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L'œil du maître


" Il n'est, pour voir, que l'œil du maitre " (1), nous dit le bon La Fontaine, dans une fable éponyme. " Quant à moi, conclut-il, j'y mettrais encor l'œil de l'amant. ". L'histoire est connue : un cerf pourchassé par les chasseurs trouve refuge dans une étable à bœufs. Il se cache en un coin, respire et prend courage. " Sur le soir on apporte herbe fraîche et fourrage, comme l'on faisait tous les jours. L'on va, l'on vient, les valets font cent tours, l'intendant même, et pas un d'aventure n'aperçut ni corps, ni ramure, ni cerf enfin. L'habitant des forêts rend déjà grâce aux bœufs, attend dans cette étable que chacun retournant au travail de Cérès. Il trouve un moment. L'un des bœufs ruminant lui dit : cela va bien ; mais quoi l'homme aux cent yeux n'a pas fait sa revue. Je crains fort pour toi sa venue. Jusque-là, pauvre cerf, ne te vante de rien. " Sur ces entrefaites le maître entre et vient faire sa ronde.
" Qu'est-ceci ? dit-il à son monde ? Je trouve bien peu d'herbe en tous ces râteliers. Cette litière est vieille : allez vite aux greniers. Je veux voir désormais vos bêtes mieux soignées. Que coûte-t-il d'ôter toutes ces araignées ? Ne saurait-on ranger ces jougs et ces colliers. En regardant à tout, il voit une autre tête que celles qu'il voyait d'ordinaire en ce lieu. Le cerf est reconnu ; chacun prend un épieu ; chacun donne un coup à la bête … Ses larmes ne sauraient la sauver du trépas. On l'emporte, on la sale, on en fait maint repas, dont maint voisin s'éjouit d'être. " Le fabuliste conclut cet apologue qui nous parle d'une certaine forme d'évaluation par ces mots : " Phèdre sur ce sujet dit fort élégamment : Il n'est, pour voir, que l'œil du maître quant à moi, j'y mettrais encore l'œil de l'amant. " (1) Dans l'étable qui est la nôtre, les infirmières sont considérées comme des valets qui apportent herbe fraiche et fourrage. Les cadres et les différents décideurs sont des intendants qui ne différencient plus un bœuf d'un cerf. Il n'y a plus ni maître, ni amant.

Une orgie de chiffres


Les jours se suivent et se ressemblent. On ne sait pas, on ne sait plus. On n'a pas le temps. Pas le temps pour penser, pas le temps de revenir en arrière. Les entrées succèdent aux entrées, les visages aux visages. Il faudrait souffler. On ne peut pas. C'est toujours cette course folle et les actes qui se multiplient. Déjà, bientôt, une nouvelle année, déjà le rapport d'activité à rédiger. Compter les injections retard : 555, plus de 50 par mois. Compter les entretiens infirmiers : 1540. Des chiffres. Des chiffres qui disent quoi ? Des chiffres derrière lesquels Alain, Guy, Pierrette disparaissent. Près de vingt entretiens de plus que l'année passée. Et alors ? C'est bon ou çà n'est pas bon vingt entretiens de plus ? Ca fait presque deux entretiens de plus par mois. Est-ce qu'on va courir encore plus l'année prochaine. Est-ce qu'on va brasser autant de vent ? Compter les visites à domicile. Je me souviens de l'article de cette collègue de Toulouse qui s'était fait agresser par un patient lors d'une visite à domicile. On en avait beaucoup parlé. On s'était dit que dès que c'était risqué on y allait à deux. Et puis, les mois ont passé. L'été est arrivé. On est reparti seul pour parer au plus pressé, au plus urgent. Oubliée la réflexion. La diminution du nombre de visites à domicile
Le cadre supérieur nous a fait remarquer que d'après le kilométrage des voitures de secteur, nous faisions moins de visites à domicile. Selon lui, c'était certainement ce qui expliquait l'augmentation des réhospitalisations. Il a raison. On a fait 896 visites à domicile au lieu de 947, quatre de moins par mois, une de moins par semaine. Est-ce que ça suffit à expliquer les réhospitalisations ? Si nous faisons ces visites à deux infirmières, nous en faisons certainement moins. Le temps n'est pas extensible. Chaque fois que nous faisons quelque chose en plus, c'est quelque chose d'autre qui est fait en moins. Comment choisir ce que nous ne faisons plus ? Sacrifier ce qui n'est pas ou mal comptabilisé au profit de ce qui l'est bien. Quitte à faire passer la clinique voire la logique au second plan ?

Les accueils première fois

Le nombre de VAD a baissé parce que celui des entretiens a augmenté. Face à l'augmentation du nombre de nouvelles prises en charge et la diminution du nombre de psychiatres, nous avons généralisé ce que nous nommons les accueils " première fois ". Chaque nouveau patient est vu par deux infirmiers qui évaluent la demande et orientent si besoin vers un psychiatre, un psychologue ou poursuivent la prise en charge eux-mêmes. Cette façon de procéder présente l'avantage de raccourcir les délais d'attente pour les patients. Elle a le désavantage d'être coûteuse en temps soignant. Il est impossible de savoir avant la rencontre si la présence de deux infirmières est nécessaire ou non. Si nous orientons le patient vers une psychothérapeute, il ne sert à rien que le patient soit reçu par deux infirmières, s'il est orienté vers un psychiatre qui estimera qu'un suivi infirmier peut être utile voire indispensable, la présence de deux infirmières peut être utile voire indispensable. Enfin, un suivi infirmier implique de mobiliser deux infirmières, chacune servant de relais à l'autre.

