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FORUM

Réactions, Emotions à la mort de Geneviève.
Infirmière à St-Jean-de-Bonnefond

Malgré la chaleur de l'été, malgré les vacances, il y a des nouvelles qui ne peuvent ni ne doivent passer inaperçues. Geneviève, infirmière qui travaillait dans un hôpital psychiatrique de la Loire est morte, pendant son service, tué par un patient. De tels faits se sont déjà produits dans un passé parfois pas si lointain que cela. De tels faits sont déjà oubliés, rangés dans les archives poussiéreuses de la psychiatrie. Dans cette profession, nous travaillons souvent sur un fil, qui a malheureusement tendance de plus en plus à s'amenuiser. La déstabilisation actuelle de la psychiatrie nous porte d'ailleurs à penser que bien des fils risquent de se casser dans les années à venir. Nous allons devoir être vigilants à ce que nous ne recherchions pas la solution dans un renfermement pour des questions de sécurité. Nous avons choisi cette profession risquée avec le désir de pouvoir en diminuer le danger tout en essayant d'être plus proche de celui qui souffre. La mort de Geneviève a créé une émotion très forte, puisse cette force nous donner le courage de continuer de militer pour une psychiatrie humaine, de continuer à réfléchir, à penser, à écrire tous ensemble pour éviter la fatalité de tels faits. Nous avons reçu des messages, des émotions, des révoltes que nous continuerons de mettre en ligne dans notre rubrique Forum. Ce sera peut-être le début de cette réflexion d'ensemble que nous appelons de nos vœux. Nous nous associons de tout cœur, de toute émotion à la peine de sa famille, de ses amis, de ses collègues.

Anne Marie Leyreloup


le 12 juillet 1999

J'ai été très ému d'apprendre la mort atroce d'une de nos collègues à l'hôpital St-Jean-de-Bonnefond dans la Loire exécutée par un patient médico-légal alors qu'elle était chargée de l'accompagner en promenade dans le parc de l'établissement.

  Mon questionnement est le suivant:

1) Rien ne ressort de cet événement et il ira gonfler les pertes et profits de la psychiatrie et paix à l'âme de notre consoeur. Décidément c'est une profession à risques.

2) On s'intéresse de très près au contexte de cet hôpital, organisation hiérarchique, organisation du travail, nombre de personnels, compétence des professionnels concernés, à tous niveaux, du médecin qui a permis la promenade à l'encadrement infirmier en passant par le niveau de formation et l'expérience du personnel infirmier, nous interrogeons les administratifs... et nous essayons de discriminer ce qui a pu provoquer ce drame et comment il aurait pu être évité. Si rien, OK, c'était son destin...  

Il me semble qu'actuellement, beaucoup de nous sont, que nous soyons dans ou en dehors de l'hôpital, soumis à des conditions de travail de plus en plus éprouvantes et sans filets, je veux parler d'une part des conditions de sécurité dégradées pour des motifs économiques et d'autre part de l'existence de plus en plus restreinte,  de la qualité de plus en plus médiocre de la réflexion clinique souvent par manque de temps ou manque de formation ou d'encadrement direct adéquat.

  En d'autres termes j'aimerais savoir dans quel contexte professionnel est morte cette infirmière. S'il s'avérait que des négligences aient été commises ou que les nouvelles dispositions économiques soient en cause je souhaiterais que nous les montrions à nos contemporains et pourquoi pas que nous attaquions l'Etat ou toute institution concernée.

  Ma partie pessimiste, bien que sachant que de tels faits se sont déjà produits dans le passé avant le grand chambardement, me porte à penser tout de même que la déstabilisation actuelle pourrait bien engendrer de nouvelles catastrophes et que nous avons, nous infirmiers psychiatriques, grand intérêt à ne rien laisser au hasard, le passé proche nous ayant montré une fois de plus que nous ne pouvons compter que sur nous-mêmes. Pas de parapluies, la vérité doit être énoncée.

 
Gérard JOLIVET

 ISP
 


Le 19 juillet 1999

bonjour,

je suis désolée pour votre collègue...

Amicalement

sonya


Le 19 juillet 1999

Gérard que je ne connais pas et que je connais bien, votre inquiétude et votre douleur est bien réelle.

Nous n'avons pas à avoir honte, face à la mort de sentir pointer la colère et la révolte face à des tendances technocratiques qui semblent bien vaines face à la folie, la folie meurtrière particulièrement. On oublie souvent que l'hôpital, le système, la chimie, la médecine ne sont pas toute puissante et que la faille existe toujours. Les discours organisateurs et lénifiants, les programmations, les certitudes de bureau et de synthèse, les brillants exposés de colloques ne cachent pas tout : ni la mort ni la violence, ni la merde ni la souffrance. l'hôpital psy, c'est un endroit ou souffrent conjointement des patients et des personnels, pour des raisons différentes voire divergentes mais la souffrance existe. L'une est traitée, bridée, neuroleptisée, prise en charge, mais l'autre ne revient sur la scène que lorsque l'absurde refait surface, que la violence marque et laisse des traces.

Une assistante sociale de Chatellerault tuée par un ancien "client", une éducatrice du nord poignardée, votre collègue... Alors les remous s'agitent et redeviennent mous.

Où sont nos syndicats si présents la veille des élections des Commissions paritaires, quelqu'ils soient( je fus permanent syndical il y a 15 ans à la CFDT...) ? Où sont nos commissions de soins machin et nos DSSI ? Où sont les prises de positions dans la cité sur la prise en charge de la souffrance? Bien loin derrière. La souffrance sans les mots c'est de la mort qui tue lentement.

J'espère que votre situation va éclore et se parler, que de plus en plus de gens pourront dire que travailler en psychiatrie, c'est un travail de garde barrière, de frontalier d'un univers qui parfois fascine, parfois repousse, parfois tue. Et qu'il ne s'agit pas que de primes, de cadres à nommer et autres balivernes mais d'une prise en compte réelle des besoins du personnel, de la mise en place de groupes de paroles, d'intervenants extérieurs, et aussi de mesures concrètes de sécurité dans certains cas, afin de ne pas jouer avec la folie comme avec un ballon cubique aux rebonds incertains.

