René est suivit sur notre secteur depuis de nombreuses années. Il y a deux ans, faute d'avancées thérapeutiques, et au vu des problèmes qu'il pose pour les autres patients dans le service nous tentons une sortie à l'hôtel. Quel projet ! Personne n'y croit, tout le monde le voit revenir encadré des forces de l'ordre dans la quinzaine qui suivra.
Qu'importe, de projets avortés en synthèses déprimées, nous n'avons plus l'imagination nécessaire pour désirer pour lui.
Accompagnement en voiture, accompagnement en métro, Paris, la banlieue, je visite avec René tous les hôtels sordides du secteur géographique qu'il connaît. Ces marchants de sommeil sont les seuls à proposer des réduits qu'ils appellent chambres, accessible au budget d'un handicapé adulte pensionné. Le choix de René s'arrête sur un hôtel où il logeait il y a quinze ans lorsqu'il était apprenti, avant de connaître prison puis hôpital psychiatrique. Ces hôteliers sans scrupules sont aussi les seuls à savoir qu'un malade sous tutelle, c'est un loyer garanti.
Contre toute attente, René "tient" dehors. Il tient mais aussi nous le tenons et parfois le soutenons.
Les cinq mètres carrés dans lesquels il est interdit de se faire à manger ne sont guère plus grand que la chambre d'isolement qu'il a souvent connu à l'hôpital. La différence, c'est que, lorsque René ne va pas bien, ce n'est plus moi qui ferme la porte, c'est René qui s'enferme à l'intérieur.
Le patron de l'hôtel m'appelle alors, surtout si son comportement dérange la tranquillité des autres exclus qui logent là. René passe une à deux fois par semaine à l'hôpital, on lui donne un traitement qu'il ne prendra pas ou rarement, il prend un repas. Ensuite il déverse son flot de revendications contre sa tutrice qui lui délivre au compte goutte les quelques francs qui lui restent après paiement du loyer et remboursement des dettes de forfait hospitalier contractées au cours des années d'hospitalisation.
Non assistance à personne en danger
Lorsque la rupture de traitement provoque des troubles qui ne sont plus tolérable par son environnement, ou lorsque ses idées délirantes qui l'accompagnent tout le temps ne sont plus supportables, René est ré hospitalisé une semaine ou deux.
Et puis un jour, il y a trois mois, René a dépassé les limites acceptables pour son logeur, aux troubles du comportement se sont ajoutées les menaces, verbales certes, mais la patience à des limites. Je demande à ce qu'il soit ré hospitalisé. Son médecin est d'accord, mais il faut attendre un peu. Le service a fermé une unité de vingt lits cet été, ouvert trois places d'appartement associatif et rien de plus pour prendre en charge différemment ou ailleurs les demandes de soin.
Pour être hospitalisé le ticket d'entrée obligatoire est une HDT ou un HO, dans ce cas on trouvera de la place, quitte à appeler un patient en sortie pour 24h chez lui et lui demander de ne pas rentrer ou à réveiller en un autre à 21heures pour aller dormir dans un autre service.
On attend donc, je fais patienter l'hôtelier, une visite à René qui se déroulera à travers la porte close, il me promet qu'il passera à l'hôpital demain. Le lendemain on m'appelle. René est dehors dans un accoutrement bizarre, un couteau à la main, il faut que je me déplace. Je refuse, voilà le meilleur moyen pour qu'il puisse rentrer.
Il se présente comme promis, de lui-même, accoutrement bizarre vous avez dit ? Tout dépend de ce que l'on voit. René sait pertinemment qu'il va être hospitalisé, il n'a pas de valise, il a donc pris sur lui tous les vêtements qu'il peut: trois T-shirt, deux pulls, deux blousons, trois joggings, deux shorts….. Ses armes? Un canif, une lime à ongles !
René est ré hospitalisé. Avec un collègue nous allons débarrasser sa chambre, c'est "fou" ce que l'on peut entasser dans cinq mètres carrés. C'est fou. C'est aussi très parlant. Nous en apprenons plus au travers des quelques sacs poubelle que nous remplissons que par ce que peut nous dire René délirant et halluciné. Les courriers de la tutrice jamais ouverts, les coupures de journaux sur ce chanteur, père de René qui ne l'a jamais reconnu mais qui, la gloire en plus à connu le même parcours que lui en passant par la prison et l'hôpital psychiatrique.
Séquestration
Et voilà, René est de nouveau à l'hôpital. Bien qu'opposant aux soins, son état s'améliore rapidement, il pourrait être sorti maintenant depuis trois semaines si….
