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Sonia PETIT

Cadre de santé formateur

 

Le soin relationnel dans la formation infirmière, un engagement professionnel

 

            Lors d'une mise en situation professionnelle, une étudiante infirmière réalise un soin auprès d'un patient. Elle est amenée à accueillir son épouse et à parler avec eux du retour au domicile. L’épouse pose de nombreuses questions auxquelles l’étudiante répond de manière pertinente. Un peu plus tard, lorsqu’elle présente le projet de soins, elle ne mentionne à aucun moment son action d'accueil et d'information relative à la continuité des soins. Interrogée à ce propos, elle explique que son action était « naturelle » ; elle ne la verbalise pas et donc ne la pense pas comme un acte constitutif de l'activité professionnelle infirmière.

            Ce sont des situations répétées de ce type qui ont suscité mon travail de recherche. Mon but était de déterminer la place et le rôle du soin relationnel dans la formation infirmière. Pourquoi ce soin, pourtant au centre des pratiques infirmières, était-il, a priori, si peu mis en évidence dans la formation, alors même qu’il peut permettre la professionnalisation du métier et la construction identitaire des étudiants ?

            La recherche, menée sous un angle sociologique, s’est appliquée à analyser les informations recueillies lors d’entretiens individuels auprès de formateurs et d’entretiens collectifs auprès d’étudiants en fin de formation infirmière. Nous avons complété cette étude par des observations et une analyse documentaire.

 

Complexité du soin relationnel et professionnalisation : des mots, une histoire, un enjeu

            La recherche a tout d'abord montré la complexité du soin relationnel dont la terminologie est inscrite dans une histoire avec un enjeu de professionnalisation.

 

La terminologie

            Dans les années 1950/1960, grâce à la psychanalyse et au courant de psychologie humaniste, le terme de « soin relationnel » apparaît en même temps que se développe sa pratique en psychiatrie et dans les soins dit « généraux ». L'expression « relation soignant-soigné » fait alors son apparition et contribue à illustrer une conception nouvelle des soins infirmiers s'inscrivant dans une approche globale de la personne soignée. La relation soignant-soigné ou les interactions interpersonnelles[1] sont alors considérées comme porteuses de soins ou susceptibles de favoriser la guérison.

            Mais ces savoirs trouvent-ils une place dans les textes réglementant la profession infirmière ?

            Force est de constater que le terme de « soin relationnel » n’apparaît ni dans le décret relatif à l’exercice de la profession infirmière et aux actes professionnels, ni dans le programme de formation infirmière de 1992. On retrouve cependant la dimension relationnelle du soin au travers de cinq actes dont quatre relèvent du rôle propre infirmier et un de la prescription médicale.

-        «L'entretien d'accueil privilégiant l'écoute de la personne avec orientation si nécessaire » (Art. R4311-5-40°) : l'acte est défini par une technique et un objectif.

-         «Aide et soutien psychologique» (Art. R4311-5-41°) : l'acte n'est pas plus explicité dans le texte, mais cette expression est la définition du soin relationnel du Dictionnaire des soins infirmiers[2]..

-         «L'entretien d'accueil du patient et de son entourage » (Art. R4311-6-1°) : cet acte concerne ici la santé mentale, mais sans plus de spécificité.

-         «Activités à visée sociothérapeutique individuelle ou de groupe » (Art. R4311-6-2°) : les notions de médiation et d'objectif thérapeutique définissent cet acte spécifique à la santé mentale.

-         «L'entretien individuel et utilisation au sein d'une équipe pluridisciplinaire de technique de médiation à visée thérapeutique ou psychothérapeutique »(Art. R4311-7-42°) : cet acte relève de la prescription médicale. Il inscrit le soin relationnel dans un cadre de pluridisciplinarité et le définit par des techniques et des objectifs le situant dans la proximité de l'activité du psychologue.

 

Le soin relationnel apparaît ainsi comme généraliste dans le cadre du rôle propre infirmier et spécifique lorsqu’il relève de la prescription médicale.

 

            Si la terminologie de « soin relationnel » est absente des textes officiels, elle est bien présente dans les pratiques, sous les termes de « relation d’aide » et de « relation d’aide thérapeutique » empruntés au courant humaniste de C. Rogers.[3]

            La multiplicité même des termes utilisés pour désigner le soin relationnel est indicative de sa complexité comme de sa difficulté à l’appréhender. Cependant, on observe schématiquement deux types de soin relationnel. L'un, spécifique, s'inscrit dans un courant de pensée comme celui de la «relation d'aide thérapeutique». L'autre, généraliste est considéré comme la base de la prise en charge globale du patient.