Je ne sais que vous dire de votre souffrance que j'imagine à peine seulement. Dites vous bien simplement qu'il y a des milliers de collègues qui vivent dans ces craintes et cette précarité, et qui comme vous explosent lorsque le caillou fait mouche et que ça saigne trop!

Il y a besoin de rencontre et d'élaborations collectives, sans arrières pensées, avec et sans les syndicats et les associations, les structures officielles. Internet peut être une aide, SERPSY en est la preuve. Donnez nous la suite de vos mots et souffrances, si vous y arrivez. Sinon de toute façon bon courage.

Bien amicalement.

Denis RESERBAT-PLANTEY éducateur spécialisé en Pédopsy à POITIERS


Le 19 juillet 1999

Comment se fait il que  se soit passé un telle chose . La collègue etait elle seule ?? Si c'est le cas la hiérarchie les médecins ont une lourde responsabilité On le rabache assez . On ne laisse pas un collègue seul avec un patient surtout s'il est connu dangereux.. D'ailleurs à ce niveau nos jeunes collègues DEI et les médecins n'ont aucune notion de dangerosité. On sait que la plupart des accidents de ce type se déroulent toujours lors qu'un ou une collègue est seul(e)

Un jour nos medecins sont allés voir un patient à l'isolement en sifflotant... Le patient est sorti et a étalé la surveillante qui passait par hasard par là.

Réflexion du médecin : C'est les risques du métier.. Peut être mais la veille j'avais noté que ce patient était particulièrement dangereux.....

Claude Simonnet


Le 20 juillet 1999

Cher collègue, je comprends ton émotion.

La mort de Geneviève est un peu la nôtre. Elle vient nous rappeler ce que nous ne cessons d'oublier pour pouvoir être simplement soignant. Soigner en psychiatrie est dangereux et peut être parfois mortel. La clinique n'est pas seulement un passe-temps d'intellectuel elle est une nécessité vitale. Je suis de ces infirmiers qui prennent des risques, qui préfèrent voir un patient seul en entretien plutôt qu'attendre que le sacro-saint planning permette de voir cet entrant dans de bonnes conditions de sécurité. Je préfère accompagner dans le parc de l'unité un patient fût-il en H.O., seul, que le laisser enfermé dans sa chambre d'isolement, ou dans l'unité, je préfère de cette façon essayer de créer de la relation.

Cette façon de faire est parfois dangereuse, risquée, mortelle.

Elle l'a été pour Geneviève.

Il y aura peut-être un jour une situation clinique que j'aurais mal appréciée, il y aura peut-être un jour où j'estimerais nécessaire d'accompagner seul, un patient délirant, potentiellement dangereux alors que l'ensemble de l'équipe m'en dissuade, peut-être me prendrais-je alors des coups de couteau, peut-être serais-je assommé, étranglé. Non, ça n'arrive pas qu'aux autres. Lorsque l'on travaille à la limite, il est des fois où l'on passe insensiblement d'un risque assumé à une situation franchement dangereuse. Les réussites obtenues, une certaine confiance en soi font qu'on n'apprécie pas la situation à sa juste mesure. Les réunions de supervision ou de régulation sont trop souvent un luxe réservé aux unités riches. Nous travaillons trop souvent sans filet. La relation établie avec le patient n'est que trop rarement abordé dans des réunions qui n'ont souvent de "clinique" que le nom.

Ce n'est pas avec la théorie des besoins que l'on soigne et encore moins avec les diagnostics infirmiers, mais avec le travail que nous accomplissons sur nous-mêmes, avec notre sens clinique, avec notre capacité à percevoir les détails, à écouter et à donner du sens à ce que le patient nous donne à voir et à entendre, avec un travail inlassable sur ce qui nous rend parfois aveugle et sourd. Nous n'avons pas d'autre outil. Ces outils plus ou moins fiables peuvent lâcher.

Alors oui, nous sommes en danger.

La mort de Geneviève vient opportunément nous rappeler cela que nous ne devrions jamais oublier.

Tout cela étant dit, il ne faut pas confondre l'appareil d'état, l'armée, la justice, la psychiatrie, tous ces corps constitués qui exécutent un certain nombre de tâches au nom de l'état, tâches prescrites par des chefs plus ou moinhs obscurs et une personne malade, psychotique, délirante, paranoïde, etc.

Ce sont les infirmiers qui exécutent pas les patients. Les rares patients assassins se contentent de tuer, d'assassiner, d'étrangler, de violer, il n'est pas besoin d'en rajouter. Si je t'entends bien, le patient en question a été payé pour tuer notre collègue, qui l'a payé ? A quelle fin ? "Exécuter" c'est bon pour France-Dimanche ou pour Paris Match. "Le forcené exécute l'infirmière qui le promenait".  Penses-tu qu'une telle "information" aiderait le compagnon de Geneviève ? Je ne crois pas. Les collègues de St Etienne réagissent dans la dignité. Quelle que soit leur émotion, il n'est pour eux pas question de remettre en question les valeurs qui fondent leur pratique. C'est en tout cas, les réactions de ceux avec lesquels j'ai pu m'entretenir.

Par rapport à ton questionnement.

1) La justice a été saisie, des plaintes ont été portées. Une partie des informations est donc couverte par le secret de l'instruction. Cela n'empêche pas la presse régionale d'en parler. Libé a relaté cette mort dans un entrefilet. Certains collègues ont été interviewé par la télé régionale. Je sais qu'une marche silencieuse est organisée à St-Etienne. Il serait bien que ceux qui sont disponibles et qui sont en vacances tout près puisse s'associer à cette marche.

