Frédéric Masseix Centre de Sociologie Européenne, Paris L'insulinothérapie
Les thérapeutiques de choc furent, d’une certaine manière, utilisées de tout temps. Dès le 16ème siècle on appliqua des thérapies de choc aux diverses formes de maladie mentale, mais celles-ci consistaient essentiellement en des méthodes physiques, le plus souvent très brutales. Une des images caractéristiques de ces thérapies est celle du fauteuil tournant : le malade, assis et attaché sur une solide chaise, était secoué et mis en mouvement circulaire sur un axe placé en dessous de lui. L’idée, élaborée à partir de certaines observations fortuites, était que ces secousses pouvaient provoquer une sorte de " remise en place " des idées. Bien entendu, en dehors peut-être de sensations psychiques de vertige et de nausée, ces mesures n’eurent aucun bénéfice sur les malades.
La période qui va nous intéresser ici, d’un point de vue historique, part des années qui suivirent la seconde guerre mondiale. Toutefois, nous allons considérer, à partir des thérapeutiques de choc, la période des années trente. En revanche, toutes les méthodes de choc ne seront traitées dans cet article. Nous ne traiterons pas de la malariathérapie ni de la cardiazol-thérapie car aucune de ces méthodes ne fut encore utilisée après les années quarante.
Je centrerai ici l’intérêt socio-historique de l’article sur les usages " thérapeutiques " de l’insuline.
L’insulinothérapie
L’insulinothérapie, méthode servant au traitement des psychoses productives, et plus particulièrement de la schizophrénie, est aujourd’hui abandonnée dans ce qui constitue l’ensemble des traitements psychiatriques modernes. En réponse au questionnement naturel à propos de l’abandon de cette méthode de traitement psychiatrique nous dirons, de manière simple, que ce traitement, qui comportait une phase délicate, en terme de maîtrise du coma insulinique provoqué, était " relativement dangereux " et donc délicat à conduire et, ce qui est plus concevable de part l’évolution des pratiques modernes, qu’il a été aisément et plus efficacement remplacé par les médicaments neuroleptiques.
Paul Bernard notait à ce propos, dès la fin des années soixante, dans son Manuel de l’infirmier en psychiatrie (1) que ce traitement était " de plus en plus rarement entrepris depuis l’avènement des psychotropes. " (2) Quoiqu’il en soit, l’insulinothérapie connut une période de succès, en terme de références cliniques, dès ses premières expérimentations autour de 1933, en Autriche, puis en France, avec un retour en force, au sortir de la seconde guerre mondiale. La méthode avait été découverte à Vienne avant d’être proposée en France dès l’année 1936.
L’insulinothérapie était aussi appelée cure de Sakel, du nom de son inventeur, le Dr Manfred Sakel, médecin qui avait pensé provoquer une " dissolution de la conscience " (3) par l’usage du coma insulinique afin de bénéficier, au réveil, d’une phase de " maternage " (4), proche du rapport parent à enfant en quelque sorte, cette courte période devant servir au travail du lien social perturbé du fait des troubles psychotiques mas aussi à un véritable travail subjectif, grâce aux effets de " dissolution psychique " provoqués mais surtout recherchés lors de la cure : " le coma est un véritable effondrement momentané de la personnalité du malade et par suite de tous ses comportements morbides. " (5) C’est, profitant de cet état transitoire, à ce moment précis que le travail psychothérapique s’instaurait : " la psychothérapie en cours de cure est très importante Au réveil, elle se fait par l’infirmière (...). Au moment du réveil, le malade a oublié tous ses soucis antérieurs ; il faut en profiter pour l’intéresser à lui-même et aux problèmes de la vie de tous les jours. " (6)
La cure comportait différentes phases, chacune d’entre elles représentant un stade autour duquel s’organisait toute la technicité de la prise en charge qui, pour la première fois dans l’histoire des pratiques soignantes, nécessitait une compétence relationnelle et une compétence technique poussée : relation psychothérapeutique lors du réveil, sous supervision médicale mais effectuée par le personnel infirmier, et manipulation des produits, dans un milieu rigoureusement propre avec surveillance précise et constante des différentes phases du coma. Ainsi, la cure de Sakel, qui pouvait se pratiquer sous deux formes, la " petite " et la " grande insuline ", revenait à provoquer, à l’aide d’une injection d’insuline, un coma " artificiel ", en mettant en souffrance de glucose (un des éléments nutritifs de l’appareil neurologique) le cerveau. En dessous d’un seuil qui avoisine les 0,2 grammes de glucose par litre de sang la personne sombrait dans un coma profond, végétatif, dans lequel seules les fonctions vitales étaient maintenues. La cure devait comportait une série de chocs insuliniques dont le nombre, variable, allait de 30 à 60 en moyenne.
La petite insuline consistait à provoquer une sorte de sédation générale de la personne soignée sans toutefois l’amener jusqu’à l’état d’inconscience. On l’appelait aussi le " choc humide ". La grande insuline représentait la réalisation du coma insulinique mené jusqu’à l’abolition totale des fonctions supérieures.
