Sans l’aventure serpsy je n’aurais jamais croisé de la
sorte le mouvement usager. En Mars j’y ai rencontré Anna, de nationalité
anglaise, que je ne connaissais que par courriers électroniques interposés. De
cette rencontre est née l’idée d’échanger autour de deux systèmes de soins en
psychiatrie, riches d’expériences et d’histoires différentes, en Angleterre et
en France, et confrontés à une même crise. A l’automne je m’embarquais pour
Bristol.
Pour
se plonger dans le contexte.
La
Grande Bretagne, l’Angleterre en particulier, a une génération d’avance quant aux incidences des politiques libérales
sur le système de santé.
Si
les moyens du service de santé public n’ont pas été directement amputés par la
politique budgétaire libérale ses dépenses ont été réorientées. Le nombre de
managers chèrement payés a augmenté, les capitaux privés sont entrés dans la
gestion hospitalière par le biais de l’investissement immobilier... et le
public a vu sa dette augmenter du fait par exemple de dépenses prohibitives en salaires médicaux.
(Un psychiatre pouvant toucher trois a quatre fois le salaire de son homologue
français, dans un pays certes où la vie est globalement plus chère...)
Dès
lors les moyens du soin se sont appauvris avec pour conséquence directe que les
associations d’usagers se sont renforcées et développées sur deux plans,
acquérir leur reconnaissance en tant qu’interlocuteurs institutionnels et
poursuivre leurs missions de défense, d’accompagnement, de soutien aux usagers
par les usagers.
Paradoxalement
cet effet est induit par la volonté de Margaret Thatcher, vers la moitié des
années 80, de transformer les patients de tous poils en consommateurs. Dans un
souffle nouveau, les usagers anglais de la psychiatrie subissant les effets de
la diminution de l’offre de soin et profitant de la montée en puissance de
leurs droits de consommateurs, ont attrapé la balle au bond et ont développé
leur(s) voix. Déjà bien ancrés dans un mouvement civique depuis plus d’un
siècle, le premier syndicat de patients psychiatriques remonte aux années 1880,
la situation a amplifié leur mouvement.
Cette
belle ironie du sort a permis un autre défi original, très puissant aussi, face
au paternalisme du modèle médical et à son hégémonie sur la médecine en général
et sur la psychiatrie en particulier. Un puissant retour du refoulé pour des
professions retranchées derrières leurs ordres tout puissants. Un pas de côté
vers la démocratie sanitaire inattendu.
Il faut préciser enfin pour la
compréhension du contexte, qu’associations et usagers ne sont que la traduction
littérale de réalités différentes dans les deux pays. La tradition associative
y est plus ancrée dans les formes de réseaux d’entraides et de lobbies
politiques (minorités opprimées, laissées pour compte, stigmatisées), la
structuration institutionnelle y est moins pesante et la revendication d’usager
devient un statut social et culturel.
Ainsi
tel employé d’une administration pourra mettre dans ses titres « usager
employé de » …, usager pouvant être entendu en tant que compétence
spécifique. A noter qu’il y a des
« users » et des « survivors », Les « survivors » sont ceux qui se
définissent soit comme ayant survécu a la maladie ou au système, ou les deux.
Que ce soit user ou survivors, ils sont auto-definis.
Enfin,
pour être complet, rappeler que le financement public de la santé en GB
est basé sur l’impôt, et rappeler que le
National Health Service (NHS), fut fondé en 1948, créant un réseau organisé
regroupant pour la première fois les hôpitaux, médecins généralistes, opticiens,
dentistes et autres services offrant ainsi l’accès gratuit à la santé à toute
la population, sans exceptions.
Une
fois sur place.
L’opportunité
a fait que je puisse m’intéresser de prés au système de soin en psychiatrie, et
ce premier contact s’est fait par la voie royale si je puis dire, grâce aux
organisations d’usagers.
L’association
qui m’a accueilli s’appelle Bristol Mind. C’est une branche affiliée de Mind,
la plus importante organisation caritative de santé mentale fondée en 1946. Bristol
Mind a 21 ans, crée en 1965. Elle sert « d’ombrelle » à une
constellation d’associations d’usagers locales. Elle collecte des financements,
fournit des prestations allant de mise à disposition de salles, locaux, outils
informatiques, soutien et conseil, à la promotion de plaquettes explicatives
cliniques, sociales et administratives, voire, si j’ai bien compris, à des
coups de mains personnalisés. Elle se compose de salariés, de missionnés, de
bénévoles. Ce n’est pas la sécurité de l’emploi mais c’est un vrai travail
d’utilité publique. La personne qui a organisé mon séjour, Anna, est usagère
chercheur, elle coordonne le département recherche des usagers, dirige plusieurs travaux de recherche et
d’évaluation des services de santé mentale locaux et possède des entrées à tous
les niveaux dans le système. Tous les gens que j’ai rencontré ont du boulot dix
fois plus qu’il n’en faudrait, des taches qui ne correspondent pas aux moyens
alloués.
