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" Un accueil première fois "
Rien. Il ne se passa rien. Le tableau de bord restait désespérément muet. Je retirai la clé de contact et recommençai. Toujours rien. Les voyants restaient désespérément éteints. " C'est la batterie, me dis-je, avec la conviction de celui qui est quasi ignare en mécanique. Mais elle n'a pas deux mois. Je l'ai changée en même temps que l'alternateur. " J'ouvris le capot, pour vérifier qu'aucun fil n'était débranché. Tout était en ordre. Mes compétences s'arrêtaient là. J'étais sûr de mon diagnostic mais je ne pouvais rien faire d'autre que d'aller consulter le garagiste situé à une centaine de mètres. Attendre, donc.
Il était sept heures du matin. J'arrivais à Gap. Je revenais de Paris en train de nuit. J'étais parti l'avant veille pour un comité de rédaction. J'avais une heure pour rentrer chez moi à vingt kilomètres, me raser, me doucher, me changer, prendre mon petit déjeuner et revenir à Gap commencer ma journée de travail au CATTP. J'étais coincé. Il ne me restait plus qu'à attendre l'ouverture du garage au café de la gare. Je décidai de ne pas m'en faire, d'affronter cette petite, toute petite tracasserie avec le sourire. J'avais bien mérité un croissant tout de même !
Un sentiment d'inquiétude
Les formalités mécaniques réglées, j'arrivai juste pour la réunion du CATTP le Lombard. C'est une réunion où nous nous informons des événements de la journée passée, de là où nous en sommes avec les patients que nous suivons à domicile. Une réunion d'information/régulation entre pairs comme il en existe dans tous les CMP/CATTP. J'étais habité par un vague sentiment de malaise, d'inquiétude. Je ne me sentais pas bien dans mon corps. Ma barbe de trois jours me démangeait. Je n'étais pas réellement présent, comme si une partie de moi était restée dans le train, comme si le jour n'avait pas succédé à la nuit. La réunion achevée, je me traînais avec la sensation d'être comme une âme en peine. J'errais du CATTP au CMP sans y trouver ma place. Je saluais les patients que je croisais un peu mal à l'aise. Je n'étais pas de CATTP mais d'accueil première fois. Les A.P.F. comme nous les nommons par chez nous sont particulièrement importants. C'est le premier contact d'une personne avec la psychiatrie. Nous devons donc être tout particulièrement vigilants. Beaucoup de choses découlent de cette première rencontre. Que nous ne soyons pas suffisamment à l'écoute, disponibles et la personne effarouchée, risque de s'envoler et de ne revenir que bien trop tard, au moment où l'hospitalisation ne pourrait plus être évitée.
Les APF
Les APF, que le décret de compétence nomme " entretien d'orientation et d'accueil " sont effectués par les infirmiers afin de raccourcir les temps d'attente. Toute personne qui s'estime en difficulté psychique doit pouvoir bénéficier " rapidement " d'une rencontre avec des soignants qui l'accueilleront, l'écouteront et évalueront avec elle quel type de soin peut lui être le plus profitable. Cet entretien qui peut être unique est suivi d'une orientation vers un psychiatre, un psychologue ou même vers un ou des infirmiers qui proposeront des entretiens réguliers. Il est rare qu'il débouche sur une hospitalisation. Les situations " chaudes " sont en général travaillées et élaborées au Centre d'Accueil et de Consultation où l'on prend le temps de traiter la crise. Elles peuvent également se rencontrer aux Urgences du Centre Hospitalier Général où un infirmier et un psychiatre, remplissent une mission de psychiatrie de liaison.
Les APF, dans notre CMP/CATTP ont toute une histoire. Ils ont été élaborés collectivement en réunion institutionnelle. Ils sont le fruit d'un consensus entre psychiatres, infirmiers et psychologues. Chaque entretien, à l'origine, était suivi d'un temps de debriefing où les infirmiers pouvaient déplier les différentes interactions discuter du diagnostic et mieux se repérer sur un plan psychodynamique en présence d'un psychiatre et d'un psychologue. Les infirmiers se sentant ainsi enveloppés par la réflexion collective ont pu investir une pratique qui leur était inhabituelle malgré la généralisation de formations à l'entretien infirmier. La plupart d'entre eux trouvaient ce temps de régulation/supervision extraordinairement formateur. Il a beaucoup fait pour la qualité des relations entre les différents membres de l'équipe. Les soignants prenant davantage confiance en eux, les psychiatres étant rassurés sur les compétences des soignants, le coût humain du dispositif apparut et ce temps de debriefing fut réservé aux histoires difficiles.
