Ami
lecteur, ceci ressemble à un pamphlet.
POUR EN FINIR AVEC «LES INVASIONS BARBARES»
INFANTILISANTES DE L’EVIDENCE-BASED MEDICINE (EBM)
(cette pratique fondée sur des preuves soi-disant scientifiques)
AVEC L’AIDE DES AMÉRICAINS EUX-MÊMES
Vers la
réhabilitation de la clinique du sujet : la patient-based
psychiatry ?
car, « On ne peut jamais rien prouver ». Jacques
DERRIDA.
Comme le rappelle Hanna ARENDT (Les origines du
totalitarisme), la médecine fondée sur des preuves scientifiques a été inventée
par le Reich nazi fasciné par les théories positivistes des Taine, Renan,
Comte, exacerbées par Gobineau, Rostand et Carrel. Ensuite, par les théories
eugénistes (stérilisation des malades mentaux) et racialistes du mouvement
fasciste américain, emmené par Henry FORD, dont une photo décorait le bureau de
Hitler…
Cela aurait du suffire pour l’expulser, à la manière d’un
noyau pervers, de notre champ de pensée et de pratique.
Reprise récemment par le monde anglo-saxon, cette
idéologie scientiste et technologique néoconservatrice de l’ère néolibérale est
maintenant bien connue en France : la Loi du 13 août 2004 réformant la
santé publique, l’Académie de médecine, l’INSERM et ses calamiteux rapports, la
triste autoproclamée Haute Autorité en Santé qui succède à l’ANAES (Agence
Nationale d’Accrétination et d’Évaluation en santé), qui masque sa totale
incompétence derrière la novlangue gestionnaire, la Direction générale de la
santé, l’Assurance maladie, les Observatoires régionaux de la santé, qui ont
perdu leur autonomie, les formations de l’École Nationale de Santé
Publique de Rennes, et celles de nos universités, la vénérable Société
Française de Santé Publique, pourtant défenseur jadis de la promotion de la
santé en approche communautaire, l’Institut National de Prévention et
d’Éducation pour la Santé), les directeurs d’hôpitaux, et même (hélas)
l’ex-indépendante revue Prescrire, tous sont désormais totalement soumis, contaminés par cette MÉTHODE fondée sur
la statistique, le déterminisme biologique et comportemental, qui démolit toute
une civilisation, et porte gravement atteinte à notre Kulturarbeit.
Elle renaît (born again) en
1980 dans un Canada victime du « complexe de Zélig », puis devient
officielle aux USA et dans tout le cône sous domination idéologique anglo-américaine,
destinée à l’origine, et en toute innocence, à SIMPLIFIER l’enseignement
de la médecine devenu trop « complexe » pour les esprits
post-modernes pragmatiques…
Aujourd’hui, cette méthode binaire, ahistorique,
lourdement dogmatique et sous-développée (qui fabrique en trois ans des
techniciens es-guides et référentiels à appliquer à la lettre), est une
épidémie mondiale encore sans vaccin.
Rappel : mais qu’est-ce que
l’EBM ?
Ressuscitée
dans l’université privée baptiste McMaster d’Hamilton (Toronto) financée par
des géants pharmaceutiques (Pfizer et Astra-Zeneca) et du tabac (sic), l’EBM
est une méthode pédagogique conçue
comme une démarche explicite de recherche, d’évaluation et d’utilisation des
preuves disponibles pour résoudre une question clinique.
Elle suit quatre étapes : formulation du problème
médical, recherche dans la littérature et les statistiques des articles les
plus pertinents et des « meilleures » preuves dont on fait la
méta-analyse, évaluation de leur « niveau » de validité et de
l’applicabilité des conclusions pratiques, enfin, intégration des données
trouvées dans la réponse thérapeutique sous forme de référentiels et de
protocoles : cet ensemble est baptisé médecine factuelle ou rationnelle. Il
donne une caution scientiste aux nouvelles croyances du tout-quantifiable, et
rejoint curieusement les principes de la vieille école empirique française du
XIXè siècle, après avoir subi le filtre pragmaticiste calviniste. (KIERKEGAARD
méprisait les « vérités factuelles », tueuses du subjectif et de
toute métaphysique).
« L’obscurantisme
est de retour. Mais cette fois-ci, nous avons affaire à des gens qui se
recommandent de la raison », (BOURDIEU), car la santé, sous
la forme OMS du mot-d’ordre de bien-être démocratique
obligatoire pour tous (porte ouverte à tous les mouvements sectaires et de
coachs) « n’est pas un concept scientifique, c’est un concept
vulgaire » (CANGUILHEM, Écrits sur la médecine, 2002) et
injonctif : l’hygiène est redevenue une norme morale du néolibéralisme
comme en Prusse autrefois, et pourtant « Sanity,
is not statistical » écrivait Einstein…
Enfin, FREUD en 1937, dans « Analyse avec fin et
analyse sans fin » remarquait que soigner est l’un des métiers impossibles
au sens où on ne peut pas penser en produire une écriture scientifique qui
permettrait de le maîtriser et d’en prévoir les effets, tandis que HEIDEGGER
affirmait que « la science ne pense
pas… »
Question :
pourquoi la médecine, et pourquoi pas une evidence-based economy, ou une E.B.
sociology, alors qu’il existe un « Centre pour une politique publique
fondée sur la science » (sic) au Maryland, financé par Exxon ? Quels
sont les enjeux de la médecine ? L’EBM est-il un symptôme du passage
français au néolibéralisme et à une conception totalitaire de la santé ?
