Sonia PETIT
Cadre de
santé formateur
Le soin relationnel dans la formation
infirmière, un engagement professionnel
Lors
d'une mise en situation professionnelle, une étudiante infirmière réalise un
soin auprès d'un patient. Elle est amenée à accueillir son épouse et à parler avec
eux du retour au domicile. L’épouse pose de nombreuses questions auxquelles
l’étudiante répond de manière pertinente. Un peu plus tard, lorsqu’elle
présente le projet de soins, elle ne mentionne à aucun moment son action
d'accueil et d'information relative à la continuité des soins. Interrogée
à ce propos, elle explique que son action était « naturelle » ; elle ne la
verbalise pas et donc
ne la pense pas comme un acte constitutif de l'activité
professionnelle infirmière.
Ce
sont des situations répétées de ce type qui ont suscité mon travail de
recherche. Mon but était de déterminer la place et le rôle du soin
relationnel dans la formation infirmière. Pourquoi ce soin, pourtant au centre des pratiques
infirmières, était-il, a priori, si peu mis en évidence dans la formation,
alors même qu’il peut permettre la professionnalisation du métier et la
construction identitaire des étudiants ?
La recherche, menée sous un angle sociologique, s’est appliquée
à analyser les informations recueillies lors d’entretiens individuels auprès de
formateurs et d’entretiens collectifs auprès d’étudiants en fin de formation
infirmière. Nous avons complété cette étude par des observations et une analyse
documentaire.
Complexité
du soin relationnel et professionnalisation : des mots, une histoire, un enjeu
La recherche a tout d'abord montré
la complexité du soin relationnel dont
la terminologie est inscrite dans une histoire avec un enjeu de
professionnalisation.
La
terminologie
Dans les années 1950/1960, grâce à la psychanalyse et au courant de psychologie humaniste, le terme de « soin relationnel » apparaît en même temps que se développe sa pratique en psychiatrie et dans les soins dit « généraux ». L'expression « relation soignant-soigné » fait alors son apparition et contribue à illustrer une conception nouvelle des soins infirmiers s'inscrivant dans une approche globale de la personne soignée. La relation soignant-soigné ou les interactions interpersonnelles[1] sont alors considérées comme porteuses de soins ou susceptibles de favoriser la guérison.
Mais ces savoirs trouvent-ils une place dans les textes
réglementant la profession infirmière ?
Force est de constater que le terme de « soin
relationnel » n’apparaît ni dans le décret relatif à l’exercice de la
profession infirmière et aux actes professionnels, ni dans le programme de
formation infirmière de 1992. On retrouve cependant la dimension relationnelle
du soin au travers de cinq actes dont quatre relèvent du rôle propre infirmier
et un de la prescription médicale.
-
«L'entretien d'accueil privilégiant l'écoute de la
personne avec orientation si nécessaire » (Art. R4311-5-40°) : l'acte est défini par une technique et un
objectif.
-
«Aide et soutien psychologique» (Art. R4311-5-41°) : l'acte n'est pas plus
explicité dans le texte, mais cette expression est la définition du soin
relationnel du Dictionnaire des soins infirmiers[2]..
-
«L'entretien
d'accueil du patient et de son entourage » (Art. R4311-6-1°) : cet acte concerne ici
la santé mentale,
mais sans plus de spécificité.
-
«Activités à visée
sociothérapeutique individuelle ou de groupe » (Art. R4311-6-2°) : les notions de
médiation et d'objectif thérapeutique définissent cet acte spécifique à la
santé mentale.
-
«L'entretien individuel et
utilisation au sein d'une équipe pluridisciplinaire de technique de médiation à visée thérapeutique ou
psychothérapeutique »(Art. R4311-7-42°) : cet acte relève de la prescription
médicale. Il inscrit le soin relationnel dans un cadre de pluridisciplinarité
et le définit par des techniques et des objectifs le situant dans la proximité
de l'activité du psychologue.
Le soin relationnel apparaît
ainsi comme généraliste dans le cadre du rôle propre infirmier et spécifique
lorsqu’il relève de la prescription médicale.