L’insuline, produit humain issu de la sécrétion du pancréas, entre naturellement dans le processus de dégradation des sucres dans le sang. Dosée en unités on débutait le traitement par des injections de 10 à 15 unités en augmentant chaque jour de 5 à 10. Selon les individus le choc était ensuite obtenu par une injection variant de 70 à 120 unités en moyenne. La fin du coma était provoquée par l’assistance technique de l’infirmier qui effectuait alors le " resucrage ", terme très employé alors, en injectant par voie intraveineuse une dose de sucre suffisante pour provoquer le réveil. Mais le plus généralement il suffisait de resucrer par tubage gastrique.
Durant la phase de coma, qui durait environ trois heures, l’infirmier surveillait attentivement les fonctions vitales du malade (pouls, tension artérielle, ventilation, température) tout en le changeant de vêtements plusieurs fois si nécessaire (change de pyjama, de draps, de serviettes du fait de l’hyper sudation provoquée par le coma lui-même). Cette période de surveillance faisait suite à une première étape, celle de l’endormissement.
Chaque malade allongé sur un lit recevait, du même personnel à chaque fois (pour favoriser les échanges psychothérapeutiques : " nous étions cinq infirmiers affectés en permanence à ce traitement collectif " (7)), une injection d’insuline qui allait croissante jusqu’à l’obtention, au bout d’un nombre variable de coma, de la dose adaptée à la personne soignée, cette dose d’insuline devant provoquer un coma constant dont la qualité, ensuite, ne devait plus varier d’un coma à l’autre : la cure, proprement dite, pouvait alors commencer.
Même l’organisation des locaux faisait l’objet de considération, alors que " la cure exigeait également un accroissement du nombre de médecins " (8) on avait aussi à prévoir des " locaux aménagés " (9) spécialement pour les spécificités du traitement. On pratiquait la cure de Sakel, non pas dans les dortoirs communs des unités d’hospitalisation, mais dans des chambres individuelles ou collectives de trois ou quatre lits. Ces pièces étaient toutes équipées du matériel nécessaire à la surveillance clinique des malades alités en état de coma insulinique.
D’un point de vue sociologique il est à noter, en reprenant à nouveau les propos de Paul Bernard, que l’introduction d’une telle méthode thérapeutique constitua un réel bouleversement et qu’elle " rendit plus optimistes médecins et infirmiers " (10) en transformant " la vie même de l’établissement. " (11) Un psychologue de l’hôpital dans lequel j’ai effectué une recherche sur les pratiques soignantes (référence citée en fin de document) témoignait à ce propos que " c’était une horreur, imagine, les malades avaient l’impression de mourir… une angoisse terrible… moi je dis que c’est bien que ça n’existe plus. "
La phase d’endormissement se confondait donc avec une angoisse intense, vécue très objectivement par le malade, comme une perte totale de contrôle sur son corps et sur sa capacité même à penser. Il va de soi que ce moment, déjà, devait constituer un des temps fort de l’accompagnement soignant, à proprement parler, pour ne pas employer ici le terme de psychothérapie. D’ailleurs, c’est à partir d’exemples tels que celui-ci que se formèrent des fantasmes professionnels de compétences psychothérapeutiques parmi les personnels infirmiers. Qui mieux qu’eux accompagnaient les patients lors de ces phases reconnues si délicates ? Allant de soi, pour le personnel infirmier, ce débat autour de la compétence thérapeutique dut naître autour de ces pratiques où l’accompagnement se faisait délicat en associant les champs de compétences relationnelle et technique.
La phase d’endormissement était donc surveillée à la minute près : l’infirmier notait l’heure de l’injection, l’heure des premières sueurs sur le front, le malaise global verbalisé et surtout manifesté par des signes physiques notoires, jusqu’à la constatation du coma complet. Les malades " étaient secoués de spasmes et transpiraient énormément. La bave, au coin de leurs lèvres, devenait une sorte de mousse blanchâtre ; ils soufflaient avec force et se contorsionnaient violemment. " (12) Un infirmier passait " au pied des lits et annonçait : -X, ça y est ! Y, va pas tarder ! " (13) C’est à partir de ces observations consciencieuses qu’était évaluée, déjà, la prime qualité de la cure, sur ses aspects biologiques, avant, ensuite, de s’attacher aux aspects psychiques : là, mais toujours à partir des observations consignées dans les carnets d’observations spécifiques de la cure, s’effectuait l’évaluation de la qualité psychothérapeutique.
Il faut supposer, avec l’écart qui nous sépare de cette pratique qui n’est plus utilisée aujourd’hui, qu’il fallait au personnel non médical des qualités professionnelles allant au-delà de celles demandées auparavant aux seuls gardiens des asiles départementaux. Ainsi que le notait Paul Bernard, " par les exigences techniques qu’elle réclame, cette méthode a apporté un progrès important dans les asiles d’aliénés d’abord tant parmi le personnel infirmier que dans l’aménagement des locaux de soins. Bien qu’elle restât assez longtemps entre les mains de quelques infirmiers choisis dans chaque établissement, la cure de Sakel exigeait un nombre d’infirmiers et une qualification sans commune mesure avec les simples nécessités du gardiennage alors en vigueur. " (14)
L’insuline, employée comme médiateur biologique à la mise en place d’un climat psychothérapeutique, faisait suite en cela au choc au cardiazol développé durant le premier quart du vingtième siècle. Ainsi, la cure de Sakel ou insulinothérapie fut aussi appelée " choc insulinique ". Avec cette méthode thérapeutique moderne (pour l’époque) s’inaugurera une ère des chocs, à base physiologique, qui elle-même aura succédé, à plusieurs décennies d’intervalle, aux chocs infligés aux malades mentaux, dans les asiles, à l’aide de machines spéciales qui utilisait la mécanique : chaise tournante, siège à secousses, bain surprise, etc. Cette ère des chocs, si on peut ici employer cette expression, comprendra, durant une quarantaine d’années les deux méthodes conjointement utilisées dans les hôpitaux psychiatriques, à savoir, d’une part, la cure de Sakel et, d’autre part, les électrochocs (toujours appliqués).