Les traitements retards


Parmi les 550 traitements retard annuels, combien pourraient être faits par des infirmières libérales ? Un des cabinets du secteur est composé d'infirmières qui ont exercé au Centre Hospitalier. Elles nous connaissent bien pour avoir travaillé avec certains d'entre nous. Elles sont compétentes dans la gestion des troubles psychiques. Elles connaissent même certains de ces patients pour les avoir soignés quand elles travaillaient au Centre Hospitalier. Elles pourraient parfaitement prendre le relais. Les patients n'y perdraient pas. Nous sommes certains qu'en cas de refus de traitement ou même d'aggravation de la symptomatologie, elles prendraient contact avec nous pour nous en avertir. Nous pourrions ainsi nous libérer un peu de temps pour les VAD ou pour améliorer le travail en réseau. Impossible, dit notre cadre. Les traitements retards sont comptabilisés, nous aurions une baisse d'activité qui ne serait pas justifiable. Le travail de réseau, les rencontres informelles qu'il suppose, les régulations auxquelles nous participons qui contribuent à éviter des réhospitalisations, à rendre nos partenaires plus compétents donc plus tolérants aux troubles psychiques ne sont pas comptabilisées par le logiciel. Il faudrait donc sacrifier tout cela, non pas au nom d'une logique comptable, mais d'une logique informatique, d'une logique d'outil.
Tous les actes se valent-ils ?

