Approche technique de l’entretien infirmier


Elles tiennent toutes les deux la banderole. La foule colorée emplit l’avenue Georges Pompidou et n’en finit plus de hurler sa colère. Elles viennent de Briançon, à 80 kilomètres de Gap pour manifester contre le projet Fillon. Elles sont infirmières et militantes. Nous papotons comme nous pouvons, assourdis par les tambours du Bronx. Comment en sommes-nous venus à crier le mot entretien  Je ne m’en souviens plus. Elles se rappellent que lorsqu’elles étaient en première année, je suis venu à Briançon les initier à l’entretien infirmier.
«
C’est grâce à toi que je fais des entretiens.
-        ?
-        Oui, je me souviens du buspar et de tout ce que tu nous as expliqué.
-        C’est vrai que c’était sympa d’associer nos premiers retours de stage et cette initiation aux entretiens.  »
L’enseignante de psychiatrie de Briançon avait estimé nécessaire de commencer très tôt la formation aux entretiens infirmiers. Elle m’avait donc demandé de défricher le terrain à partir des vécus du premier stage. Comme aucun d’entre eux n’était allé en psychiatrie, ma contrainte était de leur proposer une première approche de l’entretien à partir de situations de gériatrie, d’orthopédie et de rééducation. La gageure était intéressante dans le sens où je n’ai aucune expérience de ces disciplines médicales. Il fallait donc tout m’expliquer parce qu’évidemment je n’y comprenais rien. J’avais autant à apprendre des étudiants qu’eux de moi. J’aime bien ce genre de situations. J’ai ainsi découvert comment un étudiant avait entrepris de lire Les Misérables à un vieil homme fatigué, comment un autre installait une vieille dame devant la fenêtre qui donnait sur la montagne et lui décrivait les beautés alpines, les skieurs qui descendaient. Les situations qui les mobilisaient étaient toutes des situations de soin complexes qui associaient la souffrance du corps et celle du psychisme. Nous avons passé une fabuleuse journée de formation. Je leur avais ainsi raconté l’histoire d’une patiente hospitalisée pour un sevrage au tranxêne. Son psychiatre lui avait prescrit du buspar qui a l’avantage de ne pas provoquer de dépendance. Nous avions fait une série d’entretiens au cours desquels elle m’avait fait part, entre autres de ses hésitations. Elle devait partir pour une ville ensoleillée afin de bénéficier d’une luxothérapie (thérapie par la lumière qui, pensait-elle, pouvait l’aider à soigner sa dépression). Elle devait partir en bus et se demandait si elle le prendrait ou non. «ne sais pas quand le bus part.  » L’hospitalisation avait été brève et je n’avais plus eu de nouvelles jusqu’à une nouvelle hospitalisation un an plus tard. Elle avait repris l’entretien précisément là où nous l’avions achevé en me disant  «bus a fini par partir.  » Il s’agissait pour moi d’illustrer la question de la continuité des entretiens, d’une hospitalisation à l’autre, continuité que l’on peut observer aussi bien chez les patients névrosés que chez les patients qui souffrent de psychose.
La question de la formation aux entretiens m’apparaît bien complexe. L’entretien me semble davantage renvoyer à la question de l’être qu’à celle d’un savoir technique à maîtriser. Je suis convaincu qu’au fond, il n’est pas possible de former qui que ce soit aux entretiens. La seule formation me semble être la psychothérapie personnelle. Mais cette conviction ne m’empêche pas de chercher un chemin car il est évident que très peu d’infirmiers entreprendront une telle démarche. Cette contradiction me travaille et je suis constamment en proie au doute dès que je me retrouve en position de former des collègues ou des étudiants à la pratique des entretiens infirmiers. La remarque de mes deux jeunes collègues me fournissait quelques éléments de réponse.
La demande des IFSI et des infirmiers eux-mêmes est bien souvent une demande de recettes ou de techniques comme si un entretien se pratiquait selon des procédures aussi rigoureuses qu’une injection ou que la pose d’une sonde urinaire. L’entretien, quel que soit, son objectif et son type est infiniment plus complexe que n’importe quel soin technique. Comment approcher cette complexité 

Qu’est-ce qu’un entretien 

Le mot entretien, vient du verbe entretenir qui signifie étymologiquement tenir ensemble. Il signifie à la fois les soins, les réparations, les dépenses matérielles qu’exige le maintien en bon état d’un objet, ce qui est nécessaire à l’existence matérielle d’un individu, d’une collectivité et l’action d’échanger des paroles avec une ou plusieurs personnes, et le sujet dont on s’entretient. L’entretien, ce qui permet de tenir ensemble, est le principal outil de communication pour l’infirmier de secteur psychiatrique.
L’entretien n’est pas une conversation.
Echanger avec un patient autour de résultats de matchs de foot peut-être important mais ce n’est pas un entretien. Dès que la conversation est préparée, orientée dans l’intention d’atteindre un résultat (obtenir un renseignement, tirer au clair une question, informer quelqu’un de son point de vue, négocier, écouter), il ne s’agit plus d’une conversation mais d’un entretien.
L’entretien n’est pas un interrogatoire.
L’entretien est un dispositif par lequel un soignant répondant professionnellement à une demande d’aide concernant un patient, favorise la production d’un discours de ce patient pour obtenir des informations et agir sur la problématique subjective de ce patient.
Il s’apparente à une interview dont les objectifs ne seraient pas seulement d’extraire de l’information, mais également de créer le cadre nécessaire pour que cette information puisse être restituée et élaborée par le patient. L’entretien infirmier donne lieu à une transmission écrite dans le dossier de soin. Il a le projet thérapeutique du patient et la démarche de soin comme références.

