« J’en ai parlé à mon
compagnon …»
Je
ne sais pas ce que je fais quand je fais ce que je fais. Je ne sais pas ce que
je dis quand je dis ce que je dis. Deux phrases pour débuter un art de soigner,
deux phrases pour le résumer. En psychiatrie et ailleurs. Je pourrais vous
remercier de m’avoir écouté et nous pourrions commencer à débattre.
Lorsque
le Certificateur du bureau des Certifications viendra au Centre de
« C’est difficile de parler au début, de se
parler. … Il a fallu s’écouter, se familiariser avec l’autre … »
Lorsque Laurence écrivait ces mots en préface aux Chroniques du lundi écrites
avec les patients dits chroniques de l’unité où elle travaillait comme cadre,
je ne comprenais qu’une partie du sens de son message. Lorsqu’elle écrivait que
ce livre était « une victoire de
l’obstination, du travail. Victoire des obstinés, des travailleurs sur le dieu
Chronos, celui qui mange tout … » J’étais loin de penser que ce
travail nôtre était le fruit de sa propre obstination, une course contre la
montre, contre le cancer, une lutte pied à pied sur le dieu Chronos, celui qui
mange tout.
Si
je ne sais pas ce que je fais quand je fais ce que je fais, au moins sais-je
que je ne sais pas, ce qui, en matière de soin, n’est pas rien. Ce savoir
minimal m’évite un certain nombre d’erreurs et d’approximations. Il m’évite de
me poser en chevalier blanc gardien de
Ce
savoir minimal serait aujourd’hui en voie de disparition. Les jeunes infirmiers
qui choisissent d’exercer en psychiatrie, ceux que l’on nomme les polyvalents,
ne le seraient pas réellement. Il faudrait consolider leurs savoirs. Face à ce
qui ressemble à un constat, dans leur immense sagesse, nos gouvernants ont mis
en place un dispositif, intégré au plan
Sauf
que. Les infirmiers dits polyvalents bénéficient d’un enseignement en
psychiatrie certes d’une qualité inégale selon les IFSI mais réelle. Leur
intégration dans les unités de soins devrait poser infiniment moins de
problèmes que celles de leurs aînées. Et pourtant, elles sont vilipendées par
tous, trop techniciennes pour les unes, trop relationnelles pour les autres. Considérées
comme des hybrides, elles n’ont de place réelle nulle part. Il faut vraiment
qu’elles soient jugées nulles, l’application à la lettre, de protocoles
élaborés par des qualiticiens aux normes ISO ne demande aucune autre compétence
que celle de savoir lire et appliquer bêtement des conduites à tenir.
Et
pourtant, qui lit la liste des savoirs à leur faire ingurgiter sera
impressionné par leur quantité comme si elles n’avaient rien appris pendant
leurs trois années d’études. Qui lit le programme concocté par je ne sais qui
au ministère de la santé sera surpris de constater que l’art de soigner y
occupe si peu de place. Quant au temps consacré à une acquisition que l’on
imaginerait lente et progressive, il est réduit à la portion congrue. Tout ça,
pour respecter les procédures d’isolement et de contention ! Tout ça pour
remplir les grilles de fouille, pardon d’inventaire et d’entretien d’accueil.
Heureusement
pour l’argent public, quelques ARH et ANFH montent la garde et sélectionnent
les organismes de formation sur de mystérieux critères enfermés dans leur
placard aux protocoles. Il est évident qu’en matière de consolidation des
savoirs « infirmiers » en psychiatrie, un organisme de formation qui
sélectionne des formateurs cadres de santé supérieur et des psychologues sera
toujours mieux disant qu’un autre qui s’ouvre aux infirmiers de terrain surtout
si ceux-ci sont allés voir du côté de l’université.
Par
je ne sais quel miracle donc, j’interviens comme formateur dans cette
consolidation des savoirs en psychiatrie. Peu importe le lieu. Précisons qu’il
s’agit d’un CHU qui a anticipé le plan
Si
le soin est un art, il doit pouvoir être transmis comme les arts le sont.
Pourquoi ne pas penser la transmission de l’art de soigner à partir du
compagnonnage ?