Il faudrait se poser et réfléchir mais tout va si vite. Nos collègues de l'intra s'interrogent sur les chambres d'isolement. Est-il légitime d'enfermer les patients dans un établissement qui ne l'a jamais fait ? Est-ce que ça s'évalue le nombre d'isolement, de contentions ? Et si ça s'évalue, ça veut dire quoi ? Est-ce une activité au même titre que le groupe peinture, les injections retards ou le nombre d'accompagnements à l'hôpital général ? Une activité parmi d'autres qui correspond au décompte quantitatif des activités infirmières. A partir de combien d'isolements ou de contentions les petites lumières rouges du tableau de bord se mettent-elles à clignoter ? On parle de créer des chambres d'isolement, de fermer une unité mais comment ne pas faire le lien avec la suppression du poste de plasticienne ? L'atelier reste vide. Les patients qui pouvaient se défouler sur une feuille blanche, sur un morceau de terre, ne le font plus. L'atelier situé en plein cœur d'une unité ne reçoit plus personne. Rapport de cause à effet ou coïncidence ? Compter aussi nos interventions au Centre Hospitalier Général, en psychiatrie de liaison. Malgré toutes ces années passées aux Urgences, nous zautres infirmières n'étions toujours pas reconnus par les médecins urgentistes. En cas de difficulté, seul l'avis du psychiatre leur importait. C'est autour de l'histoire d'une jeune anorexique que ça a commencé à se modifier. Nous avions laissé traîner en réa un dossier de la revue Santé Mentale consacré aux anorexiques. Tous l'ont lu. Les chiffres enregistrent cette évolution. Etonnant, non ? Mais qui s'en soucie ? Si le nombre d'hospitalisation a augmenté n'est-ce pas aussi parce que les urgentistes, n'écoutent pas les infirmières et que faute de psychiatre disponible, ils envoient les patients vers la psychiatrie ? Si l'hypothèse est juste le nombre d'hospitalisations devrait diminuer. A moins qu'un autre facteur vienne contribuer à leur augmentation, ce qui masquerait l'effet de l'amélioration de nos relations avec les urgentistes. Compter encore la fréquentation des activités. Dix patients ont participé au groupe psychoéducatif consacré à l'information sur la maladie. Dix patients, ça fait peu, tellement peu par rapport aux cinquante qui ont bénéficié d'une injection retard. Dix, et pourtant c'est énorme. Quinze patients ont bénéficié du groupe de musicothérapie qui existe depuis trois ans. Le groupe s'endort. Les patients s'y sont chronicisés. Les soignants aussi. Dix d'un côté pour une activité qui naît, quinze pour une qui s'endort. Les chiffres nivellent. Les chiffres trompent. Mais, il faut compter. C'est ce qu'on nous demande. On nous demande de compter pas de réfléchir. Alors comptons. Groupe d'entraide Mutuelle versus CATTP
En novembre 2005, nous avons sorti de son sommeil, l'association Le Passe-Muraille et l'avons transformé en groupe d'entraide mutuelle (GEM). Cela n'a pas été trop compliqué, l'association créée à l'initiative d'un soignant qui revenait du Québec se pensait, dès l'origine, comme une groupe d'entraide. Elle n'était en dormition que d'avoir été désinvestie par les patients. Les soignants qui faisaient office de passeurs ont préféré ne rien faire plutôt que de porter à bout de bras une association qui ne pouvait fonctionner que par l'investissement et l'action des usagers. Il n'a quasiment pas été besoin de modifier les statuts pour que le Passe Muraille devienne un GEM. Il a suffit qu'un certain nombre d'usagers motivés l'investissent. Les soignants parrains sont progressivement devenus de moins en moins présents. Aujourd'hui, le GEM est autonome. Il a son local, ses animateurs, son budget. Les usagers que nous nommons les Gémiens sont suffisamment compétents pour faire leurs propres demandes de subventions et les obtenir. Un ou deux soignants suffisent à réguler son fonctionnement. Ils le font comme ils régulent un atelier d'insertion, une maison de retraite ou un CHRS. Pas plus pas moins. La vie du GEM et l'investissement de tel ou tel peut être abordé en entretien infirmier dans le cadre d'un suivi. A peine plus, à peine moins. Il va de soi que l'essentiel du travail de portage accompli par ces soignants n'apparaît dans aucun bilan d'activité. Aucun logiciel ne le prend en compte. Les items pour le traiter, pour l'évaluer n'existent pas. Les soignants qui ont effectué ce portage ont certainement réalisé moins de visites à domicile et moins d'entretiens individuels. Par contre, dans cette période de mise en place du GEM ils ont animé beaucoup plus de réunions. Le groupe d'entraide mutuelle compte plus de quatre vingt adhérents. Certains sont suivis par le secteur, d'autres pas du tout. Certains continuent à fréquenter les activités du CATTP d'autres plus du tout. Les animateurs du groupe d'entraide mutuelle proposent des activités le week-end mais également certains après-midis. On peut dire, un peu rapidement, c'est-à-dire sans réfléchir, que ces activités sont en concurrence avec celles du CATTP. C'est d'ailleurs ce que nous a dit une des animatrices en nous reprochant d'animer des activités les mardis et mercredis. Nous concurrençons les activités qu'elle anime, ce qui, de son point de vue ne va pas du tout. Evidemment, les Groupes d'Entraide Mutuelle ne devraient pas être ouverts en même temps que les CATTP. Ils devraient fonctionner le soir, quand les CATTP et les CMP sont fermés. Ce n'est pas ce qu'ont demandé les membres du GEM. Ils ont voulu créer une alternative à ces structures de soins. Certains animent d'ailleurs, l'après-midi des activités qu'ils ne trouvaient pas ou plus au CATTP : une activité d'écriture, une de théâtre et une d'écoute musicale. Ainsi ont-ils aussi mis en place une activité d'arts plastiques. Il faut dire que la plasticienne qui travaillait à mi-temps en intra en avait un autre, pas davantage remplacé au CATTP. Prenant en compte la demande des patients, deux soignantes ont d'ailleurs créée une activité d'arts plastiques très différente de celle proposée par les Gémiens et de l'activité initiale proposée par la plasticienne. L'activité créée par les soignantes a trouvé son rythme de croisière et accueille aujourd'hui jusqu'à une dizaine de patients selon les séances, dont certains gémiens qui ont cessé d'aller à l'activité GEM qui du coup a cessé de fonctionner faute de combattants. Il est évident que ces deux soignantes réalisent moins d'entretiens et moins de visites à domicile. Ces allers-retours sont passionnants et posent des questions qui ne sont pas qu'économiques. La clinique y tient une place très importante. Revenons à notre questionnement. Deux soignantes animent une fois par mois, le vendredi après-midi, une activité récréative centrée sur des jeux de cartes. Le Groupe d'entraide mutuelle propose le même jour la même activité. Est-il légitime de conserver cette activité ? Certains patients vont jouer au GEM, d'autres viennent au CATTP. Ceux qui viennent au CATTP le font soit parce que l'activité est animée par leur soignante référente, soit parce qu'ils ne supportent pas de rencontrer au GEM des personnes qu'ils ont connues lorsqu'ils étaient hospitalisés ou qu'ils rencontrent au CATTP, ce qui n'est pas très logique, reconnaissons-le. Quelle différence entre une activité gémienne et une activité soignante ? La présidente du gem le dit très bien, au gem il s'agit de s'entraider, de passer le temps ; au CATTP il s'agit de soin. Comment différencier une partie de cartes thérapeutiques d'une partie de cartes qui passe le temps ? Le recueil d'actes ne dit rien de cette différence. Il ne permet même pas de la formuler. On reportera le nombre de patients participant à la partie de cartes, ils seront comptés soit en demi-venue soit en activité selon le statut donné à l'activité. Une partie d'entre nous proposait de supprimer les activités dites occupationnelles. Toute activité dont le projet n'apparaitrait pas comme suffisamment thérapeutique serait exclue du CATTP. A la dernière réunion communautaire qui était en fait la première et à laquelle participaient aussi des Gémiens, les patients nous ont renvoyé que nous manquions d'activité sans engagement, comme le baby-foot ou le ping-pong, ces activités disent-ils qui permettent d'être présents mais pas trop, d'apprivoiser la structure et ses soignants à son rythme. Les petits gestes du quotidien

La musique, ça soigne, ou pas ? Est-ce que ça soigne plus ou moins que la contention ? La musique et tous ces petits soins du quotidien, tous ces presque rien qui ne font pas des actes. Tous ces petits soins qui disparaissent derrière les chiffres. Les compter ou non ? Combien de sourires ? Combien de fous-rires ? Combien de main sur l'épaule ? Combien de discussions sur le foot qui ne seront jamais des entretiens dûment comptabilisés ? Combien de thés ou de cafés offerts à la machine à café ? Les chiffres mentent par omission. Mais, il faut compter, mettre notre activité dans des petites cases préprogrammées qui ne décrivent que très imparfaitement ce que nous faisons. Combien sommes-nous à sacrifier à ce rituel annuel qui fait disparaître le soin dans des cases conçues par d'autres, d'autres qui ignorent tout de notre activité réelle, d'autres qui liront ces chiffres hors contexte, qui ne les mettront qu'en perspective comptable et qui se garderont bien de lire les quelques commentaires que nous aurons osés ? Situer le problème