 

Une histoire : les fondements du soin relationnel

            Cette dualité du soin relationnel est sans doute la résultante de l’histoire de deux formations infirmières, distinctes jusqu'en 1992 : la formation des infirmiers diplômés d'État et celle des infirmiers de secteur psychiatrique. En 1979, un premier rapprochement des deux filières se fait à travers la première année d'étude, identique aux deux formations. En effet, le cycle d'introduction aux soins infirmiers, module commun, a pour objectif de développer « les aptitudes à la relation, l'observation, la réflexion afin que les élèves fournissent des soins infirmiers de base efficaces et adaptés (...) »[4]. Des approfondissements sur les thérapeutiques relationnelles prévues en 2e et 3e année apparaissent à un moindre niveau dans la formation conduisant au diplôme d'État. L'histoire n'est pas la même : le soin relationnel tente de s'inscrire dans l'exercice infirmier en soins généraux et se développe en psychiatrie, corroborant ainsi la dualité du soin relationnel, à la fois généraliste et spécifique.

 

Enjeu de professionnalisation

            Le soin relationnel s'est donc développé en psychiatrie de façon spécifique, devenant essentiel dans des services de soins centrés sur des prises en charge de personnes atteintes de maladies graves. Les interactions avec le patient sont sous-tendues par une visée thérapeutique et induisent la mise en place d'attitudes et de techniques qui font l'objet d'analyse lors de réunions. Des savoirs relationnels spécifiques émergent, contribuant à l'enrichissement de la profession infirmière.

            Cette professionnalisation par le soin relationnel, constatée notamment en psychiatrie, pourrait aussi bien s’étendre à d'autres secteurs de soins comme la médecine, la chirurgie ou l’obstétrique, à condition que la diffusion de ce soin soit au centre de la formation infirmière.

 

Le programme de 1992 et le référentiel de formation de 2009[5]

            La formation au soin relationnel constitue un des principes pédagogiques du programme de 1992. Il prescrit un « renforcement des sciences humaines...afin d'améliorer la relation thérapeutique... »[6]

            Le soin relationnel s'inscrit dans des modules de « sciences humaines » et de « soins infirmiers » sous le titre de « démarche relationnelle ». Les termes utilisés pour définir les éléments de contenu sont souvent empruntés au programme de 1979 conduisant au diplôme d'infirmier psychiatrique, mais ils n'y sont pas explicités. Les IFSI ont donc toute latitude pour les préciser et choisir leurs références théoriques. Le soin relationnel apparaît ainsi de manière généraliste au centre de la pratique infirmière.

            Les modules de soins infirmiers relatifs à la psychiatrie, à la pédopsychiatrie, aux urgences et aux personnes âgées notamment, définissent avec précision certaines actions infirmières relatives au soin relationnel lui conférant ainsi un caractère spécifique.

 

            Dans le référentiel de formation de 2009, le terme de soin relationnel apparaît sous cette dénomination et est inscrit dans des unités d'enseignement relevant de « savoirs constitutifs des compétences infirmières » nommés « sciences et techniques infirmières, interventions ». Le soin relationnel est, de ce fait, placé au cœur du métier.

Les unités d'enseignement (U.E) appelées « soins relationnels » constituent avec celles de « psychologie, sociologie, anthropologie » la compétence 6 : « communiquer et conduire une relation dans un contexte de soins ». Les bases théoriques du soin relationnel sont signifiées pour cette compétence, qui dans son intitulé, reste généraliste.

La répartition des trois U.E du soin relationnel vise l'apprentissage progressif de concepts relationnels dans différents contexte de soins. Lors du semestre 2 de la formation, le soin relationnel est abordé sous l'angle généraliste de la communication, notamment non verbale et par le toucher. Puis en semestre 3, les enseignements visent notamment à développer la relation de confiance à travers l'entretien infirmier. Enfin au semestre 5, l'analyse de situations relationnelles avec la notion de distance professionnelle constitue la ligne directrice de cette dernière U.E.

Les recommandations pédagogiques qui accompagnent les unités d'enseignement insistent sur un  « travail de réflexion ...mené sur la posture professionnelle dans la relation soignant soigné ».