Différents types d’entretien

Il existe de nombreuses façons de catégoriser les entretiens infirmiers.
Selon le but recherché.
On peut repérer trois sortes d’entretiens selon le but recherché : l’entretien de diagnostic ou de recueil de données, l’entretien de soutien, et l’entretien intervention. Ces actes sont en fait emboîtés de telle sorte que le dernier présuppose le deuxième qui présuppose le premier. L’ensemble des actions nécessite une cohérence interne qui est donnée à la fois par la théorie de soin et par la démarche de soins.
L’entretien de recueil de données est essentiellement constitué par une exploration de la problématique psychique, physique et sociale du patient. Il est un moyen d’établir une base de données à partir desquelles, les soignants pourront élaborer un plan de soins. Il ne se limite évidemment pas à cela. Il est surtout un temps relationnel.
L’entretien de soutien est essentiellement constitué par la fonction de recueil de données et par la fonction de protection, de portage des affects du patient qui permet un certain relâchement de la tension psychique et favorise l’expression du problème.
L’entretien d’intervention ou thérapie proprement dite, est constitué par la fonction de recueil de données, de soutien et de traitement qui par un remaniement des modes de pensée et des comportements du patient, vise une amélioration de l’état psychique du patient.
Selon la forme utilisée
Selon la forme utilisée on peut définir deux formes d’entretiens, l’entretien structuré et l’entretien non structuré.
Les entretiens structurés sont définis comme ceux que l’on utilise particulièrement lorsque la demande d’aide du patient porte sur un problème précis à régler rapidement ou lorsque ce problème nécessite une solution à court terme. Les processus employés à cette fin sont ceux qui s’appliquent dans la démarche de résolution de problèmes. La démarche d’intervention en situation de crise est de ce type. On peut l’utiliser chaque fois que nous voulons, informer, conseiller, recueillir de l’information, examiner une question. Il n’est qu’un outil de travail, qu’un moyen au service du but à atteindre.
Les entretiens non-structurés sont des entretiens où la demande d’aide du patient ne porte pas sur un problème précis à résoudre mais sur une situation difficile avec laquelle il doit apprendre à vivre. Il s’agit d’un entretien au sens le plus strict puisqu’il trouve sa justification par lui-même; qui est d’entretenir l’autre, de lui donner cette opportunité de se tenir dans l’entre-deux de la relation. C’est un entretien centré sur la personne, et, plus encore, sur la relation entre les deux personnes qui s’y engagent. Le patient retire de cet entretien un appui, un étayage, une référence, un lieu qui lui permet de se situer, de se reconnaître, de s’accepter.
Ces deux stratégies ne s’opposent pas nécessairement. Il est possible dans un même entretien, et dans certains cas préférables de combiner les deux démarches, le besoin d’aide du patient et son évolution au cours des entretiens feront ressortir la nécessité de l’une ou de l’autre.
L’entretien structuré met l’accent sur le problème à résoudre et laisse une plus grande place à l’expertise du soignant, tandis que l’entretien non structuré s’intéresse en premier lieu à la personne en difficulté et invite le soignant à jouer avant tout un rôle de facilitateur.
Pour de nombreux infirmiers, l’entretien structuré est un entretien cadré, qui a lieu dans un bureau et implique la prise de notes détaillées alors que l’entretien non-structuré se ferait à la demande du patient dans un couloir, ou dans tout autre lieu choisi par le patient. Ils préfèrent évidemment pratiquer l’entretien non-structuré qui leur semble être moins impliquant. Il me semble que les entretiens non-structurés ainsi définis gagneraient à être nommée «
  » pour reprendre l’expression canadienne. Qu’ils soit structuré ou non, tout entretien a un cadre, un but défini par les deux partenaires et implique un feed-back écrit.
Selon les conditions particulières à l’entretien
On différencie les entretiens selon quatre conditions particulières : l’entretien unique, l’entretien de solution de problèmes, l’entretien de support affectif et de situation de crise et les entretiens fréquents et de courte durée.
L’entretien unique est effectué chaque fois que la rencontre avec le patient est unique (entretien d’accueil dans les CAC, infirmière scolaire, en chirurgie d’un jour, orientation, etc.). L’infirmière rencontre le patient pour répondre à une demande spécifique. Ce type d’entretien exige beaucoup d’habileté de la part du soignant pour entrer en contact et identifier la demande d’aide du patient. L’entretien est un entretien très structuré qui doit permettre de cerner rapidement le besoin d’aide du patient. Le soignant doit également créer le climat de confiance nécessaire à l’expression de la demande, malgré le peu de temps imparti. Il doit clarifier rapidement le but de l’entretien et guider le patient au besoin vers des attentes réalistes en fonction du temps disponible. Si le soignant identifie un besoin d’aide tout aussi important ou plus important à ses yeux que celui que communique le patient, il peut l’en informer tout en indiquant que ce besoin ne fera pas l’objet de l’entretien. A la fin de la rencontre, le soignant apportera une attention particulière à l’évaluation des résultats de l’entretien en fonction de la demande d’aide. (1)
L’entretien de solution de problèmes renvoie à la démarche de soins classique. Autrement dit recueil de données, analyse des données, hypothèse diagnostique, objectifs poursuivis, plan de soin, évaluation. Ce modèle n’est pas à utiliser systématiquement dans tous les entretiens. Son utilisation dépend de la demande d’aide du patient et de la façon d’y répondre. Cette solution est à privilégier lorsque l’on a peu de temps à sa disposition ou si la demande du patient se définit par rapport aux problèmes à résoudre. L’infirmière peut utiliser l’entretien comme moyen d’accompagner le patient dans la recherche et l’expression de son vécu. Elle peut prodiguer un enseignement sur des situations de santé.
L’entretien de soutien émotif et de situation de crise. Lorsque le patient manifeste avant tout le besoin d’être compris et supporté émotivement dans ce qu’il vit, ce type d’entretien peut être privilégié. Lors de cet entretien, l’infirmier centre ses interventions sur la reconnaissance et l’accompagnement des processus psychologiques présents. Ce type d’échange est pertinent quand le vécu du patient ne se définit pas à partir d’un problème à résoudre mais en tant que condition de vie à reconnaître et à assumer, quand le but de l’entretien est de créer une relation de confiance qui permette au patient de s’exprimer. Ainsi, on utilisera ce type d’échange face à l’inquiétude ressentie par une personne âgée à qui on annonce qu’elle va être placée en institution, face aux réactions d’une adolescente qui apprend qu’elle est enceinte alors qu’elle ne le désire pas, face à la personne à qui on annonce qu’elle devra vivre avec une cicatrice suite à une brûlure importante au visage, etc. Ces situations sont courantes. Elles varient en intensité en partant du simple inconfort psychologique à la situation de crise. (1)