Si la terminologie de
« soin relationnel » est absente des textes officiels, elle est
bien présente dans les pratiques, sous les termes de « relation
d’aide » et de « relation d’aide thérapeutique » empruntés au
courant humaniste de C. Rogers.[3]
La multiplicité même des
termes utilisés pour désigner le soin relationnel est indicative de sa
complexité comme de sa difficulté à l’appréhender. Cependant, on observe
schématiquement deux types de soin relationnel. L'un, spécifique, s'inscrit dans
un courant de pensée comme celui de la «relation d'aide thérapeutique».
L'autre, généraliste est considéré comme la base de la prise en charge globale
du patient.
Une histoire : les fondements du soin
relationnel
Cette dualité du soin
relationnel est sans doute la résultante de l’histoire
de deux formations infirmières, distinctes jusqu'en 1992 : la formation des
infirmiers diplômés d'État et celle des infirmiers de secteur psychiatrique. En
1979, un premier rapprochement des deux filières se fait à travers la première
année d'étude, identique aux deux formations. En effet, le cycle d'introduction
aux soins infirmiers, module commun, a pour objectif de développer « les
aptitudes à la relation, l'observation, la réflexion afin que les élèves
fournissent des soins infirmiers de base efficaces et adaptés (...) »[4].
Des approfondissements sur les thérapeutiques relationnelles
prévues en 2e et 3e année apparaissent à un moindre
niveau dans la formation conduisant au diplôme d'État. L'histoire n'est pas la
même : le soin relationnel tente de s'inscrire dans l'exercice infirmier en
soins généraux et se développe en psychiatrie, corroborant ainsi la dualité du soin
relationnel, à la fois généraliste et spécifique.
Enjeu de professionnalisation
Le soin relationnel s'est donc
développé en psychiatrie de façon spécifique, devenant essentiel dans des
services de soins centrés sur des prises en charge de personnes atteintes de
maladies graves. Les interactions avec le patient sont sous-tendues par une
visée thérapeutique et induisent la mise en place d'attitudes et de techniques
qui font l'objet d'analyse lors de réunions. Des savoirs relationnels
spécifiques émergent, contribuant à l'enrichissement de la profession
infirmière.
Cette professionnalisation par le soin relationnel,
constatée notamment en psychiatrie, pourrait aussi bien s’étendre à d'autres secteurs de soins
comme la médecine, la chirurgie ou l’obstétrique, à condition que la diffusion de ce soin
soit au centre de la formation infirmière.
Le programme de 1992 et le référentiel
de formation de 2009[5]
La formation au soin
relationnel constitue un des principes pédagogiques du programme de 1992. Il
prescrit un « renforcement des sciences
humaines...afin d'améliorer la relation thérapeutique... »[6]
Le
soin relationnel s'inscrit dans des modules de « sciences humaines »
et de « soins infirmiers » sous le titre de « démarche
relationnelle ». Les termes utilisés pour définir les éléments de contenu
sont souvent empruntés au programme de 1979 conduisant au diplôme d'infirmier
psychiatrique, mais ils n'y sont pas explicités. Les IFSI ont donc toute
latitude pour les préciser et choisir leurs références théoriques. Le soin
relationnel apparaît ainsi de manière généraliste au centre de la pratique
infirmière.
Les
modules de soins infirmiers relatifs à la psychiatrie, à la pédopsychiatrie,
aux urgences et aux personnes âgées notamment, définissent avec précision
certaines actions infirmières relatives au soin relationnel lui conférant ainsi
un caractère spécifique.
Dans
le référentiel de formation de 2009, le terme de soin relationnel apparaît sous
cette dénomination et est inscrit dans des unités d'enseignement relevant de
« savoirs constitutifs des compétences infirmières » nommés
« sciences et techniques infirmières, interventions ». Le soin
relationnel est, de ce fait, placé au cœur du métier.
Les unités d'enseignement (U.E)
appelées « soins relationnels » constituent avec celles de
« psychologie, sociologie, anthropologie » la compétence 6 : « communiquer
et conduire une relation dans un contexte de soins ». Les bases théoriques
du soin relationnel sont signifiées pour cette compétence, qui dans son
intitulé, reste généraliste.
