Retour à l'accueil

Retour à formation en débat



Une mission impossible


Lorsque j’étais petit et que l’on me demandait ce que je voulais faire quand je serai grand, je répondais invariablement  “    ” Et tout le monde se moquait de moi en me disant que ce qui comptait n’était pas de chercher mais de trouver. Il faut une certaine dose de masochisme pour envisager de devenir chercheur, surtout dans les soins. Mais je n’ai pas dévié. Chercheur je voulais être, chercheur je serai. J’ai supporté toutes les avanies en me disant qu’un jour ils verraient. Je trouverais. Et ils seraient bien obligés de se rendre à l’évidence. Et moi je savourerais ma vengeance.
Pendant les cours, je rêvais à mes futures découvertes. Je me voyais signant des autographes, passant à l’émission de Michel Drucker le dimanche. Je m’imaginais essayant d’échapper aux hordes d’hommes et de femmes, en furie forcément, qui déchireraient mes vêtements. Je copiais sur mon cahier d’écolier des formules comme celle-ci  “
information moyenne par signe d’un répertoire est égale à moins la somme des probabilités de chaque signe de ce répertoire multipliées chacune par leur propre logarithme dans la base deux.  ” (1) Je finissais par me persuader que j’en étais l’inventeur même si j’étais incapable de dire à quoi la formule pouvait bien correspondre. Tous les enseignants vous le diront, rêver n’est pas le meilleur moyen pour devenir chercheur. Je finis donc par rater mon bac en beauté et par me mettre à chercher du travail. C’est ainsi que je fis des recherches sur l’écaillage des huîtres, sur la préparation de la pêche Melba, sur le balayage de supermarché  ; splendides travaux hélas jamais publiés faute de budget. D’échec en échec, je finis par passer l’examen d’entrée à l’école d’infirmier de secteur psychiatrique et je devins un de ces ISP qui font les délices des débats télévisés animés par Jean-Luc Delarue. Vous savez ceux qu’on voit, ivres, dans le public, au fond, en train de beugler pour leur diplôme de droit.
La recherche était alors bien lointaine. J’avais oublié mes idéaux d’enfant et d’adolescent. S’il est bien un domaine où la recherche est impossible, c’est bien dans l’infirmerie psychiatrique. Comment faire de la recherche lorsque l’on est cantonné à des tâches de surveillance des patients, quand notre principal geste clinique est de repérer le moment où un patient peut sortir de la chambre d’isolement  Sans autonomie de pensée, sans exercice d’un rôle propre, comment peut-on imaginer faire de la recherche  Mais après tout chacun a sa représentation de la recherche et des chercheurs. Certains imaginent le chercheur comme un savant un peu chauve, avec des binocles et une blouse blanche, penché sur un microscope électronique en train de traquer le virus de la schizophrénie. D’autres l’imaginent en sociologue imprécateur, genre Bourdieu. Chacun habille son chercheur avec sa panoplie mentale  certains en tiennent pour les cornues, d’autres pour les protocoles. On trouve des savants fous, et des savants mous, des marxistes et des capitalistes, des génies aux cheveux bouclés qui tirent la langue et des Le prince Ringuet aux splendides oreilles décollées. Pour moi, un chercheur, c’est quelqu’un qui est nu dans son bain aromatisé et qui se lève en hurlant  “
êka  ”(2) et se met à danser, toujours nu, autour de ses maîtresses stupéfaites. Je me demande même s’il n’a pas un début d’érection. Chacun a sa représentation de la recherche et des chercheurs, mais nul n’a jamais pensé qu’une “infirmière  ” pouvait faire de la recherche, et clinique, en plus s’il vous plaît. Chez les infirmiers, les seules chercheures qui existent sont canadiennes.

Le jeudi, c’est séminaire

Mais revenons à mon histoire. Comment suis-je devenu chercheur alors que rien ne m’y prédisposait 
En soignant tout simplement. C’est sur le terrain, confronté aux difficultés psychiques des patients réels que je suis devenu clinicien puis chercheur. Il faut dire que j’ai eu la chance de travailler dans un secteur qui se préoccupait de formation. Deux jeudis par mois, pour moi c’était jour de fête. C’était séminaire. Leon Dreyfuss, le médecin-chef du secteur, avait mis en place ce séminaire autant pour la formation des internes et des médecins que pour celle des infirmiers. Toute l’équipe pluridisciplinaire pouvait y participer. Nous regardions ensemble un entretien magnétoscopé, dont un psychiatre à la retraite, le Dr Lauras, nous expliquait les subtilités. Sur le plan de la clinique psychiatrique pure, c’était fabuleux. Chacun y allait de ses commentaires, de ses hypothèses. Comme il s’agissait de patients hospitalisés dans le secteur, nous les connaissions et participions à la discussion en apportant nos remarques, nos observations. Il y avait là tout un secteur à l’œuvre, tout un travail de pensée en commun. En partant de ces séances, nous pouvions vérifier nos propres hypothèses de soin. Si la psychopathologie servait de prétexte, la dynamique psychique n’était pas oubliée, ni les “
  ” théories (Lacan, les théories systémiques, etc.) qui arrivaient petit à petit. Ainsi avions-nous parfois plusieurs explications en même temps. A nous de nous y repérer. J’appréciais également beaucoup les séminaires à thème. J’ai donc eu la chance de baigner dans une atmosphère qui favorisait la réflexion et qui encourageait chacun à s’exprimer. J’ai ensuite travaillé dans un hôpital de jour dans lequel nous faisions chaque semaine l’étude clinique d’un patient. Chaque soignant décrivait et faisait des hypothèses sur les mouvements que traversaient le patient dans les séquences de soins dont il était responsable. La pluridisciplinarité était une grande richesse. Je dois beaucoup à mon compère François Benoist, psychomotricien, puis psychologue. Aussi quand j’ai décidé de me réinscrire à l’université étais-je déjà bien rodé à la réflexion clinique.

