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Ecritures

" Il était une fois des professionnels réunis autour d'une formation à l'écriture. "

Déjà, rien que ça c'était suspect : formation à l'écriture. Comme si chacun n'avait pas déjà été formé à l'écriture. Et depuis longtemps. Certes, l'écriture dont il était question ici n'avait rien à voir avec la calligraphie. Ce n'était pas un groupe de moines copistes prêts à recopier inlassablement les mêmes œuvres de maître. Il est vrai qu'écrire, d'une certaine façon, c'est toujours recopier. Il est vrai qu'il faut beaucoup copier et recopier pour apprendre à écrire. Il est vrai qu'il faut forcément se coltiner à la pensée d'un autre pour pouvoir penser par soi-même. Oui, mais quand même.

Quoi de commun entre infirmiers, aides-soignantes, secrétaire, cadre et éducatrice spécialisée ? Ils ont beau travailler dans le même établissement, dans le même secteur, ont-ils quelque chose de commun en terme d'écriture ? Est-il possible de mobiliser quelque chose d'un patrimoine commun dans un tel groupe ?

Il y avait en pointillés une question qui se posait avec de plus en plus d'insistance, celle de la lecture. Peut-on écrire si l'on n'a pas de lecteur ? La question ainsi posée peut apparaître un peu abrupte. Un écrit a toujours un lecteur. Au moins son auteur. Mais, cet auteur, ce scripteur se considère-t-il comme un lecteur " légitime " ? Fait-il autre chose que relire son texte ? Comme on le fait après une dictée. Pour corriger les fautes éventuelles ? Relire n'est pas lire. Un écrit qui n'aurait que son auteur comme seul lecteur serait en quelque sorte un non-écrit. Lorsque l'auteur lit, de quelle place lit-il ? De sa place d'auteur, de scripteur ? Ou en essayant d'intégrer ce qu'il pense être l'attente d'un lecteur imaginaire ? Mais ce lecteur ne peut rester imaginaire. Il doit pouvoir s'incarner à un moment ou à un autre. Sans lecture, il n'y a pas d'écriture. Uniquement un gribouillis. Un écrit, un vrai, a toujours un lecteur. Au moins les membres de l'équipe. L'aide-soignante, l'infirmière écrivent d'abord pour leurs collègues. Comment anticipent-elles les attentes de ce lecteur particulier qu'est l'équipe, le groupe auquel elles appartiennent ? La secrétaire médicale est dans un cas de figure particulier. Elle n'est pas l'auteur de ce qu'elle écrit. Elle doit anticiper les demandes des lecteurs présumés : gommer les aspérités, chercher une écriture de consensus. Au terme de cinq jours de formation, les stagiaires ont souhaité semer quelques textes, en voici quelques-uns.


DE SALEON A PARIS...

" L'Aujour " est un atelier thérapeutique situé à Gap, à une quarantaine de kilomètres du Centre Hospitalier de Laragne. On y fait de la menuiserie, de la reliure, de la peinture. Son originalité est que des patients hospitalisés viennent y travailler un jour par semaine. Deux infirmiers qui exercent dans les unités d'accueil se relaient pour les accompagner. On peut donc être hospitalisé dans la semaine et y travailler le mercredi. Le but est bien sûr d'éviter une certaine chronicité, de maintenir le lien social chez un maximum de patients. Dans les unités d'accueil, ces patients apportent une bouffée d'air frais. Ils sont un peu du monde du travail qui pénètre l'unité. Au moins une fois par an, un séjour thérapeutique est organisé. Cette année, le groupe s'est rendu à la capitale. Une véritable aventure pour Francis dont Christian a choisi d'écrire le témoignage. Pour la petite histoire, Francis, qui n'a fréquenté en fait d'école que les IME et autres IMPRO, a rédigé un véritable récit de voyage qui a surpris les soignants. Saléon est le hameau dont Francis est originaire.

Je m'appelle Francis et je vais vous raconter l'histoire de mon voyage à Paris avec des camarades et infirmiers de l'Aujour. C'est la première fois que je fais un grand voyage et j'ai un peu peur... Avec Alain, l'infirmier de l'unité " Provence ", nous avons tout préparé : mon argent, mes vêtements et mes médicaments. Le matin du départ, le 7.11.2000 à 6 heures, Alain vient me chercher à " La Casse " (là où j'habite) avec un beau minibus Fiat presque neuf... Nous allons à Gap chercher les autres copains. Nous serons 7. Il y a : Pierre, Paul, François, Mickaëla, Alain, Christian, l'infirmier de l'Aujour et moi, Francis. A Gap, il manque Pierre et nous allons tous ensemble le chercher chez lui.