Notons aussi qu’à la même époque, dans le courant des années trente puis au sortir de la seconde guerre mondiale, l’arsenal thérapeutique médical ne comptait que sur un ensemble fort restreint de molécules chimiques susceptibles d’agir sur les fonctions psychiques : d’un côté les opiacés et autres dérivés morphiniques, de l’autre les alcools et autres solutés tel le sirop de chloral. Il nous faudra attendre le début des années cinquante, et même plus encore, pour voir se généraliser, à partir de la découverte des effets de la phénothiazine (15) sur les états psychotiques, l’usage du premier neuroleptique : le Largactil. Progressivement, l’usage des médicaments neuroleptiques, puis des anti-dépresseurs, diminueront les indications de chocs insuliniques. La méthode de Manfred Sakel comportant trop d’éléments lourds à gérer, en terme de rendement, associée à la nécessité d’avoir un personnel suffisant et surtout bien formé avec, qui plus est, à son actif des " morts sous l’insuline ", quoiqu’elles furent peu nombreuses, fut progressivement remplacée par l’emploi des médicaments jusqu’à être complètement supplanté par eux.
L’emploi de la chimiothérapie, en premier lieu anxiolytique et neuroleptique, présenta en effet, et assez rapidement, moins d’éléments à gérer : nécessité moindre en personnel infirmier, administration et observation plus faciles, technicité peu onéreuse. L’insulinothérapie, en ce qu’elle fut le prototype de la thérapie biologique psychiatrique, reste encore un des modèles en terme de compétences cliniques qui associent es champs technique et relationnel. Aujourd’hui, en dehors des enveloppements humides, ou packs, pratiqués dans certains services, aucune méthode ne passe plus par une approche corporelle globale, en touchant au corps dans son entièreté.
Spécificité clinique du rôle de l’infirmier dans la cure de Sakel
Le Docteur Jean Oulès, psychiatre, disait à propos de la psychothérapie, menée en cours de cure insulinique qu’elle était " très importante " car " au réveil, elle se fait par l’infirmière. " Le réveil, constituait un des temps fort de la cure : " Au moment du réveil, le malade a oublié tous ses soucis antérieurs ; il faut en profiter pour l’intéresser à lui-même et aux problèmes de la vie de tous les jours. " Mais, de toute manière, le contrôle thérapeutique est assuré, ou supervisé, par le médecin responsable de la cure : " en tout temps, elle est contrôlée par des entretiens particuliers avec le médecin. " (16)
Sur le mode de la recommandation, qui peut par ailleurs être considérée comme une sorte de prescription, les psychiatres expliquaient dans leurs ouvrages ce qu’ils attendaient de l’infirmier, en terme de compétences technique et relationnelle, comme en terme d’attitude générale. Paul Bernard, insistant sur la spécificité psychiatrique de la thérapeutique insulinique disait qu’elle ne se réduisait pas " aux seuls soins physiques. " Á l’ensemble technique constitué par la surveillance des réactions somatiques et biologiques, comme aux soins physiques (frictions, changement de linge) " s’ajoutent d’une manière inséparable l’attitude propre de l’infirmière, la relation particulière qu’elle doit offrir au malade. Cette relation confère à chacun des gestes professionnels sa valeur d’acte spécialisé, sa valeur proprement psychiatrique. " (17)
L’insulinothérapie s’affirmait donc comme un " acte spécialisé " spécifiquement psychiatrique. Á partir de cela, et nombre de témoins s’en souviennent, les infirmiers affectés à ces traitements spéciaux, dont on exigeait compétences technique et relationnelle, bénéficiaient en quelque sorte d’un statut " d’infirmier spécialisé ". Bien avant l’apparition des spécialités professionnelles infirmières, et en parallèle des demandes de reconnaissances statutaires faites par ce personnel hospitalier, s’était créée une élite soignante, en référence à la biologie et à la médecine. Selon un infirmier formé dans le courant des années soixante un débat existait, entre militants syndicalistes ou non, et qui faisait de l’insulinothérapie un des facteurs de la reconnaissance sociale et d’État de la compétence infirmière psychiatrique : " c’était pour dire qu’on était pas que des gardiens… il fallait savoir faire plein de choses, bien connaître les malades et l’insuline. "
Mais, toujours sous l’angle de la prescription médicale, d’un côté soutien officiel des combats de la reconnaissance infirmière, de l’autre directrice des actions à mener, on notera les propos écrits du médecin qui insiste en disant que " l’infirmière ne doit jamais perdre de vue que son but est de réadapter le malade à une vie sociale normale et qu’elle collabore à sa guérison autant par les soins psychiques que par sa propre attitude en ce qu’elle peut susciter chez le malade de réactions de mieux en mieux adaptées. Pour cela l’infirmière doit montrer une attitude de compréhension chaleureuse et rassurante qui apaise l’insécurité du malade ou lui donne l’occasion de s’exprimer avec confiance. L’infirmière doit montrer cette attitude surtout aux périodes qui entourent immédiatement le choc, c’est-à-dire aux périodes d’endormissement et surtout de réveil. " (18)
Paul Bernard insistera aussi sur les composantes qui constituent, à ses yeux, les qualités de base du travail psychiatrique en disant de lui qu’il n’est " véritablement complet et efficace que lorsqu’il se compose de ces trois éléments souvent fusionnés dans un seul geste : technique de soins physiques, technique d’abord du malade, technique de réadaptation sociale. "
Pour le médecin, du moins selon ce qui apparaît dans les ouvrages à l’adresse des infirmiers psychiatriques, les actions infirmières doivent être supportées tant par une connaissance des éléments cliniques à considérer (observation en regard des indications médicales) que par une technicité avertie associée elle-même à une aisance naturelle relationnelle censée favoriser ou aider au travail psycho-socio-thérapeutique. L’opinion médicale se fait ainsi porteuse de toutes les actions appliquées, du fait de cette délégation nécessitée, au malade ou à son entourage.
