Retour à l'accueil

 

Quand la psychiatrie erre dans l’île aux fleurs…

 

Plongeon au cœur de l’absurde

 

A la Martinique, le gouvernement a fait un choix que nous désapprouvons et nous l’avons fait savoir depuis 4 ans, depuis que nous avons appris le projet de fermeture de l’unique hôpital psychiatrique de l’île pour raisons budgétaires inavouées.

Nous : Association Equinoxe qui regroupe les familles de personnes souffrant de troubles psychiques créée en 2006 et dont je suis la présidente. Equinoxe a également créé l’unique GEM depuis 2007 et programme, oeuvrant avec les usagers, d’en créer d’autres.

Dans le même temps où la Guadeloupe se voyait dotée d’un hôpital psychiatrique flambant neuf, ici on prenait la décision inverse : fermer l’unique CHS de l’île.

 

Le CHS de Colson est un établissement de type asilaire qu’on n’a jamais cherché à faire entrer dans l’ère de la modernité. On l’a laissé se dégrader au point que sa remise en état aurait exigé un investissement financier jugé trop lourd aux yeux des décideurs politiques nationaux.  La santé mentale n’en valait pas la peine, elle, l’éternel parent pauvre du système de santé.

Les nombreux disfonctionnements de cet établissement, que ce soit sur le site de Colson ou  ailleurs, font des usagers les premières victimes de cet état de fait. Mais le personnel soignant lui aussi en souffrance en pâtit.

 

Les urgences psychiatriques au CHU

 

Aujourd’hui, dans le plus total cafouillage, existe au CHU un service d’urgence psychiatrique. Soignants et psychiatres font de leur mieux avec les moyens mis à leur disposition.

Le sas des urgences générales par lequel doivent passer les usagers de la psychiatrie même lorsqu’ils ont un suivi de longue date pose problème, la cohabitation de personnes « en crise » avec les autres malades générant non seulement des conflits entre le personnel urgentiste psy et non-psy et mais est générateur de disfonctionnements comme un terrible drame l’a récemment illustré. Depuis, il est demandé aux psychiatres de consulter sur le parking des urgences dans les ambulances !

Des usagers en crise restent encore sanglés dans les couloirs des urgences générales pendant des heures, voire des jours sans pouvoir rejoindre l’unité 72 - qui par moment devient l’unité 240 soit 10 jours de transit ! - ne pouvant accueillir que 8 personnes. On prend les mêmes et on recommence. L’unité 72 fonctionne-t-elle différemment de Colson ? ne fonctionne-t-elle pas elle aussi « à flux tendu » ? les urgences psy n’embolisent-elles pas déjà les urgences ?

Un « fait divers » récent – un patient agressé par un autre aux urgences du CHU, décédé depuis – met en lumière clairement les disfonctionnements au niveau des urgences. Malgré tout le bien que nous pensons de Colson, un tel fait, à notre connaissance, ne s’y était jamais produit. La psychiatrie va droit dans le mur et ce sont les usagers qui en paient le prix fort.

 

Aujourd’hui le CHS dit ne pas être en mesure d’accueillir des malades à hospitaliser y compris sous contrainte, manquant ainsi à son obligation de soins. On répond « pas de place » alors que nous savons que nombreuses encore sont les personnes présentes sur le site de Colson  « inadéquatement hospitalisées », c’est-à-dire relevant de structures médico-sociales et qui occupent des lits destinés aux malades qui eux relèvent d’une hospitalisation.

Des dizaines d’autres usagers jugés « pas dangereux » attendent en vain une hospitalisation nécessaire mais rendue impossible. Pas de lits.

Et souvent pas d’interventions au domicile des familles* qui appellent les urgences ou les CMP et qui essaient comme elles peuvent de gérer des situations de crise mettant en danger le malade lui-même, parfois son entourage.

Un constat : la psychiatrie de secteur ne fonctionne que très imparfaitement et ne répond à l’attente ni des usagers ni des familles souvent livrées à elles-mêmes.

Réponse : Mangot-Vulcin va ouvrir et régler les problèmes alors même qu’au fil du temps, à mesure qu’approche « la descente de Balata » vers la morne plaine du Lamentin, beaucoup s’interrogent sur la faisabilité et la pertinence d’un tel transfert, les conditions étant loin d’être réunies. Nous courons après un horizon bien sombre qui recule à mesure que la psychiatrie s’enlise dans les sables mouvants d’un hypothétique transfert.

 

* Ce n’est pas la réponse que vient de donner l’Assemblée Nationale en votant une loi ultra-sécuritaire au mépris des droits fondamentaux de personnes en souffrance qui brandit le flambeau pour demain.

Elle plonge dans la nuit noire d’anciens enfermements revenus à l’ordre du jour.

 

Le combat d’Equinoxe

 

Les conditions d’accueil, la qualité de la prise en charge des usagers, le non-respect de leurs droits les plus élémentaires et de ceux des familles, l’inexistence alors d’un service d’urgence psychiatrique au mépris de la loi – ce fut notre premier cheval de bataille qui a abouti à la mise en place d’un embryon de service d’urgences psy encore aujourd’hui loin d’être conforme à la loi -  tout cela nous l’avons dénoncé dans un rapport – bientôt disponible sur notre site en construction - remis début 2007 aux autorités sanitaires et aux inspecteurs de la MNASM de passage dans le cadre de la démarche d’accréditation du CHS de Colson.