Il n'appartient qu'à nous que cet événement ne passe pas par pertes et profits. Il faut écrire et penser à partir de cet événement. Et pas simplement en s'indignant comme le ferait la ménagère de moins de cinquante ans. Nous sommes des professionnels et nous ne pouvons nier les professionnels que nous sommes. Ce n'est pas en criant haro sur les "fous" que nous ferons avancer la réflexion. Oui, nous exerçons une profession à risque, et cela personnellement, je le revendique. Mais je revendique également de prendre des risques calculés. Prendre des risques cela ne veut pas dire travailler sans filet.

C'est ce que nous montre le dimanche les coureurs de Formule 1. Prendre des risques, courir des risques ne signifie pas ne pas tenir compte des règles de sécurité. Et lorsque Senna se tue, c'est l'ensemble des règles de sécurité sur les circuits qui est repensée. Dire que nous exerçons une profession à risque implique de réfléchir sur ces risques et de faire en sorte qu'il y en ait moins. La mort par assassinat n'est pas le seul risque, il existe aussi ces soignants qui n'arrivent pas à prendre de la distance dans certaines prises en charge et qui se retrouvent vivant avec leur patiente. Imagine-t-on cette vie ? Il arrive parfois que l'un ou l'autre se suicide parce que portant des choses trop difficiles pour eux. Cela aussi est un risque. Comment peut-on s'en prémunir ? 

  2) Pourquoi souligner le mot "personnel infirmier" ? Travailler sur le contexte de cet hôpital est évidemment une nécessité. Le contexte, c'est tout ce que tu décris. La limite en est l'instruction en cours. On pourrait s'étonner également qu'il faille autant de mois pour obtenir une place en UMD. Les premières informations que j'ai pu obtenir montrent qu'il y avait un projet qui tenait la route (si tant est qu'un projet tienne la route quand le seul avenir pour une personne est d'attendre qu'une place en UMD se libère).

Geneviève a accompagné ce patient. Elle n'aurai jamais dû le faire seule. Là est la question, là est toute la question. Qu'est-ce qui l'a conduite à le faire seule ? Les effectifs, cela ne tient que si l'on regarde les effectifs présents ce jour là dans cette unité : trois infirmières pour 23 patients. Cela ne tient pas si l'on regarde dans les unités d'à côté. A l'heure où nous parlons de réseaux, d'ouverture de la psychiatrie, chaque unité fonctionnelle apparaît trop souvent comme une baronnie indépendante. Nous travaillons dans le secteur. L'unité voisine également. Mais pourtant trop souvent nous ne connaissons que "notre" unité. Si nous sommes prêts à donner un coup de main en cas d'agitation, nous ne nous mêlons jamais d'aider un projet thérapeutique à aboutir, comme accompagner un patient avec une collègue pour soulager et le patient et l'équipe de l'unité voisine.  Il me semble qu'actuellement, beaucoup de nous sont, que nous soyons dans ou en dehors de l'hôpital, soumis à des conditions de travail de plus en plus éprouvantes et sans filets, je veux parler d'une part des conditions de sécurité dégradées pour des motifs économiques et d'autre part de l'existence de plus en plus restreinte,  de la qualité de plus en plus médiocre de la réflexion clinique souvent par manque de temps ou manque de formation ou d'encadrement direct adéquat. Ce qui retentit également sur les conditions de sécurité.

Ma partie pessimiste, bien que sachant que de tels faits se sont déjà produits dans le passé avant le grand chambardement, me porte à penser tout de même que la déstabilisation actuelle pourrait bien engendrer de nouvelles catastrophes et que nous avons, nous infirmiers psychiatriques, grand intérêt à ne rien laisser au hasard, le passé proche nous ayant montré une fois de plus que nous ne pouvons compter que sur nous-mêmes. Pas de parapluies, la vérité doit être énoncée.

J'ai repris tes dernières phrases parce que j'y souscris entièrement.

Cordialement, 

  Dominique Friard.


Réponse de Gérard Jolivet aux propos de Dominique Friard

  Cher collègue,

  Réponse à un passage de ton texte,

  Je tenais à te préciser que la lettre que j'ai envoyée était écrite sous le coup de l'émotion et qu'il n'était nullement question de polémiquer sur une quelconque responsabilité des patients dans certains de leurs passages à l'acte. Le mot "exécutée" que j'ai employé sans doute maladroitement était destiné au contraire au système psychiatrique qui a permis cette "bavure" dramatique. Quant à l'argent que tu évoques, je pense que c'est une interprétation toute personnelle et je ne comprend pas très bien son irruption dans ce contexte. Le compagnon de Geneviève n'a effectivement pas besoin de soutien dialectique entre professionnels, mais n'autorise aucunement quiconque à prétendre savoir comment l'aider à coup sûr. Je suis surpris de cette leçon de professionnalisme, de morale et d'une telle agressivité cf France Dimanche, alors que le sujet de ma lettre ne dépassait pas le stade de l'émotion de la perte d'une collègue et les associations que je pouvais faire avec ma propre expérience. Je demandais simplement qu'on examine les conditions du soin de près et qu'on en tire des conséquences. Sous-entendre que certains réagiraient avec dignité et d'autres non, que certains remettraient en question les valeurs qui fondent la pratique relève de la diffamation mégalomane. Je crois que tout notre travail autour de la violence avec nos patients et familles et les remises en question qu'il nous renvoie ne devrait pas être transféré sur nos propres relations confraternelles de façon moins contrôlée et moins professionnelle.   En tous les cas le moment méritait plus le recueillement, la solidarité que cette diatribe sulfureuse.   Voilà, je tenais à te faire part de ces quelques réflexions qui ne portent à aucune conséquence mais au contraire j'espère nous rapprocheront.    

                                                                             Gérard JOLIVET


Le 20 juillet 1999

Tout à fait d'accord avec toi Gerard; travaillant en hopital de jour pour enfant dans le sud meusien nous n'avons pas vraiment de difficultés à refuser d'executer un ordre qui ne nous paraitrez pas clair; avec les enfants c'est plus facile; j'ai travaillé dix ans en pavillon d'admission et unité difficile;c'était hard et toujours sur le fil.