Claudine Herzlich, en se référant à Freidson, note à ce propos que " le médecin perçoit le malade et ses besoins selon les catégories de son savoir spécialisé Attaché à son autonomie professionnelle, il entend définir lui-même le contenu et les formes de services qu’il rendra à son patient. " (19) Ali Aït Abdelmalek et Jean-Louis Gérard font observer aussi, dans le même ordre d’idée, que " de ce qui est dit, éprouvé par le malade, le médecin "fera le tri", ne retiendra que ce qui résonne (et raisonne) dans le discours médical. Ce n’est bien sûr pas le sujet médecin qui parle ici en son nom propre. C’est le porte parole d’un modèle " (20), ce modèle étant celui de l’approche médicale des troubles et de leur prise en charge, du point de vue du médecin, selon l’enseignement reçu en faculté de médecine.
L’infirmier, bien que seul à certains instants de la prise en charge, articule son action sur deux appuis : en premier celui de l’institution qui légitime sa position, sa parole et ses actes, en second celui de la référence au cadre médical fait de la prescription écrite ou de la recommandation verbale comme des cours dispensés en centre de formation ou de ceux imprimés et diffusés sous la forme d’ouvrages. La représentation charismatique de certaines thérapies médicales, même conduites par des non-médecins, suffit à entériner, aussi, par procuration, le discours et les actions des acteurs sociaux appliquant ces méthodes. Tout se passe comme si, depuis l’origine de la formation du corps infirmier, au sortir de ce que furent asile psychiatrique et gardiens, le travail infirmier ne pouvait se dépourvoir des garanties institutionnelle et médicale sans lesquelles ses initiatives ne peuvent trouver justification.
L’insulinothérapie, comme toutes les autres approches thérapeutiques psychiatriques, n’échappait pas à cette règle. Qui plus est la spécificité de la cure mettant sur la scène sociale la place importante accordée au coma s’accorde d’emblée à la référence médicale. Le médecin prescripteur théorisait la cure tandis que l’infirmier voyait sous son angle propre, et de manière plus simple, sans considération théorique, la réalisation de ce traitement : " notre travail consistait à faire chaque matin, une injection sous–cutanée à chaque malade couché au dortoir du premier étage, réservé à ce traitement. " (21)
Dans ces propos relatés par écrit l’infirmier témoigne à la fois de ses actions et de la nature de celles-ci ; en lisant cette phrase on a l’impression que le travail infirmier était relativement simple. Pas d’accent théorique, simplement une description des gestes effectués : " avant que ne se produise le coma, nous devions passer la camisole de force à chaque malade car lorsqu’ils étaient dans le coma, ils s’agitaient énormément, se contorsionnaient sur leur lit, gueulaient, soufflaient, bavaient. " (22) Par la suite, comme nous le décrivions plus haut l’infirmier procédait au resucrage : " nous passions à chacun une sonde œsophagienne et nous leur administrions la quantité de sirop de sucre nécessaire pour que le taux de sucre dans le sang redevienne normal ; c’était le resucrage. " (23)
Après le resucrage et le réveil l’infirmier s’attachait ensuite à prendre soin encore du malade : " nous leur passions une chemise propre et chaude puis nous servions à chacun un bol de café au lait. Ils allaient ensuite se débarbouiller. Ils s’habillaient et descendaient dans la cour où souvent, avec un ou deux infirmiers, ils jouaient au volley, en attendant le repas de midi. " (24) Car le malade venu de bonne heure, le plus souvent aux alentours de sept heures du matin, dans la salle réservée à l’insulinothérapie était à jeun depuis la veille. Le resucrage ayant eu pour effet de réveiller sa conscience, la collation qui suivait le coma lui permettait d’attendre le repas du midi pour enfin se sustenter.
