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 COMMENT RESTER HOSPITALIER AU TEMPS VIOLENT DE

L’HÔPITALENTREPRISE RENDU IATROGENE PAR SA GESTION MEME :

ON GÈRE DES MALADIES

 

Vive la nécessaire réforme de l’hôpital,

Vive la double tarification

Vive le programme Hôpital 2007

Vive la nouvelle gouvernance

A Jack RALITE.

 

Intervention faite dans le cadre des XXXVè journées de la psychiatrie privée, par l'AFPEP, à la clinique de Chailles, en octobre 20060.

 

            C’est  en référence au livre de Claude JEANGIRARD, fondateur de ces lieux en 1956, (« Soigner les schizophrènes, un devoir d’hospitalité») que j’ai bâti mon plan : pour lui, les lois de l’hospitalité sont une donnée scientifique et sociopolitique qui s’oppose à la banalisation de la santé mentale qui efface la réalité spécifique de la psychose en tant que paradigme de la maladie mentale. En lui rendant hommage, je fais de cette pensée, la didascalie de mon intervention : l’hospitalité est thérapeutique. A fortiori en psychiatrie.

 

Après l’entreprise, et avec l’école, l’hôpital est aujourd’hui en France le lieu où s’exprime avec le plus de violence l’idéologie néolibérale et son outil : la gestion. Cela se manifeste par une énorme couche de bureaucratie supplémentaire et un recul de tout ce qui est humain.

 

Lundi 1 mai, à trois heures du matin, une quinzaine d’énergumènes jeunes et éméchés saccage le service des urgences de l’hôpital de Cavaillon, et provoque de graves dégats. Il y aura cinq blessés, un chien policier euthanasié, plusieurs véhicules détruits, et un gros traumatisme moral et psychique pour le personnel de nuit du dimanche.

Dans une interview au ‘Provençal’ le directeur signale que depuis un an, les rapports du personnel avec les patients sont de plus en plus teintés d’agressivité, et déplore que l’accès au bâtiment ne soit pas sécurisé.

Un hôpital hospitalier doit-il se transformer en citadelle avec vigiles ?

            Voila bien un symptôme de l’air du temps, à rapprocher du vandalisme contre les maternelles, les salles de sport, et diverses représentations visibles de l’état, de la part de personnes « exclues du dialogue social » (selon nos euphémismes) pour qui il n’existe plus de sanctuaires, puisqu’on peut même caillasser des pompiers ou des ambulanciers.
Car aujourd’hui, on tire sur des ambulances ici, et plus seulement en Palestine.

En 1998, l’Organisation Mondiale de la santé, utilisant de nombreux critères croisés, classait la France premier prestataire mondial pour la qualité des soins hospitaliers publics. Nous étions formidables, cela nous suffisait. Mais il faut en finir avec cette idée (disait Rose-Marie Van Lerberghe, directrice générale de l’AP-HP, dans l’Express du 6/7/2006).

Car depuis cinq ans, atteint d’une frénésie de réforme monomaniaque, notre gouvernement, apparemment géné par cette exception, cherche à la détruire en lançant le plus monstrueux appareil de (contre)-RÉFORME jamais entrepris, au nom de cette évidence apodictique autant que tautologique : il FAUT réformer, PARCE QUE c’est nécessaire pour MODERNISER et pour « rattraper LES retards », (en pure novlangue MEDEF), et pour mettre fin de surcroit au principe de solidarité.

           

            Communiqué paru dans Le Monde le 1/9 : le Medef et le patronat allemand ont signé à Berlin une déclaration commune demandant à leurs gouvernements d’alléger le poids des contraintes excessives et d’œuvrer au décloisonnement des marchés.

 

Le 26/11/2002, le ministre J.F. Mattéï signait « Hôpital 2007 : un pacte de modernité avec l’hospitalier », un slogan marketing où chaque terme compte par son ambivalance : modernité bien sûr, mot-valise usé de trop servir à masquer l’absence de pensée, pacte (avec le diable) qui n’est pas alliance, et surtout, hospitalier, bel adjectif devenu ici un substantif générique pour évoquer le parc des établissements, et non une vertu cardinale, l’hospitalité.