Cette fois, c'est bon, nous partons vraiment...

Dans le bus, je suis à côté de Mickaëla. Elle est très gentille. Elle me donne des bonbons et des biscuits. Christian conduit et je le regarde dans le rétroviseur. Je suis assis au fond et je vois tout le monde. Nous roulons longtemps et nous voyons de belles choses : des villages, des lacs et des gros engins de chantier... Il y a des travaux partout...A La Mure (petite ville de l'Isère), nous nous arrêtons pour boire un café et faire pipi. Moi, je bois un bon chocolat chaud. On repart et Christian nous dit que nous sommes bientôt sur l'autoroute.

Tout est plus grand et il y a encore plus de voitures et de camions. On roule longtemps et il faut faire le plein de gasoil. On en met beaucoup dans le réservoir ! Mickaëla me paye un coca à une machine automatique. Nous arrivons à Grenoble. J'y étais venu avec mon tonton il y a longtemps. Nous repartons et Mickaëla s'allonge sur la banquette et pose sa tête sur mes genoux. Je suis tout rouge et tout heureux car les camarades me disent des bêtises. A midi, on s'arrête à Auxerre, on remet du gasoil et on achète des sandwichs. Ils sont drôles, coupés en triangles mais très bons. J'en mange deux. Alain prend le volant du bus et roule vers Paris. Je commence à lire les panneaux.

Je crois que j'ai dormi car nous arrivons à l'hôtel " Mister Bed " de Goussainville sans que je m'en aperçoive. Que c'est beau ! Il y a de la moquette partout et Christian m'aide à m'installer dans la chambre n° 5 que je partage avec François. Il y a une télé couleur. Il y a plein d'avions qui passent au-dessus de l'hôtel. Ils sont énormes. Il fait nuit et nous promenons à pied dans Goussainville pour nous détendre avant de manger. Il pleut, il fait un peu froid mais ça va. Il y a des lumières partout et les gens sont tous noirs (des étrangers ?). Plus tard, on trouve un petit restaurant et on mange du couscous. Il est bon, ma tata aussi, le fait bon. On rentre au bel hôtel et je m'endors rapidement. Tant pis si François ronfle !

Il est 7 heures du matin et je vais déjeuner. Il y a beaucoup de bonnes choses à manger et mes camarades s'occupent bien de moi pour la machine à café et pour le lait. Je mange bien car Christian nous a dit qu'à midi, nous ne mangerons que des sandwichs. Alain et Christian se lèvent tard et ils n'ont plus de croissants ! Nous partons visiter l'expo des machines à bois. C'est immense, j'ai jamais vu de hangar aussi grand ! Il y a des machines de partout et du Monde entier ! Les gens sont tous habillés de la même façon avec des belles cravates. Je reconnais un Monsieur qui vient quelquefois à l'atelier de Gap.

Nous y restons longtemps et nous faisons fonctionner de belles petites machines. Après le sandwich, nous passons à l'hôtel avant d'aller à Paris. J'achète des cartes postales. Nous allons à la gare et attendons le train. Les gens sont pressés et il faut passer un drôle de portail pour aller de l'autre côté. Je reste coincé, j'ai peur de rester seul. Christian est là, il remet mon ticket dans la machine ; ça marche ! Le train arrive et je monte à l'étage. C'est beau, il y a plein de gens de toutes les couleurs ! Je vois le beau stade de France et la grande gare du Nord. Nous restons toujours ensemble pour ne pas nous perdre en sortant de la gare. Je vois de beaux immeubles et une belle église (Notre Dame). Il faut marcher longtemps. Tout est magnifique. Je languis de voir la Seine. On fait beaucoup de photos. Mickaëla me tient par la main et tout va bien. Enfin, j'arrive à la Tour Eiffel. Il fait froid et nous faisons la queue pour prendre les billets. Dans l'ascenseur, j'ai peur car ça monte vite et très haut. J'ai peur d'avoir le vertige. Mickaëla me rassure en me tapotant la main. Que c'est beau ! Tout est petit ! Je m'approche un peu du bord pour mieux voir. Il y a des péniches toutes petites qui portent du gravier. La nuit tombe et il faut rentrer. Je remonte dans le train et cette fois, j'arrive à mettre le ticket dans la machine. Je suis fatigué mais très heureux. Plus tard, on va au restaurant manger des pizzas puis on rentre se coucher