Il subsiste un
« mystère » : comment et pourquoi cette approche idéologique
scientiste-positiviste inspirée du modèle de l’École française de médecine
expérimentale de Claude Bernard (qui fut altéré ensuite par les anti-Lumières
déterministes Taine, Renan et par le positivisme de Comte, ouvrant la voie aux
préfascistes Rostand et Carrel et à l’eugénisme, cette variante de
l’hygiénisme), a pu aussi rapidement et brutalement (ré)envahir le champ de la
santé française que l’OMS, en 1998, classait pourtant « meilleur système
mondial de prestation de soins » ?
Comme si la place culturelle était vide, dans le même
temps où la psychiatrie subissait les assauts parallèles des DSM et autres
thérapies cognitivo-comportementales, issues de la même matrice (Matrix)
scientiste au sang triste, et bien que « l’EBM soit quelque chose en fin de compte qui ne compte pas »…(Slavoj ZIZEK. La subjectivité à venir.
2006), mais que tout le monde adopte sans débat, comme par
enreligieusement, car toute idéologie scientifique est mûe par un « besoin inconscient d’accès direct à la
totalité », cette antichambre du totalitarisme pour Arendt.
Et si
cette exception française enviée nous avait fait honte à un moment où les
gouvernements de gauche cherchaient (on ne sait pourquoi) à donner des gages
aux anglophones : car MM Kouchner, ministre, (dont les valses-hésitations
politiques sont courantes…) Dab et Abenhaïm, directeurs généraux de la santé,
Kervasdoué et Johannet, conseillers, Chambaud, président de la SFSP, voire
Roelandt-Piel et leur rapport calamiteux, ces coachs de notre santé publique
étaient tous « de gauche » quand ils sont devenus les chevaux de
Troie de cette idéologie importée, contradictoire dans ses valeurs avec la
nôtre, et ont donc aidé à tuer le modèle clinique français (en particulier en
psychiatrie) dans la foulée providentielle des Lois Juppé.
Complexe d’Érostrate, nouvelle croyance ou soumission
idéologique à la manière du syndrome de Stockholm qui transforme les otages en
alliés zélés de ce faux modernisme ?
Dans Le Monde du 19/04/2007, Jacques TESTARD propose
l’hypothèse : « c’est une des
pesanteurs de la social-démocratie que de fonctionner avec le même moteur
libéral et le même carburant scientiste que le capitalisme, mais sans avoir ni
le goût, ni l’audace d’assumer les exclusions ».
Dans le même temps, leur confrère Allègre -l’homme qui ne doute jamais-
détruisait le système universitaire de recherche (ça vaut pour le champ de la
psychopathologie, mais aussi pour l’école et le collège, pareillement soumis à
l’impérialisme positiviste) par le cadrage évaluatif obsessionnel mis en place
par la DRED (Direction de la Recherche et des Études Doctorales) sur le modèle
d’une foi aveugle et non élaborable dans le scientisme et la technologie que J.
TESTARD appelle « la fascination de
la gauche pour la technoscience », et que J.C. GUILLEBAUD (Le Principe
d’humanité. Seuil 2004) raille :
« A force
d’arrogance la science est devenue dogmatique. C’est ce que GRAMSCI appelait la
superstition scientiste, laquelle conduit tout droit au fondamentalisme. Et ce
n’est pas un hasard si nombre d’islamistes se recrutent parmi les jeunes
scientifiques »…qui mettent à mal le bel axiome de Kant : « Il n’y a pas de doute que toute notre
connaissance procède de l’expérience » (et pas de la croyance aveuglée
par une idéologie).
Pourquoi cette conversion tardive et zélée à cette
contre-réforme d’une extrême violence, et pas seulement symbolique, et d’un
grand mépris face aux compétences cliniques accumulées et discréditées :
« L’Amérique n’a même plus besoin
d’être dominatrice. Elle est devenue pour nous irréfutable, c’est-à-dire,
intérieure » (Régis DEBRAY. Les
Cahiers de médiologie. 2006).
Vers une médecine marchandisée protocolisée et code-barrée ?
Ces « Invasions barbares »,
pour reprendre le titre du beau film de Denys ARCAND qui symbolise la fin de
l’exception québécoise face au rouleau compresseur américain, ont littéralement
et naturellement coulé de source, et n’ont pas rencontré beaucoup d’opposition
en France, puisqu’il y est partout proclamé par le MEDEF, et repris en chœur
par les médias unanimes, la rengaine tautologique « il faut réformer, puisque
c’est nécessaire pour moderniser et rattraper les retards » etc.
Cette
scholastique patronale a fait tache d’huile et développé la biopolitique
bureaucratique et révizorienne du contrôle social de la santé par le biopouvoir
d’État comme FOUCAULT ne l’aurait pas imaginé, à coup
de formations-formatages, de procédures et de protocoles (1000 sont
programmés par la HAS), de recommandations de plus en plus souvent opposables
et sanctionnables, de menace et de PEUR, de gestion mortifère, d’évaluations
maniaques jusqu’au délire paranoïaque, de guidelines et guides de bonnes
pratiques et conduites, de statistiques, de tests et questionnaires qu’on
stocke dans les toolboxes pour parler moderne, de courbes de Gauss,
d’impérialisme de la moyenne statistique et de calculs de probabilité (« ces nouvelles figures surmoïques du
destin » pour R. GORI ), de bilans, de listes, de codage, de fichage,
de classements et de « grilles », élaborées par la monarchie des
zexperts, qui REMPLACENT le diagnostic différentiel en voie de disparition. Et
surtout la clinique.
