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Formatrice et pourtant…


Formatrice et pourtant…

 

Quel est ce paradoxe , à cette heure et en ce lieu , un IFSI, à soudain hésiter à prendre la parole , alors que la place du formateur est de dire , d’expliquer , de s’adresser à des futurs professionnels légitimement en attente de savoir , d’apprendre…

Si tant est , qu’est ce qui légitime cette prise de parole ? Etre formateur , c’est « être du métier  de celui qui est « bien placé » pour parler…. ?

 

Pourtant Michel Foucault , commençait  ainsi sa  leçon inaugurale intitulée « l’ordre du discours »au collège de France en1970 (1) :

 

« Plutôt que de prendre la parole, j’aurais voulu être enveloppée par elle , et portée bien au delà de tout commencement possible .J’aurais aimé m’apercevoir qu’au moment de parler , une voix sans nom me précédait depuis longtemps : il m’aurait suffit alors d’enchaîner , de poursuivre la phrase, de me loger , sans qu’on y prenne bien garde , dans ses interstices, comme si elle m’avait fait signe en se tenant , un instant , en suspens. De commencement , il n’y en aurait donc pas , et au lieu d’être « celui » dont vient le discours , je serais plutôt au hasard de son déroulement , une mince lacune , le point de sa disparition possible. »

Il y a chez beaucoup , continue Michel Foucault  , un pareil désir de n’avoir pas à commencer , un pareil désir de se retrouver , d’entrée de jeu , de l’autre côté du discours , sans avoir à considérer de l’extérieur ce qu’il pourrait avoir de singulier , de redoutable , de maléfique peut-être… »

 

Ce paradoxe , parfois ressenti comme un malaise , fait émerger des doutes , des questionnements,  sur les pratiques actuelles du formateur en IFSI  .  Il peut être perçu comme inconfortable , ou bien même antinomique «  un formateur ne doute pas… ». Pourtant , n’est –ce pas  le doute qui pousse à être en recherche  , qui invite à analyser les pratiques ?

 

Cà commence…

Recherchons donc du côté de l’étymologie si la formation ne recèle pas ,par essence, un paradoxe caché !

 

Forme (2) : « famille du groupe « morphé » , « forme » et du latin « forma » « moule-objet moulé ». Mots d’étymologie obscure qui semblent liés l’un à l’autre par un rapport de métathèse.

Le mot latin par extension a été emprunté au grec par l’intermédiaire de l’étrusque.

 

L’appartenance de « forme » à la famille de Morphée et ses liens avec la formation méritent un détour plus approfondi : (3)

Morphé en grec Morpheus est l’un des nombreux enfants d’Hypnos (le sommeil) représenté souvent comme un jeune homme ailé. Il dispense aux mortels le sommeil en les touchant d’une fleur de Pavot et il suscite des rêves dans lesquels il prend la forme ( en grec morphé) de différents personnages (cf l’expression être dans les bras de Morphée).

 

Plus précisément, Morphée est « le fils d’Hpnos et de Nyx (nuit) . Il est le dieu des rêves et des songes , dont le nom signifie celui qui reproduit des formes. » Il possède de grandes ailes qui battent rapidement et sans bruit. » (4)

 

Hypnos , (5) Dieu du sommeil « avait sa demeure dans le sombre pays des Cimmériens, au fond d’une vallée profonde où jamais le soleil ne brillait, où toutes choses étaient drapées d’une ombre crépusculaire »… « un seul son s’y faisait entendre , celui du lent et paisible Léthé, fleuve de l’Oubli dont les eaux murmurantes incitent au somme. Devant la porte fleurissaient des pavots. »

 

et encore :

 « Virgile, après la description de la descente d'Énée aux Enfers, rapporte que les rêves seront envoyés par les âmes des morts. Ceux qui racontent la vérité sortiront par une porte de corne tandis que les rêves trompeurs emprunteront une porte d'ivoire. "L'Iliade" rapporte que Zeus enverra un rêve trompeur à Agamemnon et lui demandera de combattre les Troyens en passe d'être vaincus. Zeus souhaitaient ainsi permettre aux Troyens de repousser les Achéens jusqu'à leurs navires. Le rêve, sous l'apparence du vieux conseiller Nestor, s'installera près du lit d'Agamemnon. Le plus célèbre Rêve, Morphée, prendra la forme d'êtres humains et un autre, Icélos, l'apparence de monstres. »

 

L’évolution du mot « formation » nous apprend que  « la métathèse décrit le passage de Morphée à forma ». Avec le passage du grec au latin , le sens se modifie en « moule , objet moulé » .

