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Folie et Société : regards historiques

 

Du Moyen Âge à nos jours, les attitudes de méfiance et d’exclusion à l’égard des « fous » ont toujours été omniprésentes. Aujourd’hui comme hier, les mêmes mécanismes semblent à l’œuvre : celles d’une société qui cherche avant tout à se protéger d’un danger potentiel.

 

Moyen Âge : la théorie du diable

 

Au Moyen Âge, la folie n’est pas encore abordée sous l’angle médical, c’est le discours religieux et moral qui domine. Considéré comme une menace, car il refuse de se plier aux règles morales en vigueur, le « fou » est poursuivi au moment de l'inquisition. Il est brûlé, enfermé dans des tours (« Narrenturm », les prémices des futurs hôpitaux psychiatriques), ou embarqué sur des bateaux (« nefs des fous »). Il est considéré comme hérétique, possédé par le diable, son discours jugé non pertinent, car incompréhensible. 

            À l’opposé, le « fou du roi » est un personnage respecté. Insolent, satirique, il est celui qui « dit tout haut ce que tout le monde pense tout bas ». Il a donc un rôle de révélateur des vérités cachées. Il y a même une fête qui lui est dédié : la « fête des fous ». Lors de cette manifestation publique, tout le monde a le droit de se moquer des valeurs dominantes, les représentants de l’Eglise sont tournés en dérision, les rôles échangés. Bien que le « fou du roi » ne manque pas de finesse, son comportement sans retenue est associé à la déficience mentale.

 

 

Renaissance : le « Grand Renfermement »

 

            Michel Foucault décrit cette période dans son ouvrage « L’Histoire de la Folie à l'Âge Classique ». Selon Foucault, c’est la fondation de l'Hôpital Général en 1656 qui marque le début du « Grand Renfermement ». Sont alors mélangés dans ces structures tous ceux considérés comme « anormaux », aussi bien les « fous », que les libertins, prostitués, mendiants, criminels, sorciers. Le « fou » ne bénéficie pas de soins, on se contente de l’enfermer, l’enchaîner.

            Le concept de norme apparaît au 17e siècle et va instaurer une dialectique entre le « normal » et « l'anormal », ainsi qu’un phénomène d'exclusion toujours d’actualité aujourd’hui. À l’époque, les « fous » sont considérés comme fauteurs de troubles ou « oisifs » à côte de ceux qui font fonctionner l'économie (les « travailleurs »). Ils constituent une menace pour l'ordre public et les valeurs dominantes que représente la bourgeoisie. Selon Michel Foucault, les « fous » sont victimes d'une société qui, pour exister, a besoin de les exclure.

 

 

 

De la Révolution Française à aujourd’hui : signes d’ouverture

 

            Un changement de regard va s'opérer autour de la révolution de 1789. Une loi de 1790 introduit la création d'hôpitaux destinés uniquement aux « insensés », l'internement pour fautes morales, libertinage et conflits familiaux sera fortement réduit. Le concept de maladie mentale apparaît. Le traitement de la « folie » va alors se médicaliser. On va dorénavant enfermer pour soigner et non plus uniquement pour punir. 

            Avec Philippe Pinel, médecin-chef à la Salpêtrière de 1795-1820, le regard porté sur la « folie » deviendra plus nuancé, le traitement plus humain. Le « fou » ne sera plus considéré comme celui qui a perdu toute vérité, mais plutôt sa vérité. « Quand on parlera maintenant d'un homme fou, on désigne celui qui a quitté la terre de sa vérité immédiate, et qui s’est lui-même perdu. »[1]

            La loi du 30 juin 1838, dite « loi des aliénés » va réformer les conditions d'hospitalisation des malades instaurant notamment la distinction entre « hospitalisation libre » et « hospitalisation sous contrainte ».

            Deux siècles plus tard, cette loi vient d’être réformée pour la deuxième fois après 1990. Beaucoup de choses ont évolué. Depuis les années 50, la psychiatrie a commencé à ouvrir ses portes. Aujourd’hui, 75% des patients sont suivis à l’extérieur de l’hôpital, l’internement sous contrainte ne concerne plus que 15% des patients hospitalisés.

Néanmoins, le discours sécuritaire qu’on entend depuis quelques années a réveillé les craintes d’un retour en arrière vers une psychiatrie qui enferme davantage qu’elle ne soigne. En effet, tout en proposant des ouvertures (les soins sans consentement en ambulatoire, l’introduction du Juge dans le dispositif), la nouvelle loi semble surtout renforcer le contrôle social (à travers la création d’un fichier psychiatrique, la restriction des libertés des malades jugés « potentiellement dangereux »), preuve d’une méfiance à l’égard de la « folie » toujours d’actualité aujourd’hui.

 

 

Marc Oeynhausen

Rédacteur indépendant

 

 

 

 

Bibliographie :

 

FOUCAULT Michel (1972). Histoire de la Folie à l'Âge Classique, Editions Gallimard

RELANGE Renee (1998). La Fête des Fous dans l’Encyclopédie. Recherches sur Diderot et sur l'Encyclopédie, 25

FOSSIER Arnaud (2004, Octobre). Le non-sens de la folie : replonger le Moyen-Age dans l’interaction. Tracés, 9-23



[1]FOUCAULT Michel (1972). Histoire de la Folie à l'Âge Classique, Editions Gallimard, p. 400