De
précaution en garanties, de preuves prouvées scientifiquement, en groupes
homogènes de patients (et de praticiens mis en concurrence, stimulés à la prime
au rendement, infantilisés et licenciables), d’habilitations et accréditations,
d’expertises « indépendantes », de démarche qualité (vla un autre
fétiche) en nouvelle gouvernance et en réforme de l’hôpitalentreprise
bientôt côté en bourse, dans lequel le malade (devenu usager, ou usagé ?)
sera l’INTRUS, en tout cas la variable d’ajustement ; de transmission
ciblée en dossier « partagé », et de démolition de la psychiatriste
santémentalisée, en invalidation de la psychanalyse parce qu’inévaluable, et en
multiples autres forfaits et assauts perpétrés par ces thanathocrates, nous
finissons par atteindre cet Ordre Nouveau médical que Jean OURY dénonce depuis
1960… et que R. GORI détaille dans sa « Santé totalitaire » (Denoël
2006).
Contre
l’intelligence collective et la culture, voilà un fichu malaise dans la
civilisation destiné à REMPLACER l’intuition, la prise de risque, le doute, le
colloque singulier et la bonne vieille anamnèse, bref, à fabriquer enfin une
médecine et une psychiatrie scientifi-ques, sans inconscient et sans transfert,
avec des médecins soumis à la démarche-qualité, et à l’évaluation humiliante de
leurs « compétences » professionnelles, sans tiers et sans dialectique,
devenus comptables : car selon l’ex DGS W. Dab « Tout ce qui n’est pas évaluable n’est ni scientifique, ni éthique
(sic) », mais : « Tout
ce qui peut se compter ne compte pas, tout ce qui compte ne peut pas se
compter » lui répond
EINSTEIN.
Et
Franck CHAUMON conclut (Psychanalyse : vers une mise en ordre. 2006) «Chacun convient que l’idée même de remplacer l’art de la politique par le
projet d’une mathématique du social caractérise la bureaucratie, voire le
totalitarisme ».
NB :
d’où vient ce « protocole » qui envahit tout ? Du grec ‘protokollon’
–collé avant, certificat- qui passera dans le latin ‘protocollum’, avant de
connaître ses lettres de noblesse (sic) en portugais dès 1330, pendant la
«sainte» Inquisition contre les Juifs, sous la forme du PROTOCOLO DE LIMPEZA
(preuve de pureté) document sauf-conduit (un certificat de baptême du
«saint»-Office) prouvant que le porteur n’est souillé à aucun degré par
du sang juif impur. On comprend que ce terme plaira aux hygiénistes, car il
appartient déjà historiquement à l’eugénisme. Protocole sera ensuite utilisé
par les tsars puis les nazis pour apporter la PREUVE que les Juifs veulent
conquérir le monde : « Les protocoles des sages de Sion », et
sera la base « théorique » de Mein
Kampf. Regrettons que le très droitier gouvernement polonais ponde cette
délirante « Loi de
lustration » (rituelle) anticommuniste, qui exige un « certificat de
pureté politique » de ses responsables. De l’antisémitisme à l’anticommunisme,
les moyens sont les mêmes. Les homosexuels et les avorteuses suivent…
Voilà
bien un de ces nouveaux paradigmes kleenex dont notre époque fait grande
consommation, qui nous dessaisit de notre histoire, de notre pensée complexe et
de nos mentalités, au profit de cette grossière idéologie gestionnaire «moderne»
du mot d’ordre, tueuse du désir et de l’hétérogène, réactionnaire et
régressive, provoquant un changement radical dans la nature même du lien
social, en voie d’accréditation-accrétination à marche forcée, sans tiers, dans
une «pensée» ahistorique et désymbolisée.
L’EBM est la quintessence du concept, cet «incorporel» de
Deleuze, parce que « le scientisme
repose essentiellement sur le désaveu de la fonction du signifiant », GORI
(Synapse, sept. 2005).
Et Pierre VIDAL-NAQUET (Un Eichmann de papier. La
Découverte 2005) exprime une éthique radicale face à ces formes de
révisionnisme sectaire : « Le
débat (avec le porteur de ces valeurs)
est exclu, parce que son mode d’argumentation –ce que j’appelle son utilisation
de la preuve non ontologique- rend la discussion inutile. Je procède comme avec
le sophiste, un homme qui ressemble à celui qui dit le vrai, et dont il faut
démonter pièce à pièce les arguments pour en démasquer les faux-semblant. Il
faut comprendre non seulement le comment
du mensonge, mais aussi le pourquoi ».
Les
dégâts sont très importants : l’irréversibilité est-elle atteinte, et
peut-on encore refouler ce modèle épidémique mortifère avant que la jeune
génération dite pragmatique (a-t-elle un autre choix ?) en ait fait son shibbolet et soit définitivement américanisée, scientific- based (ou «biaised»,
selon le witz de regretté ZARIFIAN), convaincue de force qu’est scientifique
tout ce qui peut se mesurer.
