Patrice a sauté du Xème étage, comme il dit, « à cause d'une fille ». Officiellement, ça s'appelle un raptus anxieux. Après un séjour en SSR (Soins de Suite et de Réadaptation) l'amoureux transi de 90kg se retrouve en fauteuil, avec une sorte d'hémiplégie, un handicap certain.
Il fait son apparition dans le service de psychiatrie ouvert, suite à... des menaces à l'encontre d'une infirmière du service de réadaptation. Présenté comme mobile, il marche quelques mètres avec un déambulateur. Très vite, il s'avère qu'il ne fait pas autant que ce qui est dit sur le papier. Bien au contraire, il se laisse aller, tombe, manque de se blesser, régresse...
Pour autant, il est bien content d'être de retour ici, dans cet endroit qu'il connaît. La charge de travail s'alourdit rapidement pour l'équipe.
Nous nous mettons tous à l’œuvre pour faire travailler ce corps, le rendre présentable et le pourquoi de sa venue échappe au patient comme aux soignants. Cette rééducation physico-psychiatrique le maintien alors « stable » a priori sur le plan de la pensée, fragilement sur ses 2 roues. Tous les jours, chaque membre de l'équipe dit, et se dit : « mais qu'est-ce qu'il fait là ? »
Oui, qu'est ce qu'il fait là ??
C'est bel et bien parce que sur le dossier du patient était écrit « schizophrénie paranoïde » que celui-ci s'est fait renvoyer du service de réadaptation. Mais ce rejet des patients psychiatrique n'est pas une nouveauté. (et inversement avec les problématiques somatiques fut un temps dans certains services de soin psy)
Ce qui me frustre dans mon travail, c'est que la psychiatrie est difficilement abordée comme un service de soin spécifique avec ses codes, ses connaissances etc. Ce soin spécifique ne se concrétise (pas partout me diras tu, mais surtout là où il y en aurait besoin!) que par du gardiennage de fous et de clés, avec de jolis outils en vitrines qui ne nous sont pas accessible : Le sens, la théorie, le collectif, l'intuition....
Le patient est là, on sait pourquoi : il a menacé une infirmière et est étiqueté schizophrène. Cette hospitalisation est subie par le patient comme par l'équipe. Quel sens peut-elle avoir ? Qu’est-ce qu'on peut en faire ? … Pour nous il est là parce que le service de réadaptation voulait s'en débarrasser. L'idée, ou plutôt l'hypothèse, que son équilibre psychique ait un quelconque rapport avec sa présence dans le service est d'emblée écartée. Patrice va bien psychiquement, ça ne pourrait pas être juste parce qu'il est là ? Nous qui travaillons toute la journée dans ces murs, on ne se rend même plus compte qu'ils peuvent être contenant pour un patient, et peuvent l'apaiser. Les questions de l'équipe tournent autour du fait qu'il joue avec son état, qu'il se serait fait virer du service de soin généraux pour arriver ici, et qu'il a de sérieux bénéfices secondaires . C'est d'ailleurs l'avis du médecin, qui n'arrive pas à le renvoyer en réadaptation...
ET ALORS ? Il est donc ici, il s'y sent bien, et nous vivons mal cet état de fait. Il "profite".
Nous sommes dans l'incapacité de le rejeter complètement, sa condition d'infirme physique nous oblige à la compassion. Pour autant tous ces soins somatiques épuisent l'équipe qui se sent attaquée dans sa fonction d'infirmiers « psy ». On a envie de le rejeter, parce qu'il nous renvoie au fait qu'il est compliqué de ne pas scinder en 2 notre profession, comme l'histoire le prouve. Et surtout qu'on est impuissant à se sentir habiter notre métier qui n'a pas de goût particulier, juste celui de l'infirmier diplômé d'état, le polyvalent. Celui qui sait tout faire, voire même rien à la fois ! Pour autant, n'est on pas contenant ?
Ma chère Coline,
Des patients comme ça, je crois qu'il y en a toujours eu, crois-en ma vieille expérience. Et puis, les réponses aux questions que tu poses, bizarrement, on dirait que tu les as (n'est-ce pas parce qu'il est ici qu'il ne décompense pas ?) ou que tu les approches...
Alors ? Pourquoi cette question ? Ce problème ? N'est-ce pas parce que le patient a été renvoyé de réadaptation ? (où telle serait SA place...) et du coup, la psychiatrie serait méprisée et il ne faudrait pas se laisser faire ?
