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Réflexions d’un soignant

 

La volonté de mettre la folie au même rang que les autres maladies n’a jamais pu s’imposer absolument . Il faut reconnaître que le concept de folie est bien plus étendu que celui de maladie .

Le fou, l’insensé, c’est l’«autre de la raison », plein d’élans morbides ou suicidaires, emporté par la violence de ses passions . On le dit « fou à lier », « fou à enfermer » .

Il fait peur car il trahit quelque chose de l’homme et de sa très illusoire normalité . Ainsi on l’a toujours chassé ou tenté de le cacher .

Parce qu’avant d’être victime de sa maladie, il reste coupable d’être fou . Et sa folie stigmatise une faute volontaire, un péché inavoué .

 

Au retour d’une intervention musclée, je réalise que la psychiatrie se rapproche de plus en plus et dangereusement des limites floues du soin et de la sanction, comme la folie elle-même se situe bien aux limites floues de la souffrance et de la faute . Ce malade qui nous a ennuyé pendant une heure doit maintenant payer le prix .  L’enjeu principal devient vite un enjeu de pouvoir et de domination où il n’est plus toujours vraiment que question de soins .Les dérives sont rapides .

J’ai de plus en plus de mal à accomplir ce côté peu noble de mon travail .

Un collègue me disait, sur un ton de reproche : « je sais bien que tu n’aimes pas attacher les gens ! » Effectivement , je déteste ça et j’espère le détester encore longtemps, ne jamais m’y habituer. Ceux qui aiment ne devraient pas avoir le droit d’exercer ce métier .

 

On a jamais autant attaché et contenu qu’actuellement dans les services . Les malades sont-ils plus fous et agités qu’avant ? Ou les règles ont-elles changé ?

La psychiatrie n’échappe pas à cette volonté de normalisation, de répression de la différence qui gagne aujourd’hui toute notre société . A tel point que l’exclusion et la réclusion semblent se banaliser . On est tous malades, malades de ne considérer comme normaux que les seuls « rentables » « productifs » et de ne reconnaître que cette seule valeur à laquelle on attache énormément d’importance : « l’argent » .

Et notre psychiatrie est emportée elle aussi dans un virage dangereux vers une « perversion gestionnaire » d’inspiration libérale avec tous ses effets déshumanisants . L’hôpital psychiatrique redevient ce bastion historique érigé contre l’hostilité mutuelle entre société et folie .

Il faut traiter, éradiquer l’anormalité !

Et la surconsommation de psychotropes trahit bien cette évolution de la psychiatrie qui s’appuie désormais surtout sur l’usage des médicaments et qui oblige le patient à privilégier cette seule démarche thérapeutique : la prise du traitement pour maintenir le plus possible à distance et faire taire ce trouble qui s’est emparé de lui .

Pinel avait eu autrefois ce désir d’aller vers le malade mental et de rechercher, derrière sa folie, quelque chose d’humain, cette partie de son esprit restée saine et sur laquelle on pouvait s’appuyer pour établir une thérapie .

Face à l’importance qu’ont pris les médicaments, l’usage des contentions et de l’enfermement, il s’agit d’opposer autant que possible des chemins de traverses permettant à ceux qui ne disposent pas de tous leurs moyens, de pouvoir encore affirmer leur autonomie . Leur souffrance est pour eux  avant tout une incompréhension .

La parole, la recherche du sens, l’accompagnement, la prise de risque inévitable, sont les outils indispensables pouvant aider à établir avec l’autre les conditions favorables à sa renaissance et à sa reconnaissance .

Et si parfois il nous surprend, semblant revenir de loin, c’est qu’il a pu trouver les ressources pour cheminer seul, au fil de son existence, avec ce goût de vivre qui lui manquait avant notre rencontre . Mais il a fallu d’abord qu’il s’échappe de sa détresse, qu’il brise sa cage et les murs d’incompréhension autour de lui, qu’il sorte de son enfermement et du notre en même temps . L’hôpital psychiatrique n’enferme pas que ses fous !

Le soin médicalisé doit rester subsidiaire, il ne doit jamais occulter le « prendre soin » par des liens d’attention, de confiance et de respect avec le patient et sa famille, en repoussant le plus possible les spectres de la violences, de la contrainte, de l’exclusion et du rejet .

Il faut construire la véritable alliance thérapeutique, ne pas se laisser enfermer dans la  « folie technocratique » au risque de perdre notre capacité à aller vers l’autre, celui qui souffre, c'est-à-dire soigner .

Dominique Sanlaville - 2009

 


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