Bristol
Mind
Dans
ses locaux j’ai rencontré et surtout pu longuement questionner et discuter avec
Jeff, usager directeur de Bristol Mind et Glenn, usager employé du trust en
charge d’accompagner l’intégration des patients au réseau de soin. (Le trust
est l'administration publique du financement des systèmes de santé un peu comme
le projet d'ARS pour remplacer les ARH en France.) J’y ai aussi rencontré Tom,
l’un des travailleurs du département advocacy ; il est spécialisé en
particulier dans le soutien multiforme auprès des prisonniers (600) dans les
prisons locales et les unités sécurisées des hôpitaux psy pour hommes. Sa
collègue Jane s’occupe de la population femmes détenues.
Pour
mieux comprendre la situation il faut faire un pas de côté de plus et évacuer
une grande partie du réseau de soin extra hospitalier public tel qu’on le
connaît en France, découper différemment la logique de distribution du soin en
réseau de soins primaire, secondaire, le secondaire se référant à tout ce qui
nécessite une approche complexe et multi-agences, mais aussi l’hospitalisation
(de jour et fermée).
Pour
entrer dans les critères du système de soin secondaire, il faut satisfaire aux
items d’une grille type gir, sauf
que la version anglaise est beaucoup plus élaborée et beaucoup plus fine.
Le
rôle d’advocacy et de certaines associations est par exemple de représenter le
patient dans les recours possibles à ces grilles d’évaluation.
Autre
différence fondamentale, avec ce qui est appelé « Section 117 ».
Certains patients sont en soins sous contrainte en ambulatoire. Ils ont accès à des foyers ou des réseaux
d’appart communautaires mais les conditions de vie y sont difficiles. C’est une
situation intermédiaire entre l’hôpital et la communauté permettant à des
patients vulnérables, lorsque les conditions matérielles sont bonnes (ce qui est
rare) de pouvoir remettre pied dans la communauté. Certains travaillent,
suivent des cours etc.
En
première ligne, ce que ne fait pas ou plus le service public est souvent, et de
plus en plus assuré par les associations d’usagers : aide à trouver un logement,
groupes de parole, activités, accompagnement à la vie sociale, clubs
thérapeutiques, défense des intérêts, des droits, collecte et vente de
vêtements... Une partie du financement des associations est publique, une
partie financée par les jeux, une partie par des donateurs. Ce financement est
précaire, et une part du boulot de Mind est justement d’en assurer la pérennité
et la continuité tout en maintenant le réseau à flot. Cela exige un
investissement constant en temps et en énergie.
A
l’hôpital psy de Bristol.
J’ai
pu encore rencontrer Chris, infirmière chargée de la supervision de la qualité
des soins, à un niveau équivalent, mais indépendante, de la direction, du
nouvel hôpital psychiatrique de Bristol. Son travail est un travail d’expert
clinique, elle suit en général le travail des équipes et intervient en
particulier lors de dysfonctionnements relevés ou sur sollicitation. La psy
publique de Bristol est organisée autour d’équipes qui prennent en charge des
bassins de population de l’ordre de 300 à 400 mille habitants, avec 4 à 5
équipes de 15 à 20 soignants par bassin. Il existe aussi des unités de soins
spécifiques, hospitalisation mère enfants par ex., des équipes spécialisées
(Intervention de crise ; Equipes de travail rapproché auprès de certains
groupes de patients ayant décroché de système dont les gens du voyage etc.)
J’ai
pu apprendre que la formation infirmière se fait en Y, moitié tronc commun et
spécialité. Que le Royal College of Nurses est un syndicat professionnel hégémonique
assurant la représentation de la profession auprès des tutelles, sur les plans
de la formation et des avis cliniques. L’ordre étant ici une instance plutôt
disciplinaire.
Là
bas comme ici sévissent les problèmes de démographie de personnels compétents,
et le manque de moyens vous l’aurez compris.
Chris
s’est montrée intéressée par le fonctionnement des instances internes de
consultation du système hospitalier français.
Des
remarques nécessaires.