La répartition des trois U.E du soin
relationnel vise l'apprentissage progressif de concepts relationnels dans
différents contexte de soins. Lors du semestre 2 de la formation, le soin
relationnel est abordé sous l'angle généraliste de la communication, notamment
non verbale et par le toucher. Puis en semestre 3, les enseignements visent
notamment à développer la relation de confiance à travers l'entretien
infirmier. Enfin au semestre
Les recommandations pédagogiques qui
accompagnent les unités d'enseignement insistent sur un « travail de réflexion ...mené sur la
posture professionnelle dans la relation soignant soigné ».
Un soin relationnel plus
spécifique apparait au travers de la compétence 4 («mettre
en œuvre des actions à visée diagnostique et thérapeutique »), dans les
unités d'enseignement intitulées « soins palliatifs et de fin de
vie » et « thérapeutiques et contribution au diagnostic
médical ». Il est à noter que s'il
relève d'une spécialité, il n'est cependant pas nommé en tant que
« soin relationnel».
Concernant les soins palliatifs, il se
retrouve sous les termes de « accompagnement de la personne et de sa
famille », « relation », « communication »,
« prise en compte des besoins psychologiques...». Pour l'unité d'enseignement
sur les thérapeutiques, le soin relationnel est cité sous les appellations
suivantes : les activités sociothérapeutiques, socioéducatives, les actes à
visée psychothérapique et la médiation thérapeutique. Il s'agit des actes
relationnels relevant du rôle infirmier prescrit. Dans ces deux unités
d'enseignement, les éléments de contenu du soin relationnel spécifique ne sont
pas explicités, laissant toute liberté aux IFSI.
Si le référentiel de
formation de 2009 formalise le soin relationnel aux travers de ses unités
d'enseignement et le présente comme constitutif d'une compétence infirmière, il
laisse dans l'ombre le soin relationnel spécifique.
Alors que le soin relationnel reste complexe, comment est-il diffusé
auprès des étudiants infirmiers ?
Modalités
de diffusion du soin relationnel : entre le formel et l'informel
La diffusion du soin relationnel dans les IFSI
s’inscrit-elle dans une démarche formelle ou tacite ? Sur quelles
références théoriques les formateurs et les étudiants peuvent-ils s’appuyer
pour appréhender ce concept ?
Entre
références théoriques et pratiques : une analyse documentaire
Nous avons recherché comment le soin relationnel était traité dans la presse professionnelle, au travers de deux revues, l'une généraliste en soins infirmiers[7] et l'autre spécialisée dans le domaine de la psychiatrie[8]. À travers quelques articles évocateurs de la revue « santé mentale »[9], le soin relationnel est envisagé comme un acte spécialisé, nécessitant un savoir-faire et se présentant sous la forme de l'entretien. Les thématiques abordées constitutives du soin relationnel sont la connaissance de soi, les techniques de communication et des références théoriques sur la notion de distance, par exemple. Dans « l'Infirmière magazine », le soin relationnel est quasi absent en tant que sujet spécifique. Mais, il s'insinue dans des articles traitant de la maladie grave, d'éducation thérapeutique ou de la dimension émotionnelle du soin infirmier[10].
Les ouvrages spécialisés, quant à
eux, privilégient soit les références théoriques, soit la description des
pratiques ou bien
encore proposent, de manière pragmatique, des exercices d’apprentissage.
Certains ouvrages[11]
présentent le soin relationnel selon la théorie à laquelle ils se réfèrent
(humaniste, psychanalytique, systémique...) et l'illustrent par des cas
cliniques. D'autres ouvrages décrivent le soin relationnel au travers
d'expériences, notamment dans le domaine des soins palliatifs[12].
Les auteurs formalisent un savoir issu de la pratique en faisant référence à la
théorie de la relation d'aide de C. Rogers. Enfin, le soin relationnel est
décliné de façon pratique par des ouvrages d'entrainement[13].
