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MONTPELLIER 2003


La relation thérapeutique en psychiatrie


Si je vous dis en préambule que j'ai été enlevé par une soucoupe volante et transporté sur une planète inconnue, vous allez douter de ma santé mentale. Je risque peut-être même, pour peu que je présente quelques troubles du comportement de me retrouver hospitalisé en HDT à La Colombière avant d'être transféré dans mon secteur. Remarquez l'avantage, c'est qu'ainsi on pourra dire que les usagers étaient présents aux Etats Généraux. Rassurez-vous, je n'ai pas réellement été enlevé mais en lisant le rapport du Docteur Vasseur, j'ai tout de même eu la sensation d'être sur une planète inconnue ou plutôt de me retrouver dans un monde parallèle.

La commande qui m'a été posée était pourtant simple : adresser en quelques cinq minutes trois questions au rapporteur. Toute ma difficulté tient au fait que je n'ai pas de question. Je n'ai pas de question parce que le rapport me parle d'un monde qui n'est pas le mien, parce que le rapport ne décrit pas ma réalité de soignant, comme si les questions soulevées par la relation soignant-soigné en psychiatrie étaient toutes solubles dans la psychanalyse et dans la psychothérapie, comme si sur le terrain la relation ne passait pas d'abord par des histoires d'hospitalisations sous contrainte qui connaissent une augmentation exponentielle, de mises en chambre d'isolement qui tendent à être systématiques dès qu'une personne est hospitalisée en HDT ou en HO. Si les 45 % d'hospitalisations sous contrainte en région parisienne, ne rejaillissent pas sur la qualité de la relation thérapeutique, j'aimerais que l'on m'explique. On pourra certes m'opposer, d'une façon un rien condescendante, qu'il s'agit d'une réaction corporatiste d'infirmier qui trouve qu'on ne parle pas assez des soins. Mais tout de même, ces mise en chambre d'isolement, ces contentions, elles aussi en augmentation constantes sont bien prescrites par des psychiatres, non ? Ces H.O., ces HDT sont bien confirmés par des psychiatres, non ?

De mon point de vue d'infirmier, le rapport est hors sujet. Je serais psychiatre, je trouverais certainement ce rapport excellent et j'aurais de nombreuses questions à lui adresser. Nous serions en pays de connaissance, en pays de connivence et tout cela se passerait le mieux du monde.

J'aurais mieux fait de pas venir, ainsi j'aurais pas eu à dire des choses désagréables ou supposées l'être. J'aurais du me méfier et mieux lire l'argumentaire : " Quelles que soient leurs options théoriques, les psychiatres s'accordent pour reconnaître à leur discipline l'existence d'un socle commun. " Premier problème, je ne suis pas psychiatre. Je suis certes heureux de savoir que malgré la diversité de leurs options théoriques, les psychiatres reconnaissent à leur discipline l'existence d'un socle commun (sur le terrain ce n'est pas cela que l'on perçoit) mais, dois-je me reconnaître dans ce socle commun ? Cette question en appelle immédiatement une autre : en tant qu'infirmier, en tant que soignant, puis-je penser en dehors des psychiatres ? Le tout des soins en psychiatrie, et donc de la relation soignant-soigné est-il contenu dans ce socle commun ? Autrement dit, la pensée de la relation avec le patient est-elle la propriété des psychiatres ? Une pensée infirmière, ergothérapique ou aide-soignante de la relation a-t-elle droit de cité dans la psychiatrie d'aujourd'hui ?

