus tôt) et notamment les chirurgiens en furent à l'origine. L'idée d'accréditation est apparue à une époque où la qualité générale des soins dans les hôpitaux était médiocre et les formation des médecins très inégale. Lancée par des chirurgiens prestigieux elle représentait une exigence de qualité. Elle reposait sur le principe que des médecins compétents et expérimentés devaient évaluer l'environnement hospitalier et s'accorder sur les conditions de base nécessaires à des soins de la meilleure qualité possible. Il s'agissait d'imposer un standard minimum aux institutions qui demandaient à être accréditées. Les exigences de ce standard concernaient la formation du personnel médical, la tenue et la révision régulière des dossiers médicaux, l'autopsie obligatoire en cas de décès du patient, ainsi que les standards minimum d'équipements diagnostiques (laboratoires d'analyse, radiologie), c'est-à-dire essentiellement des exigences de structures. L'accréditation était basée sur le volontariat, et plus de 80 % des hôpitaux étaient accrédités.
Au début des années 70, le déterminant quasi unique de la politique de santé aux U.S.A devint la diminution des dépenses de santé. " A compter de 1966, les politiques annoncées comme étant en faveur de la qualité des soins on pris leur origine non pas au sein de la profession médicale comme cela avait été précédemment le cas mais au sein des gouvernements, et leur principal objectif devint non pas la qualité des soins mais le contrôle de leur volume, en fonction de l'hypothèse jamais vérifiée " qu'une médecine de qualité est une médecine moins chère ". " (1) Cette intrusion des politiques et surtout des technocrates dans le soin nourrit une suspicion qui frappe depuis toute recommandation d'évaluer la qualité des soins. Elle " empêche toute adhésion professionnelle à des objectifs de " qualité médicale " énoncés par d'autres et obérés d'objectifs différents. " (1)

Une démarche d'évaluation des pratiques

La démarche " Qualité " est d'abord une démarche d'évaluation des pratiques et des soins. Il n'y a pas qu'un seul objectif à l'évaluation, un seul enjeu, ni une seule catégorie d'acteurs, d'où la nécessité de clarifier les concepts. Ainsi que le note A.Giraud (1), la langue française est handicapée par rapport à l'anglais. En français un même terme, celui " d'évaluation " décrit des activités très différentes. L'anglais différencie :
- Utilization review qui désigne l'activité d'évaluer la quantité de ressources consommée par une unité de soins donnée, un service ou un hôpital. Il s'agit d'une évaluation quantitative, qu'on peut appeler économique ou de gestion. - Technology assessment désigne l'évaluation des technologies.
- Quality assurance évalue la qualité des soins. (1)
L'évaluation économique des soins consiste à évaluer le coût d'une pathologie, d'une stratégie thérapeutique, d'un programme de dépistage. " L'économie est une démarche d'optimisation, consistant à trouver les moyens, à déterminer les décisions permettant d'allouer au mieux des ressources rares. " (2)