 

            Un soin relationnel plus spécifique apparait au travers de la compétence 4 («mettre en œuvre des actions à visée diagnostique et thérapeutique »), dans les unités d'enseignement intitulées « soins palliatifs et de fin de vie » et « thérapeutiques et contribution au diagnostic médical ». Il est à noter que s'il  relève d'une spécialité, il n'est cependant pas nommé en tant que « soin relationnel».

Concernant les soins palliatifs, il se retrouve sous les termes de « accompagnement de la personne et de sa famille », « relation », « communication », « prise en compte des besoins psychologiques...». Pour l'unité d'enseignement sur les thérapeutiques, le soin relationnel est cité sous les appellations suivantes : les activités sociothérapeutiques, socioéducatives, les actes à visée psychothérapique et la médiation thérapeutique. Il s'agit des actes relationnels relevant du rôle infirmier prescrit. Dans ces deux unités d'enseignement, les éléments de contenu du soin relationnel spécifique ne sont pas explicités, laissant toute liberté aux IFSI.

 

            Si le référentiel de formation de 2009 formalise le soin relationnel aux travers de ses unités d'enseignement et le présente comme constitutif d'une compétence infirmière, il laisse dans l'ombre le soin relationnel spécifique.

 

            Alors que le soin relationnel reste complexe, comment est-il diffusé auprès des étudiants infirmiers ?

 

Modalités de diffusion du soin relationnel : entre le formel et l'informel

            La diffusion du soin relationnel dans les IFSI s’inscrit-elle dans une démarche formelle ou tacite ? Sur quelles références théoriques les formateurs et les étudiants peuvent-ils s’appuyer pour appréhender ce concept ?

 

Entre références théoriques et pratiques : une analyse documentaire

            Nous avons recherché comment le soin relationnel était traité dans la presse professionnelle, au travers de deux revues, l'une généraliste en soins infirmiers[7] et l'autre spécialisée dans le domaine de la psychiatrie[8]. À travers quelques articles évocateurs de la revue « santé mentale »[9], le soin relationnel est envisagé comme un acte spécialisé, nécessitant un savoir-faire et se présentant sous la forme de l'entretien. Les thématiques abordées constitutives du soin relationnel sont la connaissance de soi, les techniques de communication et des références théoriques sur la notion de distance, par exemple. Dans « l'Infirmière magazine », le soin relationnel est quasi absent en tant que sujet spécifique. Mais, il s'insinue dans des articles traitant de la maladie grave, d'éducation thérapeutique ou de la dimension émotionnelle du soin infirmier[10].

 

            Les ouvrages spécialisés, quant à eux, privilégient soit les références théoriques, soit la description des pratiques ou bien encore proposent, de manière pragmatique, des exercices d’apprentissage. Certains ouvrages[11] présentent le soin relationnel selon la théorie à laquelle ils se réfèrent (humaniste, psychanalytique, systémique...) et l'illustrent par des cas cliniques. D'autres ouvrages décrivent le soin relationnel au travers d'expériences, notamment dans le domaine des soins palliatifs[12]. Les auteurs formalisent un savoir issu de la pratique en faisant référence à la théorie de la relation d'aide de C. Rogers. Enfin, le soin relationnel est décliné de façon pratique par des ouvrages d'entrainement[13]. Ils proposent un modèle pédagogique largement utilisé dans les IFSI: après des apports synthétiques de connaissances sur la communication et les attitudes à adopter suivent des exemples puis des situations pour s'exercer.

 

            Quoi qu'il en soit, grâce à la littérature professionnelle, la diffusion du soin relationnel peut s’appuyer sur des savoirs théoriques, pratiques et expérientiels. Mais qu'en est-il au sein des IFSI ?

 

Diffusion du soin relationnel dans les IFSI

            La recherche, effectuée en 2008, a montré que la diffusion du soin relationnel, alors que le terme ne fait pas sens commun chez les formateurs, se fait à la fois de manière formelle et informelle.

            Formelle, lorsqu’il s’agit de modules spécifiques comme la démarche relationnelle et les modules de psychiatrie. Les techniques de diffusion les plus citées s'appuient sur l'expérimentation avec notamment la pratique des jeux de rôle. Les formateurs privilégient ainsi la diffusion d'un savoir par sa pratique sans faire référence d’emblée aux connaissances théoriques.