Actuellement, les APF se déroulent le mardi matin et le jeudi après-midi. Deux infirmiers, l'un du CMP/CATTP et l'autre du CHG/CAC sont détachés trois heures pour ne se consacrer qu'à l'écoute des personnes qui ont pris rendez-vous auprès des secrétaires ou de l'infirmière d'accueil. Nous nous programmons trois semaines à l'avance. Nous pouvons ainsi traiter nos urgences, effectuer nos accompagnements, nos visites à domicile de telle sorte que rien ne vienne nous empêcher d'être disponibles pour l'accueilli. Un psychiatre ou un psychologue peuvent facilement se libérer au cas où la situation imposerait une réflexion plus fine. Ces programmations n'ont rien de rigide, il est toujours possible de trouver un collègue qui puisse nous remplacer si le contexte l'exige. Il peut par exemple arriver que l'un ou l'autre connaisse personnellement l'accueilli. Dans ce cas de figure, plutôt que de retarder d'une semaine le rendez-vous, un collègue peut prendre le relais soit pour cet entretien, soit pour les trois qui sont programmés. Chaque première rencontre donne lieu à un compte-rendu écrit, dactylographié et archivé. Avec ou sans debriefing, chaque A.P.F. est repris à la réunion clinique du médecin qui suivrait la personne si cela s'avérait nécessaire. Il est rare en psychiatrie que les soignants bénéficient d'un tel " confort ". Tout est réellement fait pour que ce premier et peut-être seul temps de soin s'effectue dans des conditions optimales.
Se préparer à l'accueil
Ma nervosité ne m'avait pas abandonné, au point que j'éprouvais le besoin de raconter à ma collègue mes mésaventures matinales. Je réalisai que si tout était organisé pour l'accueil, je ne me sentais pas, moi, en position d'accueil. Sale, pas rasé, habillé de vêtements qui sentaient la sueur, je n 'étais pas prêt. Je me sentais dans la peau d'un homme qui part travailler en pyjama. Il y avait quelque chose d'indécent pour moi à vouloir accueillir quelqu'un dans cette tenue. Et plus le moment de la rencontre approchait, plus ma barbe me démangeait, plus je me sentais mal dans mes frusques, plus je me sentais anxieux. Quelque chose dans mon cadre de soin personnel n'allait pas. Je ne pouvais pas me penser soignant. Tout se passait comme si l'accueilli allait faire irruption dans mon intimité, comme si toute distance s'avérait là impossible. J'étais comme une étudiante, contrainte à abandonner sa blouse dans une activité inconnue, sans possibilité de se repérer comme soignante. J'imagine que je me serai adapté à la situation. Ou pas. Ma collègue sentit que je n'étais pas bien et me proposa de m'accompagner chez elle, tout près que je puisse me raser et faire un brin de toilette. Aussitôt dit, aussitôt fait. Un rasoir jetable, de la mousse à raser, un gant, une serviette, et de l'eau, surtout de l'eau, je repris figure humaine. Mon anxiété disparut dès notre retour au CMP/CATTP. La future accueillie venait d'arriver, nous étions prêt pour elle.
Il suffit d'écouter !
Ces accueils première fois sont pour nous un exercice inhabituel. La population que nous y recevons relève rarement de la psychose. Nos repères sont bousculés. Autant, nous croyons savoir être à l'écoute des délires, des états maniaques, des plaintes mélancoliques, autant ces plaintes névrotiques nous désarçonnent. Elles semblent trop proches, trop proches de nous. Au fond, l'angoisse psychotique, angoisse d'anéantissement, de destruction, nous serait presque familière. Ces peurs d'être submergé, détruit, abandonné, mortifié, mutilé, ces peurs de perdre tout contrôle mental, de devenir fou, de se dissoudre, d'être absorbé, envahi, brisé, d'exploser, de se fondre en l'autre, de se liquéfier ou de disparaître ne nous surprennent plus guère. Nous savons composer avec. Elles nous paraissent tellement hors de nous que nous ne nous sentons pas en péril. Et si péril il y a, c'est d'une autre forme de péril dont il s'agit. L'affronter, louvoyer, tirer des bords autour de ces angoisses cataclysmiques, ce serait notre fond de commerce. L'art infirmier en psychiatrie se forgerait autour de la fonction de conteneur de ces angoisses psychotiques.