L'évaluation des technologies médicales repose sur le principe que toute procédure, pratique, technique ou geste, effectué par un membre des professions soignantes à un patient dans un but diagnostique ou thérapeutique est considéré comme une technologie médicale. Elle cherche à déterminer les effets sur la santé de la technologie en question : son efficacité théorique ; c'est-à-dire son efficacité attendue dans les conditions idéales de la recherche (efficacy), son efficacité réelle, c'est-à-dire son efficacité obtenue dans les conditions normales de la pratique courante (effectiveness) ce qui est plus difficile, sa sécurité, c'est-à-dire la probabilité des risques que peut entraîner son utilisation, et le degré d'acceptabilité de ces risques. Elle cherche aussi à évaluer les coûts du développement d'une technologie donnée. Elle s'attache enfin à tenter de déterminer les implications éthiques et sociales de l'utilisation généralisée d'une technologie nouvelle. " Son ambition, vaste, est donc en théorie de répondre à toutes les questions d'ordre sanitaire, financier, social, éthique et humain que peut poser le développement et l'utilisation des technologies médicales dans nos sociétés. Par la réponse à ces questions, l'évaluation des technologies médicales cherche à être une aide à la décision pour les responsables en charge de la planification et du financement des soins. " (1) Si les essais cliniques randomisés et l'étude coût-efficacité constituent des méthodes limitées pour déterminer l'utilité sociale d'une technologie médicale, la meilleure façon de s'en approcher semble être d'énoncer de façon explicite les présupposés qui ont présidé à son élaboration et aux conclusions chiffrées retenues. Une des façons d'y parvenir est de le faire en public. C'est le principe des conférences de consensus, au cours desquelles aussi bien les résultats de la revue de littérature que les recommandations d'utilisation médicale sont débattues en public. Dans toutes ses modalités, l'évaluation des technologies vise à répondre à la question : " que faut-il faire ? " Dans cette mesure, elle se rapproche de la recherche clinique, toutes deux satisfont à la finalité de la recherche qui est d'augmenter la quantité des connaissances scientifiques. Ce n'est pas le cas de l'évaluation des soins. (1) L'évaluation médicale des soins a pour objectif d'apprécier leur qualité. L'évaluation de la qualité des soins est " l'action de tenter de déterminer, le plus objectivement possible, la pertinence, l'efficacité, l'impact et l'utilité pour le patient des techniques et des pratiques médicales, ainsi que leur conformité avec les critères d'excellence couramment admis par la profession. " (1)

Donabedian, premier à avoir systématisé les approches de l'évaluation des soins, lui définit trois objets : les structures de soins, les procédures de soin et les résultats de soin.
Les structures représentent les moyens consacrés au soin. Elles comprennent les ressources humaines, matérielles et financières nécessaires à la délivrance des soins médicaux.
Les procédures de soin recouvrent toutes les activités des médecins et des professionnels de soins directement ou indirectement consacrées au diagnostic et au traitement des malades. Donabedian leur assigne deux dimensions : une dimension technique et une dimension humaine. Les procédures de soin recouvrent l'examen clinique, le choix des examens diagnostiques, des spécialistes consultés, des traitements, l'élaboration de stratégies thérapeutiques, le suivi du malade, la qualité technique des gestes et procédures effectuées, mais aussi la qualité du dossier médical, la qualité de la programmation des examens, la préparation de la sortie, et enfin la qualité de l'information du patient et de sa famille, la qualité des contacts humains au cours de l'hospitalisation, de la mise en confiance du patient, l'attention portée aux éléments de confort, d'acceptabilité des soins, etc. " L'évaluation des procédures est une activité normative qui comporte l'existence de références. Elle repose sur une appréciation professionnelle de la qualité fondée sur les acquis scientifiques et les valeurs sociales et éthiques de la médecine. … C'est une évaluation de conformité. Elle repose donc essentiellement sur le jugement professionnel. …Celui-ci présuppose que des procédures de qualité entraînent des résultats de qualité c'est-à-dire satisfaisants pour le malade comme pour lé médecin. " (1)

Les résultats de soins sont les changements que ceux-ci induisent chez le malade en termes d'état de santé, et qui peuvent être attribués à une intervention médicale donnée. L'évaluation des résultats repose sur la valeur qu'accordent le médecin et le malade à différents états de santé, d'autonomie, d'intégration sociale, etc. La qualité des résultats doit donc nécessairement reposer sur l'appréciation portée par le malade lui-même sur l'état dans lequel il se trouve après l'intervention médicale. Elle doit donc tenir compte de la satisfaction des usagers par rapport au soins reçus. " Il faut toutefois préciser que la satisfaction des patients, du moins en médecine somatique, ne mesure pas la qualité technique des soins, mais plutôt la qualité des contacts qui se sont déroulés pendant l'hospitalisation, à savoir la dimension humaine des soins définie par Donabedian. Des malades peuvent en effet être très satisfaits de soins d'une qualité technique médiocre, mais délivrés avec gentillesse, dans un cadre agréable par des médecins en qui ils ont confiance. La satisfaction des patients n'en constitue pas moins un élément contributif important du succès des soins. " (1)

L'évaluation de la qualité des soins répond à la question : " qu'est-ce qui a été fait et comment ? ". Elle apprécie essentiellement des comportements. " C'est une des raisons de la difficulté de son implantation en pratique clinique quotidienne, surtout lorsqu'elle n'émane pas de la profession elle-même. " (1)