Au cours de cette hospitalisation le tuteur a changé, l'hospitalisation ayant duré deux mois, la pension d'invalidité a été réduite, le forfait hospitalier de 75 francs par mois s'est accumulé, l'aide à l'autonomie pour les patients qui vivent dehors à été arrêté, et l'hôtelier ne le reprendra pas…
Il faut donc tout reprendre, tout recommencer. La précédente sortie avait pu avoir lieu grâce à la complicité (je crois que l'on peut dire comme cela) du service des admissions et de la tutrice qui avaient fait traîner des factures de forfait hospitalier supportant les foudres de la receveuse de l'hôpital. Cette fois-ci ce sera beaucoup plus difficile à mettre en route. La tutrice vient de se voir appliquer une loi destinée à quelques tuteurs indélicats, impossible de faire fructifier l'argent des protégés pour constituer une "cagnotte" permettant de consentir des avances en attendant la mise en route d'allocations complémentaires. Elle se bornera tout au long de la discussion à un rôle de banquier raisonnant sur la réalité des chiffres, les quelques cinq mille francs présents sur le compte de René ne couvrent pas ses dettes. Ses dettes?
Racket organisé
Mme Aubry, dans un élan de solidarité très Socialiste a inventé la CMU (Couverture Médicale Universelle permettant l'accès à la protection médicale pour les plus démunis) et dans un élan très social-libéral, elle a bien pris soin de fixer le plafond des ressources (qui permet entre autre aux bénéficiaires de la CMU d'être exonérés du forfait hospitalier) à trois cent francs… au-dessus de l'allocation adultes handicapés.
Le compte est simple, René hospitalisé depuis deux mois touche une AAH réduite à 2700 francs. Chaque jour qu'il est hospitalisé, il doit 75 francs à l'hôpital, soit 2250 francs par mois. Si sa tutrice lui donne 100 francs par semaine (moins d'un paquet de cigarettes par jour), il lui reste 50 francs à la fin du mois. L'hôtel le plus insalubre loue une mansarde 2300 francs minimums par mois.
René , grâce à l'effet conjugué d'un traitement médicamenteux, d'entretiens médicaux et infirmiers, et d'autres changements dans sa vie personnelle va mieux. Dans les réunions de service on ne parle pas de lui, et si je me hasarde à vouloir en parler on me demande si je suis nostalgique des temps où il défrayait chaque flash de ses frasques et autres transgressions.
Abus de faiblesse
Il vient me voir régulièrement pour savoir où on en est. J'essaye de lui expliquer ce que je viens d'exposer. Les mois précédents, René évitait ces discussions en se réfugiant dans son délire. Son père tout puissant dont il hériterait, sa filiation divine…. Depuis peu, son père est mort, on en parlait même dans la presse. Premier élément de réalité par rapport à ce père jamais rencontré. René est moins délirant, plus déprimé.
Mais, moins délirant, la réalité est brutale, insupportable. Je pense que nous courrons le risque d'un passage à l'acte suicidaire.
Lui au moins aura eu la chance d'avoir une place à l'hôpital pour cela. D'autres ne seront même pas admis faute de place ou d'autre prise en charge à l'extérieur.
Mais au fait, qu'est ce que je fais dans cette histoire aux côtés de Martine Aubry???
Vous voudriez que je vous parle de clinique? Mais ce n'est pas là ce qu'on me demande, on me demande de jouer le "contrôleur social", le "flic de la pensée délirante et des troubles du comportement" et finalement je ne m'en sort pas si mal. Complice de cette société qui ne veux de fous que sages et neuroleptisés ou enfermés ou encore quelques minutes sur un plateau de télévision, de ces gouvernements qui non contents de fabriquer des exclus inventent des lois pour éviter que les plus exclus d'entre eux les malades mentaux aient une chance de s'en sortir, et reprennent d'une main les quelques francs qu'ils consentent à leur faire l'aumône pour leur bonne conscience.
Oui, c'est consciemment que Martine Aubry fixe le seuil de la CMU 300 francs au-dessus de l'Allocation aux Adultes Handicapés.
Oui c'est consciemment qu'un receveur d'hôpital peut poursuivre un patient hospitalisé contre son grès pour une dette de 10000 francs de forfait hospitalier.
Oui c'est consciemment que l'on ferme des lits en même temps que des centres d'accueil (que l'on transforme en centres de tri), tout en refusant les moyens pour mettre en place d'autres structures de soin ou d'hébergement THERAPEUTIQUES.
Oui c'est consciemment que l'on dirige la psychiatrie vers l'hôpital général pour y traiter non plus la maladie mentale mais la souffrance psychique à coup de "nouvelles molécules" et réserver les asiles pour y enfermer les plus fous.
Oui Martine Aubry qui a en charge la politique de santé est responsable de :
Non assistance à personne en danger
Abus de faiblesse
Séquestration
Racket organisé
Quant à moi, je me refuse à continuer d'essayer d'inventer une clinique infirmière de la ségrégation.
Emmanuel Digonnet