Le
compagnonnage repose sur sept fondamentaux : l’accueil, le métier, le
voyage, la communauté, la transmission, l’initiation et le chef d’œuvre.
L’accueil
a toujours été la valeur fondamentale des Compagnons. A chaque étape de son
Tour de France, l’apprenti est reçu dans les Maisons de Compagnons ou Cayenne
où l’on vit autour de la mère et sous la responsabilité du Prévôt. C’est ainsi
qu’il apprend lui-même à aller vers les autres, à rencontrer des gens de toutes
origines et de toutes conditions, à s’ouvrir à de nouvelles façons d’être et de
penser. Elue par les compagnons la Mère, à la fois maîtresse de maison,
lingère, aubergiste et infirmière est entourée du plus grand respect. Même si
le local compagnonnique est tenu par un homme, les compagnons quand ils s’y
rendent disent : « Nous allons chez la Mère. » Le nom de mère
rappelle non seulement la maîtresse de maison mais la maison elle-même. Les
obligations de la Mère sont réglées par un contrat en bonne et due forme ;
sa réception est l’occasion d’une fête solennelle ; une place d’honneur
lui est réservée dans toutes les cérémonies. Les compagnons ont en général,
pour elle, l’affection qu’ils auraient pour leurs parents. La Mère, elle, aime
les compagnons comme s’ils étaient ses propres enfants. Elle est fière des
attributs et des rubans qu’elle porte. Lorsque je pense à Laurence Ruitor,
cadre de santé très récemment décédée, c’est à cette sorte de mère que je
pense. Elle est morte d’un cancer alors que je réfléchissais au thème de ces
journées. On peut considérer que je lui rends hommage. Voilà que je prends un
cadre de santé pour une mère, quand je vous disais que je ne sais pas ce que je
dis. Une mère morte qui plus est. Alors que j’étais encore enfant quand la
mienne est partie. « Une victoire de
l’obstination, du travail sur le dieu Chronos qui mange tout. »
Laurence
était une femme flamboyante. Elle aimait les rubans et les couleurs qui font
chanter
Le
métier, chez les Compagnons, est porteur d’identité. Il s’agit d’intégrer, le
jeune, l’apprenti dans une communauté de pratiques professionnelles fondées sur
l’effort, l’ouverture et
Si
pour les Compagnons, se former c’est d’abord « voyager la France »
pendant cinq à sept ans, c’est qu’il s’agit pour eux de se mettre à l’école des
différentes façons d’exercer son métier. Il ne s’agit pas d’unifier les
pratiques mais au contraire d’acquérir une expérience humaine et professionnelle
la plus dense possible et de faire l’apprentissage de la mobilité et de
l’adaptabilité. Cette expérience ne s’acquiert pas par des stages d’un mois,
mais par une immersion suffisamment prolongée dans un milieu professionnel
suffisamment accueillant. S’il faut cinq à sept ans pour qu’un compagnon
boulanger, menuisier ou serrurier se forme, comment imaginer qu’une infirmière
puisse découvrir les subtilités de l’art de soigner en trois ans ? Si l’on
apprend le groupe par le groupe, on apprend à être responsable par la prise de
responsabilités. Les polyvalentes balbutient leur pratique. Elles expérimentent
ce qu’elles n’ont pu expérimenter pendant leurs études. Elles tentent, en
essais/erreurs de rattraper le temps qu’elles ont perdu pendant leurs études.
Une certaine forme d’itinérance est nécessaire à l’apprentissage.
Lorsqu’autour
de Laurence, nous avons créé ce journal que nous avons progressivement nommé
« Les chroniques du lundi », nous ne savions pas ce que nous
faisions. Nous avions l’audace folle de penser que ces abandonnés de l’asile
dont chacun totalisait plus de vingt ans de suivi pourraient se mettre en
mouvement et qu’autour de ce mouvement, nous pourrions entraîner toute une
équipe. Nous partagions une certaine utopie, une idée du soin comme communauté
d’esprit. Et si ce n’est pas sûr c’est quand même peut-être. Comme les
Compagnons, l’infirmerie était pour nous un corps d’initiés, sélectif et
élitiste qui fait de l’excellence l’objet de sa quête perpétuelle. A des années
lumière de la démarche qualité introduite par le toyotisme, nous pensions que
le soin implique de s’élever, à travers les épreuves d’un point de vue moral et
spirituel. Il ne s’agissait pas de fabriquer du même à longueur de journée mais
de réaliser une sorte de dentelle de soin qui s’ajuste ou tente de s’ajuster à
chacun. Le soin a une cause à défendre et à promouvoir : le respect et
l’avènement de la liberté d chacun. Le soignant ne peut être qu’un militant
pour
Qu’écrivions-nous
dans l’éditorial de ces chroniques du lundi ?