            Informelle, lorsque le soin relationnel est considéré comme inné ou en référence au « prendre soin » développé par W. Hesbeen[14]. Sa diffusion n’est alors envisagée que sous la forme d’une valorisation de l’apprentissage par l’expérience. Une formatrice explique ainsi que «tout est matière à faire de la démarche relationnelle, à être dans la relation». Une autre, à propos du module sur la communication, observe que « curieusement on leur (les étudiants) explique pas trop l'intérêt de ce module. On essaie de leur faire découvrir par eux-mêmes et, quand on fait le bilan, en général, ils trouvent ça amusant, ludique et beaucoup nous disent « mais quel est l'intérêt?»».

            La diffusion du soin relationnel apparaît ici centrée sur la découverte par l'amusement, mais le sens est tu. Cette méthode heuristique, si elle a ses avantages, renvoie néanmoins le soin relationnel dans le registre de l’implicite, du tacite et de l'invisible.

            Le référentiel de formation de 2009 encadre la diffusion du soin relationnel notamment par ses « recommandations pédagogiques ». Il est préconisé des « modalités pédagogiques actives (étude de situation, jeux de rôle...)... » ce qui était déjà constitutif de la diffusion formelle du soin relationnel. Quant au travail de « réflexion sur la posture professionnelle », il est précisé qu'il se fait, notamment, par l'analyse de situations, de reconnaissance des émotions et de prise de conscience des représentations. Ces dernières préconisations pourraient contribuer à une diffusion plus formelle du soin relationnel.

La mise en œuvre de ces recommandations est en cours et bien que la diffusion du soin relationnel tende à se formaliser, nous n'avons pas suffisamment de recul pour l'affirmer.

 

            La difficulté d'une diffusion formalisée du soin relationnel reste présente et nous interroge sur la façon d'envisager son évaluation ?

 

L'évaluation du soin relationnel dans les IFSI

            Nous avons étudié des grilles d’évaluation de mise en situation professionnelle (MSP) de quatre IFSI et deux autres, élaborées régionalement pour l’obtention du diplôme d’État.

            L’évaluation de ce soin n’est pas formalisée dans tous les IFSI. Quand elle existe, elle se décline de façon singulière selon les instituts, montrant ainsi la perception subjective de ce soin. Par exemple, une formatrice explique : « (...) C'est du relationnel, si t'as la couverture en boule au pied du lit et que la personne a froid et qu'elle (l'étudiante) ne le voit pas, pour moi c'est de l'attention à l'autre, c'est du relationnel (...) ». L'évaluation du soin relationnel s'inscrit ici dans la dimension vaste du « prendre soin ». En effet, certaines grilles évaluent « la dimension relationnelle du soin » qui est distinguée du soin relationnel. C’est le cas des grilles d’évaluation pour l’obtention du diplôme d’État.

            Bien sûr, en regard de ces approches plurielles, les critères d'évaluation sont multiples et ne font pas toujours sens commun pour les formateurs et les étudiants. Ainsi, une étudiante se questionne : « Ben pour moi, je me dis que quelque part j'ai été évaluée sur quelque chose, après je me suis dit que j'avais été évaluée sur le relationnel que j'ai eu avec la personne, sur comment j'ai géré ».

            Le référentiel de formation de 2009, plus explicite, prévoit l'évaluation du soin relationnel dans le cadre de ses unités d'enseignement et en stage, au travers des éléments constitutifs de la compétence 6 (« communiquer et conduire une relation dans un contexte de soins »).

Les modalités d'évaluation du soin relationnel en IFSI le placent dans une dimension à la fois théorique et pratique. La validation des unités intitulées « soins relationnels » se fait au travers de la « réflexion avec utilisation de concepts », par la « mise en situation d'entretien lors de travaux dirigés » et par « l'analyse d'une situation relationnelle ». Les critères d'évaluation sont la « compréhension », « la cohérence » de la relation en fonction des situations de soins et « l'implication ». Désormais, l'évaluation du soin relationnel est obligatoire et formalisée. La mise en œuvre avec l'appropriation des critères est en cours au sein des IFSI.

Concernant le soin relationnel spécialisé (les activités sociothérapeutiques, socioéducatives, les actes à visée psychothérapique et la médiation thérapeutique), il est à noter qu'il n'est pas évalué en IFSI puisque l'évaluation de l'unité d'enseignement, à laquelle il est rattaché, porte exclusivement sur la transfusion sanguine.

