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PSYCHIATRIE...LEVONS LE VOILE


ÉLÉMENTS POUR UNE HISTOIRE DE LA PSYCHIATRIE

G.LANTÉRI-LAURA*
Chef de Service honoraire à l'Hôpital Esquirol, Ancien Directeur d'Études à l'École des Hautes Études en Sciences sociales.

III.Remarques sur les Institutions

Dans les deux textes précédents, nous avons dû à quelques reprises faire de brèves allusions aux institutions qui se trouvent en cause dans tel ou tel aspect de la psychiatrie moderne; mais le contexte où nous nous situions alors ne nous a permis ni d'y donner les développements nécessaires, ni de les replacer dans leur développement historique. Or, la psychiatrie, comme les autres parties de la médecine, ne saurait exister sans un ensemble d'institutions qui la rendent possible et, en retour, en conditionnent un certain nombre d'aspects. Le moment arrive donc où nous devons expliciter clairement les principales institutions ici en cause, du moins dans la psychiatrie française depuis la fin du Siècle des Lumières.

Pour des raisons de clarté, et bien que cette distinction demeure relative et n'exclue pas certains chevauchements, nous allons étudier, de façon séparée et les unes après les autres, d'abord les institutions qui ont organisé la pratique psychiatrique, hospitalière, puis extra-hospitalière, et ensuite les institutions qui ont cherché à régler les rapports de la pathologie mentale avec la capacité civile et surtout avec la responsabilité pénale;

Les institutions psychiatriques

Entre l'abolition des lettres de cachet par l'Assemblée nationale constituante, en 1790, et la promulgation de la loi du 30 juin 1838 par le roi Louis-Philippe, la prise en compte des insensés, qu'on appellera bientôt des aliénés, s'opère diversement, selon les lieux et les coutumes, et ne suit aucune règle uniforme. Hôpitaux généraux, Hôtels-Dieu, Maisons de santé privées, laïques ou religieuses, et d'autres encore, en reçoivent et en traitent, sans quelque garantie légale qui protégeât la liberté individuelle et sans quelque règle qui permît de s'occuper officiellement de ceux dont l'état mental les rendait dangereux pour eux-mêmes ou pour des tiers. Familles, Maires, Commissaires de Police, Préfets ou Magistrats interviennent ou s'abstiennent d'intervenir, et la difficulté demeure de savoir comment réussir à soigner malgré eux ceux que leur maladie empêche de demander et d'accepter des soins, sans introduire une procédure qui aboutirait à priver de leur liberté des citoyens qui n'auraient pas été condamnés de façon définitive par une autorité judiciaire légitime.

La loi de 1838 va chercher une solution à ce dilemme, en s'inspirant directement de la notion d'aliénation mentale, et nous savons que la Chambre des Pairs et la celle des Députés avaient entendu longuement les principaux spécialistes de cette époque, en particulier Esquirol.

Comme cet état d'aliénation interdit par lui-même au malade de réclamer des soins, alors qu'il guérirait d'autant plus sûrement et d'autant plus vite qu'il aurait été traité plus tôt, il devient nécessaire que la volonté d'un proche ou l'autorité publique se substitue à la demande que le sujet ne peut formuler lui-même; mais, pour éviter les abus, et en particulier le péril de la séquestration, cette demande doit s'accompagner, sauf évidence absolue, d'un certificat médical qui, sans formuler de diagnostic, décrive les particularités de la maladie et démontre la nécessité de son placement dans un asile.

