MONTPELLIER 5, 6 et 7 juin 2003.
Marylène hésite. Les infirmiers ont tellement de mal à s'exprimer en réunion, comment pourraient-ils expliquer leur quotidien, confier leur espoir en une psychiatrie plus ouverte, plus soignante dans un amphithéâtre rempli de psychiatres et de psychologues qui savent manipuler la parole et retourner à leur avantage toutes les critiques ? Comment éviter de servir d'alibi au corporatisme médical ? Comment prendre la parole avec cette boule qui fait se bousculer les mots, qui tétanise la pensée ? Comment sortir de l'émotionnel ? Comment ne pas se mettre en colère face à la mauvaise foi, face au déni ? Que pourrait-elle dire, elle, qui puisse être d'un poids quelconque face au discours bien huilé des ténors de la psychiatrie ? Comment se faire entendre lorsque l'on n'est qu'une petite infirmière diplômée d'état ?
Marylène hésite. Elle sait qu'elle ne peut pas faire comme si rien ne se passait. Elle a lu l'article 8 du projet de simplification administrative qui transforme le secteur en territoire et qui risque de faire passer les soins psychiatriques sous la coupe des hôpitaux généraux. Elle sait les dégâts que cela produit. Elle sait les conséquences du déremboursement des médicaments sur les patients qu'elle suit. Elle sait qu'elle ne peut plus se contenter de n'être qu'une infirmière à l'écoute de la souffrance des patients, ce qui est déjà en soi, aujourd'hui, un combat. Elle sait qu'elle a, aussi, des responsabilités vis-à-vis de ces mêmes patients. Que leur dira-t-elle lorsque l'obligation de surveillance aura réduit le soin à une peau de chagrin, quand les entretiens infirmiers seront un luxe, quand les activités de médiation seront réservées aux quelques patients qui fréquenteront les CATTP ? Que dira-t-elle à leur famille ? Qu'elle n'était qu'une IDE ? Que Montpellier c'était trop grand pour elle ? Qu'elle a donné les clés de la santé mentale aux psychiatres qui l'ont vendue aux politiques contre la suppression des directions de soin et un aménagement de leur carrière ?
Marylène hésite. Quelque chose lui dit qu'aller à Montpellier c'est d'abord poser un acte. C'est montrer aux psychiatres que les soignants sont là, présents, responsables, en mouvement. C'est mettre un grain de sable dans la petite mécanique corporatiste qui s'abrite derrière quelques grands principes. C'est contribuer à tenter de dépasser les clivages pour opposer un front commun aux manœuvres des hiérarques du ministère qui, quel que soit le gouvernement, massacrent avec méthode un soin cousu main, adapté à chaque souffrance. C'est se rassembler autour de quelques valeurs incarnées sur le terrain, valeurs que l'on retrouve dans la notion de service public et de secteur psychiatrique. C'est montrer aux politiques qui ne manqueront pas de mesurer l'engagement des soignants à l'importance de leur participation aux Etats Généraux que nous sommes vigilants, déterminés à nous battre s'ils remettent en cause les valeurs qui nous rassemblent.
Marylène hésite. Elle sait qu'il faut aller à Montpellier. Elle pense à cette phrase d'un patient lue sur le forum d'un site Internet : " Nous ne voulons pas retourner à l'asile quand nous allons mal, nous ne voulons pas aller mal sans soins. "