Il perd en même temps sa référence divine : « Morphée » , qui pouvait être traduit en grec ancien à la fois  comme « modeleur » ou « créateur » protéiforme  , et  générateur de rêve .

 

Retenons peut-être la référence au « rêve » , comme l’image d’une ouverture , d’un espace symbolique entre l’emboîtement trop parfait de la forme et du moule… ou encore , d’un point de vue psychanalytique, le « rêve » comme expression d’un désir …  

 

Loin des standards…

Quand  j’ai moi même débuté mes études d’infirmière de secteur psychiatrique, il y a 20 ans , j’ai réellement subi un choc, j’étais ahurie par ce qui se passait :

Dans cette école , les formateurs avaient décidé de nous attendre pour construire le projet pédagogique .

Aucun « cours » n’avait été  prévu .A la place,  des réunions pour construire ensemble le projet pédagogique .

 Les semaines passaient sans que nous parvenions à nous mettre d’accord, le stress grandissait ( nous prenions du retard sur le programme ! )

Finalement , nous prîmes une décision : d’un côté , ceux qui voulaient démarrer la formation sous une forme plus classique , les autres optant pour un système de co-gestion formateurs , élèves , pour rechercher les intervenants , organiser les cours etc…

 

Une vingtaine d’élèves votèrent pour la première solution ,une douzaine pour l’autre ; je choisis d’être dans les douze , curieuse de vivre une expérience si innovante : participer à l’élaboration du projet pédagogique , avoir le choix des moyens pédagogiques , privilégier le travail en petits  groupes …

J’étais curieuse de tenter cette expérience pédagogique autorisée ,qui plus est , au sein d’une institution que je pensais plutôt « stricte » , dans la représentation que j’avais d’une formation professionnelle infirmière .

 

Dans cette histoire , une frustration , nos formateurs n’avaient de cesse que de nous renvoyer à nous même , quand nous posions la fameuse question « oui mais dans ce cas là que faut-il faire ? » les réponses allaient plutôt du côté de l’être que du savoir théorique.

 

Aujourd’hui encore , je trouve que nous avons eu de la chance de rencontrer ces formateurs , qui se refusaient si fermement à nous donner des recettes, qui nous permettaient de d’avantage nous centrer sur la rencontre , la découverte de soi, de l’autre , avec surtout beaucoup d’humour !

Ils préfiguraient bien que (6) « le soin en psychiatrie s’inscrit comme la création d’une relation humaine et soignante » et «  on peut bien forger toutes les conduites à tenir du monde, il y a dans la relation à l’autre un investissement chaque fois différent. Chaque infirmier est susceptible à un moment donné d’être confronté à un problème qu’il n’a pas lui même surmonté ».

 

Nous avons eu la possibilité , en participant à l’élaboration du projet pédagogique , de créer des situations de formation qui nous mettaient au travail .

Nous n’étions pas gavés , nous étions en demande de formation ;

Nous n’étions pas pressurisés par des dates d’évaluation , nous avions en main des échéances , nous savions aussi utiliser les manuels pour trouver les connaissances requises pour passer le diplôme dans le respect du programme , mais il y avait de la place pour la rencontre.

 

Au final , nous avons tous eu notre diplôme, et au delà de cette question , notre promotion aura je crois gardé des souvenirs impérissables ,et des moments de rencontres exceptionnelles , que ce soit dans l’un ou dans l’autre groupe.

 

Former sans savoir…

 

Après dix ans d’exercice en tant qu’infirmière , j’ai fait part à mes collègues , en sortant de l’école de cadres , de mon projet d’être formatrice , j’ai beaucoup appris de leur réactions : pour beaucoup d’entre eux , former , c’est se mettre à la place de celui qui est supposé savoir , qui peut exercer son autorité , son pouvoir sur l’autre en lui mettant une note ! comment pouvais- je me mettre à cette place là ! je savais donc tant de choses ? …

 

Au fond , j’étais plus proche de l’état d’esprit des patients qui , quand je leur annonçais mon départ du service , étaient plutôt contents , intéressés , parfois admiratifs d’ailleurs de la « noble » mission de former. 