Bravo pour votre combat.

A bientot.

william


Le 20 juillet 1999

Je suis profondément désolée de ce qui est arrivée à notre collègue et qui nous en sommes bien conscients peut arriver à chacun de nous. Je suis infirmière DE et je travaille de nuit dans un service de psychiatrie avec une unité de surveillance intensive depuis 6 ans.

Je rejoins l'opinion de certains collègues qui mettent en cause les conditions de sécurité dans lesquelles nous sommes appelés à travailler : isolement des pavillons de psychiatrie les uns par rapport aux autres, quantité limitée de personnel de nuit, et il y en aurait d'autres.

Un drame comme celui-ci doit faire prendre conscience à notre encadrement et à notre administration de la réalité des risques encourus par le personnel infirmier, toujours présent et toujours le premier au contact du patient. Bien entendu les culpabilités seront dégagées mais ne rendront pas la vie à Geneviève. Peut-être serait il opportun de mobiliser nos énergies et de faire admettre à nos administrations respectives qu'un malade de psychiatrie n'est pas tout à fait un malade comme les autres et qu'il serait temps, de ce fait, qu'elles se préoccupent enfin de la sécurité de leur personnel.

N. Lambruschini


Le 20 juillet 1999

La mort de Geneviève me touche profondément et je présente à tous les proches qu'elle laisse autour d'elle, mes sentiments douloureux. Certes, son nom s' ajoute au long martyrologe de ceux de notre grande famille psychiatrique qui sont morts où qui restent marqués dans leurs corps et dans leurs esprits. Mais la liste en est longue et nous constatons qu'elle augmente plus vite qu'autrefois. Les risques s' accroissent.

Alors, je souhaite que sa disparition nous serve à réfléchir et à prendre des mesures qui mettent un terme à cette hécatombe.

Dans ce cas, Geneviève ne sera pas morte pour rien.

Docteur Jacqueline MADRE 


Le 20 juillet 1999

La sécurité n'est pas incompatible avec la notion de soin.

Elle est essentielle à toute prévention, pour ne pas élargir les drames humains, ceux que vivent nos patients, et ceux qui ceux qui se répercutent sur le personnel soignant. La peur d'être inhumain poussent parfois les psychiatres à prendre des décisions à la légère, et l'administration de se voiler la face pourvu que les livrets d'accueil leur soient élogieux.

De ces légèretés, une infirmière vient d'y laisser sa vie. C'est un drame pour sa famille, ses collègues et la profession.

Je m'associe à cette douleur, ainsi que le service Mulhousien où je travaille, qui a envoyé une carte de condoléance.

J'espère que cette affaire ne tombera pas rapidement dans les oubliettes.

Nathalie Dolbeau ISP


Le 21 juillet 1999

Nous apportons notre soutien et nous nous associons à votre mouvement du 22 juillet 1999 à Saint Etienne, suite au Décès dans l'exercice de ses fonctions d'une de vos collègue infirmière.

Nous nous associons à la douleur de sa famille et de ses collègues.

Très sincèrement

Annick Leboudec (ISP) Sylvie Boivent (cadre-inf) Isabelle Thirot (IDE) Evelyne Ozanne (ISP) Elodie Bosse (secrétaire médicale) Géraldine Bignolais (ergo)


22 Juillet 1999

Bonjour,

  Je m'adresse à l'auteur et suis également touché affectivement par cette "histoire".   Le grand public ne le sait pas assez, .. malheureusement tous les ans des soignants de Psychiatrie décèdent dans des circonstances proches de celles-ci, et/ou  subissent des séquelles de graves accidents.

  La profession d'infirmier de secteur psychiatrique est une belle profession, mais qui comporte des risques majeures qui souvent, sont passés sous silence dans les études de base en IFSI (et peut-être plus depuis le nouveau programme de 1992).

Dans ces risques nous pouvons retenir les risques de violence physique (passage à l'acte.. pouvant entrainer la mort) sur la personne du soignant, mais aussi les projections d'angoisse et les transferts massif que peuvent projeter les personnes soignées sur les soignants.

  Comment les soignants peuvent-ils mieux se protéger ? Peut-être pouvons nous tenter plusieurs réponses...

  1 - Mieux se former ... plus de pratique sur le terrain et dans les services, plus d'observations et d'échanges avec les Anciens infirmiers de secteur psychiatrique.(ou est le temps des centre de formation ? que sont devenus les stages d'initiation à la vie collective, que sont devenus les formations à la connaissance de soi , ...etc)

  2 - Mettre en place en concertation avec les soignants, des groupes de paroles pour recevoir la souffrance des soignants qui se font "allumer" très souvent au cours d'une journée de travail (en intra ou sur le secteur, en V.A.D)

  3 - Mettre place en concertation avec les soignants des groupes de supervision (analyse de pratique) pour renforcer la pratique professionnelle et compenser certaines insuffisance de la formation de base dans le domaine de la pratique psychiatrique...

  Grave problème ... tout cela coûte des sous ! ... et des sous y-en a plus !... Que faire ?  Des mouvements d'information auprès du public .. et pourquoi pas une action plus forte sous forme de grêve.

  Facile à dire de mon fauteuil ...

  C'est une réponse rapide et non affinée, au fil de l'écriture, des impressions personnelles

  Maurice LIEGEOIS (psychologue, formateur en CHS et CH et IFSI)                                                      


  22 Juillet 1999   

Chers amis

Merci de transmettre ainsi des nouvelles même et surtout lorsqu'elles sont aussi dures que la disparition de cette collègue infirmière de la Loire. Veuillez transmettre à ses proches notre affection et notre soutien d'abord,qu'ils sachent que nous nous sentons solidaires de cette tristesse. Par ailleurs nous soutenons l'exigence qui doit examiner ce qui s'est passé et nous faisons confiance à nos collégues qui étant sur place peuvent seuls nous aider à comprendre.

