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PSYCHIATRIE...LEVONS LE VOILE


Docteur Guy Baillon

Psychiatre des Hôpitaux

                                                                                                          Laragne 23-24 mars 2006

 

 

 

PSYCHIATRIE : espace de rencontre, ou

« QUAND ON AIME ON A TOUJOURS 20 ANS…

 

Les orientations : Panorama sur les rapports qui ont façonné la psychiatrie française.

 

Guy Baillon présente le rapport Demay à la table ronde des 6 rapports essentiels de la période 1983-2003, ce 23 mars 2006.

 

 

‘‘Je pense que ce rapport est ‘le’ rapport fondamental. Il a changé le cours des choses  pour la psychiatrie de secteur. Je ne pensais pas que c’était à moi que devait revenir l’honneur d’en témoigner. Il eut été plus juste que cela revienne à Dimitri qui y a été plus actif, mais avec élégance étant notre hôte, il a tenu à laisser la place aux amis, je ne vais donc pas esquiver cette invite et je l’en remercie.

Il n’y a pas de psychiatrie sans risque, donc sans engagement personnel, peu importe les fausses notes, il y en a toujours, l’essentiel est de se mettre dans le ‘ton’ : « quand on aime on a toujours vingt ans… », je vais donc m’y risquer malgré mon âge…

Préalables

Cette naïveté de ma part me permet en fait de transformer et de dépasser l’émotion qui est la mienne à évoquer ce groupe d’amis : nous étions 30 amis à nous réunir à la demande de Jean Demay fin 1981. Des liens forts se sont installés. Un tiers nous a quitté : G. BLES, L. BONNAFE, A. BOURGUIGNON, JEAN DEMAY, H. FLAVIGNY, T. LAINE, S. LECLAIRE, P. LILLY, M.R. MAMELET, H. MIGNOT. D’emblée nous tenons à vous transmettre ici qu’ils ne se sont pas battus pour que 20 ans après, les professionnels de la psychiatrie, beaucoup plus riches qu’alors, pleurent à Montpellier et à St Alban ou dans des manifestes divers, pour obtenir des moyens supplémentaires, alors qu’ils sont les plus riches de la planète, au moins jusqu’en 2015 ! Ils se sont battus sans faille pour faire advenir une psychiatrie qui se préoccupe d’abord de l’homme.

Les autres membres étaient : Marie DEMAY, G. Baillon, P. Bailly-Salin, N. Braibant, B. Chouraqui, B. Doray, C. Forzy, S. Giudicelli, A. Green, C. Jean-Girard, S. Julian, D. Karavokyros, D. Karlin, Le Mero, C. Michel, R. Misés, JJ. Moitié, J. Mourges, P. Noël, B. Pichon, R. Weyl.

 

Certes en 1981 il y avait le ‘contexte’ de Mai, et il était porteur.

Mais rappelons que pendant les 20 années précédentes, ce contexte était, lui, totalement désolant : nous étions très loin de la 1ère circulaire de mars 1960, déjà loin du vrai Livre Blanc de la Psychiatrie de 1965-7, loin de mai 1968 et de la circulaire qui a suivi en mars 1972.

En 1981 les secteurs n’étaient pas encore tous découpés, les chefs de ces secteurs étaient nommés ; le nombre de psychiatre avait certes déjà bien augmenté, cependant outre les CMP il y avait peu de créations de structures de soin dans les secteurs. L’hôpital écrasait tout. La misère de la rue, celle des banlieues existaient, mais touchaient moins que le désastre persistant des hôpitaux rassemblant dans leurs murs l’essentiel des moyens de la psychiatrie exclue. Les médias étaient généralement hostiles, et le ministère ‘absent’.

 

Nous n’avions qu’une seule interrogation : y avait il un avenir pour la psychiatrie de secteur ? si oui lequel ?

Je prendrai l’exemple local d’un hôpital, celui où Dimitri et moi avons travaillé (lui jusqu’en 1974, date de son départ à Laragne, moi toute ma carrière) à Neuilly sur Marne.

Cela avait commencé par un esclandre ‘politique’ que nous avions déclenché en janvier 1971 à l’encontre de notre Préfet du 9-3. Celui ci, après avoir visité Ville-Evrard, avait décidé à partir des 2000 lits et des 5 services, de créer 7 secteurs pour un million d’habitants du nouveau département de Seine-St Denis (les autres 300.000 du nord devant être divisés en 3 secteurs rattachés à l’hôpital général d’Aulnay). Nous savions qu’une telle proposition allait fixer la pauvreté de l’hôpital et surtout enterrer le développement de la sectorisation qui se préparait au ministère. A notre étonnement les conseillers généraux sensibles vraisemblablement aux propos de Bonnafé, dans le 94, nous écoutent et nous suivent, ils exigent du Préfet la création, non de 7, mais de 14 secteurs en novembre 1971 !

Nous nous pensions bien partis.

Hélas ! jusqu’en 1981 ce fut la galère. Les rares réalisations dans les secteurs émanaient des départements. A l’hôpital le pire nous attendait. Ainsi en 1974, l’équipe de J Chazaud (auquel Zagury succèdera) se voit amputée du tiers de son effectif infirmier pour permettre au directeur d’ouvrir le premier secteur infanto-juvénile, et ainsi son activité qui était en pointe sera retardée de 10 ans (le temps nécessaire pour que Chazaud trouve la parade en augmentant les patients hospitalisés, il obtient alors l’ouverture d’un nouveau pavillon pour récupérer les infirmiers perdus) ! Notre équipe a évité le même sort en 1977 en faisant intervenir avec force nos conseillers généraux que nous avions sensibilisés à ce danger en créant un conseil de secteur. Ils ont pu empêcher le CA de l’hôpital de commettre ce nouveau saccage. Nous étions déçus de cette inertie, mais pas désespérés. Cette attitude des directeurs était courante.