Le concept de qualité

L'hôpital devant être considéré et géré comme une entreprise, il n'est pas surprenant qu'une approche née dans l'industrie lui soit administrée. Ainsi que le note L. Reyes (3), la démarche qualité apparaît à l'origine dans l'industrie et dans les secteurs sensibles (armement, aéronautique, nucléaire, recherche spatiale). Il est satisfaisant pour l'esprit de constater que l'on évalue la qualité de la fabrication des bombes de la même manière, selon la même méthodologie que la qualité du soin. La différence est probablement qu'en matière d'armement on se soucie moins de la satisfaction de l'usager. L'approche qualité développée essentiellement aux Etats-Unis connaît une diffusion importante au lendemain de la seconde guerre mondiale. " Les concepts de Total Quality Management (Feigelbaum, 1951) et de Quality Assurance (Juran, 1952) sont alors repris et formalisés par les Japonais (Ishikawia, Imai). "(3)

La crise industrielle de la fin des années 70, et l'exacerbation de la concurrence internationale qui en résulte marquent une nouvelle étape dans la diffusion du concept et le développement d'une organisation participative du travail. " Le " toyotisme " succède au taylorisme et privilégie l'implication de tous, les logiques transversales et pluridisciplinaires. Au fil du temps on assiste donc à une évolution théorique des systèmes de gestion de la qualité à l'œuvre dans la production, ainsi que plus tardivement, des services. Aux contrôles de fin de processus succèdent des dispositifs permettant de conduire des actions correctives dans le cycle même de production. Puis, ans la dernière étape, l'approche se fait globale et systématique. Elle intègre le management et une dimension préventive. " (3) On distingue habituellement trois niveaux dans une approche pédagogique simplifiée des concepts de management de la qualité.

Le premier est celui de la maîtrise de la qualité où va être recherchée la conformité d'un produit ou d'un service. La méthodologie consistera à prévoir ce que l'on va faire, écrire ce qui a été prévu, faire ce qui a été écrit, contrôler et corriger les écarts, en conserver une trace écrite.
Le deuxième est celui de l'assurance de la qualité où est recherchée la confiance en l'obtention de la qualité. Il conviendra alors de faire la preuve que l'on respecte la méthodologie et de s'en assurer par un contrôle externe (audit, certification, accréditation, labellisation).
Le troisième et dernier niveau est celui du management de la qualité qui est défini par l'ISO (International Standard Organisation) " comme le mode de management d'un organisme, centré sur la qualité, basé sur la participation de tous ses membres et visant au succès à long terme par la satisfaction du client et à des avantages pour tous les membres de l'organisme et pour la société. " (3)

La qualité, sur un plan normatif, est définie par la même organisation comme " l'ensemble des caractéristiques d'une entité qui lui confèrent l'aptitude à satisfaire les besoins exprimés et implicites " et de manière plus récente, comme " l'obtention de la satisfaction durable du client, en répondant à ses besoins et attentes, au sein d'un organisme s'engageant à améliorer constamment son rendement et son efficacité. "

Besoins exprimés et implicites qu'il faut satisfaire, le clinicien perçoit bien combien ce concept industriel et managérial va être complexe à utiliser dans le registre du soin. Quels sont les besoins d'un patient paranoïaque, convaincu d'être victime d'un persécuteur, et injustement hospitalisé ? Quelles sont les attentes d'une famille débordée par les troubles du comportement d'un adolescent schizophrène ? Quels sont les besoins exprimés et implicites d'un patient alcoolique qui au fond veut continuer à boire sans avoir les désagréments somatiques et sociaux de ses alcoolisations ? Il n'est pas besoin d'être lacanien pour opérer une différence essentielle entre désir, besoin et demande. La clinique renvoie à une complexité que ne traduit pas le concept de qualité tel que l'utilise les industriels et les managers.