Le problème n'est pas d'évaluer notre activité. Nous le faisons depuis Pinel. Lorsque Pinel arrive à Bicêtre, le document que lui remet Jean-Baptiste Pussin est un bilan d'activités. Sommaire certes. Empirique d'accord. Mais il est suffisamment détaillé et intéressant pour que Pinel le lise et s'en inspire pour fonder ce qui deviendra le traitement moral. Le problème est de rendre compte de notre activité, de la justifier comme si, au fond, nous étions suspects. Avec deux ou trois critères on pourrait évaluer l'ensemble des secteurs psychiatriques : taux d'hospitalisation sous contrainte, taux de réhospitalisation sous contrainte et en libre, nombre et durée des isolements et contentions. Sauf explication sociologique, plus ces chiffres sont importants moindre est la qualité des soins globale du secteur. Il est intéressant de noter que tous renvoient d'une façon ou d'une autre au droit à la sûreté que l'on a, nous soignants, toute liberté de bafouer pour peu que nous respections le protocole et les différentes procédures. La forme l'emporte sur le fond, la lettre sur l'esprit. Peu importe du moment que les fous soient bien gardés et ne défrayent pas la chronique. Lorsque Paumelle, Bonnafé ont entrepris après la seconde guerre mondiale de soigner l'institution psychiatrique et de supprimer les quartiers d'agités qu'on rouvre un peu partout aujourd'hui ils avaient choisi quatre critères d'évaluation : Le nombre de contention, la reprise de poids, la diminution du gâtisme et l'amélioration de la qualité des écrits infirmiers. Ces quatre critères ont suffit pour accompagner la révolution psychiatrique. Je pense que toute évaluation en psychiatrie qui ne serait pas clinique, hors les trois critères que j'ai proposés est une escroquerie intellectuelle dangereuse qui nuit aux patients et diminue le temps qui leur est consacré. Je pense qu'elle n'a d'autre but que produire des soignants interchangeables qui répètent les mêmes gestes dépourvus de sens. Elle a pour conséquence une perte du sens des actes et une incapacité à gérer tout ce qui sort d'une certaine routine d'où le recours de plus en plus régulier aux chambres d'isolement et à la contention. Si l'évaluation des pratiques cliniques était un souci réel, elle s'appuierait sur des travaux universitaires menés par des soignants titulaires de diplômes de deuxième et de troisième cycle, diplômes qui existent aux Etats-Unis depuis 1922. Elle partirait d'un champ identifié, travaillé, labouré par des soignants, elle s'étaierait sur une littérature professionnelle questionnée et validée par des critères universitaires, ce qui est le cas, je l'ai dit, depuis très longtemps dans les pays anglo-saxons. L'évaluation des soins suppose une culture du soin absente aujourd'hui, la conséquence immédiate en est que l'évaluation porte davantage sur le respect des règlements et des règles de droit que sur la clinique. Tout se confond au détriment des patients et de la pensée du soin. Il est vrai que pour les décideurs, une infirmière ça ne pense pas, ça ne fait qu'appliquer des procédures définies par d'autres. Les fous qui nous importent, nous, pour cette journée sont ceux qui fréquentent à temps partiel nos centres d'accueil forcément thérapeutiques. Arrêtons-nous un instant sur l'évaluation des pratiques professionnelles.