 

La tarte à la crème de rattraper les retards, quels retards, et sur qui ?

Sur les pays anglo-saxons, qui sont pourtant classés loin derrière nous, et sont en grand retard civilisationnel (comme l’illustre l’essai de Jean-Philippe Immarigeon, AMERICAN PARANO -Bourin 2006), mais dont les process technologiques sont meilleurs, puisque c’est PROUVÉ scientifiquement par l’impérialisme des moyennes statistiques et par l’idéologie dominante.

Nos résultats sont certes corrects, mais il y a trop d’hôpitaux, trop de médecins qui  ont trop de pouvoir, et la manière est mauvaise et trop coûteuse. Changeons la manière et les résultats seront encore meilleurs, c’est-à-dire moins couteux, disent les experts autoproclamés de l’université et des instituts d’économie, en transformant les services de santé en services commerciaux privatisables.

 

L’idéologie du marché ouvert de la maladie, avec une concurrence totalement libre et non faussée, (selon le jargon de Bruxelles) s’attaque à l’hôpital français pour le mettre en état d’être privatisé, sans aucun souci des soignants, précarisés, ni des malades devenus simple variable homogénéisée d’ajustement dans leurs calculs économétriques : l’imagination faiblarde de ces zexperts a inventé le pitoyable concept de « panier de soin ».

Où est la ménagère ? elle est devenue managère… qui va prospecter sur le marché mondial où la maladie est désormais très profitable.

Et les prospectivistes disent pourquoi : la santé qui représente aujourd’hui 11,14% du PIB, en représentera 16 avant dix ans, et 20 dans vingt. Elle est donc porteuse de juteux « retours éthiques sur investissement » (= profit en français) à terme bref.

La casse d’aujourd’hui a donc pour but de formater l’hôpital aux critères interna-tionaux de la concurrence avant privatisation totale, sur l’injonction et de l’Accord général sur le commerce des services (AGCS) et des directives bruxelloises.

Bref, à le transformer en entreprise gérée sur le modèle de Michelin vendant des biens de consommation à des clients standardisés, ce stade ultime du capitalisme selon tonton Marx, et qui licencie en signe de bonne santé.

 

            LA PHRASE QUI TUE :

            « Les médecins, qui ont une image de dépensiers, sont désormais ASSOCIÉS à la gestion des pôles, et c’est aussi un pari », dit encore Rose-Marie VanLerberghe avec gourmandise, révélant ainsi l’objectif de la nouvelle gouvernance : casser et contrôler les médecins qui sont trop…etc

 

RAPPEL : je conseille aux zexperts de la (très) Haute Autorité de santé autoproclamée haute par cette rhétorique amphiboulique qui nous accable, (plus c’est haut et plus c’est loin des usagers et près de dieu) de lire le Manifeste DADA : On doit s’appliquer à leur adresser une bonne série de directs, droits dans les dents… il faut taper dans les pourcentages, on doit le faire. Il le faut, quoi. Taratata.

Mais ils n’ont pas d’humour, car la gestion est du côté de la pulsion de mort, qui vient de créer un autre HAUT (resic) CONSEIL DE LA SANTÉ PUBLIQUE, prolongeant la HAUTE autorité. Votre altesse n’est pas sérénissime.

 

RAPPEL : De la « discrimination positive » à « l’immigration choisie » chères à Sarkozy, notre pays qui fut de Lumières, est en train de perdre son hospitalité.

Ce premier principe kantien du droit cosmopolite est aujourd’hui mal en point. L’hôpital n’en est qu’un symptôme parmi d’autres (voir l’école version Fillon).