Ainsi, selon le témoignage d’André Roumieux, des équipes de cinq infirmiers spécialement affectés à cette thérapie s’occupaient des malades tous les matins, sauf le dimanche : " un tel faisait les injections d’insuline. Deux autres mettaient au moment opportun, les camisoles de force. Ils prenaient en outre, température, tension, pulsations, avant, pendant et après le traitement. Avec celui qui faisait les injections, ils sondaient les malades et veillaient à ce que le réveil se passe sans incident. Enfin le quatrième infirmier avait la responsabilité des feuilles de température et de tension et de la marche du traitement car, si un malade, un jour avait été long à "partir" (à faire le coma), il fallait le lendemain matin augmenter la dose d’insuline. par contre s’il avait été long à se réveiller, il fallait diminuer la dose (…). " (25)
On observe, dans ce qui constitue ce témoignage autobiographique comme ethnographique, au sens de la restitution fidèle des actions menées, la réalisation des actes référencés dans les ouvrages cités plus avant : l’infirmier, faisant ici son travail, exécutait à la fois une prescription médicale en se conformant, dans le même temps, aux indications reçues dans le cadre d’une formation initiale ou continue. Les informations consignées servaient effectivement à réajuster, le cas échéant, la dose d’insuline, donc à modifier quelque peu l’application du traitement. Sous contrôle médical la cure, même conduite en l’absence du prescripteur, en recevait de fait le label : la cure de Sakel restait un acte médical sans être, à aucun moment, appliquée par un médecin, la prescription initiale (ou réajustée selon les observations infirmières du déroulement de la cure) suffisant à en garantir l’authenticité.
Il faut aussi conserver en mémoire qu’à cette époque des années cinquante et soixante, les pavillons d’hospitalisation avaient leurs lits tous remplis. Réserver un dortoir spécialement à la cure de Sakel consistait sans doute un sacrifice de l’espace témoignant de l’importance clinique de l’insulinothérapie. La technique restait tout de même une thérapie délicate à l’extrême : Roumieux parlant de ces collègues et de leurs qualités se souvient " de la sérénité avec laquelle ils passaient au milieu de ces moribonds contrôlés et avec quelle conscience ils intervenaient lorsqu’ils jugeaient que le malade approchait trop près de la mort et qu’il risquait d’y trébucher… " (26)
Ainsi la mort put-elle être compagne d’une thérapie ? Non, certes, mais il est assuré que le personnel avait toute attention portée aux manifestations végétatives minimales de la vie humaine. Risquer trop loin la poursuite du choc pouvait entraîner l’irréparable, l’abolition totale de la conscience et du sujet humain en l’entraînant dans le trépas. Voici aussi ce qui constitua, par sa dangerosité potentielle en cas d’inadvertance, la dimension qualitative de ce traitement biologique comme relationnel et qui " spécialisa ", en sorte, les équipes y étant spécialement affectées. Les compétences liées à la surveillance dépassaient celles élémentaires des anciens gardiens d’asile. Le traitement nécessitant une observation attentive du phénomène en cours n’avait rien à voir avec les autres actes habituellement dévolus aux infirmiers tels la surveillance de la cour de promenade, les douches et autres bains tièdes, les repas, etc. Là s’inscrivait résolument, après la transformation par décret, de l’asile en hôpital psychiatrique en 1937, le début d’une nouvelle ère dans laquelle les infirmiers psychiatriques allaient trouver à s’émanciper et à rompre avec leur passé et les images lourdes de sens attachées au gardiennage. Encore faut-il préciser que cette ère ne s’exprima que dans les seuls milieux réservés et qu’elle ne put être connue et reconnue par la société. En quelque sorte, ce qui constitua une révolution sociale et professionnelle ne trouva jamais à s’inscrire dans la réalité sociale extérieure à celle de l’hôpital psychiatrique. L’arrêt de l’application de l’insulinothérapie en favorisa l’extinction.
L’infirmier psychiatrique qui aurait pu s’appuyer sur les arguments de la compétence biologique pour se faire reconnaître au même niveau de compétence que les infirmiers des hôpitaux généraux, aussitôt après l’avoir développée et maîtrisée, la perdit de manière rapide et irréversible. Le rapport au corps pouvait pour la première fois se prouver autrement que dans le corps à corps de la seule contention s’opposant à l’agitation psychomotrice. Toutefois il aurait fallu à l’infirmier psychiatrique un nombre d’arguments que le seul discours syndical ne pouvait lui donner ; je parle ici du discours syndical car, en dehors de ce pouvoir de revendication qu’est le syndicalisme, l’infirmier n’avait guère d’autres choix, étant bien embarrassé pour écrire une argumentation clinique, en face de celle médicale, à partir des quelques bribes de savoir psychiatrique en sa possession et n’ayant comme autre poids à mettre dans la balance sa seule expérience du quotidien. L’empirie clinique infirmière non théorisée par les infirmiers eux-mêmes ne laissait donc rien entrevoir de ce qui pouvait constituer un savoir-faire (clinique) spécifique et surtout original, dans le sens de sa création par une corporation intéressée aux soins des malades mentaux.