Aujourd’hui,
nous assistons à la fétichisation de la preuve, au cœur de tous les raisonnements,
dans un matérialisme vulgaire, soubassement d’une pensée primaire opératoire
fondée sur le factuel et le (sur)déterminisme : un nouvel anti-humanisme
qui oppose le cerveau à l’inconscient, la (ré)action à la pensée.
Et pourtant, « La
vérité est dans la contradiction », Jean JAURÈS.
Rien de tel qu’un sottisier pour en faire le tour, et sourire malgré tout.
Et d’abord le célèbre sophisme
de l’inénarrable RUMSFELD sur les armes de l’Irak : « Ce n’est pas parce qu’on n’a pas la preuve que quelque chose
existe, qu’on a la preuve qu’elle n’existe pas »… (Comme pour Dieu).
Ariel SHARON « C’est aux Palestiniens de prouver qu’ils
veulent la paix ».
Au sujet de la plainte contre
une exposition d’art contemporain à Bordeaux : « L’enquête peine à prouver le caractère pornographique des œuvres :
cette procédure ne repose en effet sur aucune preuve du litige ».
De L. ARMSTRONG, douteux
vainqueur de sept tours de France : « Lors d’un arbitrage fédéral à
Dallas, j’ai prouvé que je n’avais jamais utilisé de produits dopants ».
Ségolène ROYAL (souvent) : « Je veux faire l’Europe par la preuve »
( ?).
Y. FERROUL, le Monde du
19/12/06 : « Il n’y a aucun
article dans toute la littérature mondiale (sic) apportant la preuve qu’une
méthode psychanalytique ait guéri quiconque ».
« Le Dalaï Lama proclame à Washington devant le congrès sur les
neurosciences convoqué par Bush, sa foi dans la science : si elle prouve
que certaines croyances du bouddhisme sont fausses, alors le bouddhisme les
changera ». Le Monde du 12/11/05.
La Cour d’Appel de Rome le
11/08/2005, rejugeant Paolo Persichetti extradé lâchement de France :
« Il n’y a jusqu’à présent aucun
signe prouvant qu’il a assumé publiquement des positions de dissociation de la
lutte armée ».
La margarine PRO-ACTIV : une efficacité scientifiquement prouvée.
Philip ROTH dans « Le
complot contre l’Amérique » cite Henry FORD : « Je sais qui est cause de la guerre. Ce sont les banquiers judéo-allemands. J’en
ai la preuve, je vous parle de faits ». Il s’inspire alors du pamphlet
« Les protocoles des sages de Sion » où l’on voit à quoi peuvent
aussi servir les protocoles…
J. HOLMES, ambassadeur britannique à Paris
reproche au Monde, le 9/07/03 : (authentique) « Vous ne disposez pas de preuves prouvant que Blair avait menti
sur l’existence de preuves prouvant la culpabilité irakienne… »
The American Heart Journal
étudiant le bénéfice-risque de la prière dans la traitement des maladies
cardiaques : « Ces pratiques
n’ont pas jusqu’ici fait la preuve
scientifique de leur efficacité ».
Et puis cette perversion de la
pensée scientifique qui la calque sur le modèle juridique : « Il appartient aux opposants aux OGM
d’apporter la preuve que ces produits sont dangereux. Il faut faire CONFIANCE à
la science et à la recherche ». Pr Debray (TGV Magazine, oct. 2006).
Une confiance aveugle, comme la foi ?
Et la réponse de José
BOVÉ : « Nous demandons
l’inversion de la charge de la preuve : c’est à celui qui veut mettre
quelque chose sur le marché de montrer que son produit n’apporte aucun
risque ».
Outre la plasticité opératoire de ce concept-valise
utilisé à toutes les sauces pour faire valider n’importe quoi, il faut
remarquer que sa faiblesse sémantique et épistémologique l’oblige à devoir
s’accompagner d’un adjectif qualificatif tautologique, comme « preuves
probantes », ou « preuves vérifiées », ou «valides», parfois
même preuve «évidente» (apodictique), ce qui est guère scientifique, et
paradoxal pour une méthode qui se présente comme s’imposant d’elle-même,
s’énonçant toute seule, comme la vérité axiologique de la chose, ce qui permet
de la présenter comme non négociable, sanctuarisée.
La preuve (délibérément confondue avec la
probabilité) donne souvent lieu au mensonge ou au traficotage : les revues
médicales anglophones de littérature grise à comité de lecture, ou à facteur
d’impact contrôlé (le fétichisme de l’Impact Factor, but suprême de tout
chercheur français) sont imposées comme bibles médicales mondiales, et puisent
leur références « certifiées » dans le vatican EBM de la Cochrane
Collection d’Oxford, exclusivement financée par Astra-Zeneca.
Mais elles perdent actuellement de leur crédibilité, car elles en usent
fréquemment, ou sont abusées par les cooptations quand elles publient (New
England Journal et Science) les révélations de Hwang Woo-suk qui
aurait clôné un humain : dans ce cas, elles ne se distinguent plus guère de
l’Église de scientologie ou des simagrées de RAEL.