Tout en respectant les principes généraux de l’entretien, l’infirmier doit adapter ses interventions aux conditions physiques et psychiques du patient de même qu’aux conditions dans lesquelles a lieu la rencontre. Si le patient présente un potentiel suicidaire important, l’infirmier se positionnera différemment s’il intervient dans le cadre d’une visite à domicile, dans un premier entretien, appelé par le service d’urgence de médecine générale, dans une Unité Fonctionnelle. Il sera davantage directif, adoptera des mesures d’urgence, utilisera au cours des premiers entretiens une démarche de soutien affectif et de solution de problèmes à court terme. Dans d’autres circonstances où n’apparaîtra aucun risque vital, il fera un entretien du type non structuré et mettra l’accent sur le support émotif, et encouragera le patient à faire son propre cheminement intérieur.
On parle de crise chaque fois “ 
qu’une personne rencontre un obstacle à des objectifs importants de la vie, obstacles qui est, pour un certain temps, insurmontable par le recours aux mécanismes ordinaires de la solution de problèmes. Une période de désorganisation s’ensuit, une période de trouble, pendant laquelle elle tente à maintes reprises, sans succès, d’arriver à une solution  ” Caplan (1961).
Les entretiens fréquents et de courte durée peuvent être assez facilement utilisés en psychiatrie et dans les soins généraux. Ils se pratiquent au moment des soins et des traitements physiques dispensés, des situations banales de la vie quotidienne (accompagnement en consultation, sorties culturelles, accompagnement à la cafétéria, séjours thérapeutiques, distribution de traitement, toilette, repas, etc.).
Le traitement, le soin à donner, la situation particulière où a lieu la rencontre déterminent souvent le contenu et la durée de ces rencontres. Ces courts moments peuvent être utilisés pour établir une relation d’aide privilégiée avec le patient.
Si l’infirmier parvient à identifier et à favoriser la présence de certains fils conducteurs entre ces courts moments de rencontre, il lui sera possible malgré le peu de temps dont il dispose, d’entrer en relation avec le patient et de faire en sorte que cette relation soit aidante en fonction des besoins du patient. Ces fils conducteurs sont le contact entre les personnes, le but de l’échange et les modalités de son déroulement. Ces trois aspects considérés à chacune des rencontres permettent d’assurer la continuité entre elles. L’ensemble des rencontres qui ont lieu dans une journée peuvent servir d’unité de regroupement. Autrement dit, l’infirmier considère que chaque occasion de rencontrer le patient au cours de la journée fait partie d’un même échange, et s’assure d’une continuité entre ces moments comme c’est le cas au cours d’un entretien où différents thèmes sont discutés. L’avantage de ce procédé est que mobilisé sur une autre tâche, le patient peut être plus réceptif, moins défensif. L’élaboration d’une démarche de soins connue par chacun, les diagnostics infirmiers mémorisés permettent d’assurer une continuité intellectuelle  ; à chacun de ces moments c’est toujours le même problème que nous travaillons selon des angles différents. Ainsi pourra-t-on travailler l’estime de soi, le travail de deuil ou tout autre problème repéré.
Selon les techniques utilisées et les populations auxquelles il s’adresse
On différenciera l’entretien en alcoologie, auprès d’autistes, auprès d’agresseurs sexuels, avec une médiation et le génosociogramme.
En alcoologie, le soignant trace une ligne droite sur une feuille blanche et invite le patient à y noter par ordre chronologique les différentes étapes de habitus alcoolique. Il note évidemment le récit que le patient y associe ou non. Ce travail peut occuper plusieurs entretiens. A l’issue de cette première étape, il prend une autre feuille blanche et y trace une ligne droite et invite le patient à noter par ordre chronologique les différents événements de sa vie. Ce travail peut occuper là encore plusieurs séances. Le soignant invite ensuite le patient à faire la synthèse des deux lignes et à y rechercher d’éventuels liens. L’avantage de cette procédure est qu’elle permet au patient alcoolique qui a du mal à verbaliser de mieux visualiser les liens entre alcoolisation et péripéties de vie.
L’entretien auprès d’autistes, de patients mutiques ou comateux consiste à verbaliser pour le patient à partir de ses réactions. Ainsi lorsque l’enfant autiste s’agite au retour d’une permission chez ses parents, le soignant fait l’hypothèse que son séjour chez ses parents s’est mal passé. Les réactions physiques de l’enfant autiste lui confirment ou non la justesse de son interprétation. S’il s’agite de plus belle, il considèrera qu’il se trompe et explorera une nouvelle hypothèse ou considèrera ou contraire que l’hypothèse est juste et dans ce cas poursuivra son interprétation des mouvements de l’enfant jusqu’à se qu’il retrouve son calme. (2)
L’entretien auprès d’un agresseur sexuel consiste à le faire décrire très précisément ses fantasmes, les scénarios qu’il imagine, qu’il réalise. Ce type d’entretien suppose une précision hallucinante, très éprouvante pour le soignant en ce qu’elle l’oblige à entendre des contenus que l’on trouvera facilement monstrueux. (3)
Le génosociogramme est la représentation graphique d’une constellation familiale sur plusieurs générations. C’est un bon moyen de rassembler dans une figuration graphique tous les éléments recueillis durant les entretiens familiaux, et de repérer les schémas transgénérationnels de fonctionnement de la famille. (4)
L’entretien à médiation est proposé sur le modèle illustré par G. Pankow qui utilisait la terre comme matériau facilitant la parole. On peut considérer que l’entretien en pédopsychiatrie qui invite le jeune enfant à jouer et dans lequel l’adulte participe au jeu, que les entretiens qui prennent le dessin comme support, que le génosociogramme sont des formes d’entretiens à médiation. Le but est toujours de faciliter l’expression du patient.
A.M Leyreloup et E. Digonnet (5) distinguent les entretiens de consultation infirmière, d’accueil, téléphonique, de crise, de suivi, à visée psychothérapique, avec la famille, dans la relation d’aide, à médiation (autour d’un objet quel qu’il soit), mère-enfant et enfin l’entretien mené par le cadre-infirmier.
Les types d’entretien sont donc extrêmement variés. Les techniques à utiliser le seront tout autant. Il apparaît d’autant plus nécessaire de pouvoir s’y repérer.