Un rapport qui s'adresse à l'ensemble des acteurs de la psychiatrie peut-il ne prendre en compte que l'histoire à la sauce psychiatre et oublier que la qualité de psychothérapeute pour les psychologues n'a été reconnue par les psychiatres qu'au prix d'un dur combat, que le seul statut qui leur a été un temps concédé était celui d'auxiliaire de psychothérapie ; un rapport qui s'adresse à l'ensemble des acteurs de la psychiatrie peut-il oublier que c'est autour de la question du rôle psychothérapique des infirmiers que s'est séparé le groupe de Sèvres ? C'est un sujet chaud que celui de la relation thérapeutique en psychiatrie. Déjà, rien que le mot thérapeutique devrait être questionné. Après tout, ne proclame-t-on pas que la chambre d'isolement est thérapeutique ? Après tout, pourquoi un entretien d'un quart d'heure par mois devrait-il être thérapeutique ? Parce que c'est un psychiatre qui rencontre un patient ? Thérapeutique comment ? Thérapeutique de quoi ? Et les visites à domicile ? Et les entretiens infirmiers ? Et les toilettes ? Et les courses ? Et les accompagnements de l'assistante sociale ? Et les massages de la psychomotricienne ? Et ces réunions qui rassemblent l'ensemble de la constellation transférentielle d'un patient ? Et cette élaboration commune, ce penser ensemble, ce travail accompli en équipe, en collectif ? Et les réunions de régulation auxquelles les psychiatres ne participent pas ? Pas besoin de régulation les psychiatres ? Evidemment, ils sont tous supervisés.
Et ce quotidien dont on ne veut surtout rien voir, rien savoir comme si la souffrance psychique c'était contagieux. Mais c'est contagieux la souffrance ! Qu'en est-il de l'exercice quotidien de chacun ? Comment nous portez-vous, comment nous soutenez-vous quand nous nous empéguons dans l'identification projective, quand la violence des attaques contre le lien nous empêche de penser, quand nous répondons à cette violence par une autre forme de violence, plus institutionnelle ?

J'ai six minutes pour essayer de faire entendre une différence, alors que des livres s'écrivent pour tenter de la décrire. Je vais être forcément elliptique, incomplet, partial, de mauvaise foi. Que voulez-vous que je développe, assis sur mon strapontin ? C'est déjà bien bon de nous avoir invité. Je ne vais quand même pas cracher dans la soupe ?
Combien de temps me reste-t-il ?
Trop peu.
Tant pis, je vais conclure par un peu d'histoire.
Le rapport nous rappelle la geste de Pinel libérant les enchaînés : " Quelques années plus tard, Philippe Pinel essayait vainement de convaincre le parlementaire Couthon venu à Bicêtre de prendre la mesure du geste inaugural de libération des enchaînés. " Cette histoire est un mythe médical, Pinel n'a jamais réellement libéré les enchaînés ; tous les auteurs qui se sont penchés sérieusement sur cette question sont en accord sur ce point. Lorsque Pinel prend ses fonctions à Bicêtre en 1793, il y découvre un " surveillant " employé depuis 1784, qui se distingue à la fois par ses qualités humaines et par sa compétence à gérer la folie en institution. De lui, Pinel apprendra tout un éventail de possibilités dans le travail relationnel avec les aliénés et y verra surtout la démonstration pratique des bienfaits de la liberté dans la maîtrise des supposés furieux. Swain, a montré de manière très précise que contrairement à une croyance bien établie, c'est Pussin qui, délivrant de leurs chaînes les fous de Bicêtre pose le " geste " inaugural attribué abusivement à Pinel. Je vois dans cette rencontre entre un médecin suffisamment ouvert pour apprendre d'un non-médecin et d'un infirmier suffisamment curieux pour imaginer et réaliser un modèle de prise en charge qui rende inutile toute contre-violence l'origine de la psychiatrie. C'est à partir de cette rencontre que Pinel, qui n'a jamais caché la dette qu'il avait vis-à-vis de Pussin va jeter les bases de ce qui deviendra le traitement moral. Le remplacement de Pussin par Esquirol, acte de naissance de l'asile proprement dit, va officiellement contribuer à exclure l'infirmier de la relation médecin-malade. Il sera fondu " dans le premier terme de la relation institution/malade : plus de spécificité d'une pratique non-médicale, plus de risque de fusion entre deux formes de savoir.(1) A partir de ce constat, M. Jaeger nous renvoie un questionnement qui résonne encore aujourd'hui : " Dans quelles conditions un relais peut-il être assuré entre le projet thérapeutique défini par les médecins et les patients hospitalisés ? Comment concilier la nécessaire présence, sur le front de la folie, d'un tiers qui surveille, aide, accompagne les patients 24 heures sur 24 et la relative dépossession, par les médecins, de leur objet, le gardien faisant écran entre eux et leur patient ? "

Au delà, de l'historique des prises de position syndicale, c'est au fond la seule question que je pourrais adresser au rapporteur. Elle mord sur d'autres tables rondes, j'en suis conscient, mais pourquoi avoir dissocié les hommes de la relation thérapeutique ?



Dominique Friard
ISP Laragne (05)