 

Car si LA réforme n’améliore pas les guérisons, on vient de voir pourquoi (on gère la maladie, on ne soigne plus les malades) on joue sur la méthode de gestion pour faire des économies, pour aller plus VITE, pour rationaliser le fonctionnement, selon la novlangue euphémistique des écoles de commerce, cette fameuse LQR (Lingua Quintae Republicae) mise en évidence par Éric HAZAN (Raisons d’agir. 2006).
            C’est une langue simplifiée (éliminant toute conflictualité) de PROPAGANDE (l’information, c’est fini), qui sert à véhiculer l’idéologie de l’ultra libéralisme, à l’œuvre au ministère de la santé, fasciné par la « scientific evidence-based medicine », cette médecine positiviste scientiste du pauvre, née en France au début du XXè, et relookée aux USA, qui repose sur les soi-disant preuves scientifiques de son ‘efficience’, sur les guides de « bonne » pratique et conduite, les référentiels, les protocoles pour tous les symptômes, sur la folie de l‘évalua-tion de tous tout le temps, sur la jouissance des statistiques et des moyennes qui ANNULE tout secret médical, sur la folie des classements et des catégo-risations, sur l’audit, l’expertise, l’assurance qualité, l’accrétination de l’accréditation, et tout ce fatras de méthodes inintelligentes issues du monde non sensible de l’entreprise et de ses valeurs inhumaines, désymbolisantes, qui est en train de totalement stériliser le ringard hôpital public français en tuant la clinique, la confiance, et la relation thérapeutique. En rendant les médecins licenciables selon les « résultats », en les culpabilisant.

            Jacques DERRIDA : On ne peut jamais rien prouver.

Une folie pragmatique monomaniaque à la mode évangélique néoconservatrice (voire carrément soviétique) est en marche accélérée en France, qui prend des caractères déjà irréversibles, alors même qu’aux USA cet ex-nouveau paradigme calviniste des formatages et codes binaires commence à inquiéter et être réfuté comme… inefficient.

 

            Le saviez-vous ? Ronald Reagan, lorsqu’il était en colère traitait en 1976 ses contradicteurs de… psychiatres !

 

Comment l’hôpital peut-il rester hospitalier dans ces conditions ?

Il ne le pourra pas sans une violente résistance par exemple à la politique de formation intense (euphémisme de formatage idéologique) mise en place par le ministère, à l’intention spécifique de deux catégories idéologiquement plus poreuses : les cadres administratifs, et les cadres infirmiers.
Un site a été dédié à cette propagande à l’esprit de réforme, destiné à créer les conditions comportementales et cognitives d’une compliance à la « nouvelle gouvernance », concept novlangue typique, issu lui aussi du vieux français, désémantisé aux USA dans l’entreprise, réimporté par le cabinet Deloitte & Touche pour le MEDEF, et appliqué à l’hôpital aujourd’hui (à l’université et à l’école grâce à la loi Fillon), au cœur du projet « Hôpital 2007 », que vous connaissez tous.

Ce site vaut le détour : reformes-hospitalieres.com, sous-titré en belle langue de bois (pas de Blois) Ensemble, modernisons l’hôpital, avec une rubrique Vous et les réformes.

            Ambiance chaleureuse, conviviale, style pique-nique à Disneyland, où triomphe la fausse évidence autour du lancement du « volet formation à l’ACCOM-PAGNEMENT DES RÉFORMES » dont l’objectif est d’apporter aux professionnels ENGAGÉS dans les réformes des moyens opérationnels pour RÉUSSIR la conduite du changement . C’est du comportementalisme basique.

Il y a des « trophées c.r.é.e.r » accordés par la « Mission d’accompagnement des réformes », des concours de « qualité EPP », des palmarès, des « coordinateurs des vigilances » (sic), des photos de groupe en tenue d’été heureux de leur formation-action (très) intégrative à la contre-réforme. Vichy n’est plus très loin.

            Plus rien ne distingue cette vision de l’hôpital de celle de Michelin ou L’Oréal.

Nous avons presque atteint un seuil d’irréversibilité de l’hôpitalentreprise, préalable à sa privatisation complète dans le respect des règles de l’OMC, livrés clé en mains aux assureurs, nouveaux maîtres de la mondialisation libérale avec les fonds de pension.

SILENCE, HOPITAL.