Les termes n'en sont pas fortuits : asile, proposé par Esquirol dès 1819, évite hôpital, qui évoquait l'Hôpital général fondé en 1656 et emblème de l'arbitraire policier de l'Anncien Régime, et évite aussi Hôtel-Dieu, à qui Ph.Pinel avait reproché de rendre les aliénés incurables. Il devenait dès lors logique que placement remplaçât hospitalisation. Placement volontaire évoquait la volonté de celui qui demandait le placement, à la place de l'aliéné, et placement d'office utilisait la locution latine ex officio, car le Préfet ou le Maire intervenait alors en raison des obligations de la fonction respective de chacun - et c'est seulement le Second Empire qui transforma en manoeuvre policière ce qui à, l'origine, constituait une mesure philanthropique, où l'autorité publique instrumentait quand le malheureux aliéné se retrouvait sans aucun proche pour demander son placement. Et pour éviter tout risque de collusion, il ne devait y avoir aucun lien de parenté entre celui qui demandait le placement et celui qui dirigeait l'asile.

L'isolement dans une institution dont toute l'organisation et tout le fonctionnement devait être complètement rationnel, dépendant des ordres d'un seul, ne constituait pas un châtiment, mais une condition expresse de traitement, puis de guérison. Il s'agissait de mettre le malade à l'abri du tumulte de la vie sociale et des passions, en lui permettant de recouvrer peu à peu sa raison, qui lui venait, pour ainsi dire, de l'extérieur de l'institution vers l'intérieur du sujet, et en facilitant l'action du traitement moral, qui tirait parti de ce que, selon Ph.Pinel, il restait toujours de rationnel chez le plus fou des aliénés.

Durant ce séjour, le médecin devait adresser aux autorités judiciaires et administratives une série de certificats - de vingt-quatre heures, de quinzaine de situation, de sortie - pour les informer de l'évolution de l'état du sujet et de la nécessité de poursuivre le placement ou de l'interrompre. Et, afin de garantir le patient contre le risque de séquestration arbitraire, le Maire de la commune où se trouvait l'asile, le Préfet du département, le Président du Tribunal civil du ressort et le Procureur du Roi avaient l'obligation de visiter régulièrement l'asile et d'entendre les doléances des patients, qui devaient d'ailleurs être informés de ces visites et dont la correspondance avec les autorités ne pouvait être retenue.

La sortie s'imposait dès que l'aliéné était guéri. S'il avait été placé volontairement, le médecin décidait la sortie, qui pouvait d'ailleurs être demandée par le patient lui-même ou par d'autres, avec un ordre imposé : tuteur de l'interdit, conjoint; à défaut du conjoint, ascendant; à défaut d'un ascendant, descendant; à défaut d'un descendant, la personne qui a demandé le placement; et, à défaut, toute personne s'intéressant au sujet.

S'il avait été placé d'office, c'est le Préfet qui ordonnait la sortie. Mais dans tous les cas le Tribunal civil, réuni en Chambre du Conseil, pouvait ordonner la sortie - situation unique où un tribunal de l'ordre judiciaire pouvait annuler une décision d'ordre administratif.

Notons aussi que, durant son placement, l'aliéné, du point de vue de sa capacité civile, se trouvait assimilé à ce que le droit civil entendait par l'absent. Il ne pouvait disposer ni de ses revenus, ni de son patrimoine, et l'Administrateur provisoire des biens des aliénés, fonctionnaire départemental, se trouvait seul habilité à accomplir des actes de pure gestion, en se substituant à lui. En cas de placement prolongé et de biens considérables, il convenait de demander l'interdiction au Tribunal civil.

Rappelons aussi que l'asile n'avait aucune gestion autonome, car son budget se trouvait incorporé au budget du département, et si les divers hôpitaux relevaient en général de la commune, les asiles dépendaient de la préfecture, de sorte que leur gestion d'ensemble dépendait, par l'intermédiaire du Préfet, du Ministre de l'Intérieur, assisté de deux, puis de trois Inspecteurs généraux.

Notons enfin que les indigents y étaient soignés gratuitement, l'asile se faisant alors payer par ce qu'on appelait leur domicile de secours, la plus part du temps leur commune de naissance, ou, à défaut, le département où se trouvait l'asile.