« En
psychiatrie, le mot chronique a un aspect péjoratif. L’adjectif est devenu un
nom qui décrit les plus déshérités, les plus malheureux, les abandonnés d‘une
psychiatrie qui ne jure que par l’entrée et
Nous
considérons les dits chroniques comme des magiciens qui ont réussi à abolir le
temps. Ils détiennent un secret qu’il nous faut découvrir. Comment abolir le
temps ? Comment faire que chaque jour ressemble à chaque jour ?
Comment vider le quotidien de toute surprise ?
Un
quotidien constamment identique, sans surprise, c’est un quotidien que l’on
peut gérer. On peut même en faire un protocole. En phase avec notre époque,
nous allons essayer de trouver ce secret afin de mettre le quotidien en fiches,
en conduites à tenir.
Le
langage nous contamine. Le mot chronique qui décrit le malade qui n’évolue
plus, décrit aussi par contamination, par association d’idées le soignant qui
n’évolue plus, qui n’avance plus, qui est en quelque sorte en pré-retraite. Il
va de soi que ces soignants connaissent aux aussi le secret de l’abolition du
temps. Ils sont, comme leurs homologues patients, eux aussi, de grands sages.
Leur longue méditation, leur observation du malade chronique en ont fait les
réceptacles de ce fameux secret. Nous ne savons pas à l’heure actuelle s’il en
existe à Laragne. S’il nous arrivait d’en rencontrer, nous ne manquerions pas
de les interroger à propos de ce grand secret. »
Les chroniques du lundi jouaient sur tous les sens du mot chronique.
Mais suffit-il de poser que soignants et soignés se retrouvent autour d’une
certaine chronicité pour qu’un mouvement naisse ? Il ne suffit pas de le
poser il faut le vivre. Treize patients survivaient dans cette unité promise à
la fermeture, les treize participèrent au journal, les treize enrichirent les
chroniques. Comment présenter ces preux, ces magiciens qui surent résister à la
psychiatrie telle qu’on la pratique ? Pourquoi ne pas dire ce qu’ils
aiment par ordre d’apparition à l’écran ?
« Pourquoi
ne pas dire Jean-François, qui garde précieusement, religieusement écrirais-je
même un exemplaire des fables de La Fontaine ? Pourquoi ne pas dire
Huguette et sa passion pour Madonna ? Pourquoi ne pas dire qu’elle est
autant à l’origine du journal que les soignants ? On pourrait dire
Chaque séance portait le nom de Comité de Rédaction.
Nous nous rassemblions dans une salle de jeu suffisamment spacieuse. Les
soignants battaient le rappel mais venait qui voulait. Rien de prévu, ni de
programmé simplement l’idée de faire un journal à partir des notes prises au
Comité de Rédaction. Comment j’en suis venu à lire à haute voix l’histoire de
Mme Petite que j’avais dans mon sac à malice, je ne sais plus. L’histoire de
Mme Petite, c’est l’histoire d’une jeune femme qui était triste car elle était
seule. Elle était si petite que personne ne
« J’ai lu
Mauriac, un livre sur le mariage, quand un homme apporte toujours des fleurs,
la Peste de Camus, Henri Troyat, tout le cycle de la Lumière des Justes. C’est
le livre d’un poète français qui est allé en Russie. Ca raconte l’assassinat du
tsar. J’ai lu Baudelaire : Le coche et la mouche. »
Jean-Claude, son alter ego, conteste. Il lui semble
que ce dernier poème est de Lafontaine.
« Lafontaine,
je connais par cœur, répond notre péremptoire Jean-François. Tu la connais celle-là ?
