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Forum citoyen sur la psychiatrie et la santé mentale,
Toulouse, Mars 1999.

 

J'y suis arrivé un peu en retard, j'étais bien tranquille chez moi et me rendre au centre ville ne m'enchantais guère. Se garer dans les parages de Compans-Cafarelli, ce n'est pas une partie de plaisir et il m'en coûta quelques francs en parking souterrain au sortir de ce qu'il convient d'appeler un tenant lieu. Tenant lieu de quoi ? Le mieux est que je m'efforce de raconter cette manifestation afin que vous vous fassiez vous-même un jugement.

J'y suis arrivé en retard disais-je, j'ai croisé en haut de l'escalier de cette construction ultramoderne Mr Decoucut, Directeur de l'Hôpital Marchant face à une caméra tenue par un cameramen accolé d'un personnage ayant un micro à la main. Le Directeur parlait dans le micro, je n'ai pas écouté ce qu'il disait, je ne suis pas indiscret.

Avant moi, un homme d'une cinquantaine d'année franchit le seuil de la salle obscure, il avait sous le bras le même dossier que celui qu'une hôtesse m'avait offert à mon arrivée. Toutes les lumières étaient éteintes et des images parlaient sur un grand écran. Je cherchais une place libre dans les rangées de fauteuils concentriques. Disposition classique en amphithéâtre, très vaste, il y avait pas mal de monde que je distinguais à peine. Je trouvais une place à taton et comme tout le monde je me mis à regarder les images. Il s'agissait d'un vidéo trottoir.

J'ai retenu les dernières séquences, c'est ce que l'auteur recherchait sans doute. Il y avait sur l'écran un jeune qui semblait tout droit sorti de ces banlieues ou on fout le feu aux bagnoles. Vous me croirez si je vous dis que ce gaillard là nous sorti de sa bouche râpeuse une définition remarquable de la Santé mentale ? Ca commençait fort !

Lumière ! J'explore les environs, j'ai failli m'asseoir à côté de l'Infirmière Générale assise quelques rangs plus bas, à droite des escaliers, ça aurait fait jaser surtout que je suis environné de collègues syndiqués à la C.G.T. et à S.U.D.. Voilà bien les hasards de l'ombre ! A ma gauche il y a une brochette de Cadres Supérieurs. Plus loin en bas je crois deviner la tête blonde du Cadre Sup. du secteur dans lequel j'exerce. Il y a pas mal de professionnels, pas mal d'infirmiers comme moi, beaucoup de syndicalistes venus exprimer dans cette assemblée l'inquiétude et les souffrances d'une profession maltraitée. C'est d'époque la souffrance infirmière, cela fera-t-il date aussi ?

Tout en bas, sur l'estrade, en avant de l'écran sur lequel durant toutes les palabres défileront des visages et des visages et puis d'autres, dévisagés. Les voix ont toutes un visages et parfois, c'est la magie du cinoche, elles en ont plusieurs qui se superposent, ricochent et même, magiquement, se parlent. Je disais que sur l'estrade il y a à ma droite une longue tablée d'hôtes attablés, c'est le jury citoyen et puis, en vis à vis, à l'autre bout, une petite table avec un animateur qui a des impatiences et une agitation psychomotrice qui ne le quittera pas durant les heures que durera la représentation. Avec lui siège, beaucoup moins agitée mais parfois mal à l'aise, la représentante de l'A.R.H., Mme DARDE.

C'est alors que l'animateur vint animer. Il donna la parole à un membre du jury citoyen qui posa une question bien dans le sujet. Le jury citoyen est composé de braves et honnêtes citoyens des deux sexes, tous à divers titres concernés par la psychiatrie et la santé mentale à ce qu'il m'a semblé. Le jury aurait accompli auparavant un travail de réflexion afin de préparer cette rencontre. Dés que cette personne eut posé cette question, l'animateur donna la parole à un expert. Là, déjà j'ai flairé l'arnaque ! Expert, Mr. l'inévitable Professeur Jolivet prit la parole et répondit à la question bien dans le sujet ; experte, Mme la vénérable présidente de l'UNAFAM eut la parole également pour allonger la sauce. Ensuite le public fût invité à "réagir". Il est curieux comme un public ne peut plus faire autrement que réagir de nos jours, cela se généralise dans les télévisions et radios françaises et donne cette forme nouvelle de débat pseudo-démocratique qui fait fureur. Et encore c'est moindre mal car bien souvent le public ne peut même pas réagir.