Le lendemain, je me lève, remets mon tee-shirt. Il sent pas trop bon mais je suis bien avec et je vais déjeuner. J'écris des cartes postales pour maman, tonton Angelo et tata. A 10 h, nous partons en bus promener. Les villages sont plus grands que Saléon ou Laragne. Nous arrivons à Chantilly. Il y a un magnifique château. Nous faisons le tour mais nous ne rentrons pas. Nous roulons dans Paris : le bois de Boulogne et les Champs Elysées. Alain peut se garer juste devant le garage Ferrari. Il y a de belles voitures rouges. Nous marchons et rencontrons les " Grands Joueurs de Rugby d'Afrique du Sud ". Nous faisons des photos. Les gens s'arrêtent pour nous regarder. Les magasins sont très décorés et il y a beaucoup de monde.

On reprend le bus. Je m'endors et je me réveille devant l'hôtel.

Le lendemain, c'est le départ pour Gap. Je déjeune bien et nous roulons longtemps. Chaque fois qu'on s'arrête, on refait le plein et on en profite pour boire du café et aller aux W.C.. Il y a un accident sur l'autoroute : des voitures sur le toit, comme à la télé. Beaucoup de gendarmes et d'ambulances. Encore des sandwichs à midi ! Plus loin, nous voyons la neige sur les montagnes. Nous arrivons bientôt. Il ne fait pas encore nuit et nous sommes à Gap. Nous nous disons " Au revoir ". Mickaëla me fait la bise et je repars tout seul avec Alain à Saléon car j'y vais ce week-end. Je vais revoir tata et maman... Je suis très fatigué mais jamais je n'oublierai un si beau voyage...

Christian Rigaud pour Francis.


" Pas ma femme ! "

Il était une fois, dans une unité de soins de longue durée, un patient psychotique, M. Pierre Ricard. Anciennement suivi en psychiatrie, ce patient était relativement jeune pour notre unité. Il avait vécu pratiquement toute sa vie dans différentes unités du Centre Hospitalier Spécialisé. Cet homme d'un physique ingrat impressionne. Il présente des tremblements assez importants au niveau des membres supérieurs. Il se dit sourd mais il entend ce qui l'intéresse. Pour communiquer avec lui, il faut soit lui écrire ce que l'on veut lui dire, soit lui parler fort et de près.

En raison de sa psychose, il a toutes les trois semaines un injection retard de moditen®. Il aime, en général, avoir sa piqûre. Il dit que ça lui provoque du plaisir. Mais aujourd'hui, c'est non. Je lui ai expliqué que c'était le jour de l'injection, que j'allais la lui faire. Il objecte de la tête. Je vais préparer l'injection mais au moment de la lui faire, il refuse. Il me dit qu'il ne veut pas que " sa " femme le pique. Pierre s'est désigné deux femmes dans l'unité : le médecin généraliste et moi-même. Il était donc impossible que " sa " femme le pique. J'ai essayé de négocier, mais en vain car il refusait toujours. J'ai remis la piqûre au lendemain.

Mais le lendemain, l'infirmière du matin qui pourtant n'était pas la " femme " de M. Ricard, n'arriva pas non plus à le piquer. Présente le soir, j'essaie à nouveau et je l'entends me dire : " Pas ma femme, non, pas ma femme ... ". Il commençait à s'énerver et lançait les pieds et les mains en avant. Nous n'avions aucun moyen de le raisonner. Nous n'étions que 6 femmes ! Je décidai donc d'appeler un homme dans un autre pavillon. Je téléphone à l'unité " Provence ".