La revue The Lancet
(fleuron du groupe ELSEVIER, aujourd’hui EBMisé) publie en 2006 les résultats
de l’enquête truquée du Dr Jon Sudbo sur le cancer de la bouche. En octobre
2005, Nature révèle les conflits d’intérêts entre ses rédacteurs et les
laboratoires pharmaceutiques, regrette d’être financée par les marchands de
canons… et s’excuse pour les bricolages dans l’article sur les cellules
souches. Enfin, PLOS Medicine révèle que trois essais cliniques sur
quatre menés à l’initiative de l’industrie recourent à des « nègres »
pour les rédiger : l’article conclut : « Lorsqu’ils sont financés par les industriels, les articles
scientifiques ont jusqu’à huit fois plus de CHANCE d’être favorables aux
intérêts de leurs sponsors »…
A qui se fier quand la clinique
s’estompe derrière la statistique tronquée ?
Tout ceci s’écrit au nom de
l’EBM, cette médecine par la preuve qui pousse à en fabriquer de fausses,
ou des études partielles, édulcorées, dont les effets secondaires sont
neutralisés, parce qu’il y va du seul intérêt des laboratoires, comme le furent
les fausses preuves de la culpabilité de Dreyfus, révélées par JAURÈS.
Article
du Monde du 17-12-06 : Le New-York Time rapporte que les laboratoires
Lilly ont pendant dix ans
volontairement minoré les effets secondaires du psychotrope ZYPREXA qui a déclenché beaucoup de
diabète. Les guides de bonne pratique mentent.
Au mieux, ils biaisent.
Le ministre français de la santé vient pourtant
d’autoriser le 25-12-06 les laboratoires à suivre les patients chez eux par des
Programmes d’aide à l’observance « pour
que les patients prennent BIEN leurs
médicaments » disent-ils. Un scandale chasse l’autre. Fin du secret
médical. Et très peu d’émotion. Dans le même temps, « l’Europe» OBLIGE la
France à autoriser le Prozac aux mineurs…
Parfois, les guides de bonne
pratique tuent : le Monde du 14-10-06 rapporte qu’un accident de
radiothérapie au CH d’Épinal a fait un mort et treize irradiés en 2005, parce
que le protocole en anglais a été mal appliqué par des personnels incompétents,
insuffisamment formés et déqualifiés. L’on perçoit ici le risque principal que
cèle l’EBM : ses boîtes à outils s’adressent de plus en plus à des
auxiliaires sans formation clinique chargés d’appliquer A LA LETTRE des
recommandations techniques. L’EBM
prépare la médecine déléguée sans médecins.
Une enquête norvégienne de mai 2002 rapportée par Michel LECARPENTIER (dans
Psy-cause), médecin directeur de la clinique de La Borde, dévoile qu’entre 1992
et 2002, le ratio de mortalité par suicide et accident a été multiplié par
trois pour les hommes dans le système de soins psychiatriques. Des études
danoises, suédoises et américaines confirment ce constat. Ce surcroît de
mortalité est pour Lecarpentier
« l’effet de décisions étatiques prises au niveau mondial, rapportables à la
rationalisation des soins après le premier choc pétrolier ». Autrement
dit, considèrons que avons la preuve scientifique que la mondialisation de
l’EBM tue. Nouvel eugénisme doux ?
Pour F. CHAUMON (Pour la
psychanalyse. Pratiques de la folie 2006) : « Nous avons affaire à une toile de fond en perpétuelle évaluation de ses
propres rationalisations, d’une machinerie qui s’avance ouvertement en se
parant d’un pragmatisme indiscutable, auquel personne ne croit sérieusement, et
pourtant auquel tout le monde adhère ».
Voilà l’acmé de l’aliénation à
la manière de J. OURY.
Slavoj ZIZEK (La subjectivité à
venir. Flammarion 2006) : « Nous
nous retrouvons aujourd’hui dans une situation radicalement clivée : le
langage objectivé des experts et des scientifiques ne peut plus être traduit
dans un langage commun accessible, à tous, mais on le retrouve sur le mode de
formules FÉTICHISÉES que personne ne comprend vraiment, et qui façonne notre
imaginaire ».
Car, par l’EBM (où la preuve remplace la loi), la science
privatisée par « la monstruosité de
la logique acéphale des procédures gestionnaires » (CHAUMON), va vers
un totalitarisme : elle est devenue apodictique, et ne souffre plus de
discussion démocratique hors celle des zexperts cooptés avec leur inquiétante
novlangue, et « nous contraint à interroger les conditions de possibilité
même du politique » (CHAUMON).
L’EBM referme tragiquement la révolution ontologique cartésienne fondatrice
de la disjonction entre le savoir et la vérité, entre la pensée et le factuel,
qui avait ouvert la porte à la modernité. Cette méthode anti-Lumières
non seulement nous ramène à la fin du XIXè pour son approche médicale, mais
également au XVIIè pour son approche philosophique… Voulue par des protestants
réformés, elle risque d’éliminer l’héritage de Lüther… (Voir American parano.
–pourquoi la vieille Amérique va perdre sa guerre contre le reste du monde.
J.P. Immarigeon. 2006).
APRÈS LA SIDÉRATION, UNE RÉSISTANCE SE MANIFESTE ENFIN
car, « Quand quelques esprits sectaires proclament
leur infaillibilité, subjuguent le grand nombre et l’attellent à leur destin
pour le mener à la perfection… ainsi commencent les grands malheurs », René
CHAR, 1943. FREUD
ne serait-il pas le premier adversaire affiché de tout protocole positiviste,
bien qu’il ait été lui-même formé par le mouvement positiviste ?