Nous n’avions à l’époque, comme appui contre la désespérance, que notre syndicat le SPH où notre combativité était entretenue par de solides échanges, relais de nos petites luttes locales. C’était l’époque où j’avais insisté auprès de mes collègues du SPH pour que chaque équipe de secteur s’oblige à écrire « une monographie de secteur », pressentant que ce serait pour la suite une source d’enseignements, à partir de ces luttes locales…

Dans toute la France l’horizon était bloqué. Les directeurs refusaient tout projet en raison du double financement du secteur (les dépenses dans le secteur dépendaient d’une décision initiale du conseil général) ; très rares étaient les projets d’hôpital de jour acceptés. Au total un désespoir morne régnait.

Ce point de vue n’était pas seulement l’état d’âme de quelques uns. Je vous propose pour le confirmer de vous reporter à ce que nous dit Francis Jeanson dans son excellent livre « La psychiatrie au tournant » (l’un des meilleurs livres critiques et stimulants sur la psychiatrie de secteur naissante et son évolution), Seuil, 1987, (p 19), évoquant les résultats de l’enquête faite par l’Etat en 1980 sur la psychiatrie. Elle aboutit de partout à une sévère condamnation des hôpitaux psychiatriques. Il rappelle les quatre articles parus dans le Monde des 2, 3, 4, 5 septembre 1980 : « Faut il raser les hôpitaux psychiatriques ? » (on peut s’étonner du scandale provoqué par le même titre de Libération 20 ans après, en 2000 ( !), à la suite de la parution du rapport Piel-Roelandt).

« Nous savons aujourd’hui que les grands hôpitaux psychiatriques ont vécu ; c’est une formule périmée. » (professeur Sutter). « Dans leur style actuel, ils sont inacceptables » (docteur René Angelergues). « C’est un système carcéral, où toute action thérapeutique est stérilisée » (docteur Claude Olivenstein). « Ce sont des structures totalitaires, qu’il faut fermer » (professeur Hochmann). « Il y a une surdétérioration asilaire » (docteur Tomkievicz). « A l’hôpital psychiatrique, le malade se détruit lentement, c’est un temps de non-vie, un continent à l’écart, une machine pathogène » (docteur Bernard de Fréminville). Ancien conseiller du ministre de la Santé Simone Weil, le professeur Lebovici confirmait qu’il était favorable à la fermeture de « ces immenses concentrations ». Mais c’est à Bellini cadre infirmier à Ville-Evrard que l’on devait la définition la plus ravageuse : « Il n’existe, dans la vie du malade à l’asile, que deux actes thérapeutiques : l’entrée, et la sortie quand elle a lieu. Tout le reste est du remplissage ». Le Monde concluait « Aucun secteur de la politique sanitaire ne s’est développé depuis 20 ans, dans une telle anarchie, une telle indifférence, un tel aveuglement collectif. …ainsi dans un même secteur, l’équipe médicale s’efforce d’éloigner les malades de l’hôpital psychiatrique alors que les responsables administratifs cherchent à les y maintenir .»

La commission

Puis voilà 1981. La gauche arrive au pouvoir et fait naitre un immense espoir. Une profonde évolution serait elle enfin possible ?

Parmi les 4 ministres communistes qui sont inclus dans ce gouvernement de gauche, l’un d’entre eux Jack Ralite vient à la Santé. Il montre très vite son intérêt pour la psychiatrie et prononce le 12 octobre 1981 un discours à Sotteville-Lès-Rouen, ancienne terre de travail de Lucien Bonnafé et Hubert Mignot, un discours qui a du souffle, (on lui reprochera d’être poète, alors que Bonnafé nous avait montré que cela ‘transportait’) ; il annonce qu’il vient de demander à un psychiatre, Jean Demay, de lui présenter rapidement un rapport sur l’état de la psychiatrie et les dispositions à prendre pour lui donner sa place dans le pays. Selon lui la psychiatrie ne saurait se réduire à l’hôpital psychiatrique, et il fait part de son souhait que la loi de 1838 sur l’internement soit ‘abrogée’.

Jean Demay rassemble autour de lui un peu plus d’une vingtaine d’amis, (parmi lesquels je me trouvais à mon grand étonnement, n’ayant rien commis d’autre que le travail avec notre équipe et mon implication enthousiaste aux débats du SPH), ce qui fit frissonner plus d’un, car les membres de l’Establishment de l’époque n’en faisaient pas partie, cela entraina quelques jalousies ; accompagnés par Marie Rose Mamelet responsable du sous-bureau de la santé mentale à la DGS au ministère de la Santé, actrice attentive (fille de directeur et ayant connu l’asile de l’intérieur) depuis les premières circulaires sur le secteur, 20 ans auparavant.

La commission Demay’ se réunit aussitôt et eut 15 séances, de septembre 1981 à  juin 1982. Elle pris d’emblée tout en compte ; aussi au départ nos débats allaient-ils dans tous les sens : le vécu dramatique des patients, la situation d’abandon des hôpitaux, l’état du personnel dans sa diversité, les lois, la formation, la gestion, etc., et constamment la préoccupation de l’humain dans  chaque question posée. Des groupes de travail sont vite décidés et chargés de rapporter régulièrement leurs avancées en commission plénière (Dimitri fut chargé de l’asile, moi même de l’histoire récente,…).