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Nous voyons clairement que toute l'organisation asilaire résultait, presque more geometrico, de la théorie de l'aliénation mentale, telle que l'avait développée Ph.Pinel et que l'avait perfectionnée Esquirol. Exigence de soins très rapides, impossibilité de concevoir que l'aliéné demandât lui-même des soins, nécessité de l'isolement dans un établissement exclusif, mais absence de toute graduation entre l'aliénation mentale et la guérison, de sorte qu'il n'y avait rien à prévoir après la sortie de l'asile, et que la guérison restait tenue pour fréquente et complète.

Cette loi de 1838 prévoit aussi que chaque département a l'obligation de se pourvoir d'un asile public, qui devait constituer une véritable innovation, et ne pas s'accommoder d'institutions préexistantes et réaménageantes: mais une lecture attentive de ce Rapport général, où Constant, Lunier et Dumesnil décrivent au ministre de l'Intérieur l'état du service en 1874, et de l'Historique de l'assistance des aliénés de 1901, nous révèle trois points sans lesquels nous ne saurions rien saisir des institutions psychiatriques de la France.

Premier point : rien ne se passe d'effectif en 1838 et il faudra attendre la fin du Second Empire et les débuts de la Troisième République pour que l'on construise effectivement les asiles, en appliquant la doctrine de l'aliénation mentale et en suivant les indications de J.B.Parchappe((1800-1866) et, au moins pour une part, de H.Girard de Cailleux(1814-1884), édifiant ainsi de grands établissements, bien isolés à la campagne, loin du tumulte urbain, où la traitement moral que préconisait Ph.Pinel pourra guérir les aliénés.

Mais nous ne devons pas oublier que lorsque ces institutions se trouveront réalisées effectivement, la paradigme de l'aliénation mentale sera devenu obsolète pour presque tous, de telle sorte que la psychiatrie française va devoir se développer, selon la référence aux maladies mentales, dans des établissements conçus et construits à la lumière d'une conception de la pathologie qui ne signifie alors plus rien pour personne. C'est là, nous semble-t-il, un trait spécifique à la médecine mentale de notre pays, et une caractéristique qui a pesé durant des décennies et des décennies sur tout le travail thérapeutique. Le paradigme de l'aliénation mentale a servi à élaborer les projets d'institutions qui n'entreront dans les faits qu'à la période du paradigme des maladies mentales, quand le paradigme précédent se réduira à un souvenir encombrant et incommode.

Second point : l'on ne dotera d'institutions nouvelles, conformes à la loi, qu'environ la moitié des départements, car dans les autres, les Préfets recevront l'autorisation soit de bricoler des institutions publiques, plus ou moins inadéquates, mais qui s'occupaient déjà d'aliénés, soit d'aménager quelques services dans des hôpitaux voués à d'autres tâches - ce qu'on appellera des quartiers d'hospices - , soit de traiter avec des maisons religieuses, déjà spécialisées dans ce domaine, pour fournir des établissement venant se substituer aux asiles publics, soit enfin, pour ces asiles publics, un personnel religieux, plus souvent féminin, à la place du personnel laïc.

En même temps, la gestion de ces problèmes va passer de l'Inspection générale près le Ministre de l'Intérieur aux Préfets, puis des Préfets aux Conseils généraux, c'est-à-dire d'une centralisation éclairée, certes jacobine, mais plutôt progressiste, idéologiquement proche des Encyclopédistes et des philanthropes du Siècle des Lumières, à une administration plus lointaine, inévitablement voisine des réalités ordinaires des communes et des arrondissements, et enfin à des élus surtout sensibles au poids dont ce service des aliénés risquait de grever le budget du département. Troisième point : toute la psychiatrie française se centralisait autour de Paris. Depuis longtemps l'on y pouvait rencontrer, sur la rive gauche de la Seine, au sud Bicêtre, qui n'avait guère changé, et à l'est la Salpétrière, l'un pour les hommes, l'autre pour les femmes, et, un peu plus au nord, sur la rive droite de la Marne, Charenton, Maison impériale, puis Maison royale, et derechef impériale, et finalement nationale, mais réservée à ceux qui s'y trouvaient admis au compte de leurs familles ou à celui de l'état, à l'exclusion des indigents.