Des chercheurs et des
praticiens en France, et dans la sphère anglo-américaine mettent en doute
scientifique cette idéologie comme étant hasardeuse, inefficace, et dangereuse
pour la clinique, alors qu’elle a été CONSACRÉE (c’est le lapsus utilisé sur le
site de l’HAS, qui considère que «ses
avis ont un CARACTÈRE DÉFINITIF, et à ce titre ne peuvent faire l’objet d’un
réexamen par une autre instance» ) par la loi du 13-08-04 comme méthode
unique et officielle d’approche des questions médicales. Il s’agit clairement
d’une bulle pontificale, irréfutable… Au secours, Lyssenko.
NB :
Dans un laborieux et très primaire plaidoyer paru dans le Monde du 27-01- 2005, le patron de la Haute autorité avec cette
fausse candeur issue de son passage dans l’entreprise privée, titre :
« Nous devons nous demander comment
REVENIR à LA science et au BON raisonnement », et son naturel adialectique fait le reste : « la réflexion scientifique doit s’ouvrir aux sciences sociales (chiche) , voire économiques…le monde de la santé,
le bon sens n’y existe plus… la philosophie (sic) de l’HAS est d’être TOTALEMENT indépendante
(mais son CA compte un député UMP)…
la question est de savoir COMMENT FAVORISER L’EBM dans la pratique quotidienne…
notre rôle est d’essayer de rassurer le médecin en mettant à sa disposition le
fruit de LA science, en l’incitant à l’auto-évaluation en fonction du ‘gold standard’ (sic) que nous pourrons lui proposer… nous ne
sommes pas des gendarmes
(dénégation), MAIS nous aurons les moyens
de voir si NOS recommandations sont suivies ».
--Et tout d’abord la
résistance du docteur Nicole DELÉPINE, oncopédiatre et bête noire depuis
vingt ans de ses confrères de Villejuif qui lui reprochent de refuser de faire,
des enfants qui lui sont confiés, des « groupes homogènes de
malades » à qui on applique (bible EBM) des protocoles standardisés,
randomisés en double aveugle, et multicentriques, avec placebo, excluant toute
possibilité de consentement éclairé, car la cancérologie est en France la
première discipline qui s’y est totalement enchaînée, même si ça bouge depuis.
Au contraire, N. Delépine
considère que chaque enfant est une situation clinique et revendique
l’application de traitements personnalisés. Injures, articles diffamatoires,
refus de publier ses articles, procès qu’elle a gagnés, pressions pour fermer
son service, extrême violence traduisent le désarroi des orthodoxes, pour qui
le protocole EBM est un puissant anxiolytique, mais aussi la «garantie» que ces
maudits assureurs continueront à couvrir leurs risques professionnels…
Madame DELÉPINE avec le soutien
d’associations, et grâce à des guérisons avérées plus nombreuses qu’avec les
protocoles magiques, a fini par gagner une certaine tranquillité
professionnelle en quittant en 1998 l’hôpital Robert-Debré pour l’unité plus
accueillante, portant haut le beau nom d’Avicenne, à Bobigny.
NB :
La SAS (section des assurances sociales du Conseil de l’Ordre des médecins) de
l’Orne a condamné le 14-10-2005 un médecin à 18 mois de suspension pour non
respect d’une recommandation de l’ANAES sur la surveillance
des cancers. Flicage efficace du biopouvoir relayé servilement par la sécu, et
parfois par l’Ordre bien nommé. Comme l’affirmait le DGS de l’époque, W.
Dab : « C’est le plan cancer (imposé
par Chirac) qui joue le rôle de modèle
pour la santé publique ».
Trois études scientifiques
françaises sérieuses contribuent à éclairer de l’intérieur même de ce modèle,
la vanité scientifique de l’EBM.
--M. CUCHERAT (maître de conférences, service de biostatistiques des hôpitaux
de Lyon) publie dès janvier 2001 dans la Revue Médicale de l’Assurance Maladie,
un article intitulé « Introduction à la médecine factuelle »
par lequel il pointe la difficulté à définir ce qu’est une « preuve fiable
du bénéfice clinique d’un traitement », avec l’apparition de biais
statistiques et de nombreux faux positifs qui peuvent être liés à des
« intérêts en jeu » et vont jusqu’aux fausses preuves, et aux
publications scientifiques douteuses. Enfin, l’approche probabiliste empêche de
conclure à partir d’un individu, et oblige à considérer des groupes jamais
homogènes, reposant sur des moyennes. Aujourd’hui, la sécu refuserait cette
publication.
--Jean-François FONCIN,
directeur d’études à l’École Pratiques des Hautes Études publie en 2005 « Evidence
Based Medicine et recherche clinique en neurologie et psychiatrie ».
Il y pointe la confusion entre
preuve et probabilité qui marque le hiatus entre science et scientisme,
s’étonne du jargon sur le «niveau» de preuve qui ne signifie rien, et
considère que ce concept s’il est valide dans le champ juridique (témoignage),
est étranger à la pensée scientifique. Enfin, il rappelle qu’une efficacité
thérapeutique peut être affirmée à partir de l’examen d’un seul cas… Il réfute
radicalement l’inhumanité absolue du double aveugle randomisé nécessaire à
l’EBM, comme refusant au nom du hasard et de la nécessité à un patient qui
l’ignore de recevoir la molécule active en laquelle il CROIT.