 

Je me suis  mise à cette place , sans en mesurer tous les paramètres par avance : « Savoir pouvoir , savoir maîtrise… », aspects que je n’ignorais pas , mais que je ne mettais pas au premier plan , préférant aller du côté de mon désir d’exercer ce métier. J’avais déjà réalisé quelques interventions en IFSI (à l’époque Centres de Formation) en tant qu’infirmière.

 

Curieusement , devenant formatrice, j’ai assez rapidement cessé de faire part de mon expérience qui me paraissait réductrice.

J’ai ainsi prodigué un enseignement que je voulais le plus exhaustif possible.

Bref, un enseignement de psychiatrie qui aille du côté des « standards » , des règles essentielles à appliquer , à retenir , enfin l’objectivité tant recherchée par les professionnels , tant enseignée dans les écoles , au nom du savoir scientifique , reproductible .

Cette position me semble aujourd’hui impossible à tenir.

 

Retour à la clinique…et à Morphée 

 

Pourquoi ai-je voulu oublier, partant justement de mon expérience d’infirmière de secteur psychiatrique, que le patient vient toujours nous chercher, nous, soignants,  là où nous sommes éminemment humains , c’est à dire dans notre propre subjectivité ?

Bercée peut-être par le fleuve Léthé ……..?

C’est dans ces rencontres de patients , le plus souvent dérangeantes , il faut bien le dire , que j’ai  très vite ressenti , ainsi que quatre ou cinq de mes collègues « nouveaux diplômés », la nécessité d’une supervision clinique , avec un analyste extraordinaire .

Extraordinaire , parce ce que ce que nous vivions , englués dans nos projections , nos identifications , se parlait , s’ouvrait sur d’autres possibles , et c’était salutaire.

 

Voici deux exemples de situations pour illustrer mon propos :

 

Je me souviens très précisément de ce patient entravé , en attente d’une place en UMD .Le chef de service avait strictement interdit aux infirmières femmes de s’occuper de lui , de rentrer dans sa chambre. J’avais bien sûr respecté scrupuleusement les consignes ,comme mes autres collègues femmes infirmières  car une distance « prescrite »  c’est rassurant dans un premier temps ;

puis c’est en entendant nos collègues infirmiers hommes revenir de cette chambre en exprimant leur sentiment d’incompréhension de cette consigne , que bon nombre de personnes dans l’équipe questionnèrent le médecin sur le « sens «  de cette consigne , prescription comportementale « sécuritaire » ; Le médecin choisit  de maintenir sa position , sans qu’une alternative ne puisse être pensée. 

 

C’est justement   ce patient là , qui est venu me hanter dans mon sommeil , je rêvais de lui : il est apparu dans ce rêve , toujours dans cette chambre d’isolement , toujours entravé , mais horriblement couvert de poils , comme un animal.

Ce rêve mettait en scène une sorte « d’impasse thérapeutique » de cet isolement que nous percevions comme déshumanisant pour ce jeune homme.

Cette situation était dénuée de sens, et dans le réel , la place de la parole était interrompue par le maintien de cette consigne.

Finalement , cette distance prescrite prétendue sécuritaire générait des fantasmes peut être plus terrifiants que ne l’aurait été le contact avec ce patient .

Autre situation difficile ,  avec cet homme qui prenait plaisir à « apparaître » discrètement sans faire de bruit dans l’encadrure de la porte , toujours visiblement heureux de me surprendre , s’excusant toujours poliment du dérangement qu’il causait…

Il m’insupportait à force de se présenter avec des plaintes somatiques incessantes, de douleurs répétées impossibles à soulager .

En supervision , j’ai pu parler de ce sentiment d’envahissement : Ce patient  venait se plaindre d’un mal , puis d’un autre , qui appelait pour le coup vraisemblablement des mots que moi , je n’avais pas.