Définir l'évaluation des pratiques professionnelles

L'objectif de l'évaluation des pratiques professionnelles est l'amélioration de la qualité des soins. Noble objectif s'il en est, même si pavé de bonnes intentions, il nous plonge ici ou là dans l'enfer des contentions et des mises en chambre d'isolement. La qualité des soins est définie par l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) comme la garantie " que chaque patient reçoive la combinaison d'actes diagnostiques et thérapeutiques qui lui assurera le meilleur résultat en termes de santé, conformément à l'état actuel de la science médicale, au meilleur coût pour un même résultat, au moindre risque iatrogène et pour sa plus grande satisfaction en termes de procédures, de résultats et de contacts humains à l'intérieur du système de soins. "(2) Que les soins infirmiers, et notamment ceux relatifs au rôle propre ne s'inscrivent pas uniquement en tant qu'actes thérapeutiques et diagnostiques ne nous interdit pas de relever le défi de la qualité que l'H.A.S, elle-même définit comme un objectif ambitieux. " La complexité des processus de soins, la diversité de l'offre de soins, la variabilité des pratiques constatée, la mise à jour continuelle des connaissances et l'amélioration des technologies médicales, la nécessité de maîtriser les risques des pratiques et enfin la dimension économique des soins permettent de comprendre pourquoi l'atteinte de cet objectif rend indispensable une démarche structurée d'évaluation et d'amélioration. "(2) L'évaluation des pratiques cliniques professionnelles est une recherche-action " une étude qui, ayant un certain projet de changement transpose des connaissances théoriques dans le milieu naturel étudié et en dégage des renseignements susceptibles de généralisation pour aboutir à la production d'un savoir théorique. "(3) On peut également la définir comme une " collecte de données dans une situation rigoureusement contrôlée à des fins de prévision ou d'explication... " (4) ou comme une " enquête rigoureuse et systématique, conduite à petite échelle avec des méthodes à la mesure du sujet, et visant à apporter aux connaissances des contributions susceptibles d'être généralisées " (5) ou encore comme une " enquête systématique sur les phénomènes intéressant la science des soins infirmiers, à savoir, l'adaptation d'individus et de groupes à des problèmes de santé existants ou potentiels, les environnements qui affectent la santé des individus, et les interventions thérapeutiques qui ont une incidence sur les conséquences de la maladie et sur la promotion de la santé. "(6) Quelle que soit la définition proposée, elle suppose une approche systématique et une méthode rigoureuse en vue d'acquérir des connaissances nouvelles susceptibles d'être généralisables avec certaines précautions. La Haute Autorité de Santé la définit comme " l'analyse de la pratique professionnelle en référence à des recommandations et selon une méthode validée comportant la mise en œuvre et le suivi d'actions d'amélioration des pratiques. Les pratiques professionnelles sont constituées à la fois de pratiques individuelles et collectives ; elles comportent une dimension organisationnelle. Ces pratiques concernent les activités diagnostiques, thérapeutiques ou préventives. "(2) Si les pratiques professionnelles médicales sont relativement bien repérées que ce soit au niveau diagnostic ou thérapeutique (7), il n'en va pas de même des pratiques cliniques infirmières, notamment en ce qu'elles concernent la relation soigné/soignant. Nous nous engageons donc dans un véritable travail de pionniers. L'évaluation des pratiques cliniques professionnelles infirmières recouvre tous les aspects des soins infirmiers et met l'accent sur le patient, et sur la relation soigné/soignant. Elle suppose de comprendre la nature du comportement humain en matière de santé et de maladie, d'identifier les interventions auxquelles peuvent recourir les infirmiers pour restaurer l'estime de soi d'un patient diminué par la maladie, par les réactions de ses proches, par des représentations péjoratives de lui-même en tant que personne malade, pour l'aider à tirer le meilleur de lui-même et à se bricoler une meilleure qualité de vie. Quel que soit le contexte, l'évaluation des pratiques cliniques professionnelles veut tenter de comprendre comment les infirmiers peuvent exercer une influence positive sur les facteurs qui contribuent à maximiser la santé et à réduire au minimum les effets de la maladie. Le soin infirmier en psychiatrie étant un soin qui a comme science l'ensemble des théories traitant du comportement humain et l'utilisation de l'être du soignant comme art thérapeutique, le champ considéré est immense. Retenons avec l'H.A.S. que l'évaluation n'est pas une fin en soi ; le constat d'écart entre la pratique réelle et une pratique " suffisamment bonne " (8) doit conduire à la mise en œuvre d'actions d'amélioration chaque fois que cela est nécessaire. Améliorer la qualité des repas, de l'accueil, de l'information, etc. est une nécessité qui ne souffre aucune contestation de fond. Le problème est plus complexe lorsqu'il s'agit d'évaluer la qualité d'un soin ou d'une série de soins. Il ne suffit pas de vouloir améliorer les soins, il faut également rechercher un consensus entre les professionnels concernés. Le débat d'idées avec les réactions corporatistes ou les querelles de personnes qu'il masque parfois est alors souvent inévitable. La protocolisation est souvent vécue par les soignants comme une volonté de contrôler leur pratique, comme une tentative technocratique de tout planifier sans laisser d'espace à l'initiative personnelle. Ils n'ont pas forcément tort. Le protocole, défini comme une aide à la décision, à l'usage des acteurs concernés par son application peut permettre d'adapter les soins en fonction des besoins et de l'état de santé du patient. Il peut s'appliquer aux différents domaines d'intervention : préventif, curatif, éducatif, de maintenance ou de réhabilitation. Il faut et il suffit pour cela qu'il ne soit pas binaire, qu'il revête la forme d'un arbre décisionnel, qu'il favorise des choix éclairés qui s'ouvrent à la complexité des situations et à leur singularité. Un protocole trop synthétique dessert la qualité des soins lorsqu'il est utilisé par des acteurs insuffisamment formés. Il devient un ensemble de règles qui s'appliquent quelles que soient les circonstances. Il peut, également, n'être que formel. Il dort, dans ce cas de figure, dans le classeur aux protocoles que nul ne consulte jamais. La recherche d'un consensus contribue souvent à affadir les recommandations, chacun souhaitant donner autant qu'il reçoit. Si l'audit des pratiques de soins permet de mesurer l'écart entre ces pratiques et celles recommandées dans un protocole de soins prédéterminé, il ne les explique pas. Tous les groupes axés sur la qualité des soins rencontrent les mêmes difficultés.