Mais dès décembre la pression ambiante monte, et nous déstabilise, le ministère pose dans l’urgence des questions a priori distantes de nos préoccupations : -‘il fallait donner en un mois au ministère des finances des propositions pour le budget 1983’…, -‘en avril il fallait répondre dans l’immédiat au ministère de la justice qui voulait réformer le code pénal’…

La  multiplicité de nos débats dans le même temps convergeait sur l’obstacle de la gestion actuelle, il était évident qu’il fallait trouver une gestion rassemblant les dépenses de l’hôpital et celles du département… Timidement, au début du printemps MR Mamelet nous dit qu’elle a dans ses papiers une courte note rédigée à la suite de débats dans la précédente commission des maladies mentales, mais elle ne savait pas si ce serait utile. Entre deux séances, nous l’escortons (était ce avec Dimitri ?) dans son bureau, et d’un de ses derniers tiroirs, elle sort après une laborieuse recherche, une simple petite feuille de papier pelure évoquant en une phrase la notion « d’établissement public de secteur » qui associait pour chaque secteur la responsabilité clinique et la responsabilité de gestion !

Aussitôt, dès la séance plénière suivante, toutes nos discussions se cristallisent autour de cette proposition :

« Le secteur devenait une personne morale, au même titre que l’était encore maintenant l’hôpital ».

Cela semblait aussi évident que la façon de mener à bien une psychothérapie d’un enfant en bas âge : en présence de sa mère, le thérapeute ne doit-il se mettre au niveau où se trouve l’enfant, et commencer par commenter ses gestes et ses mimiques ? Sinon, rien ne se passe, il n’y a pas de dialogue, et pas d’élaboration.

La gestion de la psychiatrie de secteur doit se faire ‘au niveau’ du travail clinique (et non à cent lieues, ni dans des dimensions inhumaines).

Nous avions là la clé de l’avenir de la psychiatrie : Le secteur devient une personne morale, et « l’hôpital en droit disparaît ».

Dès lors les débats sur toutes les autres questions prennent leur place et deviennent convergents autour de cet accord fondamental. Les différends disparaissent comme par enchantement. Le texte prend forme autour de l’EPS, l’Etablissement Public de Secteur.

Jean Demay se retire des débats pour l’écrire, ce qu’il fait en une quinzaine de jours en juin. Hubert Mignot, mon maitre, le compagnon d’armes de Bonnafé depuis la guerre, lui envoie sa dernière contribution et s’effondre en déposant sa lettre, frappé par une crise cardiaque. Nous lui rendons hommage, impressionnés par la qualité de son travail, sa modestie, son amitié.

 

Mais ce rapport ne sera pas publié, il sera jeté aux oubliettes par le ministère, comme s’il n’avait pas existé. Seule la revue VST, revue des équipes soignantes des CEMEA, un an plus tard, trouvera un biais pour le publier, mais l’Etat l’a ‘censuré’...en totalité.

Le rapport

Le texte final est court comprenant 40 pages, découpé en 7 parties et un préambule.

Nous en rapportons ici, choisis de façon arbitraire, quelques mots forts :

Le préambule : « La psychiatrie a un domaine propre : la souffrance psychique (rappelons nous la colère des faux Etats généraux de Montpellier en 2002 ‘contre’ cette invention !), sa base est la dimension humaine…La psychiatrie, discipline majeure dans la médecine, sera d’une fécondité novatrice où chaque soignant ou soigné peut disposer et jouir de sa responsabilité de sujet dans la démocratie et la liberté dans et par le rapport à l’autre : une rupture complète avec l’avant…

Chap I : Ethique. …une information de la communauté sociale sur les troubles psychiques et le soin impliquant l’environnement social est indispensable…, un travail de désaliénation individuelle et sociale est à mener, car le trouble mental est évolutif…, le patient a besoin d’autonomie économique et de solidarité, accompagnées par un travail collectif… et une prévention non normative…

Chp II : Législatif….écarter toute loi d’exception…faire une loi non spécifique à la psychiatrie…,  tenir une critique du handicap…

Chap III. : Organisation et gestion : créer pour chaque secteur un ETABLISSEMENT PUBLIC DE SECTEUR, détaché de l’hôpital, comprenant 1 ou bien 2 à 3 secteurs généraux et un secteur infanto-juvénile permettant d’instaurer une psychiatrie globale…

Chap. IV. : Personnel : …réaffirmer la spécificité de l’infirmier psychiatrique…, la nécessité d’un tronc commun avec les psychiatres faisant un stage infirmier, comme les psychologues

…et, toujours, mettre « l’Homme au centre des préoccupations, comme référence essentielle… » (il est bien dit l’homme, pas le patient !)

