LES SOINS RELATIONNELS
EXISTENT-ILS ?
La question se veut un peu polémique mais au moment où la T2A nous contraint à quantifier mais surtout à qualifier nos actes, où les EPP questionnent nos pratiques, où l’on voit poindre un nouveau programme de formation axé sur la notion de compétences, il me semble intéressant de se (re)poser la question de l’existence des soins relationnels. Pour commencer, voici quelques questions : Est-ce que les soins relationnels existent ou est-ce que tous les soins sont des soins relationnels puisque l’infirmière est en relation avec le malade ? Est-ce que toutes les relations avec le patient sont des soins ? Est-ce qu’il y a une différence entre apporter de l’aide lors d’une relation et une relation d’aide ? Si les soins relationnels existent, les entretiens et les activités en sont-ils la forme exclusive ? Faut-il être un expert pour proposer un soin relationnel ? Existe-t-il une différence entre une activité thérapeutique et une activité occupationnelle ? Est-ce que la présence d’un infirmier lors d’une activité suffit à en faire un soin ?
POURQUOI VOULOIR IDENTIFIER LES SOINS RELATIONNELS ?
Par pur militantisme d’abord ! Parce qu’il me semble
important :
-
de reconnaître les soins relationnels comme des soins (ce que l’on
oublie parfois : «Non, je ne perds pas mon temps à discuter, je suis en
entretien», «je n’occupe pas les patients, je fais une activité
thérapeutique»),
-
de reconnaître les compétences des personnes qui font
principalement ces soins (ce que l’on nie parfois : « passez son
diplôme en psychiatrie, c’est pour les nuls ! »)
-
de reconnaître la souffrance (et aussi la véracité de leur
problématique) de ceux qui ont besoin de ces soins.
Par souci de coller à la réalité
Les infirmiers et les infirmières passent leurs journées de travail à faire, à dire, à écouter, à faire expliquer, à reformuler, à essayer de comprendre, à essayer de créer les conditions pour que la personne comprenne elle-même. Il y a là des réalités différentes : la relation établit lors d’un prélèvement sanguin et la relation établit lors d’un entretien avec un suicidant n’ont certainement pas le même but ni la même dimension dans l’histoire du patient. Si dans toutes ces relations avec les patients nos compétences communicationnelles sont sollicitées, dans certaines relations elles sont dépassées et exige de nous d’autres compétences.
Par souci pédagogique ensuite
Si je suis capable de spécifier ce que sont les soins
relationnels[1], je serais peut-être
capable de mettre en place un dispositif d’enseignement de ces soins. Nier
l’existence des soins relationnels, c’est ne laisser aucune chance à leur
apprentissage.
Le décret n° 2004 802 du 29 juillet 2004 précise que
l’infirmière accomplit sur rôle propre ou sur prescription « entretien d'accueil
privilégiant l'écoute de la personne », « aide et soutien
psychologique », « entretien
individuel et utilisation au sein d'une équipe pluridisciplinaire de techniques
de médiation à visée thérapeutique ou psychothérapique », « activités à visée sociothérapeutique individuelle ou de
groupe »… Ce décret accomplit donc la performance de nous donner toutes
ces précisions sans jamais définir ce qu’est un soin relationnel. Il laisse
ainsi planer un double doute totalement contradictoire :
-
celui de l’inexistence des soins relationnels
celui de l’omniprésence des soins relationnels
Si le décret ne reconnaît pas l’existence des soins relationnels (ni celle
des soins techniques d’ailleurs) il reconnaît que les soins infirmiers « intègrent qualité technique et
qualité des relations avec le malade ». Cela ne donne pas de
définition du soin relationnel mais cela nous renseigne sur le fait qu’un soin
à deux qualités dont une relationnelle. On peut donc parler de la dimension
relationnelle des soins et formuler une
évidence :
- les soins
techniques ont une dimension relationnelle,
- les soins
relationnels ont une dimension technique
Donc
il y aurait une primauté du support technique dans l’un et du support
relationnel dans l’autre.