Cela dit, la question que tu poses, en fait, est difficile : est-ce qu'il profite ? ou est-ce que c'est parce qu'il est hospitalisé dans ce lieu qu'il connaît bien qu'il ne décompense pas ? (et au fond, est-il impossible de lui poser la question?)
Mais l'équipe ? est-elle capable de se la poser, la question ? Et dans l'équipe, les toubibs ? Les psychos ?
Quel métier pour demain ? dit la plaquette du congrès...
Je t'ai un peu raconté l'AERLIP, ce premier mouvement d'infirmiers en psychiatrie, dont je n'ai pas beaucoup de souvenirs et le fait qu'il avait été déclenché parce qu'un congrès de psychiatres allait parler de la formation des infirmiers et que les infirmiers ne seraient même pas là... ils ont envahi le congrès de psychiatres et...
À l'époque, on savait dans quel sens marchaient les choses ?!
J'ai l'impression que globalement, aujourd'hui, les infirmiers sont relativement bien formés. En tous cas, bien plus que nous. La différence peut-être entre eux et nous, c'est qu'ils trouvent bien plus normal d'être soumis à des choses qui à mes yeux apparaissent tout à fait contestables (entrer les actes dans l'informatique, se servir de l'informatique pour faire des compte-rendus, que presque personne ne lit, sauf le juge d'instruction s'il y a une procédure) et encore, je n'en suis même pas sûre car nous étions soumis aussi.
Ce que l'on peut reprocher à l'informatique, c'est surtout que cela empêche de se parler et d'échanger, parce que cela positionne la parole au bord. J'ai entendu l'ingénieur de la qualité à Marchant répondre à une collègue que l'écrit était prioritaire sur l'oral ! Elle en sait quoi, Madame l'ingénieur, du travail en psychiatrie ?
Il me semble qu'il est très difficile de poser les vraies questions au sein d'une équipe. Ce n'est pas nouveau. Comme ce sont des questions bizarres (par exemple, le patient dont tu parles), la tendance va être d'éviter ce côté bizarre (ne serait-ce pas à cause de notre présence et de ce lieu familier qu'il ne décompense pas?) et de tomber dans une sorte de dénonciation où l'on se distingue de la folie de l'autre : est-ce qu'il profite ? qu'est-ce qu'il fait là ? c'était à ceux du service de rééducation de le garder etc. etc.
Plus généralement, j'ai le sentiment que le collectif a disparu. Le collectif comme lieu de travail, de réflexion, de partage etc. ou plutôt que ce collectif se réduit comme peau de chagrin alors que sa vraie vivacité serait d'arriver à se poser vraiment les vraies questions. Ce qui n'est pas facile.
L'AERLIP tu dis ?? Oula mais attend, j'ai lu un livre comme ça ya un moment ! Les infirmiers qu'attaquent le congrès de psychiatres, y coupent le courant, et tout, tout ça parce qu'ils étaient pas content qu'on leur demande pas leur avis sur leur métier ! !
Du coup ils ont fait des groupes de travail, et puis un livre qui parle de ce qui se passait à l’époque, de ce qu'ils vivaient... les doléances quoi, et puis leurs petites idées. Ça y allait sur les conditions de travail de l'époque, c'est clair que c'était autre chose ! Les locaux dégueu, la violence, les douches collectives et froides, les dortoirs, les matraquages de neuroleptiques, oulala, c’était pas des tendres à l'époque fallait que ça tourne ! Finalement, on s'en sort pas si mal aujourd'hui ! Enfin quoi que, ils se plaignaient déjà de certaines plaies qu'on a toujours... Et puis la violence, ce n'est pas la même aujourd'hui. L'objet a changé. Dans l'histoire, avant l'infirmier et le patient, c'était le gardien et le fou, et puis encore avant, c'était le geôlier et l'aliéné ! Ils avaient des objectifs bien précis, le gardien, c'était de protéger la société de l'aliéné, et l'aliéné de la société !
Aujourd'hui, on respecte le malade, madame ! On lui a fait une charte avec des droits! Mais on l'enferme sous contrainte rapidement, ou fait semblant de ne pas l'entendre quand il dit des choses, parce que c'est un peu difficile à écouter, un fou. Ca renvoie des trucs qu'on veut pas toujours entendre.