Approche philosophique

La qualité est d'abord un concept philosophique. Elle constitue une des catégories fondamentales d'un être ou d'une chose, celle qui désigne toute propriété ou manière d'être. Dans l'ouvrage nommé Catégories, le premier de l'Organon, ensemble ordonné de ses traités logiques, Aristote s'oppose à Platon qui en ayant posé les Idées comme des paradigmes se serait payé de mots vides de sens et n'aurait produit que des métaphores poétiques incapables d'approcher l'essence d'un être. La qualité désigne ce en quoi on est dit être tel, elle indique la manière d'être qui peut être affirmée ou niée d'un être (chaud, froid ; bien portant, malade ; doux, amer, âcre ; blanc, noir ; figure, forme, etc.). Elle s'oppose à la quantité en ce qu'elle n'est pas mesurable et ne comporte que des degrés d'intensité ; à la relation en ce qu'elle est un accident qui modifie intrinsèquement une substance : " Une chose blanche est dite, en effet plus ou moins blanche qu'une autre, et une chose juste, plus ou moins juste qu'une autre. " Une des difficultés consiste à éviter de confondre qualité et essence. La qualité intervient dans la détermination de l'individu sans en déterminer l'essence. L'essence seconde se dit d'un sujet alors que la qualité est dans le sujet. Lorsque j'énonce Socrate est un homme je me réfère à l'essence seconde de Socrate. Il n'est pas de cas de figure où je pourrais énoncer qu'un autre homme serait plus ou moins homme que Socrate. Si par contre j'énonce que Socrate est sage j'attribue une qualité à Socrate qui pourra être plus ou moins sage en référence à l'idée que je me fais de la sagesse en tant qu'essence. Il existe quatre espèces de qualité pour Aristote : les habitudes ou disposition d'esprit ou de corps, qui s'acquièrent par des actes réitérés comme les sciences, les vertus, les vices mais aussi l'adresse de peindre, d'écrire, de danser ; les puissances naturelles telles que les facultés de l'âme et du corps, l'entendement, la volonté, la mémoire, les cinq sens, la puissance de marcher ; les qualités sensibles comme la dureté, la mollesse, la pesanteur, le froid, le chaud, les couleurs, les sons, les odeurs et les divers goûts et enfin la forme et la figure qui sont la détermination extérieure de la quantité comme être rond, carré, sphérique, cubique, etc.

Tous les sens du mot qualité dérivent de ce sens philosophique premier. Le mot apparaît au 11ème siècle, il est issu du latin qualitas formé par Cicéron sur qualis (quel) d'après le grec poiotês sur pios et repris ensuite par la philosophie scolastique. Les catégories d'Aristote vont constituer un pan de la pensée philosophique du Moyen-Age. Elles seront un des éléments de la querelle des Universaux (entre 15ème et 17ème siècle) qui suscitera des discussions abstraites interminables et fera tomber l'école scolastique dans le discrédit au point que l'adjectif scolastique décrira le caractère d'une doctrine devenue pour les successeurs d'un penseur et de sa philosophie une orthodoxie formaliste, immuable et figée dans des cadres traditionnels.

Il faut attendre Kant et la Critique de la raison pure (1781) pour que les catégories cessent de décrire ce qu'il en est de l'être mais ce qu'il est possible de connaître. La qualité deviendra alors une des fonctions du jugement et une des catégories ou concepts purs de l'entendement. Kant conclut que nous ne pouvons connaître que les phénomènes, c'est-à-dire les choses telles qu'elles nous apparaissent. L'homme ne peut accéder aux choses en soi, c'est-à-dire aux noumènes.

Dans le langage courant, la qualité décrit une manière d'être plus ou moins caractéristique. Elle est ensuite ce qui fait qu'une chose est plus ou moins recommandable, par rapport à l'usage ou au goût humain, qu'une autre de même espèce. C'est un degré plus ou moins élevé d'une échelle de valeurs pratiques. La notion de qualité consacre enfin la notion d'une qualité définie par des critères positifs. Elle repose sur des garanties de qualité fournies par les appellations d'origine, les labels, les marques. Ainsi la Marque nationale de qualité, fut-elle créée en France en 1946. Elle certifie la haute qualité des produits. Calqué de l'anglais quality circle, apparaît en 1980, le terme " cercle de qualité ", qui décrit un groupe de personnes chargées de travailler à l'amélioration de la qualité des produits ou des services commercialisés, dans une entreprise.