« Deux compères qui se
connaissaient depuis longtemps
Le renard fait le mort sur la route
Quand il voit une charrette de fromages
Le charretier s’arrête et se dit ;
« Une peau de renard »
Alors, le renard se relève et lui prend
son fromage. »
A partir de cet essai remarquable et
remarqué de Jean-François, le groupe reconstitue de mémoire Le corbeau et le
renard. Jean-François va chercher dans sa chambre une vieille édition des
Fables de La Fontaine dont il lit La dédicace au Dauphin. Tous sont attentifs.
« Monseigneur, commence
Jean-François.
Monseigneur,
S’il y a quelque chose d’ingénieux dans
la république des lettres, on peut dire que c’est la manière dont Esope a
débité sa morale. … » Devant ce
succès, nous décidons de diviser les Comités de Rédaction en deux temps :
un temps de lecture et un temps d’élaboration.
Jean
apprécie beaucoup. Ca l’épate que Jean-François sache lire. »
Une suite de petits pas. Comment un
patient décrit comme un grand délirant agroupal trouve une place dans un groupe
et réinvestit un peu de culture.
Nous ne savions pas ce que nous faisions quand nous le faisions,
nous nous contentions de suivre le groupe, nous nous laissions guider par lui à
la grande surprise des étudiantes.
« Le 13 juin 2006, 10ème Comité de rédaction. Qui l’eut cru ? Qui
eut cru que cette improbable activité rassemblerait une dizaine de personnes à
chaque séance ? Ce 13 juin, nous sommes encore douze autour de ce journal
à naître, un jour peut-être.
Deux étudiantes, Marie-Anne et
Sabine, assistent à leur première séance. Qu’est-ce qu’on fait là ? Comment le leur expliquer ?
Jean-François, Jean, Yves,
Michelle, Jean-Claude, Saïd, Sonia et Abderkader assistés d’Hélène et de
Dominique vont bien arriver à leur expliquer.
Le temps de lire le résumé de la
séance précédente. Remarquez que déjà, pour elles, c’est une explication. Le temps que Jean-François ressorte son
coffre à clés fermé à clé et Jean-Claude a cette définition sublime. Une
sublime définition. Sublime de simplicité.
« Ici, on se promène, on s’écoute parler, on travaille … »
« Le Comité de rédaction c’est une heure et demie de liberté. »
Jolie réponse de Jean. La liberté surenchérit Jean-François, c’est la 4ème
dimension. La liberté, ça soigne.
Comment ne pas adhérer à ça ? Comment ne pas en faire un cri de
paix, une philosophie de soin, de vie ? Comment ne pas le graver sur tous
les lieux de soins. La liberté, ça soigne. »
ISP, IDE, Polyvalentes, peu importe au fond. A l’instar des
Compagnons, chacun de nous reçoit en héritage, que nous le voulions ou non, le
patrimoine et les secrets d’un métier et d’une culture, des valeurs et
traditions ancestrales, que nous devrions avoir à cœur de léguer à notre tour
aux jeunes générations. Nul besoin d’être jaloux de ce savoir qui ne nous
appartient pas. Laurence avait à cœur de faire fructifier une tradition dont
elle se vivait comme une dépositaire. Transmettre pour elle, c’était une
manière d’aimer, ce qu’elle transmettait et celle à laquelle elle le
transmettait en toute confiance. La transmission de ce que nous ont légué les
Anciens, ceux que je ne crains pas de nommer nos maîtres est charge, mission,
obligation, culture. On transmet les savoirs, les valeurs et les comportements
indispensables pour l’autonomie, l’épanouissement mais aussi la socialité et
l’employabilité des individus. S’il faut aujourd’hui consolider les savoirs en
psychiatrie, c’est que les IFSI échouent à assumer cette transmission-là.
L’initiation est un commencement. L’aspirant, l’étudiant s’élève
peu à peu, par l’étude, l’ascèse et le travail. En transformant le matériau de
base en objet utile et beau, il se transforme lui-même et acquiert
Elle se refusait à dresser les infirmiers.