Les variables en cours dans l’entretien

Les conditions dans lesquelles se déroulent les entretiens sont très diversifiées. Selon les situations, l’infirmière peut réaliser un entretien au chevet du patient, dans une salle d’attente de radiologie avant un scanner, dans l’eau en maillot de bain à la piscine, dans une rame de métro bondée, etc. Quelles que soient ces condition, certaines caractéristique propres à l’entretien y sont toujours présentes. Parmi ces caractéristiques, J. Chalifour (1) décrit les variables en cours dans l’entretien, les phases de son déroulement et les types d’entretiens réalisés. L’observation et l’échange avec plusieurs infirmières travaillant dans différents milieux ont permis à J. Chalifour d’identifier 7 variables  le contexte de l’entretien, les caractéristiques du patient, les caractéristiques de l’infirmière, le but poursuivi dans l’entretien, le contenu traité, la durée et la fréquence des entretiens, l’endroit où il a lieu.

Les phases de l’entretien

J. Chalifour, après une revue de la littérature, propose de découper l’entretien en plusieurs phases. L’entretien se déroule dans le temps, il a donc un début, un corps et une fin. Il comporte trois principales composantes qui sont : le contact affectif et physique, le but ou les thèmes abordés et les modalités qui en favorisent le déroulement.
Les trois temps correspondent à la clarification du but de l’entretien et des moyens d’y répondre, à la réponse au besoin d’aide selon les modalités choisies, et l’évaluation des résultats obtenus et des moyens utilisés.
Il s’agit d’un cadre général. L’étude et l’analyse d’entretiens précis peut montrer d’autres étapes dans l’entretien, mais leur diversité est telle qu’il apparaît impossible de les généraliser. Ainsi par exemple, on pourra remarquer que l’utilisation du
focusing constitue une véritable rupture dans la continuité du corps de l’entretien, il y a un avant, un pendant et un après. On peut faire le même constat autour d’une interprétation pertinente.
La préparation à l’entretien
Lorsque l’infirmier est à l’origine de l’entretien, avant de commencer, il doit préciser ses attentes quant à cette rencontre avec le patient. S’agit-il d’échanger autour de la sortie prochaine, d’une permission de week-end, d’un rendez-vous avec un employeur, de sa difficulté à supporter la frustration  La meilleure façon de se préparer à l’entretien est de relire le compte-rendu des entretiens précédents. Plus le compte-rendu est précis, documenté, mieux l’infirmier peut identifier les objectifs spécifiques à l’entretien en gestation. Cette relecture des notes présente aussi l’avantage de permettre au soignant de faire des liens avec les entretiens précédents. Le patient pourra ainsi, lui aussi, percevoir l’évolution de ses questionnements et les réponses qu’il a déjà expérimentées. Il s’agit d’instaurer un sentiment de continuité. De nombreux patients ne relient pas les temps d’entretien entre eux et les vivent comme une sorte d’exutoire immédiat à des moments de crise ou d’angoisse. Les liens opérés par le soignant leur permettent de mieux percevoir le travail psychique qu’ils accomplissent au cours des entretiens. Ce retour aux entretiens précédents permet aussi au soignant de se délester du sentiment que rien ne bouge, que la prise en charge piétine. Il peut ainsi plus facilement repérer les répétitions inévitables et les évolutions tout aussi inévitables mais poins facilement perceptibles. Des notes succinctes comme y invitent une interprétation erronée de la loi de mars 2002 relative au dossier de soin peuvent rendre plus complexe ce travail préconscient de préparation à l’entretien.
Le soignant identifie le moment de la journée où aura lieu cette rencontre en s’assurant de sa disponibilité et de celle du patient. L’idéal est de fixer un rendez-vous au patient même s’il est hospitalisé. Si l’entretien est programmé, les collègues de l’infirmier peuvent également plus facilement programmer leurs propres entretiens. Dans le même registre, l’infirmier prévoit la durée de la rencontre. Il détermine ensuite par quels moyens il veut atteindre ses objectifs. Il s’assure ainsi que ces moyens sont disponibles. Si par exemple, l’infirmier veut travailler avec le patient ses représentations de la schizophrénie à partir du fascicule «
schizophrénie, ça se soigne  », il a intérêt à vérifier que deux exemplaires du livret sont disponibles. C’est aussi pour le soignant l’occasion de s’assurer qu’il maîtrise bien les informations contenues. Le soignant doit également déterminer l’endroit de la rencontre. Chaque entretien a ses règles. Le choix du lieu a son importance. Si l’on commence une série d’entretiens dans un bureau précis, il est important de pouvoir garder le même. Le lieu fait partie du cadre de l’entretien, il permet au patient d’apprivoiser une situation facilement anxiogène. Programmer un entretien c’est rendre disponible le lieu d’entretien. L’infirmier fait en sorte que le lieu choisi favorise l’écoute et l’intimité  chaises confortables, éclairage suffisant, alentours pas trop bruyants, équipe à proximité si le patient est susceptible d’avoir des réactions violentes. Tout doit être prêt pour accueillir le patient et la situation que l’on crée. Il sera ainsi utile si l’on s’installe derrière un bureau et si le patient supporte difficilement la frustration d’ôter de ce bureau tout objet susceptible de servir de projectile mais d’y laisser tout objet permettant à la colère de se frayer un chemin acceptable et non dangereux pour le soignant et le soigné. Le soignant informe ses collègues de l’heure et de l’endroit où a lieu l’entretien et prévient qu’il n’est pas disponible (téléphone, etc.). Enfin, le soignant essaie de se focaliser sur ce qu’il ressent à l’idée de rencontrer ce patient  ses pensées, ses craintes, ses fantaisies, son degré d’intérêt. Il s’agit de se rendre psychiquement disponible avant de recevoir le patient.
Le début de l’entretien
L’entretien débute au moment où les personnes entrent en contact J. Chalifour nous invite à considérer cette étape en fonction du contact, du but et des modalités de déroulement de l’entretien.
Le contact et l’attitude de l’infirmier seront différents selon qu’il s’agit d’un entretien d’accueil, d’un premier entretien ou du énième entretien d’une prise en charge qui s’essouffle. Elle prendra en compte le lieu, les variables précédemment décrites. Nous n’aborderons pas de la même façon un patient alité, un patient en chambre d’isolement, un enfant autiste et un patient alcoolisé. Selon les particularités de la relation, selon les situations cliniques, l’une des premières préoccupations de l’infirmier au moment où il entre en relation avec le patient est d’assurer une présence physique et affective qui sera perçue par le patient. Selon l’état du patient, cette préoccupation devient une partie importante voire essentielle de l’entretien (ex : état confusionnel aigu). Il est d’autres situations où le soignant devra se faire le plus discret possible, comme s’il n’était pas là. Chaque fois que la présence du soignant peut être perçue par le patient comme une intrusion dans son le soignant doit être discret jusqu’au moment où le patient lui manifeste qu’il lui ouvre la porte de ce monde.
La présentation est un temps essentiel s’il s’agit d’un premier entretien. Le patient doit savoir qui est le soignant et pourquoi il lui propose un entretien. Tous les patients n’ont pas acquis que l’infirmier était un professionnel capable de l’écouter. Certains patients préfèrent voir le médecin plutôt que l’infirmier qu’ils ne perçoivent que comme un exécutant des prescriptions médicales. L’énoncé des objectifs de l’entretien permet au patient de se situer et de situer le soignant.