La dimension relationnelle du soin correspond aux échanges
verbaux et non verbaux que nous avons avec le patient lorsque nous sommes en
contact avec lui. C’est ce qui accompagne le soin technique, le soin de nursing,
le soin de confort…
Il n’y a pas de réflexion préalable sur notre action
relationnelle : la relation est souvent informelle, spontanée, sans objectifs
définis, sans démarche ou stratégie mais
avec des intentions faisant appel à des aptitudes de communication... plus qu’à
des aptitudes relationnelles susceptibles de nous permettre de nous interroger
sur la relation qui se déroule.
Attention à ne pas se méprendre : dire que la dimension relationnelle du soin est quelque chose de plus spontanée que réfléchi ne veut pas dire que ceux ou celles qui la pratique ne peuvent pas réfléchir. Il n’y a pas d’un coté les intellectuels qui font des soins relationnels, de l’autre les besogneux qui font des soins techniques. Faire vivre cette dimension relationnelle du soin n’est pas simple face à la maladie, à l’hospitalisation, à la technicité des soins, à leur coté déshumanisant, aux contraintes de travail… Il faut une grande volonté, moult qualités et de l’intelligence pour ne pas céder aux sirènes du vite exécuté. L
a dimension
relationnelle du soin est une dimension absolument indispensable aux soins : il
n’y a de bons soins que les soins riches en relation
Cependant cela ne leur suffis pas à en faire des soins
relationnels. Ce serait comme confondre soins hygiéniques et soins stériles. Le
soin hygiénique respecte des règles qui sont également celles du soin stérile
mais le soin stérile en exige de plus contraignantes. La notion d’hygiène est
indispensable à tous soins, la notion de stérilité ne concerne que certains
soins dans certains situation. Ce n’est pas un problème de niveau mais de
nature du soin.
QU’EST-CE
QU’UN SOIN RELATIONNEL ?
Vouloir définir le soin relationnel est une chose complexe et un peu présomptueuse. Il y a néanmoins quelques affirmations qui peuvent être partagées.
Un soin relationnel est une relation qui à la prétention de « soigner» ! Ce n’est pas la personne qui propose ce soin qui est soignante, voire miraculeuse, mais la qualité de la relation qui va conduire à la possibilité du soin. Le soin relationnel prend la relation comme support : c’est la relation, par les interactions entre le soignant et le soigné, qui amène les éléments qui vont soulager la personne. Ce n’est pas forcement ce que va dire ou faire le soignant qui fait le soin mais son aptitude à être dans la relation, à mettre en place les conditions nécessaires au patient pour avancer dans son champ émotionnel et intellectuel.
Mais la relation ne soigne pas de façon spontanée.
Il ne suffit pas d’être en relation pour qu’il ai soin : c’est une condition nécessaire mais pas suffisant. La relation ne peut soigner seul, c’est la relation et la capacité du soignant à réfléchir à cette relation et sur cette relation qui vont amener les conditions du soulagement de la personne. Un soin relationnel nécessite de réfléchir aux objectifs, aux moyens, aux déroulements, aux techniques qui seront utilisés et aux interactions qui se nouent entre le soignant et le soigné
Un soin relationnel s’inscrit forcement dans un projet.
Un soin relationnel répond à des objectifs définis par l’équipe de soins pour répondre à la problématique de la personne.
Il
y forcement écoute, identification des besoins, analyse, proposition d’action
et évaluation par l’équipe de soins des principes qui vont guider cette
relation. Ici deux points sont à noter :
-
être dans un soin
relationnel, c’est se questionner sur la problématique du patient et non à son
problème. Se centrer sur le problème, c’est quitter la relation d’aide (qui ne
faut pas limiter à l’approche Rogérienne) pour être dans une relation qui
propose des aides,
partager les principes qui vont guider la relation entre le soignant et le soigné veut bien dire que cette relation, conduite dans un cadre institutionnel qui garanti sa validité, doit être adaptée à chaque situation de soin et ne pourrait souffrir d’être intégré dans une procédure.