« Je dors mal parce qu’il y a quelqu’un qui est mort dans ma
chambre il y a longtemps. »
Abderkader casse un peu l’ambiance. Mais peut-être est-ce parce que le
groupe avait des choses comme ça à dire que la séance se traînait, qu’on
parlait de tout et de rien et surtout de ce qui remonte, de ce qui ne passe
pas.
« Michel A. est mort. C’est une infirmière qui l’a empoisonné. Je dors
dans sa chambre. » Saïd reprend à
son compte la phrase d’Aderkader.
Les soignants font remarquer qu’il est difficile d’en parler, qu’une
enquête est en cours, qu’on ne sait pas ce qui s’est exactement passé. C’est le
secret de l’instruction même si le Dauphiné Libéré en parle.
C’était une infirmière qui se trompait, qui faisait des erreurs.
Fallait voir l’état où elle se mettait l’infirmière. Elle arrivait tous les
matins défoncés. Elle n’était pas malade. Et pourtant. Le sujet est glissant.
Une enquête est effectivement en cours. Nous ne pouvons que faire la chronique
de ce que dit le groupe.
Tu te rappelles de C. l’infirmier qui est parti en retraite maintenant.
Le groupe s’anime. Les anecdotes fleurissent. Toutes traitent d’une certaine
forme de violence institutionnelle. Des infirmiers violents, c’est un peu comme
un pompier pyromane. Mais chez les pompiers, on ne garde pas les pompiers
pyromanes.
On a l’impression que chacun fait ce qu’il veut, qu’il n’y a pas de
règle, pas de loi. Ou alors seulement pour les patients.
Quand l’ancien directeur des soins arrivait, tout le monde était au
garde à vous. Tout le monde écoutait. Plus personne n’écoute personne.
Une infirmière doit s’occuper des malades. Elle doit être gentille,
polie. Elle ne doit pas crier. Celle-là s’est trompée. Non, non c’était volontaire. Elle
augmentait les doses en douce.
L’hôpital je l’ai connu comme si je l’avais fait.
Il y a quelque chose de pourri dans le Royaume de France.
Le cadre doit dresser les infirmiers !
Non ! hurle Laurence. »
Ne pas dresser les infirmiers mais
transmettre inlassablement une certaine idée du soin, une certaine mystique du
soin. Nous ne savons pas ce que nous faisons quand nous faisons ce que nous
faisons, nous ne savons pas ce que nous disons quand nous disons ce que nous
disons. Les jeunes infirmières du CHU, quand elles disent qu’elles en parlent à
leur compagnon ou à leur compagne ne savent pas non plus ce qu’elles disent.
Dans le compagnonnage, l’apprenti ne nomme pas le compagnon qui l’initie au
métier son compagnon. Une telle adresse supposerait une relation d’égalité qui
doit être attestée par un certain nombre de rituels. L’apprenti en réfère
toujours à celui qui est son maître. Lorsqu’elles disent j’en ai parlé à mon
compagnon, elles disent surtout que l’infirmier ne saurait être un maître en
soins avec tout ce que cela implique. Nos gouvernants dans leur grande sagesse
en créant le tutorat ne disent-ils pas autre chose ? L’infirmier ne
saurait être un maître en matière de soin en dépit du fait qu’il ne sait pas ce
qu’il fait quand il fait ce qu’il fait.
Quant à Laurence, elle fut un maître
jusqu’à ses derniers jours et à son corps défendant. Elle le fut encore,
lorsque malade, elle fut confrontée aux soins en tant que patiente. Le soin est
une grande souffrance pour les infirmières. Plus elles sont exigeantes
professionnellement, plus elles souffrent des soins qui leur sont dispensées. Malade,
elle a enduré des soins aux antipodes de ce qu’elle avait enseigné tout au long
de sa carrière professionnelle. Des soins qui n’étaient que techniques, des
soins d’où l’aspect humain était absent. Cela, peut-être, la fit souffrir plus
encore que la douleur provoquée par le cancer. Elle pouvait supporter la maladie
quitte à en mourir mais l’absence de qualité et d’exigence dans les soins qui
lui furent proposés sont restés jusqu’à l’ultime moment une blessure que rien
ne cicatrisa.
ISP, Centre de
Texte présenté le 16 mars
2007 à Brumath au cours des journées de l’APREPA dont le thème était ‘L’art de
soigner ».