           

Gilles Johanet, le père très désinhibé de l’évaluation des praticiens, « un socialiste pragmatique qui découvre le business » (selon Le Monde), a en tant que DG-adjoint des AGF lancé l’idée d’un pôle d’ « Excellence santé », une assurance complémen-taire santé de luxe pour clientèle fortunée (12000 euros par an) dans laquelle il sélectionnerait les meilleurs spécialistes pour ses meilleurs clients autour de l’Hôpital américain de Neuilly. Voilà notre avenir vu par des convertis tardifs.

 

            ACTE DE NAISSANCE

            Madame Parisot, présidente du MEDEF,

            Ses enfants Flexibilité, Adaptabilité, Employabilité, Mobilité, Fluidité,

            Gouvernance, Cobayage, Adressage, Flexicurité, Réforme Nécessaire,

            Ont le plaisir de vous annoncer la naissance du dernier-né de leur jargon :

            La SÉPARABILITÉ. Et ne demandez pas ce qu’il veut dire…

           

Dans le BIPP N°44 de l’AFPEP-SNPP, Pierre Coërchon parlen d’un néologisme du type métaphore délirante témoignant du travail langagier de reconstruction d’un individu happé dans une structure psychotique, et tentant de rattraper une signification.

 

Un hôpital ne peut plus être hospitalier, lorsqu’il produit des pages de ce style :

            Le PMSI appliqué aux lits du champ MCO hors RAA du CH de x, où sont regroupés des GHM algorythmiques par RMO, accompagnés à leur sortie de RSS, ont permis de produire des points ISA provenant de la valorisation des lettres clés de la nomenclature NGAP, selon leur place dans les CCAM (par ex : le GHM 113 –intervention majeure sur le thorax, si l’on suit son RPS- vaut 5634 points selon la dernière classification V9), en concurrence avec le score APACHE du PRO américain, permettant de calculer le coût moyen en euros ENC des-dits GHM (dans le respect de l’indice de sévérité de Horn) et donc d’être accrédité par la HAS dans le SROS pour toucher leur pécule global et gagner une place dans le TESS, avant d’être publiés à l’ATIH… 

            Dans Shalimar le clown (Plon 2005) Salman Rushdie évoque le goût français pour les acronymes en ces termes : Maîtrisant la langue des imprononçables acronymes qui était la véritable lingua franca de la classe politique… la laideur de la terminologie bureaucratique, avec son désintérêt agressif pour l’euphonie, la désignait comme langue du pouvoir .

Psychotique, pour ne pas « communiquer » sinon entre les élites initiées.

           

            Rappelons-nous encore lorsque pour la première fois un centre hospitalier neuf a été tellement « moderne » (Pompidou à Paris) que pour 700 lits, les soignants (400 médecins, 800 infirmier(e)s) étaient moins nombreux que les administratifs et gestionnaires (1300).

 

            Ou cette petite annonce de l’été 2006 :

            La Haute Autorité de Santé (HAS) Recherche des chargés de projet

            pour l’élaboration de recommandations professionnelles.
            Mission concernant la rédaction d’une synthèse de la littérature et d’un argumentaire avec identification du niveau de preuve des études,

            Compétences requises : anglais lu indispensable (littérature anglo-saxonne à analyser), statistiques (CESAM apprécié).

            Envoyer CV au « service des recommandations professionnelles ».

 

Ou encore cette dépêche de l’agence APM du 21 avril 2006 :

Budgets hospitaliers : le ministre ne souhaite pas déléguer maintenant tous les crédits, pour MAINTENIR LA PRESSION (voilà l’aveu de la gestion par le stress), « explique » Jean Castex aux directeurs d’hôpitaux :

Je comprends bien que ces propos ne sont pas satisfaisants du point de vue de la nécessaire lisibilité (sic), car VOUS AVEZ DES ENTREPRISES ENTRE LES MAINS, (enfin, c’est dit) et avez donc besoin de savoir vos perspectives…. La marge de 300 millions attribuée aux ARH sera utilisée non pas pour accompagner les mauvais qui perdent (c’est du Bush) avec la tarification à l’activité et ne font rien, mais pour accompagner CEUX QUI SE RÉFORMENT ET SE RESTRUCTURENT (la carotte).