Nous disions déjà NON à la fermeture de Colson et demandions sa réhabilitation complète.

Ce n’est pas le lieu qui est stigmatisant mais ce qu’on en a fait.

Souvenons-nous le mur de Berlin… aujourd’hui il fleurit.

Un domaine de 14 ha, de quoi faire un hôpital « de rêve » si tant est que la psychiatrie puisse faire rêver : des unités dispersées dans un parc de verdure où il y a de la place pour de multiples activités – terrains de sport, un parcours de santé, atelier d’agriculture ferme d’élevage – et équipements – maison des usagers, ateliers d’activités diverses.

La réponse : on ferme Colson qui pourtant a reçu son accréditation…

 

La folie « descend de Balata » vers la ville … et la morne plaine du Lamentin

 

La psychiatrie a explosé en multiples unités d’hospitalisation réparties comme on a pu, à droite à gauche, dans des hôpitaux généraux – Trinité Trois-Ilets, Saint-Esprit aujourd’hui le CHU – contraints de la tolérer souvent dans un contexte de méfiance, voire d’hostilité de la part des soignants aussi bien que des directeurs.

La psychiatrie n’a jamais été la bienvenue, il a fallu partout l’imposer.

La présence de ces « unités psy » dérange, a toujours dérangé.

 

Mangot-Vulcin, ce n’est pas mieux. La psychiatrie reléguée à une extrémité de l’hôpital en sous-sol, sur strapontin, déjà stigmatisée au sein même de l’hôpital,

déjà « hors circuit », « la tumeur qui dérange »…

On nous dit « rapprocher la psychiatrie de la ville »… Colson à 15 mn de la ville n’est pas le bout du monde qu’on veut bien faire croire et le trajet, ma foi, une balade en voiture plutôt agréable. En quoi les murs, certes tout neufs de la plaine, sont-ils pour le malade enfermé différents de ceux de la forêt ? En quoi les murs neufs de la plaine le rapprochent-ils, lui, de la ville ? le personnel certes, les familles certes, mais c’est juste que j’avais compris que l’usager devait être au centre du dispositif. A Mangot-Vulcin le thermomètre va monter bien plus haut, la psychiatrie sera bien plus « sécurisée » puisque dans un environnement a priori hostile où la crainte des « nuisances », voire des « fugues », cette fois non plus dans la forêt mais au cœur de la ville, sera bien plus présente.

Et pour les rares malades jadis autorisés à la balade sur le site de Colson, finie la balade… 24h sur 24 l’enfermement d’une unité archi-verrouillée.

 

Au fil du temps, les autorités sanitaires se sont rendues compte que la fermeture du CHS décidée était chose impossible : une unité d’une centaine de lits dans l’hôpital général de Mangot-Vulcin ne pouvait se substituer aux quelques 350 lits dont 240 sur le site du CHS qui fonctionne depuis des années à flux tendu, n’accueillant plus essentiellement que des personnes hospitalisées en HO, des toxicomanes qui représentent plus de 40% des hospitalisations, des détenus et autres personnes au comportement jugé « dangereux » sur la voie publique… un hôpital avant tout « sécuritaire » rendant les conditions de prise en charge des usagers de plus en plus inhumaines et les conditions de travail des personnels soignants de plus en plus difficiles.

 

Colson a ouvert des structures médico-sociales mais dans quelles conditions ?

 

Pour « vider » le CHS en vue de sa fermeture qui ne se fera pas, on a ouvert des structures médico-sociales en nombre encore largement insuffisant - parfois en catastrophe, parfois dans l’hostilité générale, parfois même des politiciens s’en sont servi comme outil de propagande électoraliste - afin d’accueillir un certain nombre de personnes « inadéquatement hospitalisées » au CHS, certaines depuis plus de 20 ans. Espérons que ce ne seront pas que de simples mouroirs.

Quels projets pour ceux qu’elles accueillent ? n’est-ce pas Colson en continu ?

 

La fenêtre restera-t-elle fermée ?

 

Nous avons réclamé depuis 2008 l’organisation d’Etats Généraux de la Santé Mentale car il nous a semblé important que s’ouvre une réflexion de fond : comment aller, où, avec qui, pour faire quoi  Rassembler autour d’une même table soignants, usagers, familles, autorités sanitaires et élus pour  « penser » la psychiatrie de demain, lui donner une direction, construire ensemble un projet mais nous n’avons pas été entendus et ne le sommes toujours pas.

 

Voici la réalité de la psychiatrie à la Martinique au 21ème siècle : ce n’est plus la pré-histoire mais l’histoire qui déraille… sans repères sans phare.

Oui la psychiatrie » descend de Balata » mais plus que jamais erre…

 

Yolène de Vassoigne,

 

- Présidente de l’Association Equinoxe (Réseau d’entraide et de solidarité des familles de personnes en souffrance psychique) et porteuse du projet GEM, structure d’accompagnement social accueillant les usagers de la psychiatrie

- Membre titulaire de la CDAPH (Commission Départementale pour l’Autonomie des Personnes en situation de Handicap)

- Membre de la CRU de Colson (Commission des Relations avec les Usagers)

- Membre du Comité de Pilotage de L’ARS sur l’intégration des personnes en situation de handicap dans le cadre du prochain PRSM (Plan Régional – quinquennal - de Santé Mentale)

 

11 Juin 2011