Je repense au silence qui, il y a une vingtaine d'années a entouré à Ville-Evrard, le coup de couteau dans le dos qui a rendu paraplégique notre collègue Bardis, coup donné par un patient dans les allées de l'hôpital...je repense à la mort de notre collègue Bertherat tué par balle dans sa chambre dans les années soixante quand on commençait à espérer le changement de la sectorisation....Même si ces faits sont rares ils doivent être bien connus de nous et être étudiés attentivement pour qu'ils ne soient pas l'occasion de chercher la solution dans le renfermement sous prétexte de sécurité. C'est d'abord notre compétence de soignant qui est impliquée et dont nous devons très précisemment reconnaître les limites et les garanties, plus que le nombre des soignants, c'est bien de cette compétence dont nous avons de plus en plus besoin à partir du moment où nous soignons avec le concours de l'entourage; nous devons partager avec lui notre connaissance des troubles, cela nous amène à réfléchir à tout ce que nous devons faire pour transmettre à des non professionnels ce que sont en quelque sorte ces situations que j'appellerai d'urgence, c'est-à-dire où le patient est sans aucun lien avec un autre, et risque sa vie comme celle de l'autre: et ceci survient même au cours d'un soin bien balisé come ces évènements douloureux nous le rappellent.

Notre réflexion sur la formation ne doit avoir de repos.Nous avons choisi une profession risquée avec le désir d'en diminuer progressivement le danger non en éloignant l'homme mais en essayant d'en être plus proches.

Je me sens très solidaire de tout l'entourage de Geneviève.

Affectueusement.

guy Baillon.


                                                                               

Le 27 juillet 1999

j'étais les pieds dans l'eau du lac, en vacance, lorsque j'ai pris connaissance du décès, dans des circonstances dramatiques, de notre collègue infirmière.

Quoi dire ?

Que tout le monde s'en fiche ? Sans doute que nos penseurs, directeurs, administratifs et autres éminents infirmiers généraux mettront ce "fait divers" au rayon du pas de chance. Pas pour eux mais pour cette infirmière qui, comme tant d'autres, s'est retrouvée agressée par un "pauvre" malade qui n'avait que peu (ce qu'on dira certainement) conscience de ses actes. Car on s'en prend plein la figure tous les jours, que ce soit de manière directe, avec coups de pieds ou de poings, ou de manière indirecte pris dans le jeu de la perversion hiérarchique qui se couvre d'un discours philantropique pour mieux nous asservir.

La différence entre nous et d'autres métiers à risque, tel celui de gardien de la paix (et laquelle !), c'est qu'on a en aucun cas droit à la riposte. Je ne parle pas ici de réponse immédiate mais même aussi et surtout de celle différée. Le malade en question aura t-il a répondre de ce crime. Car ici nous avons affaire à un homicide volontaire et si le malade en question était trop perturbé par quelque troubles susceptibles d'inflencer sur son comportement, il était du ressort pour ne pas dire de l'entière responsabilité, du médecin prescripteur de ne pas permettre ladite promenade.

Un jour une infirmière, chez nous, a osé se défendre contre une pateinte très brutale. Elle s'est retrouvée, avec déjà toutes les marques de coups, traces de blessures cicatrisées sur ses mains et avant-bras, menacée par sa hiérarchie : perversion de nos cadres qui assouvissent une volonté farouche de domination des autres quand eux-meme ont été dominé.

Je ne peux pas pleurer ma collègue, je ne la connaissais intimement pas, je peux la regretter, avoir le regret aujourd'hui, parce que j'ai pris connaissance de son existence, de ne plus pouvoir, plus jamais pouvoir, la connaître.

Que ceux qui la pleure sachent cela au moins, que la solidarité existe au-delà des sentiments liés aux affects issus de liens de proximité. Parce que nous sommes tous, infirmiers psy dans le même panier à commission, celui des commissions ordonnées par la direction des établissements aliénistes de santé, celui des courses médicales, petits marchés du matin où les bons docteurs prennent ce qu'ils veulent quand ils le veulent. Ici c'est une vie qui a été prise.

Le panier à commission c'est aussi celui de celle, infirmière, pour inutile qu'elle est, parce que dirigée par des non-soignants, et tout le reste me fait enragé...je préfère me taire.

Geneviève fait partie de ces gens sacrifiés sur l'autel de la gloire hospitalière. Là où elle n'apparaitra plus, où elle n'a jamais paru, d'autres habiles manipulateurs de la rhétorique à la mode (accréditation) sauront de temps en temps évoquer son souvenir pour faire bien.

Qu'arrivera t-il au patient agressif ? Doit-on le punir ? Peut-il être puni ? L'une de ces questions a une réponse par l'affirmative, mais laquelle ? Aujourd'hui, alors qu'on vient de faire la prêche du 14 juillet, on nous reparle un peu de la notion de citoyenneté. Mais qui pensera au statut de la citoyenne disparue ?

Sont-ce des citoyens ces anti-humanistes qui masquent leur voracité à fond d'anthropophagie derrière de doctes discours ? Je ne peux m'empecher de penser à toutes ces choses lorsque je pense à cette histoire.

Je regrette de n'avoir pas connu cette collègue.

Pour elle et ses proches, une pensée amicale, de loin...

F. Masseix

Infirmier complètement dégouté, indigné, saturé d'inespérances au sujet de son propre métier.

Advienne que pourra.


Le 28 Juillet 1999

C'est avec tristesse que j'ai appris le décès d'une collègue de l'hôpital de St Jean de Bonnefond. L'émotion est toujours vive mais aussi plus dramatique encore  lorsque la mort intervient dans le cadre d'un exercice professionnel dont la mission humaniste en est la pierre angulaire.