Ils proposent un modèle pédagogique largement utilisé dans les IFSI: après des
apports synthétiques de connaissances sur la communication et les attitudes à
adopter suivent des exemples puis des situations pour s'exercer.
Quoi qu'il en soit, grâce à la littérature professionnelle,
la diffusion du soin relationnel peut s’appuyer sur des savoirs théoriques,
pratiques et expérientiels. Mais qu'en est-il au sein des IFSI ?
Diffusion du
soin relationnel dans les IFSI
La recherche, effectuée en
Formelle, lorsqu’il s’agit de modules spécifiques comme la
démarche relationnelle et les modules de psychiatrie. Les techniques de
diffusion les plus citées s'appuient sur l'expérimentation avec notamment la
pratique des jeux de rôle. Les formateurs privilégient ainsi la diffusion d'un
savoir par sa pratique sans
faire référence d’emblée aux connaissances théoriques.
Informelle, lorsque le soin relationnel est considéré comme
inné ou en référence au « prendre soin » développé par W. Hesbeen[14]. Sa diffusion n’est alors envisagée que sous la forme
d’une valorisation de l’apprentissage par l’expérience. Une
formatrice explique
ainsi que «tout est matière à faire de la
démarche relationnelle, à être dans la relation». Une autre, à propos du module
sur la communication, observe que «
curieusement on leur (les
étudiants) explique pas trop l'intérêt de ce module. On essaie de leur faire
découvrir par eux-mêmes et, quand on fait le bilan, en général, ils trouvent ça
amusant, ludique et beaucoup nous disent « mais quel est l'intérêt?»».
La diffusion du soin relationnel
apparaît ici centrée sur la découverte par l'amusement, mais le sens est tu. Cette méthode
heuristique, si elle a ses avantages, renvoie néanmoins le soin relationnel
dans le registre de l’implicite,
du tacite et de l'invisible.
Le
référentiel de formation de 2009 encadre la diffusion du soin relationnel
notamment par ses « recommandations pédagogiques ». Il est préconisé
des « modalités pédagogiques actives (étude de situation, jeux de
rôle...)... » ce qui était déjà constitutif de la diffusion formelle du
soin relationnel. Quant au travail de « réflexion sur la posture
professionnelle », il est précisé qu'il se fait, notamment, par l'analyse
de situations, de reconnaissance des émotions et de prise de conscience des
représentations. Ces dernières préconisations pourraient contribuer à une
diffusion plus formelle du soin relationnel.
La mise en œuvre de ces recommandations
est en cours et bien que la diffusion du soin relationnel tende à se
formaliser, nous n'avons pas suffisamment de recul pour l'affirmer.
La
difficulté d'une diffusion formalisée du soin relationnel reste présente et
nous interroge sur la façon d'envisager son évaluation ?
L'évaluation
du soin relationnel dans les IFSI
Nous avons étudié des grilles d’évaluation de mise en
situation professionnelle (MSP) de quatre IFSI et deux autres, élaborées
régionalement pour l’obtention du diplôme d’État.
L’évaluation de ce soin n’est
pas formalisée dans tous les IFSI. Quand elle existe, elle se décline de
façon singulière selon les instituts, montrant ainsi la perception subjective
de ce soin. Par exemple, une
formatrice explique : « (...) C'est du relationnel, si t'as la couverture en
boule au pied du lit et que la personne a froid et qu'elle (l'étudiante) ne le
voit pas, pour moi c'est de l'attention à l'autre, c'est du relationnel
(...) ».
L'évaluation
du soin relationnel s'inscrit ici dans la dimension vaste du « prendre
soin ». En effet, certaines grilles évaluent « la dimension
relationnelle du soin » qui est distinguée du soin relationnel. C’est le cas des grilles
d’évaluation pour l’obtention du diplôme d’État.
Bien
sûr, en regard de ces approches plurielles, les critères d'évaluation sont
multiples et ne font pas toujours sens commun pour les formateurs et les
étudiants. Ainsi, une étudiante se questionne : « Ben pour moi, je me dis que quelque part j'ai été
évaluée sur quelque chose, après je me suis dit que j'avais été évaluée sur le
relationnel que j'ai eu avec la personne, sur comment j'ai géré ».