Le concept de qualité s'applique aujourd'hui à un nombre grandissant d'objets. On a même consacré un ministère à la qualité de la vie en 1974. Si évaluer la qualité d'un fromage ne présente pas de difficultés, il n'en va pas de même lorsqu'il s'agit d'évaluer la qualité d'un soin, la qualité de l'environnement voire même celle de la vie.

Un jugement de conformité plus que de " qualité "

Lors des 4ème Journées Internationales de la Qualité Hospitalière (18-19 novembre 2002), une première évaluation de l'accréditation fut proposée aux congressistes. Les chiffres donnés portent sur 199 établissements seulement, plus des deux tiers des établissements visités contestant les conclusions de l'ANAES. En y regardant de plus près, le lecteur un peu renseigné peut se rendre compte qu'il est possible d'être accrédité sans recommandations, ni réserves et d'avoir un taux d'hospitalisation sous contrainte de près de 45 %, des chambres d'isolement constamment remplies, et un extra-hospitalier en décrépitude dont les structures alternatives ferment les unes après les autres. Un tel écart n'est possible qu'en se centrant sur un jugement de conformité.

Il est intéressant de noter que 41,21 % des réserves portent sur les prescriptions médicales. Un établissement au sein duquel travailleraient des chirurgiens prestigieux, réussissant des opérations délicates qu'ils seraient seuls à tenter, un établissement où les infirmiers seraient à l'écoute du patient et l'aideraient à intégrer les perturbations de son image du corps liées à sa maladie, un établissement au sein duquel les services techniques s'ingénieraient à faciliter la vie des patients et des soignants, un établissement où les cuisines concocteraient des petits plats adaptés pour les patients satisfaits de leurs soins pourrait ne pas être accrédité en raison de prescriptions médicales non conformes. Il ne me viendrait pas à l'idée de minimiser l'importance de la prescription médicale, il n'empêche que cette idée que l'on puisse accréditer sans réserves un établissement qui respecte les normes mais dont la qualité des soins est discutable et ne pas accréditer un établissement à la qualité des soins irréprochables mais dont le respect des normes est plus aléatoire me semble devoir être interrogée.

La démarche qualité, lorsqu'elle s'intéresse aux soins n'évalue pas la qualité des soins, elle n'évalue que les procédures de soin. Il ne s'agit pas d'une querelle de mots, mais d'une nuance essentielle. On peut parfaitement évaluer la façon dont une injection est pratiquée sans s'intéresser à l'effet du produit dont l'efficacité a été testée par ailleurs. Evaluer la dimension technique de ce soin ne présente aucune difficulté. Il est plus complexe d'évaluer la dimension humaine, relationnelle de l'injection. Il faudrait alors s'intéresser à la qualité de l'interaction entre le soignant et le soigné. La procédure technique peut être en tous points respectée, le produit être efficace et le patient refuser de revenir faire son injection retard. Un clinicien se rendra compte que le soignant n'est pas réellement à l'écoute du patient, qu'il lui coupe la parole, qu'il n'entend pas ses arguments relatifs à l'effet du traitement sur sa sexualité. Le voudrait-il d'ailleurs que le soignant ne le pourrait pas, le temps calculé pour l'injection, ne lui permet pas de s'étendre. Infirmier polyvalent, le soignant n'a pas réellement bénéficié de cours de psychiatrie. Sa bonne volonté n'est pas en cause, il fait partie du Groupe Qualité consacré à l'accueil au CMP. Centré sur la procédure le soin apparaîtra comme de qualité, respectant à la lettre la procédure ; centré sur l'interaction, c'est-à-dire sur la dimension humaine, il apparaîtra quelconque, voire dangereux pour la suite du suivi.

La démarche qualité s'appuyant sur le postulat que l'ensemble des actions conduites au sein d'un établissement peut être décomposé en processus, elle ne peut qu'évaluer des procédures. Elle renvoie à l'hypothèse que le tout est égal à la somme des parties. Il suffirait d'analyser le plus grand nombre possible de processus, de les évaluer et de mettre en place des actions correctives ou préventives pour arriver à la qualité totale, ce qui ne signifierait pas autre chose qu'une conformité à la totalité des procédures écrites qui définissent la manière " spécifiée d'accomplir une activité " (ISO 8402). Plus l'on décompose finement une activité comme les soins, plus on s'éloigne de ce qui est sa finalité. On ne perçoit plus que la procédure écrite que l'on se doit de respecter, à la fois pour être accrédité et pour ne pas mettre en jeu sa responsabilité personnelle.