Brigitte l'infirmière me répond qu'ils n'ont plus qu'un seul homme, les autres sont tous " amochés ". Elle ne veut pas m'envoyer " son seul homme valide ". Je lui explique que je suis enceinte. Elle accepte alors de " me prêter son homme ", mais il faut que je fasse attention à lui, que je le ménage.(1) Dominique Friard arrive alors. Nous lui expliquons la situation. Nous négocions encore, mais comme Pierre ne change pas de position, nous décidons de le maintenir par la force. Dominique prend le haut du corps de Pierre, et les deux aides-soignantes les jambes. Nous le transportons sur le grand lit de la salle de kiné. Nous l'allongeons sur le côté. J'arrive avec la seringue et je pique. Pendant ce temps, Dominique caresse le bras du patient, enveloppe sa tête et lui parle doucement. La piqûre est faite. Pierre est calmé. Nous le laissons allongé sur le côté.

Personnellement, je n'aime pas faire ce genre de " soin de force ". Pour moi le soin ne doit pas être intrusif. Ce genre de situation est rare au Long Séjour mais quand ça arrive, en principe la négociation prévaut toujours sur la force. Le geste peut paraître agressif sur le fait. Je l'ai fait pour soulager l'équipe qui pense qu'un jour de retard peut mettre Pierre dans un état dangereux pour les patients et pour les soignants. Mon avis était autre mais il faut savoir écouter ses collègues et prendre des décisions pour que chacun trouve du positif dans le travail qu'il effectue.

Tout compte fait, ce geste qui pouvait paraître agressif au départ a été relativement doux. Doux pour les soignants. On peut supposer qu'il a été doux aussi pour Pierre, mais il ne nous en a pas parlé. Au bout d'une demi-heure, nous sommes allés chercher Pierre. Il se lève et va se coucher. Bien sûr je reste " sa " femme. Mais ce soir, il est en colère, il ne me parle pas. Il ne veut pas que je m'occupe de lui.

Le lendemain tout était oublié. J'étais à nouveau " sa " femme. Il était heureux de me voir. Le geste de la veille était oublié.

Pourquoi me considère-t-il comme " sa femme " ? C'est peut-être que j'entretiens avec lui une relation de confiance, de complicité. Je l'écoute, je parle avec lui. Je n'entretiens pas avec lui une relation uniquement basée sur la sanction. J'essaie de comprendre, d'expliquer. Je lui donne des limites sans le sanctionner, sans crier. Simplement avec des mots, avec des gestes.

C'est peut-être aussi que pour lui, j'incarne la femme parfaite ! ! !

Laetitia Mongilardi
Unité de Soins de Longue Durée Le Buëch.

1- Pour comprendre cet échange, il faut lire le texte " Haimé va mourir " qui paraîtra fin décembre à la fois sur serpsy et dans la revue Santé Mentale.


" Un être vivant est un être de relation "

Chaque année au Centre Hospitalier de Laragne, des Journées Bilan sont organisées par le Service de Soins Infirmiers. Les soignants de chaque unité sont invités à réfléchir collectivement sur une problématique annoncée à l'avance. En l'an 2000, le thème proposé pour les deux jours était " La relation dans tous ses états ". Brigitte, l'aide-soignante de l'Unité de Soins de Longue Durée, a choisi de raconter ces journées.

Il était une fois deux jours de réflexion sur le thème " La relation dans tous ses états ". La surveillante nous en parla en réunion de fonctionnement. Elle cherchait des volontaires pour travailler sur ce thème. Une partie de l'équipe s'est mobilisée et un groupe d'une dizaine de personnes s'est concrétisé. Nous avons fixé une date pour nous retrouver et commencer notre travail.

Lors de la première réunion, nous avons essayé de travailler sur le plan de ce que nous allions exposer : " Un être vivant est un être de relation. " Le plan terminé, nous avons développé les différentes relations que nous avions auprès des personnes âgées. Nous nous sommes interrogées sur l'écoute, la disponibilité, le respect, la communication, la compréhension, la tolérance, la pudeur, les limites, la fin de vie. A chaque type de relation, nous citions un malade en cas concret. Ainsi, par exemple avons-nous parlé de Mme P. qui recherche constamment notre compagnie. Elle est angoissée et se sent rassurée par la présence de l'équipe. Nous lui tenons la main, lui donnons à boire, à manger etc. pendant notre pause ou pendant la relève.

Les séances de travail duraient environ une heure trente. A la fin de chaque séance, nous fixions une date pour nous retrouver à nouveau et poursuivre notre travail d'écriture. Cette élaboration en groupe fut pour moi quelque chose d'enrichissant mais de difficile à exprimer. Je me suis posée beaucoup de questions.