Le référentiel de formation de 2009,
plus explicite, prévoit l'évaluation du soin relationnel dans le cadre de ses
unités d'enseignement et en stage, au travers des éléments constitutifs de la
compétence 6 (« communiquer et conduire une relation
dans un contexte de soins »).
Les
modalités d'évaluation du soin relationnel en IFSI le placent dans une
dimension à la fois théorique et pratique. La validation des unités intitulées
« soins relationnels » se fait au travers de la « réflexion avec
utilisation de concepts », par la « mise en situation d'entretien
lors de travaux dirigés » et par « l'analyse d'une situation
relationnelle ». Les critères d'évaluation sont la
« compréhension », « la cohérence » de la relation en
fonction des situations de soins et « l'implication ». Désormais,
l'évaluation du soin relationnel est obligatoire et formalisée. La mise en
œuvre avec l'appropriation des critères est en cours au sein des IFSI.
Concernant
le soin relationnel spécialisé (les activités sociothérapeutiques,
socioéducatives, les actes à visée psychothérapique et la médiation
thérapeutique), il est à noter qu'il n'est pas évalué en IFSI puisque
l'évaluation de l'unité d'enseignement, à laquelle il est rattaché, porte
exclusivement sur la transfusion sanguine.
Le référentiel définit les
modalités d'évaluation du soin relationnel en IFSI et ses recommandations
pédagogiques préconisent que « les soins relationnels soient
réalisés en stage et validés sur le portfolio[15] »,
rappelant ainsi la prépondérance de la pratique.
Les critères d'évaluation sont la « pertinence de l'analyse de la situation relationnelle », « la cohérence dans la mise en œuvre d'une communication adaptée aux personnes soignées et leur entourage » et « la justesse dans la recherche du consentement du patient ». Des indicateurs sont également répertoriés, mais il appartient aux professionnels de santé et aux formateurs d'en faire une lecture objective et référencée.
Alors
que la notion de soin relationnel est complexe et que sa diffusion est en cours
de formalisation,
comment les étudiants perçoivent-ils ce soin dans la pratique infirmière ?
Quelle conception du soin relationnel se forgent-ils ?
Le soin
relationnel, un en-soi
Dans leur pratique, les étudiants ont des difficultés à différencier le soin relationnel d'une aide naturelle à apporter au malade. Ils le considèrent comme un en-soi relevant de la nature et des valeurs de chaque individu. C'est à partir de cet en-soi que les relations avec autrui s'établissent de façon plus ou moins consciente. Elles seront amenées à se professionnaliser dans le cadre de la formation.
Les valeurs
et l'idéal relationnel de l'infirmier(e)
L'en-soi professionnel des
étudiants, analysé à travers leur discours et leur vocabulaire, apparaît comme un terreau
composé de valeurs et d’idéaux qui viendra nourrir leur conception du soin
relationnel.
L'analyse lexicale a montré que les étudiants emploient des mots qui se réfèrent à l'imaginaire de l'enfance et de l'aventure avec une forte connotation religieuse. Ainsi le soin infirmier apparaît-il dans un monde de héros tout-puissants, comme « Goldorak » et « Superman », gérant « la peur », « l'inconnu », « le mystère », en « toute humilité », « dévoué », « donnant de sa personne »... Le discours, quant à lui, souligne les notions de don, de réparation et d'idéal de soi. Ces valeurs sont, pour les étudiants, inhérentes à la profession, à tel point qu'ils les intègrent dans leur trajectoire individuelle pour justifier leur choix professionnel.