Le but des soins, en psychiatrie comme ailleurs, est que la personne hospitalisée puisse intégrer l'expérience douloureuse, trouver ou retrouver une autonomie et une indépendance qui lui permette de vivre dans sa communauté de référence le plus harmonieusement possible selon ses propres critères. Si la maladie est chronique, il faut faire en sorte que la personne malade et son entourage puisse connaître suffisamment sa maladie pour repérer les rechutes, chercher de l'aide auprès des soignants si cela s'avère nécessaire. Si la maladie est mortelle, le but des soins est d'accompagner ses derniers moments et de l'aider à mourir le plus sereinement possible auprès de ses proches autant que faire se peut.

Plus on va décomposer le soin, plus on va perdre de vue ce but. Ainsi les mises en chambre d'isolement qui ne devrait être qu'une pratique exceptionnelle ou rare, se trouvent-elles banalisées et multipliées par l'utilisation qui est faite des recommandations de l'ANAES. Les équipes n'en sont pas seules responsables. L'isolement est à la fois une privation de liberté rendue nécessaire par l'hétéro-agressivité d'un patient (donc soumise théoriquement à un certain nombre de garanties juridiques susceptibles d'éviter les excès) et une façon de contenir un patient (donc à ce titre soumis aux nécessités de la clinique). Sur un plan clinique, l'isolement a une place au sein des autres techniques qui permettent de contenir le patient. Une des erreurs des experts de l'ANAES a été d'isoler l'isolement, perdant ainsi de vue la nécessité d'obtenir le consentement du patient aux soins et sa participation active au suivi. Un patient isolé est un patient qui ne consentira pas aux soins en cas de rechute. C'est un patient qui a d'autant plus de risques de rechutes qu'il sera moins observant. Il est, en effet, un peu complexe de nouer une alliance thérapeutique avec une personne qui dénie sa maladie et que l'on traite en l'enfermant. Plus on isole, plus on rend complexe le suivi extra-hospitalier et le maintien de la personne à domicile, donc plus on favorise des hospitalisations nécessairement sous contrainte qui justifieront l'isolement. Nous sommes devant un cercle vicieux parfait. La procédure d'isolement est respectée à la lettre mais on oublie l'esprit et la clinique. Le seul souci des soignants est dans le meilleur des cas de vérifier si la mise en chambre d'isolement et les éléments de surveillance prescrits sont conformes aux procédures. Je n'évoque même pas les aspects éthiques qui suffiraient à eux seuls à remettre en cause une certaine façon de formaliser la démarche qualité.

Il n'y a rien de choquant à fabriquer un protocole de lavage des mains, à déterminer des procédures d'archivage des dossiers de soins, ou tout autre procédure technique. ils peuvent même rendre de grands services tant pour les patients (en terme de prévention des infections nosocomiales), que pour une certaine traçabilité du soin. Ces procédures deviennent problématiques lorsqu'elles se généralisent et qu'on en finit par résumer le soin et ce qui l'entoure à une succession de procédures contenues dans un classeur adéquat. Les effets pervers peuvent être d'autant plus pernicieux qu'au niveau infirmier, nous sommes dans une culture de l'acte (ce que le décret de compétence renforce encore). Les aspects relationnels, humains du soin sont rarement pris en compte. Un des dangers de la démarche qualité est de renforcer des soins perçus et pensés comme des actes purs. La pensée sous-tendue par ces procédures généralisées est une pensée opératoire qui freine sinon interdit l'initiative. Les neurosciences ont montré que le fonctionnement cérébral supérieur était régi par une règle simple : ce qui est simple et/ou connu recrute des réponses automatiques, c'est-à-dire des réflexes conditionnés. Comme tout réflexe, ceux-ci se reconnaissent à leur rapidité (de l'ordre du 1/100ème de seconde) parce que les circuits neuronaux mis en place sont courts. Par contre, ce qui est complexe et/ou inconnu recrute des réponses plus complexes, intelligentes, c'est-à-dire de type logique (soit la capacité d'établir des relations de cause à effets). Cette fonction est remplie par le néo-cortex, partie la plus évoluée du cerveau humain, qui intervient de façon plus ou moins globale. Ses temps de réaction sont au minimum du 1/10ème de seconde mais peuvent aller jusqu'à une seconde voire beaucoup plus. Les cognitivistes ont montré qu'il existe une relation statistique étroite entre les pensées automatiques (de l'ordre des évidences, des croyances irrationnelles) et la survenue du stress. La généralisation des procédures peut conduire les soignants à privilégier le mode mental limbique aux dépens du mode mental néo-cortical.