Les médecins psychiatres, aguerris à l’écriture et à la théorisation des pratiques depuis Philippe Pinel et ses successeurs avaient tout pouvoir d’action (et de décision) sur les traitements, les malades et leurs subalternes. Il nous suffit de relire dans le détail les ouvrages destinés à la formation complémentaire des infirmiers pour nous rendre compte des limites déjà posées lors dudit processus de formation : c’est d’ailleurs ce que Jean-Louis Gérard appelle " l’aumône médicale " (27). Se souvenant de cette période, quelques années plus tard, André Roumieux raconte encore : " Il m’est arrivé, plus tard, en comptant discrètement dans un coin de réfectoire, quelques gouttes de neuroleptiques, de penser avec nostalgie, à ces grandes cures d’insuline. " Car la cure évoquait bien une compétence poussée de l’infirmier psychiatrique en dehors du simple gardiennage : " nous suivions attentivement, en ouvriers qualifiés et en usant d’une technique parfaitement établie, les spectaculaires phases du traitement. Nous avions conscience de notre efficacité, de notre importance. Le résultat de notre travail était visible. " (28)
Corps et insuline
Après avoir entrevu d’un point de vue ethno-historique la pratique de l’insulinothérapie il serait intéressant, au regard d’un abord anthropologique, de considérer la place du corps dans le déroulement de la cure. Ainsi, si le dialogue restait naturel en bien des cas, ou se transformait aux tons de la plaisanterie ou de l’anxiété verbale, le malade, une fois sa conscience éteinte, ne laissait à s’occuper à l’infirmier que son corps inerte, non sans vie, mais dans un état tel qu’il fallait à la fois attention technique et considération clinique. La sudation importante pouvant entraîner une déshydratation, selon l’ambiance extérieure (température, ventilation), mettait le corps en scène dans un mélange aqueux fait de sueur et d’odeur. Imaginer cette ambiance particulière de surveillance infirmière, faite par deux ou trois personnes, au milieu d’une pièce de cinq à six lits sur lesquels sont allongés, endormis dans un coma réversible, des malades, n’est pas une chose si aisée. Il nous faut mobiliser, dans cette approche ethnographique l’ensemble des connaissances des actes en eux-mêmes, leur nature, leur justification clinique mais aussi ce qu’ils provoquent, en tant qu’effets, sur le corps du malade.
Ainsi l’infirmier était-il en permanence en contact avec le corps du malade : déjà, en premier lieu en le touchant pour le préparer à l’injection sous-cutanée de l’insuline. Cette première approche, invasive de part sa nature, s’accompagnait certainement d’un environnement relationnel où s’associaient gestes appropriés et paroles rassurantes, ainsi que les ouvrages pédagogiques le recommandaient. Un certain climat relationnel fait de complicité et d’angoisse s’installait naturellement : " parfois un malade nous demandait (…) de ne pas le laisser trop longtemps dans le coma… Ou de lui mettre de côté le courrier qu’il pourrait recevoir pendant son traitement. Parfois même il nous donnait des conseils pour attacher plus solidement la camisole et les pieds (…). Certains plaisantaient et nous disaient en faisant d’étranges grimaces : - faites gaffe les gars ! si vous me faites dire des conneries quand le serai dans le coltard, j’irai me plaindre aux flics ! " (29) Ainsi, moins que tragique, face à la maladie mentale et la délicatesse des opérations à réaliser, " l’ambiance était bonne, parfois même très bonne. " (30)
Dans le second temps du choc, celui du coma à proprement parler, le personnel restait toujours près du malade et surtout prêt à intervenir en cas de besoin. Comme le disait André Roumieux, la mort restant telle une épée de Damoclès placée sur la tête des malades et des soignants était à surveiller elle-même, dans les manifestations biologiques et physiques qui pouvaient en annoncer la survenue : baisse brutale de la température, non-réveil suite au resucrage, arrêt cardiaque ou ventilatoire. Notons qu’à cette époque le massage cardiaque externe, technique de réanimation des inanimés aujourd’hui universellement pratiquée, n’existait pas. Le coma correspondait à un temps de soins qui prenait le corps dans sa globalité, depuis sa physiologie de base jusqu’à son confort physique général : la température était surveillée en parallèle du changement de la literie sur laquelle reposait le malade en même temps que l’on changeait, selon les besoins, tout ou partie de sa vêture.
André Roumieux signale la pose des gilets de force aux malades afin de contenir l’agitation psychomotrice qui survenait souvent lors du choc humide. D’autres témoignages rapportent que l’usage de la camisole n’était pas systématique et qu’en outre le linge pouvait être changé plusieurs fois durant le temps de la séance. Il est donc difficile de se faire une idée précise de la réalité. Quoiqu’il en soit, le corps mouillé devait être essuyé, épongé, maintenu à une certaine température, recouvert et installé aussi de manière confortable. Ensuite, au réveil, les soins se poursuivaient par l’assistance portée au malade pour changer de vêtement, le tout dans un climat particulier, celui normalement dû à l’abord psychothérapeutique : il fallait profiter de ce temps durant lequel le malade pouvait être " débarrassé " de ses troubles morbides pour instaurer une qualité de relation propice à la reconstruction d’un lien social différent, placé en dehors du délire notamment.
Comment cela se passait-il si, à la suite du ré-habillage et de la prise d’un simple bol de café au lait le malade s’en allait simplement à vaquer à quelques occupations ludiques ? La question appelle ici réponses et explications. Mais trouver des témoins à la mémoire fidèle sur ces faits d’époque n’est pas chose facile. Toutefois, à partir de cet ensemble de descriptions des différents moments et des différents gestes appliqués, on peut se faire une idée assez juste de la position infirmière au regard de celle du malade : l’infirmier psychiatrique agit au départ selon les règles de l’asepsie (propreté et stérilité du matériel utilisé), c’est-à-dire d’une manière assez voisine de celle de ses homologues des services de médecine-chirurgie, avant de revenir à un abord moins " médical " du soin au corps : essuyage, rhabillage.