La distinction tripartite d'Aristote


Le concept de praxis, très usité en allemand, mais rare en français se rapporte d'une façon générale à toute activité humaine et s'oppose à la théorie, considérée comme abstraite.(9) Une philosophie, la pratique se distingue de la contemplation tournée vers ce qui est éternel et immuable et n'est donc pas accessible à l'action humaine, qui s'exerce toujours sur un donné changeant et modifiable. Cette distinction n'est pas absolue dans le sens où toute théorie est œuvre humaine et constitue donc une forme d'action qui transforme un contexte. Autrement dit la pratique influe sur la théorie et réciproquement. On ne peut pas évaluer une pratique en elle-même sans se référer à minima à une théorie. On ne peut évaluer une théorie sans se référer à une pratique. On ne peut évaluer les soins sans se référer à une théorie minimale du soin ou des soins. Aristote (9) nous permet de dépasser cette distinction un peu trop simpliste. A la vie dans la théoria qui est pour lui, la vie parfaite, Aristote joint une vie pratique, c'est-à-dire politico-morale de style platonicien et une vie poïétique, vie de fabrication, de production matérielle, de travail. Pour Aristote, comme pour tout Grec, cette dernière forme d'existence est indigne de l'homme parfait, pleinement homme ; le travail productif est celui de ces " animaux à pieds d'homme " que sont les esclaves, voire celui des animaux (et Aristote voudrait le laisser, si c'était possible à des machines). Non seulement Aristote, comme Platon, admet la nécessité du travail et de la technique, mais il attribue à l'art de l'artisan un rôle décisif dans la constitution de la connaissance théorique de la nature. Celui qui forme un objet prend nécessairement appui sur la nature qui lui fournit aussi bien l'idée d'un lit, en lui présentant le modèle à parfaire sous les espèces de la couche, que le matériau ; bien plus, en travaillant, nous ne faisons qu'imiter des processus naturels, ce qui signifie que c'est en travaillant, par notre pratique technique, que nous comprenons comment la nature agit : la nature est bien le fondement réel de tout art, mais l'art est le fondement de toute connaissance précise de la nature. Une science positive du vivant devient ainsi possible, science d'observation, de comparaison, d'analyse, une cinétique du squelette, une anatomie comparée, une sociologie, etc. Ces connaissances n'ont pas droit pour Aristote au titre de theoria, sauf dans la mesure où elle révèle du permanent dans le périssable. Si elles visent des résultats pratiques, elles ne sont que des techniques. Ce détour par Aristote nous permet de dépasser la distinction théorie/pratique. Qu'est-ce qu'évaluer un soin ? Evaluer une théoria ? Non, le soin est une activité pratique et un travail. Evaluer une pratique ? Oui, mais au sens d'Aristote. Le soin, n'est pas une simple poïétique. Le soin permet de mieux connaître l'univers, et notamment les réactions de l'homme face à la maladie. Comment évaluer le soin ? En regardant les infirmiers jouer au scrabble.