Un soin relationnel fait appel à des compétences professionnelles et pas seulement à des aptitudes communicationnelles.
Celui
qui propose un soin relationnel doit être capable de questionner sa façon de
faire et sa façon d’être en relation avec le patient. Les simples aptitudes ne
suffisent pas, il lui faut développer ses compétences c’est à dire être capable
:
-
d’orienter son action : « je
sais où je veux aller (ce qui est différent « de là où je veux
emmener le patient »)
-
de se repérer dans
l’exécution de son action : « je connais le chemin que je vais suivre
et les aléas qui peuvent survenir »,
-
de contrôler son action
: « je peux contrôler l’écart entre ce que je fais et l’attendu et je
sais également changer les choses ».
Un soin relationnel fait appel à des techniques apprises, variées et réfléchies : l’étude et l’expérience sont donc indispensables.
Un soin relationnel met en présence deux personnes. Lors d’un soin relationnel, ce n’est pas deux fonctions ou
deux rôles qui se rencontrent : un patient et un soignant (comme pour un
prélèvement sanguins par exemple). Ce sont deux personnes avec leur histoire,
leurs limites, leurs vécus passé et présent…qui se rencontrent et s’engage dans
un contexte particulier. Même si certains la contestent, nous pouvons décrire
le contexte particulier du soin relationnel au travers de la
classification de la relation soignant/soigné de MALABEUF[2].
Le soin relationnel se situerait principalement lors de la relation de soutien
psychologique (qui vise à
apporter une aide à une personne soignée en lui permettant d’exprimer ses
difficultés présentes ou ses craintes) et la relation d’aide
thérapeutique (qui vise à réduire
de manière durable la souffrance psychique de la personne). A
l ‘évidence, c’est un soin qui dépasse le « faire » (« je n’ai pas le temps de faire du
relationnel !!! ») et nécessite plus qu’un opérateur interchangeable
qui mettrait en œuvre des habitudes ou une procédure
Dans
sa pratique, l’infirmière utilise deux types de soins relationnels : les
activités psychosociothérapeutiques et les entretiens. Il faudrait également
ajouter à ces soins la dimension institutionnelle. C’est à dire tout le
fonctionnement institutionnel, du service, le rapport entre les individus, la
place de chacun… dont l’infirmier est un des représentants et dont il est
souvent le premier porteur auprès du patient.
ACTIVITES
THERAPEUTIQUES OU ACTIVITES OCCUPATIONNELLES ?
Concernant les activités, il nous faut peut être commencer par
différencier activités occupationnelles et activités thérapeutiques. Si on les
situe dans la théorie de soin de V. HENDERSON, les activités
occupationnelles concernent le besoin de se récréer et les activités à visée thérapeutique
concernent les autres besoins perturbés. Concrètement les activités
occupationnelles font l’objet d’une identification de la demande, de techniques
d’animation et d’une évaluation de satisfaction.
Les activités à visée
thérapeutique font l’objet d’objectifs définis en rapport avec le projet de
soins, de moyens voire de technique de soins et d’une évaluation d’efficacité.
Par exemple : une activité organisée afin de permettre à un patient d’éviter le
replis social ne va pas se contenter de rompre l’isolement social pour un temps
(comme l’activité occupationnelle) mais permettre à la personne de dépasser ses
difficultés ou de remobiliser ses compétences à entrer en relation avec
l’autre.