Dans le cadre psychiatrique, que le patient soit médico légal ou non il est d'abord patient et en tant que tel ne doit souffrir d'aucune discrimination. Seul le projet de soin est particulier et spécifique, élaboré et adapté en fonction des  agir déjà commis et de sa dangerosité potentielle évolutive.

Qui n'a pas dans son parcours professionnel été placé dans des conditions extrêmes à devoir gérer les soins dans un service ou résidait regroupés des Anciens articles 64 (aujourd'hui 122.1/ 122.2) des PO ou HO, des PV ou HDT, des SL ou HL sous des   multiples  pathologies avec la précarités des moyens, le manque de personnel,  sans que les instances décisionnaires et cela à tous les niveaux ne se soit jamais émues ou sentis concernées par le risque que les personnels soignants encouraient.

La phrase rituelle étant "attend- t- on qu'il arrive quelque chose?" ou bien " le jour ou quelque chose arrivera  alors..." Ce jour parfois arrive et  nous en restons toujours aux trois points sans jamais les dépasser. 

  Depuis des années en psychiatrie des accidents se produisent les uns après les autres, immuables , qu'il soient blessures aux multiples conséquences ou homicides avec l'irréparable... sans que cela émeuve et améne considération et actions décisionnelles des autorités compétentes. Il semble que socialement et politiquement  il y ait une priorisation et une échelle d'intérêt pour les blessures et homicides selon les catégories sociales ou professionnelles.

L'absolution collective n'est pas loin, l'oubli l'y aide comme le dédain qui est manifesté encore aujourd'hui à un acte qui ailleurs susciterai émoi, intérêt et révolte, résolution  et prévention active.

  Mais de quelle responsabilité devons nous parler ? Celle des instances , des hiérarchies médicales, administratives, ou politiques, ou celles que jamais non n'avons osés prendre et revendiquer  collectivement en tant que professionnels, et corporation spécifique spécialisée.

Quelle identité, reconnaissance et représentation sociale avons nous , pour que nos exigence soient entendues. D'ailleurs l'aventure de notre diplôme en est une preuve manifeste et éclatante.

Métier supportant tous les fantasmes et images sociales, considérés comme dangereux (ce qu'il est), occulté et renvoyé à la marge, se confrontant à une méconnaissance voir à une déconsidération. Ne nous voilons pas la face, quelle association infirmière représentative a manifesté haut et fort et a été entendue pour les décès et accidents professionnels depuis de nombreuses années ? Quelles mobilisations individuelles et collectives? Quelle syndicat a engagé de véritables actions proposant des solutions viables et réalistes?    L'hôpital aujourd'hui est noyé dans un flot de commissions, de pouvoir et de contre pouvoir, de considérations purement budgétaires, de positions hiérarchiques décisionnaires et ou consultatives dont les actions cumulatives s'annulent parfois, ne résolvant que trop rarement ce qui est et fait les préoccupations des professionnels de terrain,considérés comme agent exécutant avec le corollaire d'une emprise ou l'humanisme , l'intelligence adaptative et les besoins ,la souplesse, la créativité se confrontent à la rigueur comptable, à l'hermétisme de certains règlement, à la gestion administrative.

Ce passéisme administratif fait froid car il confins à forme réflexive d'indifférence, d'abord du quotidien puis à l'événementiel.

  Avons nous dépasser le stade d'exécutant? Nous sommes nous appropriés une autorité et une légitimité propre à notre fonction, et en fidélité avec notre formation?

En respectant l'autorité médicale et notre rôle sous prescription , qu'avons nous balisés, exigés aux conditions d'exercices de notre propre pratique? N'avons nous pas quelques fois acceptés l'inacceptables en terme de risques, couvert l'absence de sécurité et des conditions d'hospitalisations ...  et tous ça en nous réfugiant derrière "au nom du patient"...

Les résultats sont là dramatiques et irréparables, à chaque fois interpellant mais trop souvent rangés au rang des bons sentiments sans résolutions et absences d'actions communes concrètes.

  Les patients nommés  médico-légaux ne sont plus du domaine de la santé mentale, mais de la psychiatrie légale et de la criminologie. Leur prise en charge est particulière et requiert une approche spécifique et spécialisée. Comment aujourd'hui peut on encore admettre ce type de patient en psychiatrie générale? Quel médecin peut encore considéré que son service de psychiatrie générale puisse répondre avec adéquation à de telle prise en charge lorsque l'on sait les carences en personnel dues à des restrictions budgétaires?

Bien que toujours dans le domaine du relationnel et de la conception humaniste des soins, des habitudes au quotidien se nouent dans un cadre de relations humaines et abrasent souvent et trop vite la vigilance, les aspects défensifs ou contre transférentiels indispensables. 

Les patients ayant des parcours judiciarisés nécessitent toutes les attention mais aussi une vigilance qui jamais ne doit se démentir. La prise en charge ne doit jamais laisser une part à l'imprévue ou à l'approximation. La psychopathologie clinique, le repérage d'aspects psychodynamiques et l'évaluation crimino-clinique   sont essentiels car ces approches déterminent le caractère prédictif du risque comportemental.

D'une observation globale , rares sont les médico légaux n'ayant jamais eu un suivi en psychiatrie dans leur histoire.

Je travaille en milieu carcéral et sur les six cas d'homicides actuels ou tentative  pouvant être répertories par les modes opératoires comme itératifs et sans causalités élaborées sur un versus délirant, on tous été suivi en psychiatrie hospitalière ou  privée.

A quand la création d'unité ou de transformation de service propre à accueillir ce type de patient, ou les professionnels par des formations et divers expériences de terrains pourront exercer en limitant les risques. Il n'y aura jamais de risque nul dans ce domaine, mais au moins pouvons nous croire qu'ils soient réellement limités. 

Peut-être y a t il à échanger, informer, réfléchir autour de ce type de prise en charge en réunifier un savoir multidisciplinaire utile à tous.  

              Pour que la fatalité soit exclue de notre pratique, et que le drame ne soit plus anonyme.