Chap. V. : Institution : …abolir l’asile : « tout » le dispositif de soin doit être situé hors les murs de l’ancien hôpital…, faire œuvre d’imagination…, refus de l’hôpital général…, nécessité pour chaque secteur d’un projet…, et aussi d’un bilan de secteur…

Chap. VI. : Psychiatrie de l’enfant (chapitre nettement le plus long)…reconnaître que la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent est source continue d’inspiration clinique pour l’ensemble de la psychiatrie, mettant en évidence la capacité de changement spontané de tout être, donc ses potentialités, …invite un changement d’idéologie, …critique de la notion d’enfant, …le ‘milieu’ est une notion essentielle, …recherche de l’appui du ‘réseau communautaire’…

Chap. VII. : Formation…, et incitation au changement, et à l’insertion sociale, …avec coordination ministérielle dans toutes les implications, …nécessité d’un débat national continu, …et d’un conseil de santé mentale local…

 

Un fait supplémentaire est tout à fait intéressant à noter, car il montre qu’une mobilisation dans le pays a été effective, c’est que ce n° de VST où paraît ‘Le rapport Demay’, n°146, d’avril-mai 1983, fait état dans sa seconde partie, des débats, styles ‘états généraux’ locaux de la santé mentale, qui se sont menés avec les CEMEA pendant la même période d’octobre 1981 à juin 1982 dans 15 villes. Ces textes abordent les mêmes thèmes (mais n’évoquent pas la proposition de l’EPS) ; ils vont de la critique sévère de l’hôpital à la demande de promouvoir l’information nécessaire pour transformer les mentalités, on y insiste sur le rôle des mass médias, on y valorise le travail des ‘équipes ‘ de secteur, on y développe l’idée que tous les ‘agents sociaux’ ont leur rôle à jouer dans la prise en charge de la maladie mentale, pas seulement la famille, à restaurer, on y invite à réattribuer à la population sa fonction thérapeutique de l’autre, on ne veut pas extraire l’individu souffrant de son environnement social et familial…

 

Il y avait donc bien dans l’opinion une avancée parallèle dans la rue et au ministère, mais elle est restée timide étant donné le sort de ce rapport et l’absence de vrais débats parlementaires pendant toute cette période (car tous les textes dont il va être question ensuite ont été habilement ficelés et préparés pour être empaquetés au milieu d’un grand nombre de textes généraux, la santé mentale restera dans l’indifférence, et non approfondie comme un problème de société).

 

Nous venons d’apprendre que peu de temps avant ces 20èmes journées de Laragne et cette, table ronde sur les rapports récents, le site de SERPSY a décidé de diffuser sur internet le texte du rapport Demay. Bravo ! Car il parait important de le faire connaître, il continue à être une source d’inspiration pour notre travail de secteur.

 

Quelles sont les suites du rapport Demay ?

1983-1990

Mais pendant l’été 1982 et l’hiver qui suit le silence sur notre travail nous paraît terrifiant. Au printemps 1983 le départ des ministres communistes est effectif. Un ministre socialiste succède à Jack Ralite, mais comme secrétaire d’Etat. Quelques signes paraissent positifs : un Bureau de la Psychiatrie est recréé au ministère (à la DGS), et une nouvelle Commission des Maladies Mentales (CMM) est constituée d’une cinquantaine de membres dont tous ceux de l’establishment cette fois (mais pas les meilleurs outre Mignot : pas Bonnafé, ni Karavokyros,…) ; je m’y retrouve encore sans bien comprendre pourquoi.

MR Mamelet part en retraite et nous présente son successeur, un grand jeune homme venant de l’éducation nationale et aimant le théâtre ; dès le début ému par ce champ qu’il n’hésitera pas à chercher à connaître vraiment en venant sur le terrain visiter les équipes : Jean François Bauduret. (ainsi sera-t-il convaincu du travail d’une unité d’Accueil après être venu visiter notre secteur dès 1983).

 

Certes d’un côté le rapport Demay est ‘oublié’, censuré ! mais de l’autre on est bien obligé de constater que toute une suite de mesures vont être prises qui montrent bien que la mobilisation de la commission Demay a invité l’Etat à se mettre à travailler les modalités d’application de sa propre politique de secteur et à prendre un certain nombre de décisions en sa faveur. Je me dispute souvent avec mon ami Pierre Noël, compagnon du SPH et membre de ces deux commissions (il salue Dimitri et vous, mais il se bat en ce moment contre la maladie) en lui disant, ce qu’il réfute, que cette CMM n’a pas fait les bons choix quand on voit ce qui s’est passé ensuite. Mais c’est trop facile de ma part, 20 ans après, de l’affirmer, alors qu’à l’époque je les ai soutenues. J’y reviendrai plus loin.

 

Certes le premier acte du ministère a été d’oublier le travail ‘officiel’ de son prédécesseur et donc d’oublier le rapport Demay, taxé d’être seulement utopiste, non concret…il est vrai que la seule mesure concrète qu’il défendait a aussitôt été enterrée par la puissante Direction des Hôpitaux et par le lobby des directeurs qui se trouvaient trop diminués par le projet des « EPS ». Mais cette mesure était de taille. La suite montrera clairement que c’est la seule qui aurait vraiment pu faire aboutir la réalisation de la psychiatrie de secteur.

Ces directeurs vont en 1984 aussitôt s’y opposer et insister pour que soit prise la mesure qui à leurs yeux allait tout régler : décréter le ‘budget global’ en psychiatrie, en réunissant le financement de l’hôpital et celui du secteur sous la seule houlette de la Sécu, et donc sous leur responsabilité directe.