Il
existe beaucoup de taxinomies mais globalement deux grands types d’activités
thérapeutiques. Les activités à visée sociothérapeutiques qui visent à
maintenir ou développer les compétences sociales. Elles proposent généralement
de mettre le patient en situation. Elle devient un soin relationnel (et se
distingue d’un apprentissage) lorsque l’accompagnement du patient prend en
compte son vécu, sa problématique et met toujours en avant le patient et non la
production. Les activités à visée psychothérapeutiques qui visent à permettre
au patient d’atténuer ses troubles en lui permettant notamment d’exprimer ses
angoisses, ses difficultés, ses peurs… (activité d’expression, activité
aquatique, activité d’écoute musicale…). Ces activités sont à distinguer des
thérapies à médiation (musicothérapie, arthérapie, médiation corporelle…) où le but n’est plus
le simple besoin mais plus globalement l’aide aux changements dans le
fonctionnement psychisme. Il faudrait obligatoirement une formation
complémentaire et une supervision.
ET
L’ENTRETIEN INFIRMIER ? EXISTE-T-IL VRAIMENT ?
Oui
et non. Oui car le décret n°2004-802 inscrit bien l’animation d’entretien dans
l’activité infirmière. Non car parler d’entretien infirmier ne veut pas dire
grand chose. Si cela nous indique que l’infirmier sera l’un des acteurs de l’entretien,
cela ne nous dit rien sur le but et l’action. Alors l’entretien n’est plus un
soin relationnel car comme nous l’avons vu le soin relationnel naît aussi de
son projet.
Là
encore, il nous faut faire quelques distinctions. L’entretien n’est pas une
conversation. Dans une conversation, ceux sont deux points de vue qui se
rencontre et s’échange (si elles s’affrontent nous sommes dans une discussion).
En reprenant la classification de MALABEUF, c’est la dimension de civilité, ma
fonction, d’hôte qui est convoquée.
Un
entretien n’est pas une information ou une éducation où le transfert de
connaissance et de compétences sont les objectifs. Ici c’est ma fonction d’expert en santé qui
est convoquée. Il s’agit de passer d’un
inconnu à un connu. Dans le soins relationnels, il s’agit de passer d’un
dysfonctionnement à un fonctionnement plus ou moins optimal ou d’un mal être à
la possibilité d’un mieux être.
Dans la pratique, l’entretien
réalisé par l’infirmier a de nombreux supports et de nombreuses fonctions
(liste non exhaustive) :
L’entretien
infirmier ne peut se définir uniquement par l’un de ses acteurs. Il nous faut
le remettre dans son contexte et l’inscrire dans son projet pour lui donner
toute sa valeur.
PLUTOT
INCOMPLET QU’INEXISTANT
Comme on le voit, le soin
relationnel n’est ni inexistant ni omniprésent. Ne pas chercher à le
circonscrire, c’est amener à des confusions qui pourraient s’avérer
préjudiciables pour notre profession. Parfois nous faisons ces confusions par
méconnaissances, nous pouvons alors plaider « responsable mais pas
coupable ». Souvent nous laissons sciemment s’installer la confusion ou le
flou prétextant la complexité, l’indicible, l’inextricable des relations
humaines. Je trouve alors que nous sommes responsables et coupables.
Responsables de ce qui pourrait advenir des soins relationnels et de notre
profession. Coupable d’une sorte d’obscurantisme parfois pédant. Je préfère me
tromper, ne pas être exhaustif, paraître simpliste pour certains mais tenter
d’expliquer (difficilement) ce qui est une évidence du terrain : les soins
relationnels existent encore faut-il leur donner une lisibilité.
Hervé
MENAUT
Infirmier
de secteur psychiatrique
Cadre
de santé à l’I.F.S.I.
de
L’AIGLE (Orne)
Personne
ressource de l’organisme
de
formation IRFA EVOLUTION (Orne)
[1] Mes étudiants me le demandent souvent, ils sont à l’origine de cet article qui leur est évidemment dédié.
[2] MALABEUF L., la relation soignant-soigné : du discours au passage à l’acte, Soins Pédagogie Enseignement, 1992, p4-6