Par exemple, tu sais, Patrice, après sa phase « je me laisse aller », il a eu sa phase, « je dois me casser ». Il essayait de se lever tout seul pour aller à son lit, et on le retrouvait par terre... Bien avancé, il se faisait engueuler maintenant, lui qui croyait bien faire. Après avoir profité, il en faisait trop.
Est-ce qu'on fait bien, est-ce qu'on fait mal ? On ne se posait pas tellement la question, on parlait de son escarre, de ses mises en danger et surtout on notait tout bien dans le dossier...
On avait tellement peur d'être jugé, étiqueté « maltraitant » qu'on ne s'autorisait plus grand chose. Pour moi, c'est dans les lieux où je me suis sentie autorisée à avoir l'air con avec mes questions que j'ai eu l'impression de bosser le plus ! Enfin, plutôt autorisée à exprimer mes ressentis, mes doutes, et que ces questions bizarres étaient intégrées à notre travail. Un lieu où on s'autorisait aussi à poser des questions aux patients, à leur demander leur avis.
C'est les autres patients qui m'ont fait découvrir plus tard, ce que Patrice était en réalité : le loup blanc de la psychiatrie de la région, connu et apprécié un peu partout, son passé et sa partie « saine » me sont apparue grâce à la mémoire de l'hôpital. Comme si qui il était appartenait à ces murs. Mais là , c'était une institution (annexe) toute neuve, sans tout ce passé.
C'était une équipe sans ISP il faut dire qu'il n'y avait pas non plus de psychiatre. Enfin si, 1, les autres étaient des généralistes avec des DU. Ce que je veux dire c'est qu'il n'y avait pas grand monde pour porter l'histoire de l'institution. Peu de dinosaures qui nous parlaient de ces mêmes patients des années en arrière. Celles qui en savaient un peu rassuraient de par leur présence et leur mots le reste de l'équipe. Même si ça ne faisait pas très pro, le fait de dire « oh ! il a toujours fait ça », posait les choses, et on y allait plus sereinement.
L'AERLIP, pour moi porte cette histoire-là aussi, ça parle de nos bagages à nous les soignants, et de ce qui est possible. Réclamer d'être acteurs de nos professions, être autorisés, être formés, appartenir à un collectif qui a du sens.
L'AERLIP, je crois, c'était aussi une volonté des soignants de se positionner ailleurs que dans l'ombre. Parler de leur vécu, de ce qu'ils pensent de telle ou telle situation. A l'époque, les infirmiers ne se permettaient pas « d'élaborer » parce qu'ils n'étaient qu'infirmiers et considérés comme tel. Enfin élaborer... au moins « pousser des cris d'alarme absolument nécessaires ». Et là je cite le livre de l'AERLIP « il faut faire un effort considérable pour arriver à dire ce qu'on pense quand on est infirmier et qu'on s'adresse au médecin […] ce n'est déjà pas facile lorsqu'on est « ancien » dans le métier, à plus forte raison lorsqu'on débute. Notre dépendance du médecin ne fait-elle pas écran alors à la relation thérapeutique ? Le malade n'est-il pas dans ce cas l'objet dont l'infirmier se sert afin d'exister aux yeux du médecin ? »
Aujourd'hui, on ne peut pas dire que ça n'ait pas évolué, mais ces préjugés sur la place et le rôle de chacun, persistent, et surtout du coté infirmier...
La réponse à une interrogation ne sera pas chez l'infirmier, mais chez l'Autre, une espèce de discours du maître entretenu par les médecins. Peut-être pourrait-on parler de discours hégémonique de la science où la question de la clinique,de l'humain est évincée. Nous sommes dans l'attente d'une réponse ! Et justement comment parvenir aujourd'hui à bosser avec le médecin sans tomber dans ce besoin, cette attente, ce désir d'obtenir de lui toutes les réponses ? Il faut dire qu'on adore les prescriptions, les actes, les « PTI »... J'obéis à la hiérarchie qui me sert de guide. Borde nos actes. Comme tu dis, on cautionne des tarifications d'actes, parce que cette mise en sens, cet acquis non indiscutable nous convient bien. Chercher à mettre du sens dans nos pratiques signifie risquer parfois de se marginaliser, (se singulariser?). Ca implique de donner du temps, et de l'énergie qu'on doit trouver je ne sais où. Nous sommes les premiers responsables d'une situation enkystée et entretenue par l'environnement !