Pour FONCIN « je crois avoir démontré que l’EBM ne se
situe, dans sa pratique anglo-saxonne actuelle appliquée à la thérapeutique, ni
sémantiquement, ni pratiquement dans le champ scientifique, mais qu’elle est un
outil juridique » destiné à se prémunir vis-à-vis des assureurs
tout-puissants, par l’observance stricte des protocoles comme garanties
négociées de tout risque thérapeutique.
--Georges FISCHMAN, psychiatre
des hôpitaux exerçant à Sainte-Anne publie dans les Annales
médico-psychologiques, en octobre 2005, une réfutation intitulée Évaluation
des psychothérapies selon les principes de l’EBM. Enjeux et scientificité
du rapport de l’INSERM. Il considère ce rapport comme « le paradigme des dérives possibles de l’application des critères de
l’EBM » : biais statistiques, partialité, orthodoxie, dogme
préétabli, négligence de l’hétérogénéité, non représentativité, procédés
tautologiques, sans objectivité scientifique, et tout à l’avenant.
En vrac, des prises de position
qui se multiplient, en souhaitant qu’il ne soit pas trop tard :
--Edouard ZARIFIAN dans
Psycho-média de février 2005 : « à
propos du scientisme de la psychiatrie officielle aujourd’hui, à propos des
revendications des thérapeutes et des chercheurs en thérapie
cognitivo-comportementale, ils IMPOSENT comme référence l’EBM… en disant :
ça au moins, c’est la seule référence possible. Or dans la presse de langue
anglaise, on est en train de REVENIR très largement de ce concept… et on
s’aperçoit que cette construction méthodologique ne correspond pas à la réalité des soins ».
--Gilles FORMET,
psychiatre et psychanalyste en Vaucluse, lors du colloque de décembre 2005 à
Paris sur Sexe et psychiatrie : « Le
miroir aux alouettes d’outre Atlantique a rapidement ébloui certains médecins
en France. Cependant, cette méthode est critiquable scientifiquement… elle
induit une suspicion de perversion marchande… laisse planer un doute sur
l’objectivité de ce qu’il peut ressortir, car alors la vérité médicale est
établie par les marchands dont le but est de vendre… abandonne la confiance en
l’intelligence… pour remplacer tout ceci par une politique de codification et
de contrôle… C’est une science conçue comme autorité ».
--Nicolas DURUZ, professeur de psychologie
clinique à Lausanne (Le Monde- août 2005) : comment sortir de l’EBM en
psychothérapie ? «le modèle de l’EBM
est contestable, il faut compléter les travaux existants par
des études de cas bien documentées, des entretiens cliniques avec des patients
et leurs thérapeutes au terme de la cure . De telles études commencent à
être menées un peu partout dans le monde, mais trop timidement ».
G. CANGUILHEM (La connaissance de la
vie. Vrin 1985) :
« Or, comme il nous a semblé reconnaître dans la santé un pouvoir normatif de mettre en
question des normes physiologiques usuelles par la recherche du débat entre le
vivant et le milieu (recherche qui implique l’acceptation normale du risque de
maladie), de même, il nous semble que la norme en matière de psychisme humain
c’est la revendication et l’usage de la liberté comme pouvoir de révision des
normes, revendication qui implique normalement le risque de folie ».
--En Italie, le docteur Sergio
STAGNARO a publié un ouvrage « La médecine basée sur le patient
singulier » aussitôt traduit en anglais « Single-patient based
medicine » dans un but de lobbying, qui connaît un grand succès au
point que même le très conservateur Commissaire européen à la santé,
l’irlandais BYRNES en a fait son livre de chevet. Il a été référencé par PLOS
Medicine, et par la National Library of Medicine de Washington.
Et l’Amérique ?
Il convient d’abord de remarquer que le pape
philo-idéologique du néoconservatisme fait spectaculairement volte-face :
FUKUYAMA en personne révise sa « fin de l’histoire » qui serait
plutôt la fin d’une certaine Amérique, en incapacité à reconnaître le réel, en
aveuglement idéologique, et qu’il serait temps de laïciser.
--Dans La Lettre de Psychiatrie Française, Nicole
KOECHLIN a traduit une interview de Nancy ANDREASEN, célèbre professeur de
psychiatrie et écrivain, donnée au New Scientist, qui pose un regard sans
complaisance sur les errements des DSM (qu’elle a contribué à actualiser et
réfute aujourd’hui) et de l’EBM, trop réducteur.
Nous devrions nous en inspirer pour modérer notre
attraction pour le modèle américain. Elle ajoute : « un jour, au XXIe siècle, lorsque le génome
et le cerveau humains auront été complètement cartographiés, peut-être
sera-t-il nécessaire de mettre en place un plan Marshall inversé pour que les
européens sauvent la science américaine ». « Il faut donc revenir au
point fondamental que chaque individu malade dans sa singularité devrait constituer
le centre de la pratique clinique. J’aime la psychiatrie, parce que c’est la
seule spécialité qui mette l’accent sur la compréhension de l’individu humain
dans le contexte singulier d’un environnement et d’une histoire
personnelle » (irréductible à un cas noyé dans une cohorte traité en
double aveugle randomisé).
Il s’agit donc maintenant de réhabiliter la patient-based
psychiatry. Un véritable pléonasme à
notre portée.