            Le référentiel définit les modalités d'évaluation du soin relationnel en IFSI et ses recommandations pédagogiques préconisent que « les soins relationnels soient réalisés en stage et validés sur le portfolio[15] », rappelant ainsi la prépondérance de la pratique.

Les critères d'évaluation sont la « pertinence de l'analyse de la situation relationnelle », « la cohérence dans la mise en œuvre d'une communication adaptée aux personnes soignées et leur entourage » et « la justesse dans la recherche du consentement du patient ». Des indicateurs sont également répertoriés, mais il appartient aux professionnels de santé et aux formateurs d'en faire une lecture objective et référencée.

 

 

            Alors que la notion de soin relationnel est complexe et que sa diffusion est en cours de  formalisation, comment les étudiants perçoivent-ils ce soin dans la pratique infirmière ? Quelle conception du soin relationnel se forgent-ils ?

 

Le soin relationnel, un en-soi  

            Dans leur pratique, les étudiants ont des difficultés à différencier le soin relationnel d'une aide naturelle à apporter au malade. Ils le considèrent comme un en-soi relevant de la nature et des valeurs de chaque individu. C'est à partir de cet en-soi que les relations avec autrui s'établissent de façon plus ou moins consciente. Elles seront amenées à se professionnaliser dans le cadre de la formation.

 

Les valeurs et l'idéal relationnel de l'infirmier(e)

            L'en-soi professionnel des étudiants, analysé à travers leur discours et leur vocabulaire, apparaît comme un terreau composé de valeurs et d’idéaux qui viendra nourrir leur conception du soin relationnel.

            L'analyse lexicale a montré que les étudiants emploient des mots qui se réfèrent à l'imaginaire de l'enfance et de l'aventure avec une forte connotation religieuse. Ainsi le soin infirmier apparaît-il dans un monde de héros tout-puissants, comme « Goldorak » et « Superman », gérant « la peur », « l'inconnu », « le mystère », en « toute humilité », « dévoué », « donnant de sa personne »... Le discours, quant à lui, souligne les notions de don, de réparation et d'idéal de soi. Ces valeurs sont, pour les étudiants, inhérentes à la profession, à tel point qu'ils les intègrent dans leur trajectoire individuelle pour justifier leur choix professionnel.

            Le discours des étudiants et des formateurs relatif à la profession met en évidence deux perceptions du soin relationnel. L'une le définit comme une évidence professionnelle, puisqu'il va de soi que l'exercice infirmier repose sur la relation au malade. L'autre le considère comme un idéal de la profession, fédérateur des soins infirmiers. Mais, au-delà de ces deux représentations du soin relationnel dans la profession, il est à noter que la valorisation du métier se fait essentiellement au travers de savoirs qualifiés de «techniques». Pour les étudiants, « la technique » est limitée aux seuls savoirs gestuels en lien avec l’utilisation de matériel sur le corps d’un patient et non un savoir technique relationnel. Seuls les formateurs utilisent le terme de technique pour définir le soin relationnel et c'est dans le but de le valoriser. La technique semble donc être l'apanage du soin infirmier. Cependant, les étudiants n’ayant pas accès à la référence technique pour l'expliciter, le soin relationnel ne peut pas être valorisé, il est alors idéalisé.

 

            Comment les étudiants, sensibles à la notion d'implication de soi et à l'idéal relationnel de la profession, vont-ils transformer leur relation au malade, considérée comme un en-soi, en un soin relationnel ?

 

Émergence d'une conception du soin relationnel

            C'est grâce à la perception qu'ils ont de leur apprentissage et à l'acquisition d'une certaine maturité professionnelle que les étudiants font émerger leur conception du soin relationnel.

            Ils inscrivent cet apprentissage dans la sphère personnelle et subjective, comme le suggèrent les termes de « travail de développement personnel » du programme de 1992 et de « travail de réflexion menée sur la posture professionnelle dans la relation soignant-soigné » du référentiel de formation de 2009. Ils envisagent des graduations dans son apprentissage : « d'abord la technique puis le relationnel ». Cette approche est confirmée par les formateurs qui proposent la formation continue pour approfondir la démarche relationnelle.