Pour bien montrer que personne n’était dupe de cette mesure, à commencer par le ministre, il est savoureux de reprendre les propos du Secrétaire d’Etat lui même cités encore par Francis Jeanson (ibid. p 33) « Qu’on me comprenne bien (est-il rapporté par Le Monde du 24 sep 1984) l’objectif de cette réforme (confier la gestion de toute la psychiatrie à l’hôpital), -décisive pour l’avenir de la psychiatrie-, ‘ne conduira pas à l’hospitalocentrisme’. Les budgets annuels hospitaliers ne feront l’objet d’une autorisation par les autorités de tutelle que s’ils vont dans le sens d’un développement des alternatives à l’hospitalisation » (souligné par nous). Belle dénégation que la suite de l’histoire contredira. Le ministre avait déjà perçu ce que cette décision allait provoquer. Si l’on commence par ignorer le rôle de l’hôpital, on en renforce en fait son poids, car tout part de lui : l’hôpital existe et, s’il est pérennisé le secteur n’est  plus qu’un gadget.

Il n’empêche que le train de mesures engagées sous l’impulsion de la CMM est impressionnant, comme vous allez le voir :

-le budget global est acquis : janvier 1983

-les Conseils Généraux sont écartés des décisions : juillet 1983

-est décidée la suppression ou la reconversion de 40.000 lits de psychiatrie, le personnel étant orienté vers des activités extérieures : décembre 1983

-la légalisation de la politique de sectorisation et désignation des directeurs d’hôpitaux comme chargés de la mission de l’organiser est décidée : juillet 1985

-l’Assurance maladie prend en charge toutes les dépenses : décembre 1985

-la gestion de l’ensemble est accordée à l’hôpital : décembre 1985

-le conseil de santé mentale départemental est promu : mars 1986

-l’homologation des 12 structures de soin du secteur est précisée par décret : mars 1986.

A priori cet ensemble de mesures est remarquable et l’évolution de la psychiatrie semble très positive pendant la période qui suit.

En fait 1990 va marquer la cassure et le début d’une évolution inverse. On peut dire aujourd’hui que ce ne sont pas forcément ces mesures qui n’ont pas été un bon choix, mais leur perversion est due au fait que leur application n’a plus été « accompagnée » par l’Etat : en effet c’est en 1990 que le nouveau ministère ferme le bureau de la psychiatrie, départ de JF Bauduret et Martine Barrès, la DGS redevient toute puissante, c’est à dire les hôpitaux, au détriment de la Santé. A partir de là la psychiatrie n’est plus ‘guidée’ par le ministère, elle devient l’enjeu des pouvoirs locaux (directeur, CME, tout dépend de leurs conflits ou de leur cohésion).

Mais ce dont nous sommes obligés de convenir c’est que tout dorénavant va être soutenu, choisi, orienté à partir du point de vue de l’hôpital (où médecine, chirurgie, obstétrique dominent largement), qui est bien le centre décisionnel, alors que le ‘centre’ de la psychiatrie de secteur c’est la ville elle même, c’est ce non décentrement qui va pervertir la suite de l’évolution. Cette cassure va amorcer si l’on peut dire ‘la pompe à rapports’, puisque les rapports sur l’état de la psychiatrie vont être multipliés ensuite pour tenter de comprendre la tendance de la politique de secteur à aller dans la voie inverse de la politique de secteur ; on pourrait plutôt dire que l’Etat voulait que de nouveaux rapports la remettent dans le ‘droit chemin’ (terme équivoque : en fait il fallait soutenir l’idéologie hospitalière et non celle du secteur). Il faut ici reprendre le seul rapport « indépendant », celui de la 4ème instance de la République, le Conseil Economique et Social, le rapport Joly, le seul rapport osant interroger l’Etat en 1998, en soulignant l’hospitalocentrisme marqué depuis 1990 ; il a demandé au ministère de la Santé pourquoi l’hôpital reprenait tant d’importance et augmentait les hospitalisations alors que le but de la psychiatrie de secteur était l’inverse, et pourquoi il n’y avait plus de Bureau de la psychiatrie au ministère pour guider son application (le ministère a aussitôt recréé un bureau, pléthorique, mais sans aucun pouvoir, et ne jouant plus comme autrefois un rôle de régulateur).

Nous verrons en conclusion que seules les lois de l’action sociale de 2002 et 2005 pourraient encore faire espérer que le secteur survive (et comme par hasard on y retrouve JF Bauduret et M Barrès).

1990-2006

A partir de 1990 on voit la psychiatrie à nouveau travailler son retour dans le giron de la médecine comme pour…y être étouffée progressivement :

-on constate que dans l’effort qu’elle réalise pour développer le travail dans le secteur, tout en étant obligée de garder une activité hospitalière forte dans l’ancien asile, chaque équipe de secteur se retrouve ‘au milieu du gué’, bloquée, déchirée entre deux pôles opposés, courant de l’un à l’autre, l’un l’hôpital fermé avec son anonymat, sa démesure, sa discipline, l’autre le secteur ouvert, avec ses liens, sa liberté, ses initiatives ; sauf quelques exceptions depuis quelques années à Paris, à Lille, dans le 9-3 dont les équipes ont leurs lits installés hors hôpital en ville, toutes les autres équipes sont exténuées et désorientées (remarquons que ce déchirement des équipes qui n’aurait dû être que transitoire avant l’installation de la totalité des soins dans chaque secteur ne fait jamais l’objet d’une ‘évaluation’ par le ministère),

-les chausse-trappes de l’hôpital général, qui concernent pourtant un tiers des secteurs, où les équipes se sont retrouvées dépouillées d’un tiers de leurs moyens, et prises dans les règles de la médecine, fort différentes ; de ce fait leur travail sur le secteur y est souvent réduit au minimum,

