Laragne, Unité Provence, 19 h 30, le 6 juillet 2000.
Appel téléphonique. Pierre. Il cherche un patient qu’il connaît.
Il multiplie les appels au secours. Pas vers les soignants. Je reconnais sa voix.
J’étais son infirmier référent lorsqu’il était hospitalisé. Je me présente. Je prends de ses nouvelles. C’est pas terrible. Hier, il a avalé une tonne de cachets. Il s’est réveillé, il ne sait trop comment ce matin. Il a vu son médecin.
Il faudrait qu’il soit hospitalisé. Il est dénutri. Il faudrait qu’il puisse se remplumer un peu. Mais, sa situation financière est telle que cela lui est impossible. Il est seul, terriblement seul. Il se sent abandonné de tous, dans son village désert. Il s’inquiète de ne pouvoir aider son fils qui cherche du boulot. Lui l’illettré ne peut lui être d’aucun secours. Son fils, qui l’a redécouvert à sa majorité, le dénie, le rejette. Il se sent si inutile, si tellement bon à rien. Il réussissait vaille que vaille à lui donner les quelques fifrelins qu’il économisait sur son AAH. Il a reçu le montant de son forfait.
Il ne peut déjà plus payer. Il risque d’être expulsé. Il suffirait de quelques jours d’hospitalisation pour qu’il puisse repartir, se retaper le moral. Son village est désert, il y a peu de relations. Mais, c’est le tout petit petit monde qu’il s’est constitué au bout d’une vie d’errance, de deuils et de coups pris dans la gueule. Il faudrait qu’il soit hospitalisé. Nous sommes tous d’accord. Mais il n’en a plus les moyens. Il refuse.
Peut-être le trouverons-nous un matin, mort d’une dose trop forte d’alcool et de médicaments. On trouve toujours de la tune pour picoler un infâme picrate, on trouve toujours des plaquettes de médoc. Les soins, c’est autre chose.