Le baron Hausmann, Préfet de la Seine, et protecteur de H.Girard de Cailleux, qu'il avait connu quand il n'était lui-même que Préfet de l'Yonne, prévoyait d'organiser l'assistance psychiatrique dans son département, en dehors de l'autorité de l'Assistance publique, qui relevait de la ville de Paris; il prévoyait un établissement central, situé dans l'ancienne ferme Sainte Anne, tributaire du Val de Grâce, que l'autorité militaire ne pouvait que lui céder, pour l'hospitalisation des malades chroniques que leur familles visiteraient régulièrement, et pour des consultations ambulatoires; il envisageait aussi de petits établissements aux portes de Paris, pour les patients aigus, qui y seraient traités pour peu de temps et dans la discrétion.

Nous savons qu'il n'en fut rien, et que le baron une fois sacrifié à la politique de ce que l'on convient d'appeler l'Empire libéral (cf.Émile Ollivier), Sainte-Anne ouvrit en 1867, comme un asile de plus, et Ville-Évrard et Perray-Vaucluse, un an plus tard. Dans les décennies suivantes, le département de la Seine organisa les asiles de Maison-Blanche, de Villejuif et de Moisselles.

Il n'en demeura pas moins que la psychiatrie française s'en trouva organisée de manière fort centralisée, avec des Services de la Seine, comme l'on disait alors, mieux pourvus en personnel médical et infirmier, et comprenant le Service des admissions de V.Magnan, le Service de la Clinique des maladies mentales et de l'encéphale, assuré d'abord par B.Ball(1833-1893) à partir de 1879, puis par A.Joffroy(1844-1908) en 1893, deux Services d'hommes et deux Services de femmes, un Service de chirurgie, puis un autre de neuro-chirurgie, et, bien plus tard, l'Hôpital Henri-Rousselle, Service libre dirigé par É.Toulouse(1865-1947) depuis 1922, où les patients ne dépendaient pas de la loi de 1838

L'hôpital Sainte-Anne devenait ainsi le pôle majeur de la médecine mentale en France, avec une excellente bibliothèque, et les services psychiatriques de la Seine se trouvaient pourvus, à partir des années 1880, d'un Internat difficile, sélectif et élitiste, dont seront issus, pendant presque cent ans, tous ceux qui ont compté dans la psychiatrie française. Ce centralisme, qu'on ne retrouve alors ni en Allemagne, ni en Angleterre, ni en Italie, ni en Espagne, nous paraît un trait assez spécifique de la médecine mentale de notre pays.

Notons en passant, et pour ne pas l'oublier, que c'est seulement en 1938 que la dénomination officielle d'asiles disparut du vocabulaire administratif, comme celle d'aliéné, au profit de l'appellation d'hôpital psychiatrique.

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Pendant bien longtemps, une pratique clinique et thérapeutique qui s'inspirait du paradigme des maladies mentales, puis des grandes structures psychopathologiques, dut s'exercer dans des institutions dont la référence décisive restait cette aliénation mentale à quoi plus personne ne croyait. Elle s'en dégagea partiellement par deux manoeuvres convergentes : l'ouverture de nouveaux services libres, dont l'un à Villejuif et l'autre à Charenton, permettait de traiter dans des conditions normales des patients qui demandaient eux-mêmes à être soignés, et la mise en place progressive, à partir de mars 1960, de la politique de secteur, aidait à polariser l'essentiel de l'activité, non plus sur l'hôpital entouré de ses murs, mais sur la vie extérieure, dans la cité, grâce à l'organisation de consultations externes. En même temps, elle devait offrir aux praticiens les moyens propres à assurer aux patients la continuité de leurs soins;

