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Récemment, lors d'un congrès, un participant est venu me demander des nouvelles de Marius BONNET. Il ne savait pas que Marius était décédé en 1997. Marius était une figure légendaire, pour tous ceux qui ont travaillé avec lui, ou comme cette personne, l'avaient rencontré depuis des années à des congrès ou journées d'études comme le Gérip ou autres.

Je vous soumets le texte que j'avais rédigé pour le journal de Saint Alban à l'occasion de son décès.

Adieu MARIUS

 

Marius Bonnet est mort. Discrètement.

Il a "choisi" pour celà la fin de semaine

le jour de la fête du Club où simplement ceux qui maintiennent un intérêt de convivialité pour cette fête ont appris sa disparition.

De plus ces jours là le journal Midi Libre se trouvait en grève.

De plus encore l'ensevelissement avait lieu un dimanche après midi. Il y a un adage qui dit qu'on n'enterre pas le dimanche. Peut-être est-ce pour qu'une communauté de liens puisse apprendre la nouvelle d'une disparition?

* Beaucoup de ceux qui le connaissaient ont appris la nouvelle le lundi ; en pensant qu'il s'était retiré de la scène du monde sur la pointe des pieds.

Comme s'il avait voulu rompre avec une certaine notoriété que lui avaient assurées ses activités au sein de l'hôpital, du Club Paul Balvet, des associations sportives du village ; notoriété que lui avait assurée sa façon d'être avec tout le monde.

* Beaucoup de ceux qui sont employés dans l'hôpital aujourd'hui ne le connaissent pas , ou ne l'ont pas connu ; il m'apparaît juste d'évoquer qui était cette figure de notre hôpital et de St Alban.

 

Pour beaucoup Marius Bonnet était Marius, tout simplement. Il tutoyait tout le monde, car il connaissait tout le monde, sauf - il ne tutoyait pas - les malades qu'il connaissait peu, où ceux à qui il voulait signifier à une occasion ou une autre, quelque chose d'important.

 

Je l'ai connu principalement occupant la Scène de la réunion du Journal du Samedi Matin ; c'est là que je l'ai côtoyé le plus souvent ; sinon dans quelques pérégrinations à l'occasion de congrès ... souvent cocasses!

 

La réunion du Journal était l'espace où il déployait toutes les facettes de l'humour, de la bonhomie, et du pragmatisme de la parole. Animant et commentant les articles écrits par les uns et les autres (surtout pour les auteurs présents dans la salle), il n'avait pas son pareil pour traiter les situations de conflits, et créer comme il l'a dit un jour dans un écrit commun avec Gentis "un antagonisme entre le Club et la vie des Quartiers". Du conflit, il faisait une sorte de lit, non pas pour apaiser, mais pour faire surgir une dimension singulière, celle du patient qu'il avait en face de lui. Qu'il se soit inspiré de Tosquelles, nul doute! De son style, de ses mots, de quelques bribes de théorie. C'est un aspect du bricolage qu'avait monté Tosq à St Alban, et leurs aventures communes avaient fini par déteindre, ou par se ressembler... Formé à la pratique de Tosquelles, tout comme Louis Gauzy, mais dans leur rôle propre. La parole de l'infirmier n'est pas celle du médecin.

De son expérience de déporté il avait probablement déduit la nécessité de témoigner : témoigner des conditions dans lesquelles vivaient les pauvres fous lozériens qu'il avait connus du temps de son père, bien avant qu'il ne devienne infirmier, dans la ou une des premières promotions d'infirmiers, ( c'est ce qu'il fera notamment dans un numéro de la revue Esprit en 1952) puis conseiller à la vie sociale (dont je rappellerai qu'il a été le premier à faire passer des tests à ST Alban, le Szondi, le Rorchach, avant les spécialistes que sont les psychologues), puis l'âme du Club Paul Balvet.

Même si parfois sur le tard son témoignage prenait des allures de radotage, il incarnait la mémoire vive de St Alban, et rappelait sans cesse les conditions d'hygiène et de considération que des pauvres aliénés. L'histoire des conditions de vie de ces malades (leurs dossiers étaient parfois mieux traités qu'eux-mêmes), vieille de 50 ans, telle qu'il la décrivait est encore à méditer sur les progrès et les développements de la psychiatrie ; et que les temps anciens ne sont pas si anciens que cela.

 

Jean Ayme nous a maintes fois raconté les congrès où Tosquelles était entouré de Marius Bonnet et Louis Gauzy : "Je suis ici comme le christ entre ses deux larrons ; l'un est revenu de Buckenwald, l'autre est marié avec une institutrice" disait-il. Tel était le trio de témoins et ambassadeurs de la psychiatrie St Albanaise en France et à l'étranger. Marius n'a cessé de rappeler aux jeunes générations d'infirmiers d'où venait leur profession, comment elle s'était éloignée de celle de gardien et de quel poids ou de quel coefficient de psychothérapie étaient leurs interventions en prise avec le quotidien.

En prise avec le quotidien, c'est à dire que le quotidien n'était pas en dehors de toute sphère où s'installaient les interventions psychothérapeutiques. En prise ; ni dans , ni confondu avec. Retrouver dans tout espace de quotidienneté une prise à effet thérapeutique.

C'est comme cela que je l'ai vu utiliser les articles de malades publiés dans Trait d'Union pour que cela serve à un tel, ou tel présent dans la salle, ou selon le cas, absent, mais dont il savait qu'il serait informé par les réseaux institutionnels.

Puis quelques temps avant sa retraite, Marius fût nommé à un poste d'infirmier général, puisqu'il n'en existait pas dans l'hôpital. De ce poste, ou de cette fonction, il ne put ou ne voulut jamais rien en faire... Infirmier Général, il était Infirmier Particulier... de tous.

C'est encore dans un congrès, où à l'occasion d'un repas, les infirmiers de la table d'à coté étaient manifestement dans un conflit d'équipe, il était venu ajouter son grain de sel et transformer la salle de restaurant en salle de club, lieu privilégié d'expressions de tensions et de conflits.

 

Tosquelles avait l'habitude d'aller dans les congrès avec ses infirmiers. C'est ainsi qu'ils avaient un jour témoigné au congrès international de psychothérapie de Barcelone en 1958, le premier congrès où des infirmiers avaient pris la parole à une tribune pour parler de psychothérapie.

 

 

Tel m'apparaissait du temps de son activité Marius, une personnage de l'hôpital, un jalon me semble-t-il de l'histoire du mouvement de la psychothérapie institutionnelle, mais également de l'histoire de la profession d'infirmier psychiatrique. C'est pour cela que je voulais témoigner de ce personnage sur un site qui a vocation de recherche sur les conditions de l'activité et de la profession infirmière.

 

Jean Yves NAYRAT


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