C'est sur ce principe qu'aurait dû benoîtement se prolonger cette plaisanterie, avec des citoyens ignares, des experts accablés d'ans, de science et d'expérience et un public qui réagit vu que pour ce qui est de la pensée...

Heureusement qu'il y avait dans le public les représentants de notre profession non invitée à titre d'experte. Heureusement qu'il y eut suffisamment d'empêcheurs et d'empêcheresses de ronronner en rond pour mettre un peu le feu dans l'ambiance sinon je me serais emmerdé ferme. Heureusement qu'il y eut la déléguée C.G.T. de l'Hôpital Marchant (il fût beaucoup question de l'Hôpital Marchant lors de cette réunion et cela n'était pas du goût de tous le monde) pour présenter le constat accablant que nous déplorons tous lors d'une allocution très digne et très bien préparée. Heureusement qu'il y eut quelques SUDistes en colère pour réveiller les citoyens endormis par une mise en scène très propre sur elle. Heureusement qu'il y eut des infirmiers pour parler de leur passion, de la folie, de la violence et de la relation de soin telle qu'elle est dans la vie de tous les jours de l'hôpital des fous.

Si ce n'est pas cela la psychiatrie, alors c'est quoi ?

Les experts un peu décontenancés en vinrent pour certains à pimenter leurs doctes interventions de remarques se rapprochant de l'inopportun discours infirmier-syndical ("et vice et versa et réciproquement !" P.Dac) dénonçant notamment la pénurie de moyens et le manque de temps restant aux infirmiers pour écouter la souffrance et l'accompagner. L'animateur s'efforçait d'abréger les prises de paroles syndicales (oserais-je avancer qu'elles n'étaient pas citoyennes, pas au sens de l'animateur en tout cas ?). Un zigoto inconnu de votre serviteur se mit à vilipender sans mesure ces fonctionnaires syndicalistes qui ne pensent qu'à eux et portent préjudice à leur profession car, comme chacun sait dans ce pays, les fonctionnaires sont des paresseux irresponsables. J'aime autant vous dire qu'il est reparti avec la musette pleine, et c'était indigeste.

Le jury citoyen n'en perdait pas une mais, tenu par un scénario prévu à l'avance, il continuait à poser les questions habituelles des candides sur les pathologies et les chances de guérison. Mme Darde, depuis sa chaise, répondait à l'invitation de l'animateur aux remarques concernant les moyens, le diplôme (nous rappelant à quel point le ministère était attentif à cette question), la politique sanitaire et tout le tremblement technocratique que notre moderne bureaucratie démocratique nous concocte au fond des bureaux d'autres experts, ceux de la finance.

Et la pompe à phinance rutile ; posé sur le sommet de la montagne elle rutile sa modernité bienfaitrice de l'humanité. Elle fume, elle trépigne et elle jouit, la salope ! Après tout n'est-ce pas une question de bourse ? La psychiatrie n'étant pas cotée au Palais Brognard ni ailleurs, les phinanciers lorgnent, avides et roides dans leur survêtements d'athlètes de l'expertise, sur les subsides étatiques gaspillées en pure perte.

Après quoi j'ai ri de bon cœur quand, après avoir en quelque sorte congédié les professionnels agaçants que nous sommes, l'animateur en vint au sujet des relations soignants-soignés. Ca se mit à parler là un langage un peu plus compréhensible mais il n'y avait plus d'interlocuteurs valables (une pitié). Pour vous servir je suis resté jusqu'au bout.

Nul doute que les interventions claires et nettes de mes collègues auront laissées des marques profondes dans les esprits des citoyens du jury ; les candides furent ici rudement plongés dans la réalité qui fût peut-être la leur ou celle d'un des leurs. Nul doute que je suis fier de nous autres qui n'avons pas laissé se perpétrer sans intervenir avec la vigueur qui sied ce tenant lieu navrant de démagogie.

Avant de terminer je tiens à adresser une mention spéciale à cet homme grisonnant rentré avant moi dans l'hémicycle. Je ne sais pas son nom mais il s'est présenté comme membre d'une association internationale d'anciens patients de la psychiatrie. Il a dit ce qu'il avait à dire et cela est bien !

Je repense au jury citoyen, il est reparti une fois de plus sans savoir où, c'était la question en fil rouge, la souffrance psychique pouvait être entendue. Aucune réponse à cette question ne semblait satisfaisante, aucune réponse psychiatrisée en tout cas. Peut-être bien qu'il nous reste à inventer de tels lieux pour nous tous.

 

Jean Argenty


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