Nous devons rappeler que cette rénovation importante dans nos théorisations et notre savoir-faire a reçu aussi quelque inspiration de deux mouvement très importants de l'immédiat après-guerre : la thérapie institutionnelle, organisée dans l'immédiat après-guerre à Saint-Alban par F.Tosquelles, à Sotteville par L.Bonnafé, à Bonneval par H.Ey, mais aussi à Ville-Évrard par P.Sivadon et à Villejuif par L.Le Guillant, puis la psychothérapie institutionnelle, inspirée de la psychanalyse, en particulier dans quelques maisons de santé privées du Val-de-Loire, comme celle de J.Oury à Cour-Cheverny et celle de Cl.Jeangirard à Chailles, mais aussi à Ville d'Avray, avec Ch.Brisset.

La modification d'ensemble de la législation hospitalière, dans les années 1970, a aligné le régime des hôpitaux psychiatriques sur celui des autres établissements, avec une autonomie dans la gestion et dans le budget, et en prenant en compte, non plus les lits hospitaliers, mais le nombre des patients suivis.

La loi du 30 juin 1838 a fini par être abrogée et remplacée par celle du 27 juin 1990. Une mode un peu malveillante, mais assez répandue, consiste à remarquer que non seulement elle n'a fait que reprendre l'ancienne, en en modifiant quelques termes, mais surtout qu'elle l'a aggravée, par exemple, en exigeant deux certificats de placement au lieu d'un seul.

Pareille critique nous semble cependant en méconnaître l'essentiel : alors que la loi de 1838 prenait comme origine l'hypothèse fondamentale d'une aliénation interdisant au sujet de demander des soins, et en tirait toutes les conséquences, celle de 1990 estimait au contraire que, dans presque tous les cas, le patient reconnaissait quelque chose de sa pathologie et demandait lui-même qu'on le traitât, d'où la préférence pour des soins ambulatoires, et non pour l'hospitalisation, d'où l'idée que si l'hospitalisation s'avérait nécessaire, il vallait mieux que le sujet y consentît, et que si son état le conduisat à s'y opposer, il fallait retrouver tout l'arsenal législatif de la protection de la liberté individuelle. Son esprit, pour parler comme Montesquieu, nous paraît excellent et sérieusement réfléchi, même si toutes les occurrences possibles ne s'y trouvent pas toujours prévues et si la question des urgences y demeure sans règlementation véritable.

La législation concernant les malades mentaux

Nous allons envisager maintenant de quelles manières le droit civil, puis le droit pénal se trouvent ici en cause, mais nous laisserons à d'autres le soin de commenter la loi du 16 avril 1954 sur les alcooliques dangereux et la loi du 31 décembre 1970 sur les toxicomanies. ainsi que la loi du 30 juin 1975 sur les personnes handicapées. Le lecteur intéressé pourra trouver à leur propos toutes les indications utiles dans le numéro de la revue Forensic, dirigé par J.L.Senon, que nous citons dans nos références.

Pour ce qui concerne la capacité civile des malades mentaux, un tournant fondamental nous semble avoir été accompli par la loi du 3 janvier 1968, relative aux incapables majeurs, et notablement inspirée par H.Ey.

Jusqu'à cette date, le Code civil de 1804 prévoyait, par ses art.488 à 515, deux manières de restreindre la capacité civile, la mise sous contrôle judiciaire et l'interdiction, toutes mesures destinées à protéger le patrimoine, soit des imprudences du prodigue, soit des incohérences de qui se trouvait "dans un état habituel d'imbécillité, de démence ou de fureur", comme l'indique l'art.489. Et nous avons vu que la loi de 1838 assimilait la personne placée dans un asile à l'absent (art.112-143 du Code civil), et confiait, pendant la durée du placement, les actes de pure administration à ce fonctionnaire départemental qu'était l'Administrateur provisoire de biens des aliénés.

