Retour à l'accueil

Retour à écrits infirmiers


ECRITURE INFIRMIERE ET QUALITE DES SOINS

Introduction

Pendant très longtemps, les écrits infirmiers se sont limités à quelques mots écrits par le cadre-infirmier dans le cahier de rapport. L'obligation de créer un dossier de soin dont l'infirmier est responsable et l'utilisation de la démarche de soin ont multiplié le nombre de supports d'information.

La gamme des supports écrits qui s'est constitué au cours des vingt dernières années dans le travail hospitalier est considérable. Leur croissance est lié à la technicisation des soins, à la complexification des traitements, à la diversité des intervenants et des services concernés par le traitement du même malade, à la recherche de l'efficacité des soins et de la sécurité des malades, ainsi qu'au désir de se prémunir contre les poursuites pénales. Nous nous intéresserons ici au " dossier de soins ".

Principal outil d'information sur les patients, il peut revêtir selon les services voire suivant les unités fonctionnelles des formes très différentes.

Il comporte cependant dans la plupart des cas une partie de renseignements sur le malade, une partie de prescriptions remplie par les médecins, enfin différents feuillets de " transmission ", où en fin de poste, l'infirmier porte un compte-rendu sur les patients. Regroupés dans des classeurs, ces dossiers ont donc une forme générale à peu près commune à tous les services, mais leur contenu diffère parfois : si les aspects techniques des soins (prescriptions, doses, horaires de prises de médicaments, entrées, sorties) sont la plupart du temps présents, les notations sur l'état général du patient, la douleur, les aspects psychologiques sont loin d'être systématiques.

L'écriture sur ces dossiers est " contrainte " de plusieurs manières. D'abord par la surface du support qui la canalise et la préformate. Egalement par son contenu, souvent préorganisé et hiérarchisé par catégories, thèmes et sous-thèmes.
Sa longueur est tributaire des habitudes du service ou de l'unité, des préférences personnelles, des événements et du temps dont on dispose. Cet écrit remplit une triple fonction. La première est d'information à court terme : les soignants s'y réfèrent en arrivant dans l'U.F. pour savoir ce qui s'est passé et pour planifier leur travail. La deuxième est liée à la dimension historique de la maladie et du soin : quand un malade fait problème, il peut être utile de revenir en arrière pour se rappeler son évolution et synthétiser l'information.
Enfin, le dossier de soins a une valeur juridique et légale en cas de contestation. " Ces différents usages renvoient tous à un principe unique -dit de " traçabilité "- qui se répand de plus en plus dans les entreprises. " (1)

Même s'il est surtout l'affaire des infirmières, cet écrit est œuvre collective puisque plusieurs scripteurs y contribuent (médecins, infirmières successives, aides-soignantes, kinésithérapeutes, ergothérapeutes, animateurs, psychologues, etc.) et dialoguent par son entremise entre eux. D'une transmission à l'autre, on découvre des traces de superposition des discours, de réponses données un jour à des questions posées la veille. " On peut donc parler à leur sujet " d'énonciation plurielle " (Fraenkel, 1994), mais fondée sur le différé, celle-ci se distingue du dialoguisme de l'oral, où la coproduction de l'information est beaucoup plus radicale. "(1)

Signalements, prescriptions, instructions sont des actes de langage qui charpentent l'activité hospitalière et accomplissent un travail d'articulation central. De la fiabilité de leur transmission dépend la sécurité du travail thérapeutique. Les relèves, le dossier de soins, les outils de planification, les protocoles, tous ces dispositifs y contribuent massivement. Pourtant leur seule présence ne suffit pas à en assurer l'efficacité.

Les travaux de Goody (2) et notamment sa célèbre thèse de l'influence de l'écrit sur la pensée autant que sur l'organisation sociale nous conduisent à affirmer que l'écrit infirmier ne se limite pas à ces fonctions d'information à court terme, de feed-back et de traçabilité. Il est aussi le premier temps d'une prise de distance par rapport à ce qui s'est vécu et échangé dans un soin, il est donc organisation de la pensée, et temps thérapeutique lui-même. Nous postulons que toute clinique se constitue à partir de l'observation et de l'écoute mais également à partir de l'inscription de ce qui est observé, entendu, partagé par le soignant et le soigné Dans ce premier temps du soin, le soignant découvre le patient.

C'est à partir de l'écrit qu'il produit de cette rencontre que naît un soin qui permettra au patient comme au soignant de se réapproprier cette part de lui-même qu'il offre à l'autre, de se désengager d'une relation très prégnante pour mieux s'y engager. Cet aspect est essentiel dans une discipline psychiatrique trop souvent décrite comme le domaine de l'ineffable.

Peu importe en fait que le patient ait eu ou non une toilette, ce qui importe c'est la façon dont s'est réalisé le soin, le niveau d'autonomie du patient, l'ambiance relationnelle. Une écriture professionnelle infirmière en psychiatrie devrait décrire cette complexité et pas seulement noter que le soin a été fait.

L'analyse de contenu d'une écriture évaluant le soin au quotidien, son impact sur le patient tant sur un plan quantitatif que qualitatif permettrait de mesurer d'une façon plus fine la qualité des prestations proposées au patient.

Nous nous proposons de tester cette hypothèse en réalisant une recherche/action sur ce thème.

1 - Approche du problème de l'écriture professionnelle

Dominique Friard pour l'Association Laragnaise d'Exploration en démarche de Soin

Bibliographie

1 - GROSJEAN (M), LACOSTE (M), L'oral et l'écrit dans les communications de travail ou les illusions du " tout écrit ", in Sociologie du travail, n°4/98, pp. 439-461.

2 - GOODY (J), Entre l'oralité et l'écriture, Paris, 1993, PUF.

3 - FABRE (D), Par écrit - Ethnologie des écritures quotidiennes, Paris, 1997,Editions de la MSH, p. 198.

4 - PENE (S), Traces de mains sur les écrits gris, in BOUTET (J), dir. Paroles au travail, Paris, 1994, coll. " Langage et travail, L'Harmattan.

5 - DELCAMBRE (P), Ecrire : conditions de travail et place professionnelle, in Etudes de communication, n° 13, 1992, Pratiques d'écriture et champs professionnels, n°2, 47-72.

6 - BOUTET (J), GARDIN (B), LACOSTE (M), Discours en situation de travail, in Langages, 1995, n° 117, mars, 12-31, Paris, Larousse.

7 - NORMAN (D.A), Les artefacts cognitifs 15-35, in Raisons pratiques, 1993, n° 4, Les objets dans l'action. Da la maison au laboratoire, Paris EHESS.

8 - SUCHMAN (L), Plans d'action, in Raisons Pratiques, n° 1, 1990, Les formes de l'action, 149-170.

9 - CICOUREL (A), La connaissance distribuée dans le diagnostic médical, in Sociologie du travail, 1994, XXXVI, n°4, 427-449.

10 - GERARD (J.L), Infirmiers en psychiatrie : nouvelle génération. Une formation en question. Editions Lamarre, Paris 1993, pp.51-75.


nous contacter:serpsy@serpsy.org