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Docteurs Guy Baillon et Patrick Chaltiel,

Psychiatres des Hôpitaux,

ancien et nouveau médecins-chefs du 93G14

13/15 voie Promenade, Bondy, 93140

01 55 89 91 30

guy-baillon@orange.fr et -patrick.chaltiel@noos.fr         

Paris le 26 juin 2006

          

Monsieur le Ministre de la Santé

 

Monsieur le Ministre,

Permettez nous d’exprimer auprès de vous notre douleur et notre tristesse de constater que vos recommandations veillant à la bonne organisation des structures de soin en psychiatrie vont aboutir à la destruction des efforts menés pendant plus de 30 ans pour réaliser une psychiatrie simple et humaine pour tous, selon la ‘politique de secteur’. Le directeur de Ville-Evrard (rassemblant la psychiatrie de plus d’un million d’habitants de la Seine St Denis avec ses 17 équipes de secteur) a décidé de retirer le cuisinier de l’hôpital de jour de notre secteur 93G14 à Bondy pour le déplacer dans une ‘vraie’ cuisine, décision apparemment correcte, qui, en réalité, détruit 30 ans d’amélioration des soins et enterre une structure patiemment ciselée par notre équipe pour être humaine, stimulante…

 Ceci pour des motifs de « conformité aux règles budgétaires et hygiéniques, ‘modernes’ ».

Quelques lignes d’histoire : Ce ‘93’ est, vous le savez, en détresse économique, et la psychiatrie libérale y est absente. Le service public est seul en charge. L’hôpital de Ville-Evrard, l’un des 6 ex-asiles de la Seine, construit en 1860, a fait un travail exemplaire de reconversion pour appliquer la politique de secteur dès 1972. Il a créé plus de 80 structures extrahospitalières et il est ainsi passé de 2000 lits en 1960, à 400 lits actuellement. De plus en 1992 grâce à la convergence de toute la communauté médicale de Ville-Evrard, les soignants, les ouvriers, en lien avec les élus du 93, le dynamique directeur (CH Marchandet) et le président du CA (l’actuel maire de Bondy et premier vice président du conseil général du 93, Gilbert Roger) ont présenté à l’ARH un ‘projet d’établissement’ prévoyant pour l’an 2000 de prolonger cet effort par ‘ la relocalisation des lits hospitaliers de 8 des 17 secteurs, sur 3 sites’.

Ces 3 sites ont bien été ouverts entre 1999 et 2003 : à St Denis (2 secteurs), Bondy (2 s.), et Aubervilliers (3 s. dont un enfant-ado) avec 20 lits par secteur, sans grèves, aucune, mais avec enthousiasme. Ceci a permis, dans ces 8 secteurs, d’installer la dernière étape de la politique de secteur : a disparu, au moins pour ces secteurs, l’image d’exclusion qui marquait tout malade psychiatrique dit grave, et commençait enfin une vraie pratique de la psychiatrie simple, humaine, solidaire. Nous avons vu les amis, la famille, les voisins venant visiter leurs amis malades dans un espace à l’échelle humaine, dans leur ville même ; et l’ensemble des structures extrahospitalières en liens avec ces lits dans la ville a permis une pratique de la psychiatrie, humaine, efficace, économe (la diminution de lits est très forte), associée à un intense travail d’Accueil, et une présence dans tous les hôpitaux généraux du département, qui limitent le recours aux hospitalisations, en particulier celles sous contrainte.