-l’arrêté du 14 mars 1986, s’il a été utile à la Sécu pour homologuer les soins divers, a vite constitué pour beaucoup d’équipes un carcan, alors que l’essentiel était de stimuler leur imagination ; pour d’autres il les a entrainées à vouloir se spécialiser autour de tel ou tel symptôme et de favoriser la création d’intersecteurs loin de la proximité et de l’environnement du milieu du patient, tournant ainsi peu à peu le dos à la psychiatrie de secteur, qui reste la psychiatrie générale,

-la loi de juin 1990, au lieu de combattre l’arbitraire des internements, en facilite la multiplication en les rendant légaux, depuis les placements sous contrainte augmentent sans cesse (ils ont déjà doublé en 10 ans),

--le résultat global de toutes ces évolutions est l’ « hospitalocentrisme »,

--aggravé par la multiplication de mesures de contrôle inadaptées, et toutes centrées sur…l’hôpital, et ne prenant pas en compte le reste du soin (cela devrait être le contraire),

--ainsi que par l’hémorragie des psychiatres quittant le public pour aller dans le privé,

--et l’extinction du cadre des infirmiers psychiatriques…

Il est important de souligner que tout ceci avait été dénoncé comme dangers par la Commission Demay.

Celle ci avait pourtant commis une erreur, celle d’avoir fait une mauvaise analyse du handicap (par un étonnant retour des choses, cette erreur concerne le domaine qui est peut être, nous le verrons, l’espoir fort de la psychiatrie de secteur en 2006),

 tellement elle restait dans l’idée de la mission d’une psychiatrie ayant à faire face à la totalité des besoins des patients ; nous n’avions pas compris que le développement du secteur social avait déjà commencé après guerre avec un militantisme équivalent, avait été confirmé par la loi portant réforme hospitalière de 1970, et seulement complété par celles de 1975. Aujourd’hui grâce aux lois 2002-2 et du 11-2-2005, nous devons comprendre l’apport pertinent de ces lois ; il y avait 75.000 acteurs sociaux en 1975, il y en a 350.000 en 2002, et ils sont résistants, militants, généreux, ouverts et désireux de mieux comprendre les conséquences sociales des troubles psychiques et des traitements. A nous d’apprécier à quel point ils apportent la notion forte de « collectif », si bien défendue par Jean Oury et la Psychothérapie Institutionnelle.

 

Que reste t il du rapport Demay ?

A notre avis subsistent :

-une grande ‘vérité’

-et une grande force.

La  ‘vérité’ : revient à comprendre, mesurer à quel point l’hôpital joue un rôle central incontournable dans toute élaboration d’une politique de santé en France.

Tant que la place et la fonction de l’hôpital ne sont pas abordées de front, avec l’intention ferme de limiter son impact à juste ce qui est suffisant c’est lui qui très vite redevient le centre, le point de départ, la référence de toute décision dans le champ du soin, si bien que tout ce qui a été imaginé d’autre que l’intra hospitalier sera sous sa dépendance et viendra le conforter, ainsi les autres idées seront soit mises en miettes, soit annulées, oubliées.

Cela a bien été confirmé depuis 20 ans quand on étudie l’évolution de la psychiatrie de secteur.

 

La ‘force’ du rapport Demay a été de mettre en évidence ce qui allait être l’origine de la détermination et de la perspicacité de ses membres : elle s’est constituée autour de 3 points forts, en 1981, un négatif, les deux autres positifs :

--le négatif c’était l’horreur devant la réalité de l’asile qui persistait : « Plus jamais ça ! » avons nous dit,

-les positifs : la force et la capacité d’élaboration qu’avait l’existence d’un seul syndicat de psychiatres, le « SPH », ayant ainsi une influence considérable sur les politiques de soin ; bien soutenu par l’armée solide des « infirmiers psychiatriques »,

-enfin, plus discret, moins visible, mais plus fort, l’enracinement de la réflexion clinique des acteurs sur « l’humain » (j’y reviendrai).

 

En 2006 où en sommes nous et que reste-t-il du Rapport Demay ?

Nous pourrions nous laisser aller à dire que ‘tout cela n’existe plus’. Il n’en resterait plus rien. Il n’y a donc plus d’espoir !

Eh bien j’affirme que c’est faux ! Je pense au contraire que les raisons de se sentir forts pour les soignants se sont approfondies.

--Ainsi notre critique de l’hôpital doit persister, même s’il n’est plus aussi terrifiant qu’alors, il reste aussi dangereux, peut être plus parce que son danger est ‘masqué’ :

-certes il est souvent ‘humanisé’, mais il faut constater sur le terrain que ce n’est pas le cas ‘partout’, ce qui est inadmissible. De plus cet examen doit se porter aussi sur les services créés dans les hôpitaux généraux, et l’on constatera souvent que pour des raisons de sécurité, ces services aux moyens dévastés, se trouvent dans des espaces relégués, voire ghettoïsés, à l’écart, dans un nouvel enfermement,

-certes l’hôpital s’est fait plus discret, mais il reste très fort, le patient y est mis ‘au secret’ médical, dans des lieux ‘anonymes’, surdimensionnés, alors que la psychiatrie de secteur cherche à se construire dans des espaces où tout le monde se connaît. C’est la pérennité de l’hôpital surdimensionné qui a inversé le mouvement de libération et d’innovation de chaque équipe de secteur,