Au fond, ces troubles névrotiques, ça ne fait pas très sérieux. On peut comprendre qu'un psychotique explose vue l'ampleur de ses angoisses. Un névrosé, on serait presque tenté de lui botter les fesses. " Allez, ça suffit au boulot ! Écoutez-vous un peu moins et ça ira mieux. " Pourquoi alors mettre en place un dispositif aussi complexe pour les recevoir ? Lors des accueils première fois, il suffit d'écouter me disait une collègue. Écouter oui, mais écouter ce n'est pas forcément entendre.
Une histoire banale ?
La jeune femme élégante que nous recevons est âgée d'une trentaine d'années, elle en paraît beaucoup moins. Nous sommes à peine installés dans le bureau qu'elle nous dit les larmes aux yeux qu'elle est depuis quelques mois dans la région et que son mari l'a quittée. Elle se retrouve seule avec sa fille de trois ans. L'émotion semble alors la submerger. Nous la laissons pleurer. Elle nous demande des mouchoirs que ma collègue va chercher. Elle explique qu'elle est en instance de séparation. Son mari est un fourbe qui a tout calculé. Il l'a amenée là, et à peine arrivée, il la plaque pour quelqu'un d'autre. D'ailleurs, depuis qu'ils sont arrivés, elle ne l'a quasiment pas vu, alors que le motif de leur déménagement, c'était de se rapprocher de la montagne pour qu'il puisse passer plus de temps avec elle et leur fille. Elle ne connaît personne dans cette région dans laquelle elle n'a aucune attache. Elle était sûre que ça allait marcher. Elle était prête à voler de ses propres ailes. Ca n'avait pas été facile d'abandonner son travail, de quitter ses amis. Elle avait pu vaincre ses angoisses. Il l'a trahi. Il a trahi la confiance qu'elle avait en lui. Il a tout calculé.. Il sait comment il faut faire pour ne pas être en tort. Elle a l'impression qu'elle a vécu cinq ans avec un homme qui a passé son temps à lui mentir. C'est un homme absent, totalement pris par l'alpinisme. Enfin, c'est ce qu'elle croyait. Elle croyait que la montagne était tout pour lui, qu'elle passait avant même sa famille. Elle s'était fait à l'idée de le partager avec la montagne même si elle s'inquiétait chaque fois qu'il partait. En fait, en fait, il passait son temps avec des filles. Il a toujours aimé avoir des femmes autour de lui. Au début, ça ne lui plaisait pas trop. Mais il lui avait dit qu'il n'y avait qu'elle qui comptait pour lui. Il lui avait expliqué que la montagne c'était des sensations fortes qui rapprochaient les gens, que ces femmes dépendaient de lui pendant l'escalade, elles lui confiaient leur vie, et que ce qu'elle voyait dans leurs yeux n'était que le reflet de l'admiration pour le guide, pour celui qui les avait initiées aux beautés d'un sport exigeant. L'alpinisme est un sport d'homme, un sport viril, il était bien obligé de sacrifier au mythe du guide bronzé, couvert de femmes. Comme il était constamment absent, c'est elle qui gérait le quotidien. Ce n'était pas facile, loin s'en faut, mais comme c'était pour lui permettre de vivre sa passion, elle le faisait de bon cœur. Elle l'avait cru jusqu'au jour où une femme lui avait laissé un message sur son répondeur lui disant qu'elle serait en retard pour leur week-end à Belfort. Il lui avait dit qu'il partait en randonnée avec un groupe de dentistes. Elle avait rappelé la femme qui n'avait pas caché la nature de leurs relations. Lui avait nié. Elle l'avait contraint à choisir. Et maintenant tout était fini entre eux.
Une histoire banale comme en vivent des milliers d'hommes et de femmes. Une histoire de rupture, de mensonges, de trahison. Une histoire que ma femme aurait pu raconter à un thérapeute, elle dans le rôle de l'épouse délaissée et moi dans celui du mari volage. Ecouter oui, mais sans prendre parti, sans se livrer au jeu dangereux de l'identification, sans vouloir réparer, sans chercher à donner de conseils. Ecouter d'autant plus que si la situation paraît banale, elle ne l'est pas pour la personne qui la vit. Ecouter sans se laisser aspirer par la sympathie ou l'antipathie. Ecouter sans se laisser gagner par le pathos.