Mais ce résultat n’a été possible que grâce à un long et solide travail de terrain, préalable et continu, dans chacune des 17 équipes de secteur rattachées à Ville-Evrard. Parmi ces efforts, le hasard a voulu que notre équipe ait pu se saisir d’une opportunité : le Maire de Bondy, Claude Fuzier, élu en 1977, a proposé à notre équipe d’utiliser comme lieu de soin l’ancien Presbytère de Bondy. Un Presbytère, dans toute commune, même socialiste, est un espace chargé de sens pour l’histoire de la ville ; y accueillir les patients de la psychiatrie est une opportunité émouvante. Nous passons les péripéties des échanges entre notre maire, le président du conseil général Georges Valbon, le Préfet Bolotte, le DASS le Docteur Perret,  Madame Veil, pour mener à bien une négociation aboutissant en 1979 à l’ouverture d’un petit hôpital de jour (exigüité du presbytère). L’idée neuve était de rompre avec l’histoire de l’asile encore présente, de rompre avec les ateliers occupationnels, et de créer une base de liens humains pour y mener nos soins (sa responsable médicale le Dr Lyse Maurer y est toujours active). Nous avons tenu, avec elle, à créer un hôpital de jour ‘éclaté’, suivant Maud Mannoni, c’est à dire utilisant le soutien des artisans de la ville. Restait la question complexe et lourde du repas, même si la capacité de départ était modeste, 15, puis 18 patients, actuellement 40 en séjours partiels. Le directeur a proposé de mettre un jeune cuisinier à notre disposition. L’expérience a montré que son idée était excellente, car autant il s’avérait complexe de compter des artisans de la ville parmi nos collaborateurs fidèles, autant le cuisinier a permis de mettre en place l’activité ‘majeure’ de notre centre : car avec l’élaboration des menus, les courses, la préparation des aliments, et de la cuisine, le piano, auxquels tous les patients participent, nous avons compris à quel point une telle activité « naturelle » est beaucoup plus ‘structurante’ pour les soins que les activités culturelles, toujours complexes au départ. Le cuisinier est devenu concrètement un magistral acteur du soin. Ainsi le soin a pu se construire autour d’un moment de vie partagé, moment non artificiel, moment concret faisant partie de la vie de chacun, avec cette dimension de créativité et de solidarité qu’il est tellement difficile de réaliser dans les structures de soin les plus ouvertes. Avec les émotions autour des couleurs, des saveurs, des denrées, autour de la magie de la cuisine toutes les activités culturelles trouvent alors leur place. Le travail psychothérapique de groupe, qui est le ciment de tout travail psychiatrique approfondi, trouve là des alliés solides. Etait ce un plaisir simple, ou la présence d’une vie non artificielle ainsi recréée ? L’équipe est ainsi restée jeune pendant 30 ans sous l’œil vigilant et rigoureux de son médecin et du nouveau chef du secteur 14 le Dr Patrick Chaltiel, sans verser dans l’ornière classique de la chronicité. Le « Presbytère » est resté, avec notre centre d’Accueil, l’un des piliers de notre équipe de secteur, symbole pour les acteurs du soin de beaucoup d’autres secteurs, et au cours de divers congrès. Aujourd’hui au nom de la peur des microbes et de la gestion la réglementation s’acharne à tuer patiemment l’humain, et comme la psychiatrie est d’abord humaine, elle n’a plus d’avenir. Dans les anciens 40 pavillons toujours vacants à Ville-Evrard les malades vont donc refluer : à nouveau exclus et bannis loin de leur ville...

En effet notre directeur reste insensible à ce qui permet (ou ne permet pas) de construire l’ambiance dans laquelle un soin peut se réaliser en psychiatrie. Il privilégie vos exigences réglementaires… La dernière étape de l’évolution de Ville-Evrard, prévoyant la relocalisation de 4 à 6 services sur les 9 derniers secteurs, n’est plus son objectif prioritaire, il préfère le respect des textes …de ce fait il veut fermer des structures extrahospitalières qui ne seraient pas assez ‘rentables’ et retire le cuisinier de l’hôpital de jour.

En médecine la psychiatrie a une place spécifique où la relation humaine est princeps. C’est tout le sens de la psychiatrie de secteur si ardemment construite pendant 35 ans. Est elle condamnée à disparaitre sous le poids de l’administration ? Les exigences de la modernité ne sont pas en reste : les troubles psychotiques associés aux conséquences métaboliques et endocriniennes des neuroleptiques modernes provoquent maladies graves et obésité, et celles ci sont aggravées par l’hygiénique ‘chaine froide’. Une pédagogie alimentaire menée par un cuisinier comme le nôtre leur oppose au contraire une barrière efficace. Nous sommes persuadés que vous comprenez la pertinence de notre démarche de soin et que vous êtes sensible à sa dimension humaine. Vous serait il possible en urgence (la décision sera effective en septembre) de demander à notre directeur de veiller à privilégier humanité et modernité, et dans ce cas particulier de conserver le poste de cuisinier du Presbytère de Bondy ?

Nous vous prions de croire, Monsieur le Ministre, à l’expression de notre plus haute considération.

Docteur Guy Baillon et Docteur Patrick Chaltiel


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