Le jeu de scrabble, un petit détour par la psychodynamique du travail


Cette observation canonique a été rapportée par Dominique Dessors et Christophe Dejours. (10)
Les opérateurs de conduite qui surveillent les installations de la salle de contrôle ont, dans les périodes de fonctionnement en régime de croisière, l'habitude de jouer au scrabble. Cette pratique insolite sur un lieu de travail où la surveillance devrait être constante inquiète les ouvriers eux-mêmes et suscite une sorte de culpabilité. Ils cachent cette pratique ordinaire et la table est lestement débarrassée lorsqu'on entend un cadre venir vers la salle de contrôle du process. Les cadres, quant à eux, sont informés de cette pratique du scrabble pendant les heures de travail et la désapprouvent. Ils s'efforcent de l'interdire mais ne la sanctionnent pas. Une enquête de psychodynamique du travail fait apparaître les faits suivants.
Lorsque tout fonctionne d'une manière stable, les ouvriers s'ennuient. Cette situation d'inactivité les irrite, les agace, et à la longue l'angoisse s'empare d'eux. En jouant au scrabble ; ils trouvent une occupation conviviale à proximité des pupitres et se calment. Mais ce faisant, ils font beaucoup plus qu'il n'y paraît. Le jeu de scrabble nécessite parfois de la réflexion et du temps entre les coups, ce qui permet à l'un et à l'autre de se lever, de retourner un moment sur les pupitres et de procéder au perfectionnement d'un réglage de débit ou de pression. Puis, il reprend sa place à la table de jeu. De temps à autre, donc, un joueur quitte la table et intervient sur le process. En fait, pendant tout le temps du jeu, ils " écoutent " le process, ils écoutent le bruit, les vibrations, les alarmes périodiques, le ronflement des machines. Et puis survient dans le bruit de fond dont le corps est imprégné un bruit anormal, une vibration de plus basse fréquence. Le corps réagit et l'ouvrier se lève. Ainsi, les ouvriers, auscultent-ils, tout en jouant, le fonctionnement de l'installation. Et cette auscultation s'avère délicate. Elle n'et possible que pour des ouvriers très entraîné, ayant une grosse expérience de la salle de contrôle. Cette surveillance auditive ne leur a pas été enseignée, elle ne fait l'objet d'aucune consigne d'utilisation, mais au dire des ouvriers elle est très efficace. Tous y participent, avec un talent variable. Cela ne s'explique pas mais s'apprend au contact des ouvriers les plus anciens. C'est ainsi que les ouvriers ont élaboré une ficelle, un truc, pour contrôler efficacement le process. Or l'engagement du corps dans cette auscultation est malaisé : si l'ouvrier se met à écouter activement, en y pensant, en se concentrant sur le bruit, il ne parvient plus à entendre. Ou bien, il n'entend plus rien, ou bien tous les bruits deviennent suspects. Il ne s'y retrouve plus et bientôt l'angoisse s'empare de lui. Il ne peut plus se servir de ses perceptions. Le régime de croisière de la production exige en quelque sorte que l'ouvrier se détende, qu'il se mette, lui aussi en repos relatif. Alors, il parvient à s'accorder physiquement, sensoriellement avec le process et il repère sans hésitations les anomalies qui égrènent le quart. Dans ce contexte, on comprend après coup que la pratique du scrabble est géniale. C'est au scrabble qu'ils jouent, ce qui est inhabituel, et pas à la belote, beaucoup plus fréquente parmi les ouvriers en France. A la belote en effet, on parle beaucoup et on fait du bruit -au scrabble on fait silence. En rompant l'ennui et l'angoisse, le jeu de scrabble affine la performance sensorielle. Le jeu réconcilie la quête de confort et l'efficacité technique, il maintient en activité les capacités que les opérateurs auront à mettre en œuvre immédiatement si le process nécessite leur intervention alors que s'ils étaient désœuvrés, c'est à partir de l'ennui ou de l'inquiétude latente qu'ils auraient à mobiliser leurs compétences. La découverte du jeu de scrabble comme régulateur du comportement dans la conduit du process ne relève pas d'un calcul théorique ni d'une stratégie rationnelle. C'est une découverte empirique, pleine d'ingéniosité, dont la légitimité n'est démontrée que par son efficacité pratique. Après élucidation, le jeu de scrabble est toléré sans réserve, tant par les ouvriers eux-mêmes, désormais libérés de leur culpabilité, que par l'encadrement rassuré sur cette pratique insolite. Ils travaillent pour de vrai. Que faisaient donc les infirmiers psy d'autrefois quand ils jouaient au tarot avec leurs patients ?
Cette métis, cette ruse de métier des ouvriers se retrouve-t-elle chez les infirmières dans le soin ?
Oui, Pascale Molinier montre que la compassion des infirmières est un processus psychique déclenché par l'obligation faite de se confronter aux malades même quand on n'en a pas envie. Elle montre que la compassion ne peut être soutenue durablement compte tenu des contraintes organisationnelles, qu'à la condition d'une réelle coopération. Pour e donner un exemple, le dégoût est souvent évoqué comme une manifestation de la subjectivité particulièrement désagréable. Mais les soignantes déplorent aussi de ne pas réussir à cacher au patient, du fait e leurs mimiques involontaires, et de faire ainsi honte au patient ou de l'inquiéter. L'analyse psychodynamique montre que la maintien d'une attitude compassionnelle avec les patients vécus comme répugnants (plaies suintantes, odeurs corporelles désagréables, incontinence) est largement tributaire des marges de manœuvre dont dispose l'équipe pour s'organiser de façon à affronter à plusieurs la répulsion. Les collègues surnuméraires, dont on pourrait penser qu'elles ne font rien, réalisent en réalité un travail capital. Il s'agit à la fois de distraire l'attention du patient et d'assurer un soutien psychologique à celle qui fait le soin, en plaisantant avec elle, en parlant de tout, de rien, en étant là tout simplement. Des aides-soignantes en gériatrie qui ne disposent pas d'un tel étayage compassionnel, travaillent l'œil rivé à la télévision. Le risque de passage à l'acte violent était de la sorte en partie contenu, mais de façon plus précaire. Evaluer le soin, oui. Mais comment l'évaluer si l'on ne prend pas en compte les ruses de travail, ces adaptations subtiles inventées par les professionnelles ? Comment l'évaluer si tout cela est absent des théorisations d'un soin considéré comme une simple poïétique ? La psychanalyste Gisela Pankow, lorsqu'elle commença à prendre en séance des patients psychotiques utilisa le même type de ruse : elle tricotait une écharpe noire et blanche. En comptant les mailles, elle trompait son angoisse et celles du patient, elle l'écoutait d'une façon suffisamment distante pour que cette écoute ne soit pas persécutrice. Ces exemples illustrent de nombreuses situations où l'on interprète un peu vite des comportements en termes de démotivation voire de " manque de sérieux " ou de fainéantise. En psychodynamique du travail, il est un principe fondamental d'investigation dont l'évaluation des soins devrait s'inspirer : toute conduite, même lorsqu'elle semble aberrante ou absurde, toujours un sens et une raison d'être, surtout lorsque cette conduite possède une certaine stabilité dans la vie ordinaire du soin, jusqu'à la preuve du contraire. Il peut paraître absurde que deux infirmières fassent un soin, là où une seule suffirait. Il n'empêche qu'interdire à la deuxième d'être présente fragilise la première, rend le soin plus douloureux et plus inconfortable pour le patient, et crée du burn-out chez une infirmière qui s'arrêtera davantage en maladie. Si dans la praxis le but de l'action est interne à l'action, on peut dire aussi que le but de l'action est interne à l'agent, à celui qui agit. Qu'est-ce que cela veut dire ? Que la pratique régulière de certaines actions qui ont leurs fins en elles-mêmes ne permettent pas simplement d'accomplir ces actions, mais en outre et surtout permet de rendre ce type d'action plus aisé, plus facile, plus spontané. Elles ont des effets sur l'agent. A force de pratiquer certaines actions, il est possible de les rendre plus spontanées, plus faciles, c'est-à-dire donc de créer en nous une aptitude nouvelle, une faculté nouvelle, qui n'était pas innée et qui nous donne de la valeur, qui nous permet d'atteindre dans tel ou tel domaine une maîtrise ou une excellence qui sans cet apprentissage et ses efforts n'existerait pas. Comme le dit Aristote, on a affaire à une série d'actes qui crée une puissance, celle de les accomplir sans effort. En somme, par la praxis, on peut se transformer et de telle sorte que cette transformation nous rende plus estimable, plus digne, plus excellent. Ce qui pour Aristote est aussi et surtout vrai dans le domaine moral et politique : on peut faire de soi un homme courageux par la pratique régulière d'actes courageux, pour peu il est vrai que l'on ait quelques dispositions naturelles au courage. En général, il est possible de devenir vertueux, c'est-à-dire exceller dans un domaine quelconque ou comme homme par la praxis. C'est du côté de la pratique que l'on peut espérer une humanisation, un accomplissement de soi. Notons que cette idée, on la retrouve paradoxalement dans le travail sur soi, qui est bien une activité par laquelle on se transforme soi-même par des exercices qu'ils soient intellectuels ou physiques. Le paradoxe, c'est que l'on emploie le mot travail pour ce qui est pour Aristote le contraire du travail puisque la fin de l'action se trouve dans le cas du travail sur soi en nous et non hors de nous. Notons aussi que le travail sur soi est présent partout où on assiste à des apprentissages, à l'acquisition d'une culture qu'elle soit physique ou intellectuelle.

