Retour à l'accueil
Retour à Billet d'humeur
ANESTHESIE PSYCHIQUE TELEVISUELLE.
février 2003
Il y a deux sortes d'évènements à la télévision: ceux qui se repèrent, sont analysés, médiatisés, de plus en plus outrageusement, de plus en plus rapidement (reality shows par exemple) et ceux qui s'insinuent dans notre quotidienneté, invisibles, non repérés, passés sous silence et immédiatement intégrés à notre " norme " de vie, sans qu'ils ne suscitent guère de réactions, puisque justement invisibles.
Invisibles ?….Invisibles dans ce qu'ils franchissent en nous la limite de l'intime sans que nous ne nous en rendions bien compte.
Invisibles parce que ténus, implicites, venant toucher des zones d'identification entre ce qui nous est dit ou montré d'une part et ce que nous ressentons ou pressentons d'autre part.
On peut imaginer combien ce processus est sournois et subtile à la fois dès lors que le sujet de ce " non- événement " concerne précisément le sujet lui-même, son psychisme, celui de ses enfants et, bien sûr, les souffrances qui en sont le corollaire. Les souffrances psychiques sont aujourd'hui étalées pour la plus grande satisfaction de tous à la télévision , avec un mélange de protestation et de curiosité : assez des opérations à cœur ouvert ! Assez d'hémoglobine ! Montrez nous vos TICS, vos TOCS, vos TAGS , vos phobies et vos boulimies ! En direct ! Qu'on voie !
Au fait, qu'y a-t-il à voir ?
Eh bien, il y a à voir : voir ce qui est caché, voir de la pulsion en direct ! Voir en pleine lumière et entendre dire tout haut ce que nous-mêmes sommes parfois effrayés de nous entendre penser .( Qui n'a pas, à un moment ou un autre, un peu de tics, de tocs, de tags - dans une vie d'humain ?)
Jouir d'une commisération possible " oh , la pauvre enfant tocquée , c'est si grave ce qu'elle nous donne à voir, donc moi, je suis normal . "
Se gaver les yeux du symptôme invisible devenu quelques minutes, le tout psychique, visible, à travers le visage de cet enfant , qui restera gravé en nous, par son symptôme- qui transformera l'enfant en vedette-symptôme-télé en chaîné on peut le craindre ainsi par cette étrange notoriété à son symptôme, devenu signe d'identité ; on peut faire confiance aux producteurs d'émissions en quête d'audimat toujours plus facile, pour passer aux thérapies de groupe , thérapies familiales à la télé : tous ensemble ! Sus aux symptômes !
Cette disparition de plus en plus nette des frontières entre intime et public, entre regard et vision, via la pulsion scopique largement sollicitée, de manière perverse, transforme le téléspectateur en voyeur : tout peut être vu, même le vomissement d'une jeune fille en train de faire une crise de boulimie, c'est à dire pratiquement la transparence des organes aux prises avec la pulsion de mort. Cela pose de graves questions : que restera-t-il bientôt, à ce train-là, de l'idée de secret, de l'intime, du non dit ? Quel est l'enjeu ?