Le chagrin l'étouffe
D'abord se décaler de l'événement. Lui demander de raconter son histoire.
Ses parents ont divorcé quand elle avait cinq ans. Elle a été élevée par sa mère, une mère absente peu affective, et par un beau-père très dur qui avait un fils d'un premier mariage. Sa sœur aînée est restée en région parisienne avec son père qu'elle n'a jamais revu. Elle n'a quasiment plus de relations avec sa famille. Elle a rencontré son futur mari, et est rapidement " tombée " enceinte. Ils ont décidé de garder l'enfant. Elle mène tout de front, finit ses études, gère un premier déménagement, travaille à temps plein. Au quatrième mois de grossesse elle est envahie par des angoisses massives : angoisse de mort, peur de perdre son bébé, peur de se retrouver seule. Un traitement anxiolytique et antidépresseur lui est proposé. Elle le prend entre huit mois et un an. Elle commence une psychothérapie qui dure trois ans et s'interrompt au moment de son déménagement dans la région. Elle voit son thérapeute trois fois par semaine. Le rythme se ralentit autour de la préparation du départ. Elle décrit une thérapie analytique basée sur des images de rêves qu'elle analyse avec le psychologue.
La mariage a lieu quelques mois après la naissance de leur fille. Lors du voyage de noces, à l'aller dans l'avion, elle fait une " panique attaque ". Elle décrit la survenue brusque de palpitations, de douleurs thoraciques, de sensations d'étouffement. Elle n'en dit pas plus sur cet épisode mais précise qu'en fait elle a toujours eu tendance à éprouver un sentiment permanent de nervosité, d'inquiétude. Elle passe son temps à se faire des soucis. Elle s'attend constamment à des malheurs divers, qu'il arrive quelque chose à sa fille, que son mari fasse une chute, etc.
Aujourd'hui grâce au travail psychothérapique, elle se sent mieux. Malgré la séparation, elle ne ressent pas le besoin d'un traitement. Elle évacue par la course. Elle apprécie au fond d'avoir plus de temps pour elle, vu qu'elle n'a trouvé qu'un emploi à mi-temps. Elle peut ainsi se consacrer davantage à sa fille. Si elle est séparée dans sa tête, dans la réalité elle ne l'est pas. Son mari continue à habiter avec elle, il passe voir sa fille. Elle n'a encore commencé aucune démarche. Si le chagrin l'étouffe en ce moment, nous n'observons rien de clairement pathologique. Elle est dans une situation difficile qu'elle semble assumer pour l'instant. Elle n'exprime pas d'inquiétude particulière, n'a même pas réellement de demande. Tout se passe comme si perdue dans une région inconnue, elle était venue porter son " chagrin " aux seuls écoutants possibles. Nous évoquons avec elle les différentes possibilités de suivi : psychiatre ce qu'elle refuse, reprise d'une tranche de psychothérapie pour affronter le passage difficile, entretiens infirmiers à sa demande. Elle a pris rendez-vous avec un psychologue.
Question tag
Qu'est- ce qui pousse une personne à prendre rendez-vous auprès d'une équipe de psychiatrie ? Qu'attend-elle de cette rencontre ? Certains viennent avec une demande de psychothérapie en bonne et due forme, d'autres font le tour, hésitent, ne se rendent pas au rendez-vous mais reviennent plus tard. Qu'est-ce qui fait moteur pour cette femme ? Il serait présomptueux de répondre à cette question au terme d'un entretien unique. Au delà de l'anecdote douloureuse, de la rupture sentimentale qu'est-ce qui est en jeu ? La seconde partie de l'entretien montre que cette séparation, que ce vécu d'avoir été trompée, abandonnée s'inscrit dans une histoire, qu'elle est une forme possible de la compulsion de répétition, que le mari volage peut dissimuler une mère absente et peu affective ou un beau-père très dur. Pouvons-nous aller au delà ? Pouvons-nous recueillir les éléments qui étayeraient un diagnostic ? Nous sommes infirmiers et nous accueillons une personne en souffrance. Pouvons-nous le faire sans poser un diagnostic qui sous-tendra une proposition d'orientation ? Et si nous posons un diagnostic, ne sortons-nous pas de notre rôle d'infirmier ?