Le
discours des étudiants et des formateurs relatif à la profession met en
évidence deux perceptions du soin relationnel. L'une le définit comme une
évidence professionnelle, puisqu'il va de soi que l'exercice infirmier repose
sur la relation au malade. L'autre le considère comme un idéal de la
profession, fédérateur des soins infirmiers. Mais, au-delà de ces deux
représentations du soin relationnel dans la profession, il est à noter
que la valorisation du métier se fait essentiellement au travers de savoirs
qualifiés de «techniques». Pour les étudiants, « la technique » est limitée aux seuls savoirs
gestuels en lien avec l’utilisation de matériel sur le corps d’un patient et
non un savoir technique relationnel. Seuls les formateurs utilisent le terme de
technique pour définir le soin relationnel et c'est dans le but de le
valoriser. La technique semble
donc être l'apanage du soin infirmier. Cependant, les étudiants n’ayant pas accès à la référence
technique pour
l'expliciter, le soin relationnel ne peut pas être valorisé, il est alors
idéalisé.
Comment les étudiants, sensibles à la notion d'implication de soi et à l'idéal relationnel de la profession, vont-ils transformer leur relation au malade, considérée comme un en-soi, en un soin relationnel ?
Émergence d'une conception du soin
relationnel
C'est grâce à la perception qu'ils ont de leur apprentissage et à l'acquisition d'une certaine maturité professionnelle que les étudiants font émerger leur conception du soin relationnel.
Ils inscrivent cet apprentissage dans la sphère personnelle et subjective, comme le suggèrent les termes de « travail de développement personnel » du programme de 1992 et de « travail de réflexion menée sur la posture professionnelle dans la relation soignant-soigné » du référentiel de formation de 2009. Ils envisagent des graduations dans son apprentissage : « d'abord la technique puis le relationnel ». Cette approche est confirmée par les formateurs qui proposent la formation continue pour approfondir la démarche relationnelle.
La maturation professionnelle semble alors un pré-requis pour l'apprentissage du soin relationnel. Elle s'illustre par un positionnement de l'étudiant qui résulte notamment d'une rupture avec la valeur du don de soi. Les étudiants expliquent : « Laurence : pour moi le don de soi, c'est qu'il n'y a pas de distance (...) Julie : (...) moi, c'est non, certes on donne, mais il faut savoir s'arrêter à un moment, (...) c'est que je fais mon travail, forcément quand il y a du relationnel c'est toi qui rentres en jeu, tu donnes (...) Géraldine : j'essaie de tendre vers travailler avec et pas pour (...) ma vision de l'infirmière a changé, avant j'aurais fait pour les gens, aujourd'hui je réagis différemment(...) ». Les formateurs soulignent aussi leur prise de conscience progressive à considérer la relation non plus comme innée mais nécessitant un apprentissage. Les étudiants se situent alors peu à peu dans une approche relationnelle pré-professionnelle avec le malade.
Les étudiants interviewés n’envisagent pas leur relation au
patient de manière unilatérale, mais bien comme une interaction source de
richesses. Géraldine déclare ainsi : «
C'est un double échange ma
relation aux personnes soignées, je n'ai pas envie de la voir que dans un sens,
(...) la personne me donne aussi, à travers ce qu'elle est, plein de
choses ; ma relation soignant-soigné, je la définirais comme ça, et du
coup, c'est attractif et ça me permet d'évoluer dans ma vie de tous les
jours ». Néanmoins, si le cadre de la relation
étudiant-malade s’inscrit dans une réciprocité, il n’est jamais décrit comme un
partenariat vers la guérison ou un mieux-être.
Les
étudiants se questionnent aussi sur des éléments constitutifs du soin
relationnel comme les notions de distance et de positionnement. La distance est davantage
présentée comme un moyen de défense plutôt qu’un moyen thérapeutique. De même, la notion de positionnement
n'est envisagée que partiellement. Ce terme, souvent employé par les étudiants,
est assimilé à celui de maturité professionnelle. Ils le définissent comme la
capacité à exprimer leur conception des soins et à s'autoriser à dire non,
notamment au malade.
Alors que les étudiants bénéficient, au sein des IFSI, de groupes d'expression, ils ne les citent pas et ne les identifient pas comme des outils pouvant les aider à développer leur pratique relationnelle. Ils soulignent cependant la nécessité de gérer leurs émotions et leurs affects. Pour cela, ils disent faire appel à leur famille ou à des amis. Ils n'adhèrent pas encore à un système de supervision professionnel puisqu'ils ne l'identifient pas, bien qu'ils en expriment le besoin.