La loi du 3 janvier 1968 a supprimé ses fonctions, a abrogé l'interdiction et la mise sous contrôle judiciaire et, surtout, a dissocié complètement la capacité ou l'incapacité civile de l'hospitalisation ou de l'absence d'hospitalisation : le sujet, quel que soit sa modalité de prise en charge, conserve sa capacité civile, tant qu'un jugement du Tribunal d'Instance, susceptible d'appel devant le Tribunal de grande Instance et de révision, ne le protège pas, et alors selon deux modalités distinctes, la curatelle, aménageable avec souplesse et garantissant le droit de vote, et la tutelle, qui l'assimile à un mineur. De plus, la mesure de mise sous sauvegarde de justice, décidée sans délai par le Procureur de la République et susceptible de renouvellement, permet au sujet qui en bénéficie de faire constater la nullité des actes civils qu'il a pu, imprudemment et à ses dépens, passer avec des tiers, notable commodité que la précédente législation ne prévoyait guère. C'est là, croyons-nous, un progrès théorique et pratique d'une grande importance.

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La responsabilité pénale des malades mentaux, autrefois réglée par l'art.64 du Code pénal de 1810 et par la Circulaire Chaumié de 1905, se trouve maintenant régie par l'art 122-1 du nouveau Code pénal, celui de 1992, qui affirme : "N'est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes. La personne qui était atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant altéré son jugement ou entravé le contrôle de ses actes demeure punissable; toutefois, la juridiction tient compte de cette circonstance lorsqu'elle détermine la peine et en fixe le régime".

Comme en 1810, le législateur moderne a eu la sagesse de ne pas chercher à emprunter à la clinique psychiatrique une terminologie qui risquait de river la loi à un état, toujours changeant, des connaissances, et a décidé que si la personne ne se trouvait pas punissable, c'est parce qu'elle ne savait pas ce qu'elle faisait au moment des faits, et que ces faits ne pouvaient donc pas être qualifiables du point de vue pénal, et non parce qu'il convenait d'avoir pitié d'un malheureux malade.

Tout se joue alors dans la distinction entre l'abolition du discernement et son altération et entre l'abolition du contrôle de ses actes et leur entrave. C'est sur ces deux points que l'expert doit éclairer la justice du point de vue de sa compétence présumée, sachant qu'il ne saurait jamais se substituer ni aux magistrats, ni au jury.

Deux points doivent être rappelés à ce propos.

D'une part, l'abolition du discernement se trouve de moins en moins proposée par les experts, puisque, fort heureusement, depuis 1981, l'accusé ne risque plus sa tête, mais aussi parce que certains estiment que, pour malade qu'il soit, il ne pourra être soigné utilement qu'après sa condamnation. D'autre part, quand le tribunal tient compte de l'altération du discernement et de l'entrave au contrôle des actes, c'est le plus souvent, et à l'encontre de la pratique antérieure, pour prononcer une peine plus lourde, avec le souci de retarder la récidive.

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Nous venons ainsi de nous remémorer l'organisation des principales institutions qui, en France, ont la charge des malades mentaux et la législation qui concerne leur responsabilité civile et leur responsabilité pénale. Nous avons pu ainsi constater une évolution dont chacun reste libre de la tenir pour un progrès, pour une régression ou pour un mélange de ces deux tendances. Nous avons pris la liberté, chemin faisant, de préciser notre point de vue à cet égard.

Il nous reste cependant à noter que, durant ces deux siècles, le domaine propre à la psychiatrie a beaucoup changé, car nous nous occupons de personnes que nos prédécesseurs ne tenaient guère pour relever de leur domaine et que nous ne sommes pas toujours bien assurés de l'étendue légitime de nos tâches; Il nous appartient de trouver, chacun à notre manière, un équilibre entre la tentation de nous croire compétents là où rien ne le garantit et le risque de refuser, par purisme et par rigueur, de nous occuper de certains que nous pouvons, malgré tout, aider avec un savoir et un savoir-faire fondés.

Références

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