Poser un diagnostic, orienter ne m'intéresse guère. C'est une démarche de psychiatre pas d'infirmier. Mon job est d'accueillir, c'est-à-dire d'ouvrir un espace, de rendre du soin possible quelle que soit la pathologie. Je suis centré, par définition, sur la personne et sa demande de soin, sur ce qui la met en mouvement pas sur les petites cases dans lesquelles l'inscrire. Je n'ai pas envie de me substituer au psychiatre, pénurie ou non.
Certains diraient qu'au fond, de tels entretiens ce n'est pas de la psychiatrie. D'autres diraient que notre dispositif est bien trop complexe, bien trop sophistiqué pour traiter des ruptures sentimentales. A ce compte-là demain, tous les chagrins d'amour, toutes les séparations se travailleront dans les CMP.
Après l'entretien, nous nous sommes prêtés au rituel du debriefing. Le terme de trouble anxieux généralisé a été prononcé. Je ne sais pas si l'entité nosographique " trouble anxieux généralisé " est réellement fondée. En écoutant cette femme, nous avons pu repérer quelques symptômes susceptibles de s'intégrer dans cette catégorie. Les pistes que nous lui avons proposées et le chemin qu'elle a choisi pour affronter ce passage difficile et l'intégrer à son parcours de vie sont reconnus comme pertinents par les experts de l'ANAES. Tant mieux. Il n'empêche que je n'aime pas cette psychiatrie de " troubles " qui abandonne toute référence à la psychanalyse et s'arc-boute sur l'effet des psychotropes pour exister. Il me semble que relire certains passages de Freud ou de Lacan sera toujours plus profitable que cette psychiatrie de statisticiens qui énonce que " 4 symptômes sur une liste de 22 symptômes sont nécessaires pour le diagnostic de TAG. "
Dans " Inhibition, symptôme et angoisse ", Freud distingue deux niveaux d'angoisse. Dans le premier, " c'est un affect entre sensation et sentiment, une réaction à une perte, à une séparation. " (1) C'est cette partie de l'angoisse que Freud qualifie " d'originaire " et qui serait produite par l'état de détresse psychique du nourrisson séparé de la mère, " qui satisfait tous ses besoins sans délais ". Dans le second l'angoisse est un affect, signal en réaction au danger de la castration en un temps " où le moi du sujet tente de se soustraire à l'hostilité de son surmoi ". Il s'agit là pour Freud de l'angoisse qui survient chez un sujet " au moment de la phase phallique ". Ainsi pour Freud, la survenue de l'angoisse chez un sujet est toujours articulable à la perte d'un objet fortement investi, qu'il s'agisse de la mère ou du phallus. " Pour Lacan, l'angoisse n'est pas le signal d'un manque mais la manifestation pour un sujet d'un défaut de cet appui indispensable qu'est pour lui le manque. En effet, ce qui engendre l'angoisse de la perte du sein pour un nourrisson, ce n'est pas que le sein puisse venir à lui manquer, mais c'est qu'il l'envahisse par sa toute-présence. ... Toute réponse qui se veut comblante ne peut pour Lacan qu'entraîner le surgissement de l'angoisse. " (2)
Chacun a sa façon d'orienter. Chaque soignant a son moteur. Certains sont mus par l'angoisse : angoisse de mal faire, angoisse de passer à côté de quelque chose d'important. Certains cherchent à se couvrir en orientant lourd et comblant. S'il arrive quelque chose, qu'ils ne puissent en être tenus pour responsables. D'autres ont la sensation que quelque chose doit être proposé pour montrer que la demande a été entendue. Ils sont ainsi conduits à multiplier des entretiens infirmiers qui serviraient en quelque sorte de médicaments de l'âme. Dans ces accueils première fois, l'essentiel est peut-être d'apprendre à passer la main, de permettre à la personne de retrouver la conduite de sa propre vie. Nous ne saurons jamais, concernant cette femme, si nos hypothèses étaient justes. Elle est en travail, ailleurs.
L'entretien achevé, les notes discutées et rédigées avec ma collègue, je me suis rendu chez le garagiste qui confirma mon diagnostic. C'était bien la batterie. En partant, j'avais laissé mes feux allumés. Le problème en mécanique automobile, c'est plus souvent le conducteur que la voiture. Il en va peut-être de même concernant ces accueils première fois.
Dominique Friard
ISP Laragne (05)
Notes :
1 - FREUD (S), Inhibition, symptôme et angoisse, PUF Quadrige, Paris 2002.
2 - EMERICH (C), Angoisse, Grand dictionnaire de la psychologie, Larousse, Paris, 1991.