  Amicalement

  François Hamon


Le 03 Août 1999

C'est un texte que la section SUD-CRC du CHS Paul Guiraud de Villejuif (94) a fait circuler dans leur établissement et nous a confié pour mettre sur le forum.

Une mort qui provoque notre colère

 

Nous avons appris le décès à la suite d'une agression par un patient de notre collègue Geneviève qui exerçait en qualité d'infirmière en service de psychiatrie au CHU Saint Jean de Bonnefonds de Saint Etienne.

Quelles que soient les circonstances exactes de cette mort, celle-ci provoque notre colère !

Oui, notre colère, car, si nous n'oublions pas que nos métiers et notre mission consistent à soigner souvent contre leur gré des personnes en situation de souffrance psychique, nous estimons légitime d'avoir des moyens notamment humains pour mener à bien cette mission.

La mise à mal du service public hospitalier, notamment psychiatrique, délibérément programmée par une politique budgétaire intenable se traduit, nous le savons à Paul Guiraud comme ailleurs par une baisse constante des moyens humains.

Cette baisse d'effectifs a nous le savons, un retentissement considérable sur la qualité des soins et sur la sécurité des patients et du personnel.

C'est cette politique et ses effets néfastes que nous avons voulu combattre de toute nos forces en nous engageant dans la grève, comme nous l'avons fait à la fin de l'année dernière.

Cette grève, a clairement posé le problème des effectifs, face à une augmentation considérable du nombre des admissions, à l'insécurité et aux conditions déplorables d'hébergement des patients.

Même si la Direction s'est trouvée contrainte de répondre partiellement à notre demande d'embauche de personnel, l'essentiel n'est pas réglé et la situation demeure inquiétante. Nombreux et nombreuses sont ceux et celles qui témoignent "de leur peur au ventre" lorsqu'ils viennent travailler dans certains services de soins de l'hôpital.

A qui fera-t'on croire que la violence à laquelle nous sommes confrontés n'est que le strict produit des pathologies psychiatriques ?

Ce que nous obtiendrons pour que les conditions d'hospitalisation et de travail changent, nous ne l'obtiendrons que par la lutte.

Nous tenons à saluer la mémoire de Geneviève, témoigner notre sympathie à sa famille et apporter notre soutien au personnel de Saint Jean de Bonnefond et à ses organisations syndicales en les encourageant à se battre pour qu'un tel drame ne se reproduise plus.


Le 06 Août 1999

Une femme est morte !
Une femme est morte qui n'aspirait qu'à la vie.
Une femme étranglée, massacrée, désarticulée, démembrée.
Une femme est morte qui militait pour la vie.
Une femme, une infirmière, une collègue.
Tous les jours des femmes meurent dira la rumeur publique,
S'il fallait pleurer chaque mort
Nos larmes inonderaient la terre.
Chaque mort est injuste.
Chaque mort me révolte.
Mais celle-là.
Geneviève, étais-tu brune, blonde ou rousse ?
Je ne sais.
Ta voix était-elle grave, tendre ou douce ?
Je ne sais.
Je sais que tu étais infirmière
Je sais que tu étais du parti de la vie,
Du parti de la foi en l'homme
Du parti de ceux qui prennent des risques pour la vie, pour l'autre.
Infirmière,
Vêtue d'une blouse blanche
Soudainement rougie
Au bas de l'escalier.
Infirmière,
Tuée par un de ceux que tu soignais.
Infirmière,
Tuée parce que tu étais convaincue qu'il est inhumain d'enfermer
Les fous et leur folie.
Infirmière,
Tuée parce que tu as accompagné au delà de tes forces.
Geneviève,
La vie est dégueulasse.
Ta mort est injuste
Et elle touche chaque un de nous.
Il faut être journaliste pour ne pas en percevoir l'horreur.
Tuée par un de ceux que l'on soigne !
Comment peut-on soigner quand on pense à cela ?
Comment ne pas être révolté ?
Comment ne pas entrer en rébellion ?
Et ce silence des médias
Comme si cet assassinat était dans l'ordre des choses
Comme si c'était une non-information.
En psychiatrie, on peut tuer les infirmières
C'est dans l'ordre des choses.
Il est vrai que les CRS tirent sur les infirmières au canon à eau,
Qu'ils les matraquent lorsqu'elles quémandent un zest de reconnaissance.
C'est dans l'ordre des choses.
Et bien non !
L'assassinat d'une infirmière par un de ses patients n'est pas une fatalité.
Nous voulons bien prendre des risques
Nous ne voulons pas être menées à l'abattoir !
Geneviève,
Dis-nous, qui est responsable et pourquoi es-tu morte ?
Le patient qui t'a étranglée ?
Les voix qui peut-être le dirigent ?
Signalé comme dangereux, il attendait depuis six mois une place en UMD.
Toi morte une place s'est libérée en une semaine.
Les médecins de l'U.M.D. qui n'ont pas su apprécier sa dangerosité ?
Les médecins de l'unité qui n'ont pas su les convaincre de cette dangerosité ?
L'équipe qui s'est refusée à garder six mois en cellule ce malade dangereux ?
Mais peut-on soigner sans valeur ?
La direction de l'établissement qui ne voit là que les risques du métier ?
La formation infirmière qui brade trop souvent la psychiatrie ?
L'organisation des hôpitaux incapable de faire face à des situations
exceptionnelles
En mobilisant des moyens exceptionnels ?
Les cadres qui n'ont pas prévu que ce week-end là
Soit le plan de soin de ce patient ne serait pas respecté,
Soit il n'y aurait qu'une infirmière seule pour l'accompagner ?
Ceux qui ont été sourds aux menaces proférées ?
Ceux qui n'ont pas su dissuader Geneviève de l'accompagner ?
Geneviève toi-même qui n'aurait pas su apprécier le risque ?
Le manque de personnel ?
Les collègues des unités voisines qui auraient pu se mobiliser pour un
accompagnement périlleux ?
Un système de santé qui ne sait que gérer à flux tendus ?
Il est une chose d'exercer un métier à risque
Il en est une autre de courir à la mort sans protection.