--l’horreur de l’asile aurait été, selon certains remplacée par la violence, la violence est en réalité bien moins présente qu’à ce moment, mais une ‘violence sourde’ par contre persiste, ce n’est pas la violence brocardée par la préoccupation sécuritaire (si soutenue par certains médias), c’est la violence ‘intérieure’, cachée, subie, qui accompagne le désastre humain devant l’arrivée de la folie chez quelqu’un, dans une famille. Rappelons la première phrase du « Rapport Charzat » en 2003 (rapport d’un tout autre ordre que les rapports officiels, car fait à la demande de familles auprès de parlementaires, il est à rapprocher dans sa lucidité du rapport Joly) : « Savez vous ce que c’est que l’arrivée de la psychose dans une famille ? c’est la guerre civile ! ». L’expérience nous montre aussi chaque jour ce que vivent les patients lorsqu’ils sont face à cette ‘connaissance’ de la maladie qui leur est demandée pour participer au traitement au lieu de le refuser. Ils vivent un vacillement de l’être, aussi fort qu’une lame de fond ; parfois les voilà confrontés au suicide tellement la remise en question est profonde, sans appui. Comment peut-on passer de son statut habituel, à brusquement celui de ‘malade mental’ ? Pour les soignants non formés ce drame se déroule devant eux dans la plus grande indifférence, ainsi le désir du ‘plus jamais ça’ persiste, il concerne une autre réalité, c’est un vrai défi qui reste à vaincre, malgré tout dans cette rencontre avec le trouble et la souffrance, il pose une vraie énigme, qu’aucun texte  ne peut modifier,

--quand au soutien des échanges professionnels antérieurs, mis en miettes par l’éclatement du syndicalisme sous le poids du corporatisme et la disparition du corps infirmier, un nouvel espoir doit naître car ce soutien a été remplacé par un nouvel allié, déjà annoncé dans le Rapport Demay, même s’il n’a jusqu’alors pas entrainé un intérêt profond. Ce nouvel allié ce sont les patients, les usagers et les familles, les parents de malades. Rassemblés en Associations Nationales, ces derniers ont acquis compétence, maturité, mesure, distance par rapport à leurs souffrances ; c’est une réalité forte qui est à découvrir auprès d’eux ; elle oblige à un renversement de nos conceptions de la psychiatrie, renouvelées ici par la parole des usagers, vrais acteurs.

 

CONCLUSION

Au total si nous sommes lucides nous acceptons d’affirmer que la seule façon de faire évoluer la psychiatrie, c’est de mettre un terme à l’inhumain de l’hôpital classique et de sa gestion , inadaptés à la pratique d’une psychiatrie humaine. Le lieu du soin en psychiatrie doit toujours être ‘proximal’, car il s’appuie d’abord (avant toute technique) sur l’environnement relationnel de chacun. Nous n’abandonnons pas pour autant l’importance de l’élaboration technique dans le soin à construire alors, c’est ce que nous allons souligner dans cet hommage final aux soignants de la commission Demay et à leurs amis.

Nous avons aujourd’hui en mains deux ‘atouts’ majeurs :

1-le premier est le constat que nous sommes amenés à faire devant vous en mémoire de nos amis du rapport Demay, c’est cette fantastique ‘RESISTANCE’ de la psychiatrie de secteur ! Malgré tous ces obstacles, toutes ces attaques, aussi bien internes qu’externes, dont nous venons d’évoquer certaines, nous constatons que la psychiatrie de secteur résiste !

Malgré tous les rapports demandés par l’Etat dans le but de l’écarter (excepté les rapports avec Piel), elle est toujours là !

Pourquoi donc ?

Eh bien parce qu’elle a fait sur le terrain la preuve de la pertinence de son hypothèse :

« tout soignant, qu’il fasse partie d’une équipe riche ou d’une équipe pauvre, qu’il soit pessimiste ou optimiste, a inscrit dans son activité quotidienne le ‘travail sur la continuité des soins’ tout au long de la vie de chaque patient en s’appuyant sur l’environnement propre  de celui ci». Et en effet tout soin psychique qui établit cette continuité des soins en s’appuyant sur les ressources de la famille et des proches du patient, élabore une co-construction de la personne dans sa vie psychique jusque dans l’exercice de sa citoyenneté. C’est simplement la découverte de l’humain dans le soin, dans la continuité du soin, découverte universelle (faite aussi au Canada, en Suisse, mais aussi dans un travail de psychiatrie libérale s’appuyant sur tous les liens…), et cette découverte est ‘irréversible’. Cette découverte de base peut devenir d’une force encore plus considérable si sa pertinence est reconnue et si elle est approfondie, complétée, par une réflexion clinique constante, ce qui n’est pas le cas actuellement, faute d’enseignement adéquat ; cette résistance, il nous reste comme au rugby à la ‘transformer’ aujourd’hui…

2-l’autre atout était déjà entre les mains des acteurs de la commission Demay, car la vraie question posée aujourd’hui, c’est celle de notre capacité d’en assurer la transmission, car elle renforce considérablement la notion de continuité des soins, origine de la résistance de la psychiatrie de secteur .

Cet atout, j’en emprunte la description à la patronne que nous avons Dimitri et moi en commun, Hélène Chaigneau (certains de mes amis m’excuseront de ne pas les avoir choisis ici, ainsi Jean Oury, Pierre Delion, Gaëtano Benedetti, eux ce sont des ‘guides héroïques’, ils travaillent sur l’extrême de la difficulté, il faut qu’ils continuent, ne les dérangeons pas de leur mission), restons modestes dans le quotidien du travail de nos équipes.