La formation infirmière actuelle envoie dans les services des stagiaires qui n'ont pas une idée de ce qu'est la pathologie mentale. Les « nouveaux DE » sont parachutés dans les services, et sont à la merci d'un « doyen » ( travaillant dans le service depuis plus d'un an...) qui voudra bien prendre le temps de lui raconter, sinon, faut qu'il ait un bagage personnel de connaissances assez solide s'il veut s'épanouir à minima dans son boulot ! Mais après tout qui me dit que ça n'est pas un peu pareil pour les médecins ?
En 73, c'était ça aussi l'AERLIP, savoir ce qu'allait devenir l'infirmier de secteur, et comment rendre ce métier plus valorisant, amener les infirmiers à être plus armés. Parce que les gens qui y bossaient, c'était par nécessité ou parce que le reste de la famille y travaillait.
Moi jeune infirmière, je me dit que quelque part, ils ont réussi à rendre cette formation plus objective, plus centrée sur les apports théoriques, un discours un peu scientifique quoi !mais pas grand chose en ce qui concerne le libre-arbitre, l'initiative, l'intuition, ce qui échappe à la maîtrise. Cette partie là, pour ma part, m'a été transmise par les vieux, (excuse moi Blandine) Ce clivage /amalgame des jeunes et des vieux dans les services est encore à l’œuvre, et tient à quoi ???? En tout cas, il me fait rêver quant à l'existence d'un « savoir infirmier » un truc valorisant pour la profession. Un truc qui donne envie !
A commencer par la paye ! Y a quand même une relation certaine entre rémunération et prestige !
Alors je ne dirais pas que le collectif comme lieu de travail s'effrite comme tu dis, mais qu'il est mis à mal par les attaques que subissent les premières lignes sur le terrain : les petits travailleurs du quotidien. On ne nous fait pas confiance, et on ne se fait pas confiance, ce qui n'est pas sans entretenir ce cercle vicieux!Nous n'avons pas l'autorisation, mais l'idée de nous la donner nous même n’émerge pas non plus ! On a un maximum de possibilités dans notre rôle propre tout en étant complètement enfermé dans le prescrit. On se posait pendant des heures la question de savoir si nous devions faire l'entretien infirmier prescrit par le médecin à une patiente alors qu'on n'y voyait pas de sens. Eh bien nous le faisions. Pas autorisés.
En tout cas les soignants, et de façon exacerbée dans ce lieu que je te décris, ne savent plus comment être avec le patient sans être contre son cadre. C'est à dire que prendre l'initiative de faire telle ou telle chose avec un patient, et tenter de faire suivre cette initiative collectivement peut s'avérer complètement inutile si le médecin ou la hiérarchie décident qu'il ne doit pas être fait comme ça.
Coline, Il me semble qu'on arrive à un vrai problème et que ce problème n'est pas spécialement un problème de « maintenant » mais de toujours : l'impression souvent angoissante de « sortir du cadre prescrit », –est-ce bien ce que tu veux dire– ?
En te lisant, j'ai senti une certaine nostalgie de l'existence des infirmiers de secteur psychiatrique ! Mais n'oublie pas... la plupart d'entre nous n'étaient pas allés bien loin dans leur cursus scolaire et beaucoup faisaient ce métier par défaut, parce que les études étaient payées, ou encore parce que c'était celui que leurs parents avaient fait (dans le secteur 2 à Marchant, j'ai connu des générations d'infirmiers liées à l'hôpital et certains avaient travaillé sous la même médecin-chef : les parents, puis les enfants), n'oublie pas non plus que Marchant, c'était encore l'asile en 1989, quand j'y suis arrivée. Mais bon, peut-être que tu n'étais pas née en 1989 et que tout ça te semble très relatif.
La question que tu poses me paraît très sérieuse. Sortir du cadre (dans ton exemple, c'est sortir du cadre de la prescription, mais on peut avoir l'angoisse de sortir du cadre même quand il n'est pas prescrit ou peut-être parce qu'il n'est pas prescrit...) ce vécu peut nous envahir même dans une unité où l'on a le meilleur appui institutionnel et comme on a à faire à la psychose et à la psychiatrie, ça nous donne des sueurs froides... (en disant psychose et psychiatrie, je veux parler d'une certaine dramatisation socialisée du trouble mental, – hum, hum... c'est un peu tiré par les cheveux comme expression !...) Pourtant, il me semble que c'est bien dans la traversée de tels moments qu'on apprend à travailler et à construire ses propres limites.