Mais là encore, tout dépend des variables de l’entretien. S’il est essentiel de regarder le patient, il faut l’éviter à tout prix de croiser le regard de l’enfant autiste, pour lequel notre regard est intrusion. Il est recommandé d’éviter de regarder avec trop d’insistance le patient ivre ou en proie aux effets d’un toxique. Si l’on est une femme, il convient d’être prudente avec les patients d’origine maghrébine. Regarder le patient, lui donner la main, attirer son attention est en général une attitude recommandée sauf dans certaines situations. Il faut parfois manifester une certaine distance, notamment avec certains patients psychotiques persécutés. Lors d’un premier entretien, il faut évidemment se présenter, saluer le patient si on ne l’a pas encore rencontré, l’inviter à s’asseoir. L’entretien est à peine commencé que le jeu relationnel s’installe déjà. Un échange de regards, la façon de serrer la main, regard qui fuit, main qui se refuse, qui broie celle du soignant, main moite qui transpire d’angoisse, moue d’ennui, désabusée. Certains patients vont coller leur chaise contre celle du soignant, d’autres vont la reculer, certains resteront debout, sur le qui-vive, prêts à repartir. Tous les cas de figure sont possibles, d’où l’intérêt de préparer la pièce avant l’entretien. On ne peut laisser le hasard décider des places respectives. Il faut s’assurer par exemple que le fauteuil derrière le bureau n’impose pas de fait une position haute ou basse à l’un des partenaires. Au cours de l’entretien les positions doivent pouvoir s’inverser sans que la disposition architecturale ne vienne complexifier les échanges. Le patient doit pouvoir investir tous les éléments du cadre. Le soignant peut ainsi percevoir et analyser à la vitesse de l’éclair la façon dont le patient se sert de ce cadre la façon qu’il a de l’habiter. Il pourra ainsi noter que le patient, au fur et à mesure de l’entretien se glisse de plus en plus profondément dans le fauteuil proposé. Il pourra noter que le patient relève progressivement la chaise pour être à la hauteur du soignant et tenter de le dominer. Le soignant parce qu’il aménage le cadre peut ainsi lire le comportement du patient. Il se donne les moyens de pouvoir le verbaliser si cela lui paraît pertinent.
Si le patient est alité, le soignant se placera dans son champ de vision. Il le fera d’autant plus que le patient est mal-entendant ou a des difficultés à s’exprimer de telle sorte que l’un ou l’autre puisse lire sur les lèvres de l’autre. Il s’assurera également du confort du patient. L’entretien ne doit pas impliquer d’efforts. Les deux partenaires doivent être à la même hauteur, sauf intention contraire du soignant. Il peut s’avérer opportun dans certaines séquences de se mettre plus bas que le patient pour lui manifester que c’est lui qui domine l’échange.
Proposer un entretien à un patient, c’est proposer un mode d’entrée en relation, le fait de parler de soi, de son vécu peut être un moyen d’inviter au rapprochement  «
avais hâte de voir comment s’est passé votre sortie  », «me semblez un peu fatigué.  ». L’échange est ainsi personnalisé. Il ne s’agit pas de systématiser ce genre d’entrée en matière. Il faut considérer ces quelques techniques comme des outils que le soignant a dans sa boîte à outils. Il ne sert à rien de sortir un marteau pour dévisser un écrou. L’utilisation de chaque outil est fonction de l’objectif partiel ou global du soignant et du soigné.
Ainsi que le note J. Chalifour, « 
en relation d’aide, il faut souvent quelque temps avant que les thèmes qui préoccupent la personne émergent. Dès qu’ils apparaissent, l’infirmière doit les reconnaître et les indiquer au client. Celui-ci est invité à choisir parmi ceux qu’il communique sur le sujet qui le préoccupe tout particulièrement. Par exemple au début d’un bain de lit, le client peut parler de la nuit qu’il vient de passer, de la médication qu’il prend, de l’inconfort qu’il éprouve à être dépendant d’une autre personne pour assumer ses soins de base. En l’écoutant attentivement, l’infirmière notera que c’est la dépendance qui le préoccupe le plus. Elle pourra lui en faire part et voir s’il désire en parler. En explorant ce qu’il vit dans cette dépendance, elle pourra l’aider à reconnaître l’origine de son malaise.  » (1)
En début d’entretien le soignant doit s’entendre avec le patient de façon plus ou moins explicite sur les modalités de déroulement de l’entretien. Ainsi précisera-t-il la durée de l’entretien. Il doit le rassurer quant à la confidentialité des informations qu’il communique. Il est important, si l’on ne veut pas perdre la confiance du patient, de lui dire clairement ce que nous ferons des informations dont le secret met en danger sa santé ou sa sécurité. Nous n’avons pas à garder pour nous ce type d’informations. Il est préférable d’en informer clairement le patient et d’éviter tout marchandage de confidences avec lui. Il est essentiel de rappeler au patient que nous travaillons en équipe et que chaque membre de l’équipe est tenu au respect du secret professionnel. Il peut être important également de décrire son rôle et celui du patient. Le soignant, surtout lors des premières rencontres a, à clarifier son rôle et celui du patient en tenant compte du thème ou de l’objectif de la rencontre. Ainsi, de nombreux patients s’attendent à ce que l’infirmier leur dise quoi faire dans une situation délicate, il convient de préciser que l’infirmier peut explorer avec eux les différentes solutions possibles en aucun cas décider à leur place. Par principe, il faut considérer le patient comme compétent et donc comme le plus à même de décider ce qui est bon pour lui.
S’il s’agit d’entretiens réguliers le soignant peut s’enquérir de ce qui s’est passé pour le patient depuis la dernière rencontre et commencer par le résumé des épisodes précédents. Il peut également proposer au patient de faire ce résumé. Il se rend ainsi compte de la façon dont le patient investit cette relation et les entretiens. Lorsque le patient a une tâche à accomplir d’une séance sur l’autre, l’entretien peut débuter par un rappel de ce qui avait été convenu lors de la précédente rencontre.
Le soignant qui débute un entretien doit être au clair quant aux mécanismes de défense utilisés par le patient, il doit pouvoir les reconnaître, et être à même de lui en proposer d’utiliser d’autres en cours d’entretien. Il doit également être parfaitement au fait des différents symptômes et signes rencontrés en psychopathologie même si le but de l’entretien infirmier n’est pas de poser un diagnostic.
Le corps de l’entretien
Au moment où les personnes sont en contact, où elles ont commencé à clarifier l’objectif de l’entretien ainsi que ses modalités, la rencontre entre dans sa deuxième phase. Cette deuxième phase est davantage à considérer comme un outil pour penser, pour décrire l’entretien que comme une phase très délimitée contrairement au début et à la fin de l’entretien. Le corps de l’entretien est un peu comme le développement dans une dissertation. Il est composé de différentes parties, annoncées en début d’entretien et synthétisées à la fin de la séance. De la même façon qu’il existe plusieurs types de plan dans une dissertation, il existe plusieurs parties dans le corps de l’entretien. Ces parties sont définies par l’objectif de l’entretien, ses modalités, le contenu traité et l’état clinique du patient, ce qu’il peut mobiliser de lui-même au cours de l’entretien.
Le contact étant bien établi, l’infirmier doit maintenant se préoccuper de le maintenir et de l’enrichir.
Selon la fatigue du patient, sa capacité d’attention et de concentration (elle peut être très faible chez un patient schizophrène en crise, qui souffre de troubles négatifs ou chez un patient en état maniaque), l’infirmier privilégie un entretien court, voire très court. C’est la régularité des rencontres qui fera la différence, qui permettra au patient de faire confiance au soignant plus que la durée de l’entretien. Si le soignant sent que l’attention du patient baisse, il peut s’en informer auprès du patient. S’il semble distrait et moins disponible, le soignant doit essayer d’en identifier la cause et, si nécessaire explorer sa motivation à poursuivre l’entretien. L’échange ne peut s’avérer satisfaisant sans un contact soutenu entre les deux personnes.