J’ai été voir Hélène Chaigneau lundi et je lui ai expliqué l’enjeu de notre rencontre d’aujourd’hui à Laragne, qu’elle affectionne. Je lui ai demandé si elle acceptait que je témoigne de son travail, et de la façon dont elle ‘enseignait’. Hélène m’a dit : « Vous les embrassez d’abord. Après, faites ce que vous voulez de ce que vous appelez ‘mon enseignement’, si c’est de la encontre avec le patient dont vous parlez, je crois que c’est important, c’est vrai. »

Dans l’équipe d’Hélène Chaigneau quand on se trouvait devant une difficulté dans un soin, on venait la trouver, on venait avec un patient, ou bien elle venait dans notre pavillon de l’hôpital, ou encore dans une rencontre plurielle que d’aucuns appelaient aussi ‘présentation’ parce que c’était le seul lieu où des soignants étrangers à l’équipe pouvaient venir pour travailler avec elle.

Quelque chose de très simple se déroulait alors devant nous :

-elle s’asseyait en face du patient, à moins d’un mètre,

-il arrivait qu’elle lui prenne la main, ou le touche,

-elle le regardait, et ne le lâchait plus du regard, pas un instant,

-elle commençait à lui parler de faits tout simples, à partir de son vécu actuel, reprenant une partie de ses propos, et associant autour d’eux,

-elle écoutait, elle parlait, acceptait des silences, mais ne les laissait pas se prolonger,

-le patient qu’il soit délirant, ou en retrait, voire absent, était peu à peu pris dans un échange, dans un lien précis et fort en train de se tisser là, et réagissait avec intérêt,

-autour d’eux personne ne disait rien, car c’était comme s’il n’y avait personne d’autre, nos deux acteurs étaient seuls dans une bulle,

-puis à un moment, la ‘bulle’ s’ouvrait, et l’un ou l’autre d’entre nous, pas forcément le médecin, mais quelqu’un qui ‘comptait’ dans ce dont il était question, se voyait appelé par Hélène à mettre son grain de sel, et l’échange s’enrichissait avec l’inclusion de cette personne, mais juste ce qu’il fallait pour continuer l’entretien précis qui venait de s’engager,

-un lien nouveau s’était établi aussi, entre deux mondes, et il semblait être question d’avoir à le continuer après l’entretien et de construire quelque chose avec,

-puis l’entretien s’arrêtait, on accompagnait le patient,

-ainsi ce qui venait de se mettre en place n’était pas une discussion sur un diagnostic ou sur un traitement, c’était un lien, souvent autour d’un fait concret,

-et pendant tout ce temps, même après, dans des commentaires ‘of’, tout se discutait encore sans qu’Hélène ne prononce un seul de ces grand mots, ni ‘œdipe’, ni castration, ni transfert, …et je ne vous parle pas du nom du père !

 

Eh bien ! ce dont je voudrais témoigner c’est que cette capacité de liens, cette connaissance de l’humain chez toute personne souffrant de troubles psychiques, c’était bien présent dans l’esprit de tous les membres de la commission Demay.

Et ce dont je suis sûr aussi c’est que cet esprit est présent ici aussi à Laragne, d’ailleurs Hélène, vous l’avez souvent invitée à venir travailler avec vous.

Aujourd’hui il y a ici même, plein « d’Hélène Chaigneau » (elle me pardonnera, ‘peut-être’ -car elle était la rigueur même-), même si les conditions de travail changent quand nous sommes hors hôpital, il y en a plein ici d’Hélène Chaigneau, quand nous acceptons de ne pas nous plaindre, quand vous faites un travail du même ordre, participant aux retrouvailles de l’autre, malade, avec lui, avec nous.

 

Le Rapport Demay ne s’est pas construit sur une plainte, et pourtant la psychiatrie était plus pauvre qu’aujourd’hui, la psychiatrie de secteur n’avait pas encore fait ses preuves, ce qu’elle a fait surtout ces dernières années. Même maintenant comme elle n’a pas été encore appliquée réellement partout, ou qu’elle a été abandonnée à elle même ; dans certains endroits elle commence à peine ! Et pourtant partout les soignants ont inscrit la continuité du soin dans leur travail. Certes ceci va beaucoup plus loin lorsque les lits de l’équipe de secteur ont pu être installés en pleine ville hors hôpital, associés à une petite équipe d’‘accueil’ proche.

 

Ainsi le Rapport Demay a proposé des axes de combat autour de certitudes :

-l’homme est à respecter et à reconnaître avant d’avoir recours à toute technique de soin autre, -la dimension humaine de toute action de soin, de toute organisation s’impose avant toute procédure de gestion,

-la rencontre humaine est à installer dans tout soin, même s’il s’agit d’un soin hospitalier, d’où la nécessité urgente d’installer les lits en ville à proximité de l’environnement humain du patient, devenant ainsi simplement accessible.

Voilà les armes nécessaires pour s’attaquer à ce défi qu’est la folie.

Quand au reste vous l’avez, c’est le souffle, c’est l’espoir, c’est la reconnaissance de la complexité que représente la folie. Pour cette complexité, -‘suivez mon regard’, selon le mot malicieux de L Bonnafé- : en effet il ne saurait y avoir de psychiatrie de secteur sans équipe, sans amitiés entre ses acteurs, sans liens entre eux.

Cela, est ce une utopie ?

Ou un acte concret ?

A vous de le dire jusque dans vos actes.’’


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