Dans ton exemple, il y a cependant un point remarquable : la question est posée dans l'équipe, qui n'ose pas sortir de la prescription (mais peut-être que cette question posée permettra de revoir avec le médecin l'utilité de ces entretiens). Et puis, il y a ce que tu t'autorises toi-même. Peut-être que si tu juges que ces entretiens n'ont pas d'utilité, tu peux ne pas en faire.
Il me semble qu'un vrai collectif commence par là : l'un de nous s'autorise et les autres admettent cette différence et l'admettant, engagent le premier soignant (celui qui s'est autorisé) à admettre la leur aussi.
J'ajoute au passage le joker psychotique : justement parce qu'on a pensé (et/ou dit) que cet entretien n'avait pas d'utilité, le patient va l'utiliser pour nous surprendre et nous donner un « vrai » entretien bien utile ! Pour ça, ils sont les chefs ! les premiers de la classe, les plus doués. En tous cas, ça relativise quand même nos prétentions... et ça complique bien les choses, bien que cela n'invalide pas la valeur de la pensée infirmière « il ou elle n'a pas besoin d'entretien ». En fait, j'ai l'impression que la complication du travail infirmier, c'est d'arriver à reconnaître les invariants, les murs de la maison, pourrais-je dire. Et comme ces invariants sont aussi psychiques, c'est très ardu et demande du temps.
Dans les invariants, par exemple, je mets que : le plus con des infirmiers peut se révéler plus intelligents que nous, avec toute notre science, que les patients sont les rois pour nous surprendre et « sortir du cadre », quand il est attendu, etc.
Hum... ce qui doit nous guider pour cette intervention, c'est d'arriver à retrouver les fondamentaux du métier, à travers notre exposé à partir de la pratique. Et je ne sais pas si je ne suis pas en train de m'éloigner...
Je voudrais ajouter deux choses.
À propos du patient Patrice et de ce que tu en dis, ma remarque, c'est que la clinique se construit. On ne peut pas décider tout seul s'il est là pour quelque chose de soignant ou pour des bénéfices secondaires, on peut avoir sa propre hypothèse, c'est même conseillé, mais elle ne vaut que dans la confrontation aux autres et il me semble que c'est de cette confrontation que naît un vrai collectif soignant. Il est fortement souhaitable que médecin et psychos en fasse partie, mais en général, j'ai l'impression que si les soignants se débrouillent tant bien que mal pour échanger entre eux, il est plus rare que les toubibs et les psychos fassent partie du jeu parce que les uns et les autres sont gênés de sortir du jeu hiérarchique et ne savent pas comment faire.
L'autre chose qui me semble importante à repérer, c'est que lorsqu'on est soignant, ça ne se voit pas. C'est bien ta question avec Patrice. Sommes-nous contenant ? Est-ce pour cette raison qu'il va bien ? On peut appeler ça l'invisibilité du soin. Et remarquer que par contre, quand quelqu'un est malade ou quand on n'a pas fait notre travail, cela se voit tout de suite. (Au passage, l'informatique qui note tout en plus et en moins, comment se débrouille-t-elle de cette question quasi philosophique?)
Il me semble que pour comprendre ce que nous faisons, malgré l'invisibilité du soin, nous avons aussi besoin des autres et d'avoir une élaboration collective de notre travail.
Encore un dernier point.
De mon temps, du temps de l'AERLIP, nous avions à sortir de l'asile et à construire une autre psychiatrie. La tâche était relativement claire. Les moyens d'y arriver, hum... beaucoup plus difficiles et ardus. Et chacun s'est débrouillé comme il a pu. Cela me donne le sentiment d'arriver aujourd'hui à un saccage.
Il me semble qu'aujourd'hui, au contraire de nous, l'idéal psychiatrique est enseigné dans les écoles d'infirmiers et les jeunes diplômés sont tout étonnés et très désarmés au sortir de l'école, de ne pas trouver une psychiatrie digne de ce nom.
Tout le travail que nous avons fait, entre nous, soignants de psychiatrie, pour arriver à changer l'asile (et ce travail est aussi un travail sur nous-mêmes)- est saccagé et détruit. On revient à une psychiatrie de l'enfermement, de la contrainte, avec des moyens modernes et la caution qu'en extra-hospitalier, les choses se passent relativement moins mal.
Mais surtout, c'est cette liberté conquise et souvent assez rude, d'avoir appris à réfléchir aux patients, au soin, qui me paraît énormément remise en cause.
Coline Fauconnier
Blandine Ponet