Les étudiants, sensibles aux valeurs
et idéaux de la profession, construisent donc leur conception du soin relationnel
sur la base de l'implication de soi, au contact du patient, en s'interrogeant
sur les notions de distance et de positionnement. Les étudiants n'abordent à aucun moment les notions
d'objectifs thérapeutiques de la relation ou de relation thérapeutique.
Pour conclure
Le soin relationnel, de par sa place et son rôle dans la formation infirmière, peut se situer soit au centre des apprentissages soit à leur marge. Lorsque le soin relationnel est sous-tendu par les théories de soins, il est alors assimilé à une relation professionnelle avec le malade, sans nécessaire objectif thérapeutique. Sa place est alors centrale et diffuse dans la formation. Lorsque le soin relationnel est spécifique et qu'il s'agit de déterminer son sens thérapeutique, sa diffusion est marginale, relevant de l'engagement de l'équipe pédagogique.
Mais quelle que soit sa place dans
la formation infirmière, son rôle apparaît majeur dans le processus de
professionnalisation des étudiants. C'est, en effet, à travers la relation
qu'ils établissent avec le malade qu'ils développent leur posture
professionnelle. La recherche, essentiellement centrée sur le programme de
Ainsi, cette démarche pédagogique inscrit la diffusion et l'appropriation du soin relationnel dans un espace de liberté dans lequel les étudiants se construisent une relation professionnelle avec le patient, prémisse d'une relation thérapeutique. L'engagement des formateurs et des étudiants y est nécessaire tout comme il est indispensable pour établir une relation thérapeutique singulière avec le malade.
Sonia PETIT
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[2] MAGNON, René ; DECHANOZ, Geneviève ;
LEPESQUIEUX, Maryvonne (sous la direction de). Soins relationnels, in Dictionnaire des Soins Infirmiers. Lyon
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[3] ROGERS, Carl. Le développement de la personne.
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[4] Arrêtés du 12 et du 26 avril 1979 relatifs
aux études préparatoires au diplôme d'État infirmier(e) et au diplôme
d'infirmier(e) de secteur psychiatrique.
[5] Référentiel de formation, Annexe III de l'arrêté du 31 juillet 2009 relatif au diplôme d'État d'infirmier.
[6] Arrêté
du 28 mars 2001 modifiant l'arrêté du 23 mars 1992 modifié relatif au programme
des études conduisant au diplôme d'État d'infirmier.
[7] L'Infirmière magazine
[8] Santé mentale, mensuel des équipes soignante
en psychiatrie
[9] Santé mentale, n°79, juin 2003 et Santé mentale,n°100, septembre 2005.
[10] L'infirmière magazine, n°219, 2006.
[11] Deux ouvrages peuvent être cités :
MORASZ, Laurent ;
PERRIN-NIQUET, Annick ; VEROT, Jean-Pierre ; BARBOT Catherine. L'infirmier en psychiatrie, les
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BEAUZEE, Nathalie. L'entretien
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Relation, Romonville Saint-Agne: Editions Eres, 2005, 170p.
[12] DAYLE,
M. C. Relation
d'aide en soins infirmiers.
collectif SFAP, Issy
LesMoulineaux : Elsevier Masson, 2007, 141p.
[13] Nous pouvons cité : MERCUEL, Alain. Entretien et relation d'aide dans des situations psychiatriques ou psychologiques difficiles S'entraîner : 40 cas cliniques, 12 tiroirs théoriques. Paris : Masson, Collection Démarche soignante,1999, 102p.
LAZURE, Hélène. Vivre la relation d'aide.
Approche théorique et pratique d'un critère de compétence infirmière. Québec : Jean-Marie Bélanger, 1987,
192p
[14] HESBEEN, Walter. Prendre soin à l'hôpital,
Paris, Masson, 1997, 195p.
[15] Le portfolio de l'étudiant est un document qui lui permet de mesurer, tout au long de sa formation, sa progression dans l'acquisition des actes et des compétences infirmiers.