Si la problématique d’accès au réseau
spécialisé de soin public pour les pathologies aux long cours est plus aiguë en
GB qu’en France, celle de la réponse sociale aux besoins des personnes
souffrantes et précaires est mieux organisée. L’expérience des réseaux usagers
est exemplaire pour nous de la dynamique et des compétences à côté desquelles
nous passons en ignorant les ressources propres des usagers. Si ce système a
pour effet négatif de créer une nouvelle forme de communautarisme, d’emplois et
de prise en charge parfois en circuit fermé, combiné avec un réseau de soins
public il est une voie de réflexion nécessaire sur les moyens de sortir
renforcés de la crise actuelle. Nous sommes
quelques uns à penser que les progrès à venir viendront des usagers. Ceci dit,
avec le poids encore très lourd de la tradition paternaliste médicale française...
Les
discussions que nous avons pu avoir ont été aussi éclairantes sur la
transitivité des politiques de soins menées de part et d’autre de
Ensuite
encore plus de questions que de réponses:
Il est nécessaire pour avancer plus avant d’avoir des
données chiffrées.
Analyser
les dimensions quantitatives de réponse
au besoin de soins.
Les
dispositifs de soins avancés, les différents soins sous contrainte, les lits et
places, les statistiques de prise en charge de la population, les indicateurs
de répartition des populations concernées.
Compléter
et lister les différents organismes de soins et de soutien autour du soin.
Explorer l’équivalent du système équivalent au médico social plus organisé
autour de la reconnaissance de citoyenneté.
Affiner
du côté des financements.
Connaître
les taux d’incarcération, de clochardisation, de récidive des symptômes,
d’évolutions déficitaires pour regarder la face obscure, et heureusement tout
l’inverse pour la face éclairée, reconnaissance sociale, emplois ou activité,
accès au loisirs et à la culture, rémission des symptômes ou des manifestations
invalidantes
D’aller plus loin dans la connaissance des théories
inspirant la politique de soin.
Laing
et Cooper, l’antipsychiatrie, ne sont peut être pas pour rien dans la vivacité
aujourd’hui du réseau d’usager, et l’historicité du mouvement usager n’est peut
être pas pour rien dans le courant antipsychiatrique.
De
comprendre mieux le mouvement qui semble s’installer comme en France à partir
du cognitivo comportementalisme et de la médicalisation de la psychiatrie. De
faire le point sur le poids de l’industrie pharmaceutique et l’usage de la
psychopharmacologie.
D’aller plus loin en ce qui concerne le vécu des
personnes confrontées à la maladie mentale
Leurs droits, les formes de
contraintes, les restrictions de capacité, les évaluations d’accès aux soins
hospitalier ou spécialisés.
Si les associations d’usagers de psy
bénéficient de la même considération que celles de soins généraux.
Qualité de la réponse en soins
primaire. Qui avec quelle formation. Quelles réponses ?
Mieux comprendre les ressources des
réseaux d’usagers et leurs formes d’organisation, ce en quoi ils participent
par le fait même de leur besoin de fonctionnement à l’amélioration des
conditions sociales des usagers.
Des
perspectives ?
Etudier
les adaptations possibles pour mobiliser les ressources et les compétences des
usagers à partir de notre réalité d’organisation et de culture sociale.
Tester
les capacités d’interconnexion entre les réseaux usagers actifs et les
syndicats ou associations de soignants impliqués dans la transformation sociale
et soucieux du devenir des soins.
Profiter
des temps de construction économiques différents de deux pays pour anticiper
les nuisances d’un système quand il est importé, et profiter des expériences et
initiatives sociales des uns et des autres.
Voir
les usagers et les soignants réellement impliqués dans les choix de gestion et
les orientations de la politique de soin. Repenser aussi le monde du travail
sur d’autres critères que celui d’une productivité normé, tout comme celui de
celui du soin. Mais d’ici là y’a du
boulot.
Un
premier fait est de constater que la mentalité des soignants français doit
évoluer vis-à-vis des usagers, des familles, sortir de ce « faire pour »
pour un « faire avec » bien plus dynamique et respectueux, ce qui
nous permettrais déjà j’en suis sûr de faire largement progresser nos idées du
soin.
Il
me faut spécialement remercier, pour ce travail en amorce, le temps mis à
disposition par des correctrices bienveillantes et inspirées qui ont non
seulement flingué sans pitié mes nombreuses fautes, mais aussi rectifié des
erreurs, soumis des précisions, réparé des omissions et inspiré leur souffle à
l’ensemble.
Jean
Vignes.
Infirmier
de secteur psychiatrique de classe normale.
Dec
2006.