La clarification du but de l’entretien opéré en début d’entretien sert de fil conducteur au soignant et au soigné. En fonction de ce but, le soignant encourage l’expression du patient, en reformulant, en l’amenant à se centrer sur lui-même, en utilisant les différentes techniques de communication. Si le patient perd de vue le but initial de l’entretien, il appartient à l’infirmier de le lui rappeler et au besoin d’en discuter la pertinence. Il est essentiel de ne pas être rigide. Les associations du patient ne sont pas les nôtres. Toute digression a un sens, implique un lien de pensée entre le contenu abordé et l’apparente fausse piste suivie par le patient. Un recadrage trop rapide interdit les chemins de traverse et la possibilité de lier explicitement des contenus en apparence éloigné. Dans certains cas, le but devra être précisé davantage en fonction de l’évolution et de la direction que prend l’entretien. Il peut en être ainsi lorsque le patient sort du sillon et se met à verbaliser son délire ou lorsque les associations du patient deviennent apparemment incohérentes. Il peut s’avérer alors nécessaire de lui signifier qu’on ne le suit plus, que l’on est perdu, et que l’on a besoin de son aide pour s’y repérer. Lors de cette deuxième phase, l’infirmier s’assure que le déroulement de l’entretien respecte les modalités prévues. S’il s’agit de recueillir des données à partir d’un questionnaire, le soignant encourage le patient à répondre aux questions qui s’y trouvent. Cependant, si en cours d’entretien le patient trouve ce questionnaire trop intrusif, l’infirmier n’est pas obligé de poursuivre envers et contre tout. Il ne lui est pas interdit d’être souple. Il peut examiner avec le patient ce qui le gène dans les questions posées ou maintenir envers et contre tout son questionnement (par exemple s’il s’agit d’un agresseur sexuel qui fuit les questions relatives aux actes accomplis). Le patient peut, à partir d’une question anodine se remémorer un moment important ou douloureux de son passé. Il serait absurde de le faire taire et de le ramener au questionnaire. Le patient peut chercher à noyer le poisson, à répéter encore et encore, les mêmes arguments auxquels il n’adhère pas vraiment. Il peut présenter un faux self au soignant dans le seul but de montrer qu’il est un bon patient bien coopérant. L’infirmier peut faire rappel du temps qui reste à leur disposition, ou encore travailler la difficulté du patient à être dans ce qu’il dit.
La fin de l’entretien
Cette étape débute au moment où les deux partenaires ont atteint l’objectif poursuivi ou encore lorsque le temps alloué à la rencontre est sur le point d’être écoulé. Elle se termine au moment où ils se séparent.
A ce stade l’infirmier fait retour sur l’entretien qui vient de se dérouler, et si cela est pertinent, planifie la prochaine rencontre.
Par signes verbaux et non-verbaux l’infirmier signifie au patient que la rencontre se termine. Il le signifie en mentionnant que le temps de rencontre prévu est écoulé, en se levant, en accompagnant le patient vers la porte, en lui donnant une poignée de main, en l’invitant à parler de son vécu autour de la rencontre et en faisant de même.
A la fin de la rencontre, il est important de faire un rappel du but poursuivi et d’évaluer où en est sa réalisation. Selon le type d’entretien, ce rappel sera plus ou moins explicite. Cette étape de l’entretien offre l’opportunité de faire un retour sur les attentes de chacun et au besoin de les clarifier en vue de la prochaine rencontre. Invité à faire une synthèse de l’entretien, le patient se sentira d’autant plus responsable de ses soins. Il pourra d’autant mieux exprimer ses sentiments, son vécu ce qui lui est souvent difficile (c’est particulièrement vrai pour les patients border-line ou pour ceux qui souffrent de psychose).
Selon les situations et en fonction du but poursuivi, le patient et l’infirmier identifient les tâches que le patient doit assumer jusqu’à la prochaine rencontre. Dans ce sens, certains soignants suggèrent des activités à réaliser comme :
                - expérimenter avec ses proches quelques aspects discutés
                - réfléchir sur un point particulier de la discussion
                - être attentif à certains ressentis.
Ces activités serviront de points de départ à la prochaine rencontre. Cette façon de procéder apparaît tout à fait adaptée si l’entretien porte sur un problème à résoudre.
A ce moment de l’entretien, et toujours selon le but poursuivi, l’infirmier peut rappeler au patient les ententes prises en début d’entretien sur le déroulement de la rencontre:
                - il peut souligner que le temps prévu est écoulé;
                - il peut faire l’évaluation de la démarche utilisée et au besoin prévoir une nouvelle façon de procéder pour la prochaine rencontre;
                - il peut faire un rappel des étapes franchies et indiquer celles à venir;
                - si d’autres rencontres sont à prévoir, soignant et soigné doivent s’entendre sur la date et l’heure (autant que faire se peut). dans certaines conditions de soins, l’infirmier dira simplement au patient quand il reviendra le voir et dans quel but (cas des entretiens fréquents et de courte durée).
Début et fin d’entretiens sont des périodes importantes en référence au cadre de l’entretien, un début et une fin d’entretien bien menées permettent au patient psychotique de supporter la relation sans se sentir envahi, sans chercher à envahir le soignant. L’attention apportée au cadre, la restitution au patient du contenu de l’entretien ont alors une importance thérapeutique majeure. Elles évitent que le patient ne se sente dépossédé de ce qu’il a livré de lui-même, qu’il puisse en quelque sorte se réincorporer ce qui a été échangé avec le soignant.
Le résumé de fin d’entretien facilite également la transmission écrite infirmière, il en constitue la colonne vertébrale.
Après l’entretien
L’entretien achevé, quelques instants suffiront à l’infirmier pour faire un retour sur les moments clés qu’il a vécus. Ce retour peut porter uniquement sur le contenu de la rencontre dans le but de mettre une note au dossier de soin ou de corriger son plan de soins. Il peut aussi porter sur son vécu à un moment particulier de l’entretien.
L’infirmier ne pourra pas relater la totalité de l’entretien, il y a nécessairement perte d’information, perte nécessaire au travail de reconstruction, perte nécessaire au travail de liaison des différents éléments entre eux.
L’infirmier écrit autant pour lui, pour se repérer dans la prise en charge, pour assurer la continuité dans ses interventions d’un entretien à l’autre que pour transmettre à ses collègues ou au médecin. Il faut noter ce que nous aurons besoin de savoir pour le prochain entretien.
Le contenu des entretiens doit évidemment être abordé d’une façon plus ou moins succinctes lors des transmissions infirmières, de telle sorte que chaque membre de l’équipe connaissent les directions travaillées et aillent dans la même direction. Lorsque des réunions d’élaboration collectives de la démarche de soin sont organisées, le compte-rendu oral de l’entretien a évidemment toute sa place et est un constituant majeur de la démarche de soin. Le médecin référent doit constamment savoir où en sont les entretiens infirmiers. Il n
est pas indispensable qu’il en ait une connaissance dans le moindre détail mais il est nécessaire de lui en retracer les grandes lignes et d’une façon générale tout ce qui va favoriser un travail en collaboration.
Les réunions de synthèse qui rassemblent la constellation transférentielle d’un patient sont également un temps essentiel, elles permettent de relier le contenu des entretiens à l’ensemble de la prise en charge, à la dynamique psychique du patient et d’une façon générale à son histoire. Si de telles réunions n’existent pas, le risque est grand de contribuer à la dispersion des informations et au morcellement du patient.
La régulation des entretiens est un temps essentiel. C’est au cours de ces réunions parfois nommées aussi analyse des pratiques, en général animées par un psychologue que le soignant peut faire un retour sur les entretiens et mieux mesurer l’impact relationnel de ces entretiens. Il peut également y prendre conscience de ses points aveugles.