 

Il me laissait sans voix ; l’identification projective faisait peut-être son œuvre ;

Dans toutes ces situations,  ce n’est pas moi qui avait la parole , j’avais encore moins le « dernier mot » ; les maux du patient avaient besoin d’être métabolisés , je ne parvenais pas à y trouver du sens…

 

La construction d’un savoir tout autre….

 

C’est bien grâce à ce travail de supervision, à ces paroles échangées dans un temps et un lieu cadré, que ma formation s’est construite dans l’après coup de L’Ecole .

 

C’est bien grâce à la prise en considération de ce que ces situations réelles réactivaient au niveau fantasmatique , en utilisant ce matériel , en prenant la parole, justement , qu’il m’était alors possible de retourner vers ces mêmes patients , ceux là même qui m’insupportaient , et le malaise s’estompait , grâce à l’élaboration psychique , du sens revenait .

 

C’est bien les patients qui ont été les premières personnes qui m’ont « appris ». C’est aussi au contact des infirmiers , psychologues , qui par leur manière de faire (remarquée souvent parce ce qu’elle était plutôt à contre-courant des « standards ») , que je me suis enrichie de ces expériences .

Plus précisément , ces personnes apparaissaient à contre –courant , parce qu’elles se distinguaient toujours du « on » , de l’ « équipe » rassurante , certes , mais « impersonnelle ». Je les ai vu s’engager dans une relation au patient , justement très « personnelle » , contraignante aussi , car cette relation , tissée au fil du temps , tenait par un « engagement dans la parole échangée » , tenait parce que c’était « cet  infirmier là , ce psychologue là »,  avec « ce patient là et lui seul » .

Il n’était pas possible de « remplacer » qui que ce soit .

Le respect de ce processus , travail de longue haleine, portait ses fruits. 

 

L’expérience parlée …

 

Revenons à la formation , et plus précisément à l’enseignement de la psychiatrie . 

Comment alors transmettre cette expérience , ce qui a pris sens pour soi , de manière si individuelle ?

Et comment le transmettre à un groupe ?

Comment ne pas standardiser cet enseignement qui touche à l’intime de l’être humain , à sa liberté , à sa subjectivité ?

Comment former sans imposer « une forme », un « moule » ?  

 

Comment redonner à la formation sa dimension « protéïforme », en référence à l’étymologie pré-citée ?

Les apports de la psychanalyse nous rappellent bien sûr que l’inconscient existe, même dans les instituts de formation.

Si le savoir technique et scientifique nous est indispensable , il existe aussi un autre type de savoir qui ne le supplante pas , c’est le « savoir inconscient » .

« Cà travaille », au sens psychanalytique du terme, encore faut-il que nous, formateurs, laissions de la place dans ce système de formation encore très centré sur des contenus à acquérir , à autre chose qu’à du « gavage » souvent décrié par les étudiants eux mêmes ;

 

Parce que la discipline de la psychiatrie pose plus de questions qu’elle n’apporte de réponses, je me place aujourd’hui en tant que formatrice cherchant à ouvrir le débat, plutôt que le clore par un « savoir dit maîtrisé »…et je rends un très sincère hommage à tous ceux et celles qui avant moi , ont écrit et su faire partager avec autant de talent leur « savoir infirmier ».

« je comprends mieux pourquoi j’éprouvais tant de difficultés à commencer tout à l’heure »(1) à écrire…

 

 

Danielle TODESCO
Décembre 05

 

bibliographie :

1 :FOUCAULT Michel , l’ordre du discours  ,édition Gallimard 1971

2 :PICOCHE Jacqueline , dictionnaire étymologique du français , collection les usuels, édition 2002

3 :Petit Robert des Noms Propres , édition 2001

4 :grenier2clio.free.fr/grec/texte/alcycone.htm ,mythologie gréco-romaine :Céyx et Alcyone

5 :HAMILTON Edith, la Mythologie, édition Marabout 1978

6 :DIGONNET Emmanuel. , FRIARD Dominique., LEYRELOUP Anne. Marie , RAJABLAT Marie. ,Psychose, Schizophrénie et soins infirmiers, une approche clinique du traitement et des soins, édition Masson 2004

7 :MELMAN Charles , « qu’est-ce qu’éduquer un enfant ? » in :  Le bulletin freudien n°20, Avril 1993

 

 

 

 

 


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