Un Igloo au CATTP


Ces considérations posées, il est possible d'évaluer ensemble, les effets de soins produits par l'igloo multicolore que notre CATTP accueillit du 8 octobre au 22 novembre. Œuvre de l'artiste contemporain, Bruno Mendonça, il nous a été prêté par le musée départemental de Gap avec lequel nous avons un partenariat. Imaginez une demi-sphère de plus de deux mètres de haut et d'une circonférence proportionnelle. L'igloo en bois recouverts de tranches de dictionnaire et de couverture de livres sous la grande baie vitrée n'est pas passé inaperçu pour les jeunes du collège et du lycée voisin. L'intérieur de l'igloo, assez spacieux, est composé de rayonnages de bibliothèque dans lesquels sont posés des livres d'art prêtés par la bibliothèque municipale. Livres consultables sur place évidemment. Au centre de l'igloo, une table, une chaise, un ordinateur sur lequel il est possible d'écrire des messages en lien avec l'artiste, l'œuvre et la thématique générale de la montagne. Les messages tapés sur l'écran sont visibles de l'extérieur sur trois écrans encastrés dans l'igloo. L'exposition a été accompagnée par le musée, ainsi une plasticienne est-elle venue animer gratuitement quatre séances d'arts plastiques sur le thème de l'igloo. La conservatrice du musée est venue présenter l'œuvre et ses finalités aux patients lors d'un vernissage organisé par soignants et soignés. L'igloo a servi de cheval de Troie en direction du lycée. Nous sommes allés voir le proviseur du lycée et lui avons proposé de faire visiter l'exposition aux lycéens en deux temps, un premier temps consacré à l'igloo animé par la guide du musée qui s'est déplacée pour l'occasion et un deuxième temps consacré à la présentation de la psychiatrie, du centre de Santé Mentale et de ce qu'on y faisait. Ainsi six classes accompagnées par leur professeur ont-elles été accueillies dans notre CATTP. Certains patients ont participé à cet accueil. Sur le plan des activités elles-mêmes, un groupe de lecture a été mis en place. Le groupe Sous presse les mots qui associe revue de presse et atelier poésie a composé des textes qui ont été tapés sur l'ordinateur, le Laboratoire de Réflexion sur les Maladies des Boyaux de la tête a consacré une séance à comment parler de la maladie mentale à ceux qui ne la connaissent pas. Le groupe Mandala a exposé quelques unes de ses œuvres parallèlement à l'igloo. Enfin, l'exposition a été conclue par un grand repas nocturne auquel l'artiste a participé. Tout cela a donné lieu à articles dans le journal local et à présentation en boucle à la radio local. Comment évaluer les effets de soins produits par ce dispositif ? " Phèdre sur ce sujet dit fort élégamment : Il n'est, pour voir, que l'œil du maître quant à moi, j'y mettrais encore l'œil de l'amant. "

Dominique Friard
Infirmier de secteur psychiatrique, Centre de Santé Mentale Hélène Chaigneau, Gap (05).
2007


Notes :

1- LA FONTAINE (J), L'œil du maître.

2- L'évaluation des pratiques professionnelles dans le cadre de l'accréditation des établissements de santé, Juin 2005.

3- Dictionnaire de psychologie Larousse, Paris 1991.

4- TREECE (E.W), TREECE (J.W), Elements of research in nursing, (4 th Edition), Saint-Louis : C.V. Mosby.

5- Doh- Department of Health, " Report of the task force on the strategy for nursing research, midwifery, and healthing visiting ". London.

6- WOODS (N.F), CATANZARO (M), Nursing research : theory and practice, 1988, St.Louis : The C.V. Mosby Company.

7- La polémique déclenchée par l'évaluation des psychothérapies orchestrée par l'INSERM montre que sur le plan thérapeutique, l'évaluation est moins consensuelle que ce qu'il en paraît.

8- A entendre au sens de D.W. Winnicott.

9- WEIL (E), Pratique et praxis, in Dictionnaire de la philosophie, Encyclopedia Universalis, Albin Michal, Paris, 2000, pp. 1528-1536.

10- DESSORS (D), L'intelligence pratique, in Santé et Travail, n°2, octobre 1991. DEJOURS ©, Métis et Phronésis, in Education permanente, n° 116, 1993.

11- MOLINIER (P), Les enjeux psychiques du travail, Petite bibliothèque Payot, 2006, pp. 245-246.






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