La place tenue par le produit lui-même est aussi à considérer dans le cadre de notre étude. L’insuline, premier produit " humain " utilisé en injection pour traiter un phénomène morbide psychique, augura, sur un mode proche de celui du pouvoir magique des chamans, la lignée des traitements par inoculation. Certes le cardiazol l’avait précédé dans la généalogie des thérapies de choc mais, par trop dangereux, ce produit fut rapidement abandonné. Là, l’insuline, synthétisée en laboratoire à partir d’extrait d’insuline porcine, devenait outil et médiateur à tout un nouvel arsenal thérapeutique : elle permettait, pour la première fois, une approche véritablement thérapeutique des phénomènes délirants avec des résultats observables et durables. Même si la réversibilité des productions psychotiques ne s’avéra jamais totalement on nota rapidement l’efficacité globale du traitement. L’injection d’une simple dose d’insuline, associée à un environnement adapté, suffisait à améliorer considérablement l’état psychique général du malade et donc l’ensemble de ses relations au monde social l’environnant.
Telle une piqûre " magique " provoquant le sommeil et une sorte de résurrection de la conscience normale, l’injection d’insuline fonctionnait dans le cadre même de ce qui était espéré. Sans y voir la projection de mécanismes fantasmatiques de la part de la corporation soignante, on peut voir en cette méthode certaines des considérations observées, entre cause et effet, qui considèrent que le seul fait biologique ne suffit pas dans le cadre de l’amélioration ou de l’aggravation de la santé d’un individu. En interaction avec son environnement, le malade, comme toute autre personne, se faisait participe actif de la thérapie en adhérant, même sans le savoir consciemment, à l’ensemble de la procédure.
Nous voyons ici quelques similitudes avec les observations faites par Marcel Mauss à propos des manifestations, à type de perturbation de la santé, qui sont engendrées par un fait subjectif ; Claudine Herzlich explique le phénomène en disant de Mauss qu’il " s’appuie sur des faits observés dans des sociétés traditionnelles (…) pour montrer comment le non-respect de règles sociales par un individu peut le conduire à la mort. " (31) Dans cet ordre d’idée, peut-on supposer qu’une forme d’adhésion subjective fonctionnant sur l’ordre social symbolique aidait à la guérison ou à l’amélioration de l’état psychique tant attendue par l’entourage et, en premier lieu, du médecin prescripteur lui-même. Ainsi que l’observe Claudine Herzlich " l’interaction de l’organique, du psychique et du social n’est pas moins présente dans les sociétés modernes. " (32)
Dans le cadre de la cure de Sakel se trouvaient réunies ces trois composantes : l’organique avec l’insuline, le psychique avec l’état morbide psychotique et le social constitué de l’environnement de la communauté des soignants, elle-même placée sous la domination symbolique médicale, au sens Marxien du terme : la plus-value retirée de l’expérience d’une cure conduite par un personnel infirmier revenait, en définitive, au médecin. L’action de l’insuline était, en premier lieu, neurologique. L’effet de l’insuline qui abaissait le taux de sucre dans le sang suspendait la conscience durant une phase entièrement " maîtrisée " par la technique infirmière. Il aurait fallu mener des cures dépourvues d’accompagnement relationnel pour observer, en parallèle leurs effets thérapeutiques sur les qualités de relation au monde social ensuite entretenues par le malade. Ce que nous avons d’observations prend en compte la présence permanente des acteurs soignants auprès des malades alités placés sous l’emprise de l’insuline. De manière simple, telle qu’elle a été décrite plus haut, ils injectaient, surveillaient, maternaient.
En dehors de toute entreprise de conceptualisation théorique les infirmiers agissaient donc en tant que dépositaires du savoir et du pouvoir médical : il s’agissait là, en fait, de l’application d’une décision médicale. L’absence physique du médecin, qui n’était appelé qu’en cas d’urgence, le rendait symboliquement présent, du fait même d’avoir indiqué au malade et au personnel infirmier l’application de la cure, le nombre de ses comas, la durée du choc. Seul le médecin " savait " exactement comment cela se passait, l’infirmier, agissant sur ordre, n’ayant pas accès au savoir médical ne pouvait qu’expliquer de manière très rudimentaire ce qui allait se passer à chaque malade, pas davantage : " il me demande ce qu’on allait lui faire. Je le rassurai. " (33) Le malade, de son côté, convenait à sa manière à l’observance d’un traitement qui lui était appliqué, sans qu’il puisse s’y opposer fermement. Dans l’attente de la fin du traitement s’exprimait pour le malade l’espoir de sortie de l’hôpital psychiatrique et, certainement, du champ psychiatrique : " à son réveil, ses premières paroles furent pour me demander si, quand il aurait fini ce traitement, il sortirait définitivement (…). " (34)
C’est à partir de l’accès à l’information juste que s’effectuait l’établissement hiérarchique naturel, " le pouvoir est aussi fonction de l’information spécialisée qui permet l’établissement des dominances. " (35) Ainsi d’une manière descendante s’effectuait le contrôle symbolique et social, articulé sur la personne du médecin : le médecin prescrit un traitement dont lui seul connaît exactement la nature du fonctionnement, d’un point de vue théorique et clinique ; l’infirmier accomplit un acte spécialisé, constitué par la cure de Sakel, selon la directive médicale écrite (prescription) en ne pouvant donner que de simples explications sur la nature intrinsèque du traitement ; le malade, enfin, reçoit les bénéfices de tous ces savoirs (par l’ensemble constitué) en se soumettant de tout son être : d’une part physiquement, par la station allongée et passive en recevant l’injection, d’autre part psychiquement en recevant l’impact symbolique de la thérapie.