Se former à l’entretien infirmier


On n’a jamais fini de se former à l’entretien. On n’a jamais fini de s’y former parce que l’aspect technique est relativement secondaire. Il s’agit de s’interroger constamment sur la pertinence du chemin que l’on contribue à ouvrir. Chaque entretien est la découverte d’un monde inconnu avec ses jardins merveilleux et ses plantes carnivores, avec ses sables mouvants qui risquent à tout instant de nous aspirer, de nous engloutir, et ses sentiers odorants riches en fraises des bois, en noisette, en coucher de soleil. Il suffit d’un rien, d’un peu d’inattention, de laisser aller pour que le paysage enchanteur se transforme en cauchemar. La clinique est notre seul guide. La clinique et la connaissance de soi. L’entretien est un voyage et comme tous les voyages on n’y rencontre d’abord que soi. Il faut accomplir un réel effort pour y découvrir l’autre. Un autre, tellement proche et tellement différent.
Il est des voyages que l’on n’entreprend pas sans s’y être préparé par un long cheminement. C’est le cas de l’entretien. La meilleure façon de cheminer est la psychothérapie personnelle. C’est en se confrontant soi à la situation d’avancer pour soi en se confrontant à un autre, en posant ses contenus intimes, en ressentant la force de ses affects, en éprouvant la difficulté de les nommer que l’on se forme à l’entretien. On n’en est pas quitte pour cela. Il nous arrivera peut-être, à un moment ou à un autre, selon les rencontres que nous ferons de retourner sur le divan pour une tranche d’analyse ou de psychothérapie.
Cette psychothérapie personnelle est la voie royale, la plus exigeante mais tous n’ont pas cette exigence et tous ne peuvent pas l’avoir.
On se forme à l’entretien par l’entretien. C’est en forgeant que l’on devient forgeron. Il faut constamment revenir sur ses notes d’entretien, constamment s’interroger en réunion clinique, en régulation ou en supervision, lors de groupe Balint. Il faut se confronter à ses points aveugles pour en prendre conscience, pour tenter de les dépasser.
On se forme à l’entretien par l’entretien, en formation continue, avec des jeux de rôle où l’on occupe alternativement la place du soignant et celle du soigné, en multipliant les situations d’entretien.
On se forme à l’entretien en se confrontant à la théorie, aux théories  analytiques, systémiques, comportementales jusqu’à opérer sa propre synthèse théorique, synthèse constamment à remettre en question, jusqu’à trouver son style.
On se forme à l’entretien en testant les techniques de communication  reformulation, clarification, reflet, focalisation, etc.
On se forme à l’entretien par la lecture dans la presse professionnelle des entretiens des autres soignants, en mûrissant à partir de leurs expériences, de leurs failles, de leurs limites, de leurs réussites. On se forme en participant aux entretiens médicaux, en étudiant la façon qu’ont les psychiatres de mener leurs entretiens, en les critiquant, en s’en inspirant, en les dépassant parce que nous ne sommes pas psychiatres. On se forme à l’entretien avec nos collègues, auprès de seniors d’abord, en les pratiquant en duo, puis seul ensuite.
On se forme à l’entretien en écoutant les interviews sur les radios ou à la télévision. En général on y rencontre surtout ce qu’il ne faut pas faire  les reformulations sont rares, l’animateur cherche surtout à se mettre en vedette lui plutôt que la personne qu’il interroge.
On se forme à l’entretien par l’écoute, avec tout ce que les patients nous confient, avec tout ce qu’ils élaborent, avec la confiance dont ils nous honorent.