           

Le MEDEF est désormais installé au ministère de la santé, avec son cynisme, et son jargon binaire, transformant les personnels en chiens de Pavlov précaires (donc rendus compliants), qu’on stimule à « la marge » et à la docilité, c’est-à-dire, à la fin de la pensée et de la critique.

Faut-il rappeler que la directrice de l’AP-HP vient de chez Danone, parce que certains croient qu’on peut gérer des patients comme des yaourts, ( tandis que Jean OURY crie depuis si longtemps que la gestion tue). Elle vient de quitter l’AP, « œuvre » accomplie, pour rejoindre le privé.

           

Roland GORI a écrit un livre d’une grande utilité, La santé totalitaire (Denoël 2005) dans lequel il analyse ce mécanisme de L’OUBLI DU MALADE DANS LA MÉDECINE CONTEMPORAINE, qui « exproprie pour son bien, le patient de son corps » au profit d’une médicalisation généralisée et de la « passion de l’ordre » qu’elle recouvre : une médecine de la peur et du profit.

 

Et puis, déboula le tsunami de la « démarche qualité »

qui représente la plus formidable agression contre la compétence, la déontologie et l’honneur des personnels hospitaliers, mise en place par l’administration révizorienne d’état : car, l’objectif qualité, contrôlé par des « qualiteurs » voire des « qualitiseurs » grotesques et partout par des directeurs-adjoints de LA qualité (et gestion des risques), directement issue des cercles de qualité de l’industrie automobile américaine des années 50 (la « quality insurance ») a bien pour mission tautologique de poser une chape de plomb sur chacun désormais

individuellement responsable de toute diminution de la qualité de la presta-tion : les accidents iatrogènes, les infections nosocomiales, les violences dans les services, c’est votre faute, vous n’avez pas été assez vigilant, exigeant, présent, propre, compliant aux guides de bonne pratique et référentiels que la HAS (et l’américain Ernst & Young pour le cancer et la pneumologie) a édictés pour vous rendre plus efficients, et pour satisfaire la clientèle. Pour vous interdire de penser.

Existe-t-il donc des soignants qui seraient CONTRE la qualité ?

            C’est un concept pervers qu’il convient de chasser de l’hôpital, une bulle technocratique paranoïaque qui met en place une suspicion permanente (vous êtes sûr d’être assez compétent ?) une recherche maniaque de l’erreur, de la faute.

Les hôpitaux guignent le management total(itaire ?) de la qualité, le futur ISO 10000, par l’implication de tous les acteurs, dont les plus adaptés seront primés, et les autres… déprimés, supprimés ou opprimés.

Je conseille de consulter le site de l’HP d’Armentières, www.epsm-lille-metropole.fr, qui donne un exemple accablant de compliance docile au nouvel ordre bureaucrati-que, et en rajoute sur tous les plans à l’ambiance d’entreprise. Où sont les malades ?

 

Car la folie manageuriale n’a pas de limite, et vise au fond, un hôpital SANS malades.

C’est la fable écrite par Johannes Borgstein dans Lancet 2004, intitulée « Patient-free hospitals » et traduite par J. Watine dans la revue MHP :

            Peu après notre départ de la gare Montparnasse, Mr X avait expliqué qu’il partait assister au congrès European Health Management en tant que porte-parole d’un groupe d’hôpitaux britanniques à la pointe de la nouvelle gouvernance. Mon voisin affirma : des hôpitaux sans patients, voilà l’objectif que nous atteindrons au plus tard en 2020. Il s’agit d’un concept inhabituel, lui répondis-je prudemment. Quel superbe projet : vous n’avez pas idée des difficultés que nous causent les patients… et les médecins n’arrangent rien... Mais où iront donc les patients, objectais-je ?  Ils seront pris par un réseau efficace en matière d’urgence baptisé tout simplement URGENCES, en hommage à la série télévisée, financé par le même groupe d’investisseurs. Pour les traitements de longue durée ou la chirurgie difficile, ils seront ENVOYÉS dans les pays au coût moins élevé : dans les pays de l’est, ou dans les pays émergents… etc

 

            Titre du Monde (2/9) : un milliard de dollars pour reconstruire le Liban.         C’est la somme que rapporte le VIAGRA chaque année à son labo Pfizer.