Une femme est morte qui n'aspirait qu'à la vie.
Une femme étranglée, massacrée, désarticulée, démembrée.
Une femme est morte qui militait pour la vie.
Une femme, une infirmière, une collègue.
Geneviève.

Paul Arène.


Le 08 Août 1999

Un mois après, je ne comprends toujours pas, je ne comprends pas qu'en se rendant à l'hôpital, " soigner " l'autre, une infirmière puisse perdre la vie.
Et pourtant que ce soit directement, comme pour Geneviève, ou indirectement en provoquant un acte désespéré chez un infirmier accusé, très probablement à tort, d'actes totalement inacceptables, oui directement ou non, l'exercice de la profession infirmière en psy est " risquée ".

La mission de service public confiée aux équipes de soins ne prévoit pourtant rien ou pas grand chose, pour couvrir cette partie risque.

De plus en plus les pratiques s'alignent sur les exigences budgétaires.

J'ai lu ici que 3 infirmiers(ères) étaient présents pour 25 patients dans le service où travaillait Geneviève ce funeste jour de Juillet, j'ai eu à encadrer une équipe ne pouvant faire mieux que de s'organiser pour être 2 pour 25 patients présents.

Malgré des luttes locales plutôt tonique, nous n'avons jamais pu faire inverser le processus.
Chaque année, depuis 97, environ 50 agents partent et ne sont pas remplacés, ASH, aides-soignants, infirmiers, essentiellement.

Alors de plus en plus, le risque est grand, la misère gagne du terrain , les bonnes raisons de " déprimer " ne manquent pas, les besoins en hygiène mentale ne vont pas manquer de s'accroître, les besoins sanitaires croissent.

Pendant ce temps nos politiques organisent un rationnement méthodique, programmé et sans état d'âme.

Les Directeurs eux enfilent leurs costumes d'exécutant avec une aisance qui frise le cynisme.

Les différents paliers de consultation, décision, hiérarchisation du " fermes ta g… ", méprisent la dimension soignante, le tout sous couvert de réduction de la dette publique et de je ne sais plus quel critère européen.

Un coup je te sers l'Europe pour te dire que tu n'auras pas de diplôme, le suivant on t'explique que le budget de l'état doit baisser pour faire progresser cette belle Europe…l'Europe du fric, oui celle là se porte bien, mais à quel " prix " ?

L'expression de la violence en milieu psy n'est certainement ni plus ni moins importante qu'autrefois ou qu'hier, elle est simplement et définitivement inacceptable .

2 pour 25 patients, hospitalisés sous contrainte pour la plupart d'entre eux, des collègues jeunes et mal formés accroissent les risques encourus par les professionnels que nous sommes.

Oui M.Baillon, la qualité n'est pas la quantité, mais le plus souvent, la quantité permet une qualité potentielle.

J'accuse les directeurs d'établissement d'accepter trop facilement le costume du vilain gestionnaire pour des raisons connues de nous tous : le carriérisme.

J'accuse tous les soignants qui s'accommodent de petits bénéfices secondaires à pratiquer en " extra ", sans s 'intéresser à ce qui ce passe à l' " asile ".

J'accuse nos collègues médecins de ne pas considérer à sa juste valeur la responsabilité infirmière et de l'abandonner à son triste sort : les DSSI.

J'accuse les infirmiers qui viennent au boulot comme on va au tennis ou à l'abattoir.

J'accuse les collègues cadres et cadres supérieurs qui n'acceptent pas leur rôle : garantir la qualité des soins et la sécurité des personnels.

Mais qui suis-je pour porter accusation ?… Un cadre de base, confronté aux conséquences budgétaires, militant professionnel formé à la psychothérapie institutionnelle, militant syndical SUD/CRC présent sur tous les fronts considérés essentiels.

Où se trouvent les renforts des professionnels concernés ?

Combien sommes nous lors des manifestations identitaires, DEI ou budgets psy ?

Les syndicats, si volontaristes soient ils, qui sont ils sans les personnels ?

Il est essentiel, que nous réagissions TOUS ENSEMBLE , aux risques que certains acceptent sans sourciller que nous les prenions.

Médecins, infirmiers, aide-soignants, ASH, PSY de tous poils, nous ne déstabiliserons pas l'Europe, mais en son nom nous pourrions bien perdre âme et crédibilité.

Pour nos deux collègues récemment disparus, soyons solidaires, unitaires, et démocratiques, et acceptons la difficulté d'une lutte pour notre sécurité, mais surtout pour une vrai qualité des soins en psychiatrie.

La violence de ces actes ne doit pas être la seule occasion de nous révolter, il est inacceptable de mourir en soignant.

A.A.


03/09/99
J'ai été bouleversée d'apprendre la mort d'une infirmière à l'hôpital de Saint-Jean-De-Bonnefond. Je suis infirmière en psychiatrie dans une unité de soins adultes au sein d'un hôpital général (capacité d'accueil : 29 patients - infirmiers de jour par équipe : 3 - infirmier(s) de nuit : souvent 1).
Le constat que je dresse de mes trois années passées en psychiatrie est plutôt pessimiste. Les conditions de travail se dégradent vers la médiocrité. Je travaille actuellement dans des locaux qui ne correspondent pas aux normes de sécurité (la chambre d'isolement était il y a quelques années un bureau médical - les fenêtres de l'unité peuvent être ouvertes avec le manche d'une cuillère à soupe...). Le temps passé auprès des patients est de plus en plus limité car le personnel infirmier est amené à réaliser des tâches qui ne sont pas de son ressort...
L'administration répond à cela : PAS DE BUDGET. Je crains aujourd'hui qu'il faille bien des morts encore avant qu'une réelle prise de conscience se fasse jour.
Herveline