Dominique Friard

Notes 
1-        CHALIFOUR (J), La relation d’aide en soins infirmiers. Une perspective holistique-humaniste, Editions Lamarre, Québec, 1989. Il faut rendre hommage à la qualité du travail de conceptualisation de J. Chalifour dont nous nous sommes beaucoup inspirés.
2-        BALAT (M), Autisme et éveil de coma, Signes et institution, Théétète Editions, Canet en Roussillon, 1997.
3-        HAMON (F), Délinquance sexuelle et crimes sexuels, Masson, Collection Souffrance psychique et soins, Paris, 1999.
4-        Mc GOLDRICK (M), GERSON ®, Génogrammes et entretien familial, ESF éditeur, Paris, 1990.
5-        LEYRELOUP (A.M), DIGONNET (E), Pratique de l’entretien infirmier, Masson, Collection Souffrance Psychique et Soins, Paris 2000.



Techniques de communication


* Questions ouvertes : mode d’entrée en relation, fait sentir au patient que nous l’écoutons et que nous nous intéressons à ses problèmes, lui laisse réellement le choix de répondre.

*
Réitération ou reflet simple : répéter l’idée principale que vient d’exprimer le patient. Selon que vous souhaitez renforcer ce que dit le patient ou centrer l’entretien sur un point qu’il a soulevé, reprenez en totalité ou en partie ce qu’il vient de dire.

*
Clarification : lorsque vous n’êtes pas sûrs d’avoir compris ce que dit le patient. Cette technique permet également au patient de préciser ses sentiments, ses idées et ses perceptions.

* La reformulation plus qu’une répétition porte sur le contenu du message ou sur les sentiments exprimés. Moyen de montrer au patient que nous avons entendu et compris ce qu’il a dit.

* La focalisation permet au patient de se concentrer sur un problème donné au lieu de passer d’un sujet à l’autre. Elle peut aider le patient à faire face à la réalité.

* L’échange de perceptions permet au patient de vérifier si l’infirmière a bien compris les idées et les sentiments qu’il a exprimés.

* L’information est une technique qui consiste à renseigner le patient sur sa santé tout en lui donnant l’occasion de tirer ses propres conclusions.

* La Suggestion (ce n’est pas conseiller)

* Utiliser le silence : pas de réponse verbale, s’asseoir avec le patient

* Manifester de l’acceptation : «. Hum . Je vous suis.  » Signe de tête

* Montrer de la considération

* Offrir son temps : «vais m’asseoir avec vous un moment si vous le voulez bien. Je vais rester un peu avec vous.  »

* Encourager la poursuite de la conversation : «ensuite ? Continuez. Racontez-moi.  »

* Situer l’événement dans le temps ou dans l’ordre : «est-ce qui vous semble avoir causé cet événement ? C’était avant ou après ?  »

* Faire des observations : «semblez tendu ...  », «mal à l’aise quand vous ...  », «vous mordez les lèvres ?  », «vous me regardez comme cela çà me met mal à l’aise  ».

* Encourager le patient à décrire ses perceptions : «se passe-t-il ?  » «entendez une voix qui vous dit des choses …  », «écrivez-moi votre douleur ?  », « Que ressentez-vous lorsque votre père est injuste avec vous ?  »

* Encourager la comparaison : «douleur ressemblait à un coup de couteau ?  », « Avez-vous déjà ressenti cela ?  »

* Explorer : «de cela plus en détail  », «m’en donner une description plus complète ?  »

* Faire état de la réalité : «ne vois personne dans cette pièce. Votre mère n’est pas là.  »

* Exprimer le doute : «êtes sûre d’être la fille de Lady Di  C’est difficile à croire.  »

* Valider : «j’ai bien compris ce que vous m’avez dit …  », «vous ce terme pour exprimer l’idée que …?  »

* Verbaliser les sous-entendus :
«
ne veux parler ni à vous, ni à personne. Cela ne sert à rien.
- Vous avez l’impression que personne ne vous comprend.  »

* Suggérer la collaboration : «parlant ensemble peut-être pourrions nous découvrir ce qui vous angoisse ?  »

* Résumer

* Encourager la formulation d’un plan d’action : «pourriez-vous faire pour éviter d’exploser quand votre mère vous dit ...  », «que ferez vous la prochaine fois que cette situation se présentera ?  »

* Rassurer

* Manifester son approbation

* Refuser :
«ne veux pas entendre parler de cela.  »

* Manifester sa désapprobation

* Exprimer son accord : «voilà une bonne idée !  »

* Conseiller : «ne faites-vous pas …?  », «devriez-vous pas … ?  »

* Démentir : «  voyons, vous ne pouvez pas être le 1er ministre !  »

* Mettre à l’épreuve : «jour sommes-nous ?  », «encore que vous êtes la réincarnation d général de Gaule ?  »

* Prendre parti : «suis sûr que le médecin vous a dit la vérité.  »

* Demander des explications : «avez-vous cette impression ?  »

* Indiquer l’existence d’une source externe  «vous a dit que étiez Jésus ?  », «vous a fait faire cela ?  »

* Minimiser l’importance des sentiments exprimés :
«
n’ai pas de raison de vivre. Je voudrais être mort.
- Cà arrive à tout le monde d’avoir le cafard.  »

* Commentaires stéréotypés  «c’est pas grave, une de perdue, dix de retrouvées    »

* Répondre au pied de la lettre :
«suis un oeuf de Pâques !
- De quelle couleur ?  »

*Argumenter :
«ne vaux rien
- Mais si, vous êtes quelqu’un. Tout le monde vaut quelque chose.  »(Pas terrible)
- Mais si, d’ailleurs regardez tous les progrès que vous avez faits depuis votre arrivée, il fallait une sacrée dose de courage et de volonté pour y parvenir.  » (Mieux)

* Interpréter:
«que vous voulez dire en réalité, c’est que...  »
«  Inconsciemment vous voudriez dire  … » A utiliser avec prudence, l’interprétation le plus juste est celle que fait la personne elle-même.

* Changer de sujet inopinément :
« 
voudrais mourir
-Avez-vous eu de la visite la semaine dernière ?  »

Toutes ces techniques sont à utilisées avec prudence et discernement. Ce n’est pas parce qu’elles sont dans la boîte à outils qu’il faut s’en servir systématiquement.


Dominique Friard,
d’après COOK (J.S), FONTAINE (K.L),
Soins infirmiers, Psychiatrie et Santé Mentale, Editions du Renouveau Pédagogique, ERPI, Ottawa, 1991.