 

Comment résister à cette contre-réforme dévastatrice ?

            L’hôpitalentreprise, y compris psychiatrique bien sûr, ne peut être que psychiquement iatrogène pour ses personnels qui ne sont pas des entrepreneurs d’eux-mêmes, dont les compétences sont constamment mises en doute, évaluées, harcelées, contrôlées, mises en rivalité, dont le statut unique est détruit, et dont les pratiques sont dictées par des référentiels construits sur des situations cliniques moyennes bêtement prouvées scientifiquement.

Un hôpitalentreprise exploite ses « ouvriers médicaux » qui ne sont plus en situation optimale pour soigner. Cette réforme est méprisante, disqualifiante et violente, et utilise le stress comme outil de gestion. Mais dans management, il y a aussi (au) « malade, j’mens ».

 

La démocratie sanitaire de 2002 est abandonnée avec la mise en place de cet avatar du système soviétique : l’Autorité (très haute), la Récompense (les primes à la compliance, équivalent de l’effet recapture de la sérotonine, tu seras chef de pôle mon fils) et le Bâton (la CNAM vient de créer un Service de répression des fraudes qui vise « les milliers de médecins qui ne respectent pas l’ordonnancier bizone » entre autres délits si graves…) tous trois accélèrent le développement du marché de la maladie sur fond d’obéïssance, de déstabilisation et avant une entrée inéluctable en bourse. En attendant, jamais le déficit des hôpitaux aura été aussi lourd…quand on veut noyer son chien.

Qui l’arrêtera ? La Cour des Comptes dans son avis du 11 mai stigmatisait la gestion par l’état des personnels hospitaliers : les dysfonctionnements sont nombreux et peuvent METTRE EN PÉRIL LA QUALITÉ DES SOINS. Peuvent ? ou mettent ?

Bureaucratisation, peur, concurrence dans le cadre des pôles, rentabilité et infanti-lisation tuent l’éthique de l’engagement et de la responsabilité, et démolissent la dignité.

            Sarkozy, nouveau ministre de la sécurisanté, si fasciné par la psychiatrie qu’il aimerait devenir ministre de l’INTÉRIEUR des cerveaux et des inconscients, selon l’image de GORI, désigne les soignants « acteurs de la CHAÎNE du soin » (il y avait déjà les GRILLES d’évaluation). Ca régresse : rendez-nous un Pinel et les Lumières !

            Les protocoles, les guides et l’évaluation préparent la mort de la clinique, sacralisent le pragmatisme du court terme et du profit, et transforment le patient en client de ce qui fut naguère un bon service public, qui risque de devenir un vulgaire supermarché, en régression de cinquante ans, tuant ce qui fut l’excellence (l’exception ?) française, pour s’abaisser au niveau rétrograde anglo-saxon.

Remettre de l’humain et de l’humanité, du sensible et du sens dans l’hôpital, lui rendre sa fonction antique d’asile, sont le seul moyen urgent pour qu’il demeure hospitalier, c’est-à-dire démocratique, culturel et soignant, et résiste au néoconservatisme contagieux, à l’idéologie du modèle comptable, car « tout ce qui peut se compter, ne compte pas. Tout ce qui compte ne peut pas se compter »… disait Einstein.

 

            Et Jacques DERRIDA : « L’hospitalité est infinie ou elle n’est pas ; elle est accordée à l’accueil de l’idée d’infini, donc de l’inconditionnel. Elle fonctionne comme un absolu ou n’est pas ». Séminaire 1995.

 

                                                                                                          Jean-Jacques Lottin

                                                           L’Isle-sur-la-Sorgue, Vaucluse, septembre 2006.