Au sortir du coma, rhabillé et remis sur pieds le malade pouvait vaquer aux occupations de divertissement. Outre le volley dont parle André Roumieux, les jeux de carte et de société constituaient aussi des temps d’échanges entre malades et personnel soignant. Qu’est-ce qui faisait alors que ce lien social d’une extrême simplicité pouvait devenir l’armature de toute une psychothérapie ? Depuis que la psychanalyse a donné sens, en l’analysant, à la relation thérapeutique, on sait qu’il convient d’observer un certain nombre de règles, elles-mêmes conceptualisées de manière clinique, pour que s’instaure un climat propice à la psychothérapie. Alors, en dehors d’une conceptualisation, ici absente, sur quoi reposait la garantie de réussite thérapeutique d’une telle entreprise : l’insuline, l’impact subjectif de l’organisation sanitaire psychiatrique sur la fonction psychique du malade, l’environnement social hospitalier lui-même participe dans la relation subjective du patient à l’ensemble de son traitement ? Bien entendu ces questions sont fabriquées par moi et n’ont pas été posées selon ces termes durant toute la période de l’insulinothérapie. De prime abord, peut-être par économie personnelle, les cliniciens de l’époque se sont-ils satisfaits des seuls effets obtenus par cette méthode et par ses moyens d’application ? Il est donc intéressant de se poser la question de la spécificité de la relation, de son vécu, au sens objectif du terme mais sans le dépourvoir de ses rapports à la subjectivité.
En définitive, le malade bénéficiait d’un ensemble stratégique à la fois objectif, social, et subjectif fait des représentations symboliques associées aux pouvoirs de décision et de savoir médicaux. C’est de cet ensemble, et non pas de la seule action de l’insuline, que résultaient les réussites obtenues par la cure de Sakel.
à suivre…
Notes et références
1 - Dans cet article je me suis beaucoup référé à cet ouvrage du psychiatre Paul Bernard. Il fut parmi un nombre limité de médecins intéressés à la formation des infirmier psychiatriques en publiant, dès 1947, des ouvrages pédagogiques et techniques sur ce sujet. Son Manuel de l’infirmier en psychiatrie reste un classique des publications pédagogiques, par sa richesse documentaire et par l’abord simple qu’il propose à tout lecteur. Paul Bernard fut aussi, avec Henri Ey et Charles Brisset, l’auteur du Manuel de psychiatrie (à l’usage des médecins psychiatres) le plus complet et documenté.
2 - Paul Bernard, Manuel de l’infirmier en psychiatrie, Masson, 1977.
3 - L’expression de " dissolution de la conscience fut employée couramment à propos des chocs électriques (électrochocs, devenus par la suite électroconvulsivothérapie).
4 - Yves Racine, Introduction au maternage, Bibliothèque de psychiatrie pratique, Editions du scarabée, CEMEA, 1972.
5 - Yves Racine, Ibid.
6 - Jean Oulès, Soins aux malades mentaux, Librairie Le Livre, 1972.
7 - André Roumieux, Je travaille à l’asile d’aliénés, Champ Libre, 1974.
8 - Jean Oulès, Soins aux malades mentaux, Ibid.
9 - Ibid.
10 - Paul Bernard, Manuel de l’infirmier en psychiatrie, Ibid.
11 - Ibid.
12 - André Roumieux, Je travaille à l’asile d’aliénés, Ibid.
13 - Ibid.
14 - Jean Oulès, Soins aux malades mentaux, Ibid.
15 - Phénothiazine : nom de la molécule qui fut commercialisée sous le nom de Largactil en France ; connue aussi sous le nom de Thorazine dans les pays anglo-saxons.
16 - Jean Oulès, Soins aux malades mentaux, Ibid.
17 - Paul Bernard, Manuel de l’infirmier en psychiatrie, Ibid.
18 - Ibid.
19 - Claudine Herzlich, " La maladie et la santé comme objets sociologiques ", in La sociologie française contemporaine, sous le direction de J.-M. Berthelot, Collection Fondamental, PUF, 2000.
20 - Ali Aït Abdelmalek, Jean-Louis Gérard, Sciences humaines et soins, Éditions Lamarre, 1994.
21 - André Roumieux, Je travaille à l’asile d’aliénés, Ibid.
22 - Ibid.
23 - Ibid.
24 - Ibid.
25 - Ibid.
26 - Ibid.
27 - Jean-Louis Gérard, Infirmier en psychiatrie : nouvelle génération, Lamarre, 1993.
28 - André Roumieux, Je travaille à l’asile d’aliénés, Ibid.
29 - Ibid.
30 - Ibid.
31 - Claudine Herzlich, " La maladie et la santé comme objets sociologiques ", in La sociologie française contemporaine, Ibid.
32 - Ibid.
33 - André Roumieux, Je travaille à l’asile d’aliénés, Ibid.
34 - Ibid.
35 - Ali Aït Abdelmalek, Jean-Louis Gérard, Sciences humaines en soins, Ibid.