La participation du plus grand nombre aux groupes qualité, et la réactualisation régulière par les professionnels de terrain des procédures peut éviter en partie cet effet pervers.
S'il est possible de décrire les processus techniques, peut-on évaluer la qualité des soins autrement que par jugement de conformité ?

A quelles conditions mesurer la qualité ?

Chez Aristote, nous l'avons vu, la qualité ne se mesure pas, elle ne comporte que des degrés d'intensité. Les théoriciens de la qualité passent en général très vite sur ce point. " Comme tout ce qui relève de l'essence, la qualité est une notion élusive, difficile à définir, et qui varie dans le temps, dans l'espace, ainsi que suivant les personnes et les points de vue … Il ne faut toutefois pas s'exagérer a difficulté de cette définition, et en conclure qu'il est impossible de l'évaluer. De nombreux travaux ont été depuis longtemps consacrés sinon à la définition de la qualité du moins à la séparation de ce concept totalisant en différents éléments qui, eux, peuvent être définis et mesurés. " (1)

M. Canto-Sperber dans son Dictionnaire d'éthique et de philosophie morale (4), essaie de définir la qualité de vie, ce faisant, elle est conduite à s'interroger sur la faisabilité d'une mesure de la qualité. Nous reprendrons donc son argumentation. Pour les théoriciens contemporains, mesurer consiste à appliquer une règle d'attribution de nombres à des objets de façon à représenter quantitativement des attributs. On ne mesure pas des objets, on ne mesure que certains de leurs attributs. Dans une perspective opérationnelle, la qualité de la vie (ou d'un soin) doit être définie comme un ensemble d'attributs mesurables. La plupart de ces instruments de mesure sont des ensembles de questions standardisées qui sont regroupés en dimension ou " concepts " mesurés. On interroge successivement par exemple l'activité physique, l'état psychologique, l'activité sociale et le sentiment de bien être. Des scores sont attribués aux différentes réponses possibles. Un algorithme permet de calculer le score qui correspond à chaque dimension (et éventuellement le score global). Il s'agit d'identifier les qualités (les dimensions) auxquelles on puisse associer des expressions quantitatives. " Comme au 17ème siècle, l'identification de ces dimensions participe d'un projet scientifique de représentation quantitative du réel. " (4) La plupart des controverses sur la possibilité de mesurer la qualité de la vie semblent dues à une méconnaissance des limites que revêt cette entreprise. Il se pourrait qu'à côté de l'approche qualitative soit possible une approche quantitative de l'objet. La différence entre ces deux approches recouvriraient celle qui existe entre, d'une part, le langage ordinaire et son analyse, et, d'autre part, le langage mathématique et ses opérations. Selon cette hypothèse, la nature ne serait pas divisée en deux mondes artificiellement opposés (le quantitatif et le qualitatif) et il resterait possible de réinterpréter en termes quantitatifs des attributs pensés initialement en termes qualitatifs. Le projet de mesurer la qualité de la vie ou les soins n'exclut pas forcément une approche qualitative du réel, tout au contraire. " L'analyse qualitative est une condition sine qua non de la mesure puisque c'est d'elle que procède les questions à partir desquelles sont composés les instruments. La valeur de la mesure dépend de celle de l'analyse qualitative. La quantification de la qualité de vie a seulement pour objectif de développer une connaissance moins ambitieuse, moins brillante peut-être, mais plus efficace que certaines analyses qualitatives. Sa seule légitimité ne peut donc se trouver que dans la considération de ses effets : il faut, mais il suffit, qu'elle permette d'améliorer la qualité de vie et le bien être des individus et des populations. " (4) Ainsi donc, par exemple, l'augmentation des mesures d'isolement liée à la mesure de la qualité de l'isolement ne saurait que fort difficilement passer pour une amélioration des soins, que ce soit du point de vue des cliniciens ou du point de vue des usagers.