            La maturation professionnelle semble alors un pré-requis pour l'apprentissage du soin relationnel. Elle s'illustre par un positionnement de l'étudiant qui résulte notamment d'une rupture avec la valeur du don de soi. Les étudiants expliquent : « Laurence : pour moi le don de soi, c'est qu'il n'y a pas de distance (...) Julie : (...) moi, c'est non, certes on donne, mais il faut savoir s'arrêter à un moment, (...) c'est que je fais mon travail, forcément quand il y a du relationnel c'est toi qui rentres en jeu, tu donnes (...) Géraldine : j'essaie de tendre vers travailler avec et pas pour (...) ma vision de l'infirmière a changé, avant j'aurais fait pour les gens, aujourd'hui je réagis différemment(...) ». Les formateurs soulignent aussi leur prise de conscience progressive à considérer la relation non plus comme innée mais nécessitant un apprentissage. Les étudiants se situent alors peu à peu dans une approche relationnelle pré-professionnelle avec le malade.

            Les étudiants interviewés n’envisagent pas leur relation au patient de manière unilatérale, mais bien comme une interaction source de richesses. Géraldine déclare ainsi : « C'est un double échange ma relation aux personnes soignées, je n'ai pas envie de la voir que dans un sens, (...) la personne me donne aussi, à travers ce qu'elle est, plein de choses ; ma relation soignant-soigné, je la définirais comme ça, et du coup, c'est attractif et ça me permet d'évoluer dans ma vie de tous les jours ». Néanmoins, si le cadre de la relation étudiant-malade s’inscrit dans une réciprocité, il n’est jamais décrit comme un partenariat vers la guérison ou un mieux-être.

            Les étudiants se questionnent aussi sur des éléments constitutifs du soin relationnel comme les notions de distance et de positionnement. La distance est davantage présentée comme un moyen de défense plutôt qu’un moyen thérapeutique. De même, la notion de positionnement n'est envisagée que partiellement. Ce terme, souvent employé par les étudiants, est assimilé à celui de maturité professionnelle. Ils le définissent comme la capacité à exprimer leur conception des soins et à s'autoriser à dire non, notamment au malade.

            Alors que les étudiants bénéficient, au sein des IFSI, de groupes d'expression, ils ne les citent pas et ne les identifient pas comme des outils pouvant les aider à développer leur pratique relationnelle. Ils soulignent cependant la nécessité de gérer leurs émotions et leurs affects. Pour cela, ils disent faire appel à leur famille ou à des amis. Ils n'adhèrent pas encore à un système de supervision professionnel puisqu'ils ne l'identifient pas, bien qu'ils en expriment le besoin.

 

            Les étudiants, sensibles aux valeurs et idéaux de la profession, construisent donc leur conception du soin relationnel sur la base de l'implication de soi, au contact du patient, en s'interrogeant sur les notions de distance et de positionnement. Les étudiants n'abordent à aucun moment les notions d'objectifs thérapeutiques de la relation ou de relation thérapeutique.

 

Pour conclure

            Le soin relationnel, de par sa place et son rôle dans la formation infirmière, peut se situer soit au centre des apprentissages soit à leur marge. Lorsque le soin relationnel est sous-tendu par les théories de soins, il est alors assimilé à une relation professionnelle avec le malade, sans nécessaire objectif thérapeutique. Sa place est alors centrale et diffuse dans la formation. Lorsque le soin relationnel est spécifique et qu'il s'agit de déterminer son sens thérapeutique, sa diffusion est marginale, relevant de l'engagement de l'équipe pédagogique.

            Mais quelle que soit sa place dans la formation infirmière, son rôle apparaît majeur dans le processus de professionnalisation des étudiants. C'est, en effet, à travers la relation qu'ils établissent avec le malade qu'ils développent leur posture professionnelle. La recherche, essentiellement centrée sur le programme de 1992, a mis en évidence leur démarche d'appropriation, reposant sur leur volonté, leur engagement et leur capacité à aller chercher les savoirs et les savoir-faire. Dans cette continuité, le référentiel de formation de 2009 emmène l'étudiant vers une posture autonome et réflexive favorisant l'intégration des savoirs.

            Ainsi, cette démarche pédagogique inscrit la diffusion et l'appropriation du soin relationnel dans un espace de liberté dans lequel les étudiants se construisent une relation professionnelle avec le patient, prémisse d'une relation thérapeutique. L'engagement des formateurs et des étudiants y est nécessaire tout comme il est indispensable pour établir une relation thérapeutique singulière avec le malade.