Nous nous sommes ensuite demandées qui allait exposer le texte à la salle lors des Journées. Une infirmière et une aide-soignante se sont portées volontaires et deux autre collègues sont venus à la table avec la surveillante pour aider éventuellement à répondre aux questions. J'étais un peu inquiète car je devais exposer le travail commun. J'avais du mal à m'exprimer, à présenter ce que nous avions écrits sans le lire. Avec la collègue infirmière, nous avons présenté notre travail et répondu aux questions de la salle. Le groupe de travail était bien satisfait car c'était la première année que nous élaborions un travail sans l'intervention de la surveillante. Nous étions encore plus fières de notre recherche. C'est toujours enrichissant de faire ce travail de réflexion et de l'exposer à des soignants d'autres services : ça permet d'avoir des échanges, et de savoir l'expérience professionnelle de chaque service qui dépendent du même établissement hospitalier sans se " cantonner " à notre unité, à notre travail quotidien.

Que représente la relation pour moi ?

Elle peut passer par toutes formes de contacts : la communication verbale (le dialogue) ou non verbale (gestuel, le toucher, l'écrit). La relation dépend de notre caractère, de notre éducation, de notre culture. Il est important d'avoir toujours en tête de parler au patient même si celui-ci ne parle plus, de lui expliquer ce qu'on va lui faire. Chacun est unique. Nous sommes tous différents par notre vécu, nos expériences, notre histoire. Nous ne réagissons donc pas aux choses par hasard. La différence est fondamentale dans nos rapports avec les autres.

Brigitte Drache
Unité de Soins de Longue Durée Le Buëch


Du lait chaud pour gagner du temps

Il était une fois la nuit au Savoie, un pavillon de patients psychotiques chroniques avec des pathologies différentes et des projets diversifiés.
Eh oui ! Parler du travail de nuit alors que la nuit est faite pour dormir, c'est dire que ça ne dort pas si bien que ça !
Il est 20 h 45, j'arrive dans le bureau c'est l'heure du passage des consignes ce qui nous permet de nous informer de ce qui s'est passé dans la journée, quels patients posent problème, que ce soit sur un plan comportemental ou somatique. La relève est faite, me voilà en tenue ! Je pars faire ma première ronde. Je vérifie si tous les patients sont dans le pavillon. Je passe dans toutes les chambres. Je vérifie la fermeture des fenêtres. Je m'inquiète du confort des patients : les trois quarts d'entre eux se couchent tout habillés ou dorment sans couverture. La ronde rassure les patients. Elle me permet de repérer ce qui ne va pas et d'y porter plus d'attention.

La ronde est faite. Certains patients attendent le sirop ou les biscuits puis vont regarder la télévision. En principe ce sont toujours les mêmes. Il est environ 21 h 45, je suis au bureau, je lis les observations infirmières ou nous faisons conversation avec deux ou trois patients selon qu'ils en éprouvent ou non le besoin. Je surveille les allées et venues de certains car malgré la fermeture des chambres à clé (chaque patient a sa clé), les vols sont toujours un soucis pour l'équilibre de la nuit. A force de travailler la nuit, j'apprends à reconnaître les bruits, la façon que chaque patient a pour se lever, ouvrir les portes, marcher, tirer la chasse d'eau.

Les bruits commencent dans le silence de la nuit. C'est à l'ouïe que l'on reconnaît la personne, que l'on sait si elle est en période délirante, avec les bruits bien spécifiques en rapport avec le délire. A ce moment là je fais encore un petit tour de ronde, ne serait ce que pour rassurer de ma présence et de ma disponibilité.

La demande de somnifères est fréquente mais je ne les donne pas systématiquement. Pour éviter ce sommeil facile mais qui n'enlève pas les angoisses je propose une infusion, un lait chaud ou autre, ce qui permet de gagner du temps et de laisser place au dialogue. D'entendre les non-dits de la journée et les angoisses du lendemain, quelquefois, ça suffit pour une meilleure nuit.

Lorsque les nuits apparaissent calmes, je fais environ deux rondes dans la nuit : vers minuit puis vers deux heures. Entre ces rondes, je prépare les médicaments pour le lendemain. Vers cinq heures, je fais une dernière ronde avant la relève. Je donne le traitement des épileptiques, j'écris le rapport. A 5 h 45, c'est le temps des consignes orales. Puis à six heures, c'est ma nuit qui commence.

Nicole Vin
Unité Savoie


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