L'analyse qualitative d'un soin ne peut être effectuée que par des professionnels. La démarche qualité au niveau des soins a pu se développer aux Etats-Unis et au Canada parce que les infirmiers de ces pays se sont dotés très tôt de structures qui favorisent la recherche en soin (il existe un doctorat de 3ème cycle en soin aux Etats-Unis depuis 1920). Sachant qu'il a fallu près de 30 ans pour que les premiers travaux intéressants voient le jour, on peut mesurer le retard de la France en ce domaine. Quelles que soient les critiques que l'on peut adresser aux anglo-saxons en ce qui concerne les diagnostics infirmiers, il n'empêche qu'ils reposent sur des analyses qualitatives des soins effectuées par des professionnels qu'ils soient infirmiers cliniciens (non reconnus en France) ou chercheurs. Les procédures américaines et canadiennes s'étayent sur des écrits cliniques rigoureux, interrogeables qui ne se bornent pas comme les procédures française à se légitimer de références réglementaires. Qu'il s'agisse des procédures d'isolement, d'accueil ou de tout processus un peu complexe, on cherchera en vain des références bibliographiques qui permettent de les étayer. Ainsi existe-t-il un protocole d'accueil fabriqué à partir d'un brain storming, d'une idée forte et partagée par le groupe: celle de notion d'accueil référée à une attitude, mais sans que le concept d'attitude ne soit interrogé, d'une hypothèse formulée sans analyse de la littérature mais étayée sur une enquête in situ, et d'un questionnaire distribué à 106 exemplaires. Le protocole d'accueil énonce ainsi, entre autres choses, qu'à l'arrivée du patient et de ses accompagnants l'infirmier doit avoir une attitude d'écoute bienveillante propre à l'accueil, une tenue vestimentaire correcte, un accueil avec le sourire au patient et ses accompagnants. Avec un protocole d'accueil de ce tonneau là, cet établissement doit avoir un des taux d'hospitalisation sous contrainte les plus bas de France, les mises en chambre d'isolement doivent y être exceptionnelles. En fait, il n'en est rien, et le protocole d'accueil comme on pouvait s'y attendre n'a pas changé grand chose.

La démarche qualité renvoie à une culture de l'écrit dont les infirmiers français sont hélas dépourvus. Avant d'écrire, il faut lire, nourrir la réflexion, fabriquer des concepts qui légitimeront l'analyse des processus et permettront de fabriquer des outils utilisables pour penser. Aussi longtemps que nous ne nous donnerons pas les moyens de décrire et de penser ce qu'il en est du soin infirmier, la légitimité de la démarche qualité dans le domaine des soins infirmiers sera remise en question. Ce travail de fourmi implique le développement de 2ème et 3ème cycle universitaires centrés sur le soin.


Dominique Friard
CATTP Le Lombard, Gap (05)

2003

Notes :

1 - GIRAUD (G), Origines et définitions de l'évaluation en médecine, in Evaluation de la qualité en psychiatrie, Santé Publique, Economica, Paris 194, p. 31.

2- LEBRUN (T), SAILLY (J.C), L'évaluation médico-économique des stratégies thérapeutiques, in Problème économiques, n° 2296, 21/10/92, pp. 15-21.

3 - REYES (L), Histoire, principes et concepts des démarches qualité et de l'accréditation en santé, in Démarche qualité en santé mentale. Une politique au service des patients, Dir. A. Caria, Editions IN PRESS, Paris 2003, pp. 53-63.

4 - CANTO-SPERBER (M), Dictionnaire d'éthique et de philosophie morale, PUF, Paris, 1996.