 

Sonia PETIT

 

Bibliographie

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CARRICABURU, Danièle ; MENORET, Marie. Sociologie de la santé : institutions, professions et maladie. Paris : Armand Colin, collection U, 2004, 235p.

 

DUBAR, Claude ; TRIPIER, Pierre. Sociologie des professions. Paris : Armand Colin, collection U, 1998, 283p.

 

JAEGER, Marcel. L'infirmier en santé mentale : un professionnel ? In Les métiers de la santé. Enjeux de pouvoir et quête de légitimité, AÏACH, Pierre ; FASSIN, Didier. Paris : Anthropos, collection : « Sociologiques », 1994, p261-279.

 

MAGNON, René. Les infirmières : identité, spécificité et soins infirmiers. Le bilan d'un siècle. Paris : Masson, 2001, 198p

 

PETITAT, André. La profession infirmière, un siècle de mutation, in Les métiers de la santé. Enjeux de pouvoir et quête de légitimité, AÏACH, Pierre ; FASSIN, Didier. Paris : Anthropos, collection : « Sociologiques », 1994, p227-259.

 

VEGA, Anne. Les infirmières hospitalières françaises : l'ambiguïté et la prégnance des représentations professionnelles. Sciences sociales et santé, 1997, vol. 15, n°3, p. 103-131.

 

WENNER, Micheline. Comment et pourquoi devient-on infirmière ?. Paris : Editions Lamarre, 1988, 215p.

 

WITTORSKI, Richard (sous la direction de). Formation, travail et professionnalisation. Paris : L'harmattan, Action et Savoir Rencontres, 2005, 206p.

 



[1]    PEPLAU, H.E. (1909-1999, américaine, docteur en éducation), Relations interpersonnelles en soins infirmiers, 1952. Paris, InterEditions, 1995, pour la traduction française.

[2]    MAGNON, René ; DECHANOZ, Geneviève ; LEPESQUIEUX, Maryvonne (sous la direction de). Soins relationnels, in Dictionnaire des Soins Infirmiers. Lyon : AMIEC Recherche, 2000.

[3]    ROGERS, Carl. Le développement de la personne. Paris, Éditions Dunod, 1968.

[4]    Arrêtés du 12 et du 26 avril 1979 relatifs aux études préparatoires au diplôme d'État infirmier(e) et au diplôme d'infirmier(e) de secteur psychiatrique.

[5]    Référentiel de formation, Annexe III de l'arrêté du 31 juillet 2009 relatif au diplôme d'État d'infirmier.

[6]    Arrêté du 28 mars 2001 modifiant l'arrêté du 23 mars 1992 modifié relatif au programme des études conduisant au diplôme d'État d'infirmier.

[7]    L'Infirmière magazine

[8]    Santé mentale, mensuel des équipes soignante en psychiatrie

[9]    Santé mentale, n°79, juin 2003 et Santé mentale,n°100, septembre 2005.

[10]  L'infirmière magazine, n°219, 2006.

[11]  Deux ouvrages peuvent être cités :

      MORASZ, Laurent ; PERRIN-NIQUET, Annick ; VEROT, Jean-Pierre ; BARBOT Catherine. L'infirmier en psychiatrie, les grands principes du soin en psychiatrie. Paris : Masson, 2004, 297p.

                BEAUZEE, Nathalie. L'entretien infirmier en santé mentale, l'apport systémique dans une profession en mutation. Collection Relation, Romonville Saint-Agne: Editions Eres, 2005, 170p.

[12]  DAYLE, M. C. Relation d'aide en soins infirmiers. collectif SFAP, Issy LesMoulineaux : Elsevier Masson, 2007, 141p.

[13]  Nous pouvons cité : MERCUEL, Alain. Entretien et relation d'aide dans des situations psychiatriques ou psychologiques difficiles S'entraîner : 40 cas cliniques, 12 tiroirs théoriques. Paris : Masson, Collection Démarche soignante,1999, 102p.

      LAZURE, Hélène. Vivre la relation d'aide. Approche théorique et pratique d'un critère de compétence infirmière. Québec : Jean-Marie Bélanger, 1987, 192p

[14]  HESBEEN, Walter. Prendre soin à l'hôpital, Paris, Masson, 1997, 195p.

[15]  Le portfolio de l'étudiant est un document qui lui permet de mesurer, tout au long de sa formation, sa progression dans l'acquisition des actes et des compétences infirmiers.