--L’AFPEP-SNPP (Association Française des
Psychiatres d’Exercice Privé, et Syndicat National des Psychiatres Privés),
soutenus par la Fédération Française de Psychiatrie, ont fait le pari d’être
présents et actifs à l’Association Mondiale de Psychiatrie (WPA – 103 pays)
jusqu’alors de stricte obédience américaine.
Un lobbying très subtil produit déjà des effets :
les français ont été appelés à participer aux travaux préliminaires à la
refonte des classifications dans un sens plus proche de la «clinique à la
française» centrée sur le sujet.
Antoine BESSE (avec Yves THORET et Michel BOTBOL) y
défend le retour mondial à la patient-based psychiatry avec des succès, sur la
base d’une alliance avec les indiens, les africains, et des australiens. De
plus en plus d’anglo-américains nous sollicitent, et des demandes de
coopération se font pour que nous les aidions à revaloriser le « modèle
français de psychiatrie humaniste » fondé sur les Lumières (qui a fait ses
«preuves», sic).
En juillet 2006, lors du congrès mondial d’Istanbul,
l’AFPEP a animé un atelier sur « La psychiatrie centrée sur le patient en
pratique privée », qui semble avoir déclenché une dynamique très large de
demande de soutien par des pays où cette pratique n’existe pas, et va déboucher
sur l’organisation en mars 2008 en France, du premier congrès continental du
WPA. En français.
Peut-être
assistons-nous actuellement à un début de retournement en faveur d’une pratique non scientiste ? Il
convient de l’entretenir avec espoir tous azimuts.
L’AFPEP préside également l’ALFAPSY (les francophones
tournés vers l’Afrique) qui va intégrer la WPA. Juan MEZZICH, son président,
très impressionné par les États généraux de la psychiatrie de Montpellier en
2003 (bravo BOKOBZA), prépare un travail d’histoire de la psychiatrie, retour
notamment sur ses racines françaises. Comment ne pas s’en réjouir, et enfoncer
le clou, d’abord chez nous ? Rien n’est jamais dit pour toujours.
--DUMP THE DSM (« chassez le DSM »),
clame haut et fort un courant psychiatrique américain dissident qui utilise
l’arme de l’humour, sur le site de Psychiatric Times, institution respectable
la plus lue aux USA. Leur article « Is
the DSM the Bible of psychiatry »
a fait un tabac, car ils se réfèrent au texte de la bible littéralement, qu’ils
comparent à celui du DSM.
--Dans cet esprit, il est riche de lire l’opinion
(envieuse et étonnée) que se font certains américains sur « La psychiatrie
de l’enfant et de l’adolescent en France », lisible sur le site du CHU
d’Angers, signée par J.M. Maldonado-Duran de l’Association du Kansas de santé
mentale infantile. Ils constatent que la pratique française a échappé à
l’EBMisation et à l’homogénéisation, et s’étonnent (l’Europe est vraiment pour
eux un autre univers) que « la
pédopsychiatrie en France puisse maintenir « le luxe » que représente
le respect de l’individu, de la famille, du contexte social, du droit à la
santé, de l’engagement à prendre socialement en charge les plus vulnérables.
Peut-être est-ce une spécificité culturelle de la France ? »
Conclusion :
L’EBM
marque le triomphe de la technoscience, une science antidémocratique sans conscience
qui peut ruiner l’âme, passée sous la coupe de l’industrie et du privé, du
profit qui légitime toutes les idéologies pragmatiques.
La remarque d’Olivier CLAIN, sociologue à l’université
Laval de Québec, parue dans Synapse de mai 2005 : « La critique épistémologique du discours de la science permet la critique de
l’illusion scientiste, qui apparaît lorsque la science cesse d’être un ensemble
de questions en chantier, et devient un réservoir de certitudes disponibles à
l’exercice d’une fonction de légitimation » s’applique parfaitement à
la prétention de l’EBM à une nouvelle totalité sans alternative, comme fin de
la clinique.
Il faut en sortir avant des dégâts irréversibles, pour
stopper ce catéchisme morticole au moment même, comme d’habitude, où leur
inspirateur américain les remet en question.
Pourquoi avons-nous donc toujours une guerre idéologique
de retard, car « Il est peut-être
fini le temps des preuves, le cycle
vicieux des procès en sorcellerie, en canonisation », C. DONNER (Le
Monde 2. 25-11-05) ; le temps de la magic-based medicine, de la magie
blanche et de l’illusion de rationalité.
On doit retourner l’EBM comme un gant, inverser sa
dialectique, pour remettre du tiers et de la contradiction (Jaurès :
« La vérité est dans la
contradiction »), et surtout, comme le dit GORI, en réhabilitant
« l’humus de la clinique du sujet » et la dimension
humaine totalement absente de ce réductionnisme.
L’EBM est une imposture née dans
les think tanks néocons. Cette aliénation ne doit pas faire l’objet de
transaction ou d’accommodement : comme un noyau opératoire pervers, elle
doit être chassée de notre mode de pensée. Il y va de notre intelligence
collective, du risque de notre stérilité.
EINSTEIN (Verbatim) « La connaissance de la vérité comme telle est une chose merveilleuse,
mais elle est si peu capable de servir de guide qu’elle ne peut même pas
prouver la justification et la valeur de l’aspiration à connaître la
vérité »…
« Aux preuves, préférer les traces, seule la
trace nous fait rêver ». René CHAR.
Jean-Jacques LOTTIN. L’Isle-sur-la-Sorgue. Janvier
2006.