Quelles recherchesle terrain 

Quelles recherches faisions-nous donc sur le terrain  Nous nous étions rendus compte dès 1985 que de nombreux patients schizophrènes, du fait de leurs troubles négatifs n’arrivaient pas à rester chez eux. Nous avions donc cherché un moyen de travailler ces habiletés de la vie quotidienne en adaptant le jeu de trivial poursuite qui venait d’arriver en France avec des rubriques liées à ce quotidien. Nous avions appelé ce jeu le “éjerine pursuit  ” du nom de notre pavillon. Dans le même état d’esprit, nous utilisions les jeux socio-éducatifs tels que le jeu de Paris (pour s’orienter dans le métro et dépasser la peur des transports), le jeu de Scrupule (pour confronter les patients à des choix de vie, et à leur permettre de les défendre), le Monopoly, etc. Nous avions ainsi mis au point une technique de travail efficace et ludique sur ces troubles négatifs, techniques que nous avions évaluées.
Face aux difficultés rencontrées par les patients, nous tentions d’inventer des solutions parfois ingénieuses, parfois saugrenues en tout cas souvent efficaces. L’absence de chambre d’isolement et de moyens de contenir la violence nous obligeait à être inventifs. Les travaux que nous avons menés dix ans plus tard autour de l’information sur le traitement naissent dès ces années 85, voire dès 1978, autour du premier journal que nous avons créé avec un groupe de patients. C’est sur le terrain que nous avons commencé la recherche, et son développement est le fruit de vingt ans de réflexions de tout un secteur. Certains écrivent, d’autres pas, mais pour peu qu’existe une ambiance qui favorise la créativité des soignants, c’est toute une équipe, voire tout un secteur, avec les changements d’affectation, qui nourrit les recherches.
Quelques années plus tard, j’avais mûri autour d’une maîtrise et d’un DEA. J’étais inscrit pour une thèse en épistémologie clinique comparative, je pouvais donc me dire légitimement chercheur en soins. J’avais réalisé mon rêve d’enfant. C’est ainsi que je me mariais et eut beaucoup d’enfants mais pas tellement de maîtresses ce qui prouve qu’il ne faut pas écouter ce qu’on dit dans les contes. N’est pas Archimède qui veut.

Pourquoi faire de la recherche clinique lorsque l’on est infirmier 

La recherche infirmière s’inscrit dans un mouvement de réflexion national et international. La notion d’évaluation utilisée dans les pays anglo-saxons dès les années soixante, apparaît en France dans les années soixante-dix. Elle est liée à l’augmentation quasi-exponentielle des dépenses de santé. Les neuvième et dixième plans se fixent comme objectifs la modernisation du système de soins qui doit répondre à la diversité des besoins et aux aspirations de la population tout en maîtrisant l’évolution des dépenses. Cette gestion plus efficace suppose des instruments d’évaluation et de contrôle nouveaux. Et patati et patata. Je langue de bois. Je technocrate. On se croirait à l’ANFIIDE ou à l’AFFEDI. Je vais vous endormir si je continue comme ça.
Non, si je fais dans la recherche, c’est que je ne supporte pas la réalité de la maladie et de ce que l’on met en place pour la contrôler. J’aime par dessus tout aller à la rencontre de l’autre, et tenter d’établir une communication avec lui, même si je sais qu’au fond il y a là une part d’impossible, ce que traduit bien la formule du début. Pour pouvoir être pleinement soignant, j’ai besoin de prendre de la distance avec ce que je vis avec un patient ou un groupe de patients. La recherche clinique est un des moyens à ma disposition pour être suffisamment à distance, c’est-à-dire suffisamment proche. Je ne peux concevoir le soin sans la recherche clinique. Il s’agit des deux faces d’une même pièce. J’aime ce mouvement mental qui nous fait aller du particulier au général ou du général au particulier. J’aime ces univers mentaux dont je découvre la richesse avec la joie et les précautions d’un explorateur en quête des sources du Nil. Oui du Nil. Je suis un explorateur, un ethnologue du quotidien hospitalier. J’aime ces hommes et ces femmes qui acceptent un instant, un instant seulement, de me laisser entrer dans leur monde intérieur. J’aime cet effort que cela implique chez moi. J’aime cette sensation parfois d’être un funambule sur un fil qu’un souffle de vent suffirait à faire chuter. J’aime l’angoisse que je ressens parfois. J’aime et je respecte ces hommes et ces femmes qui combattent simplement pour que le monde continue à exister, à être habitable. La recherche, ça me colle à la peau. C’est comme une seconde nature. C’est presque une question d’équilibre interne. J’aime cette frénésie qui s’empare de nous à certains moments lorsque les hypothèses se vérifient ou sont infirmées. J’aime aligner mes petits bâtons et voir au décours des questionnaires se dessiner des tendances, j’aime voir apparaître progressivement une certaine réalité, parfois étonnante au cours d’une enquête. J’aime que la recherche me surprenne, qu’elle m’oblige à aller plus loin. J’aime quand des chiffres secs me permettent de faire un saut de côté, de mieux comprendre celui qui est à côté de moi. La recherche au fond ça ne sert qu’à ça. A faire des sauts de côté. A se rapprocher de l’autre. Sans autre, pas de recherche clinique.       
Ainsi que l’écrit Françoise Martel, une science, c’est avant tout “  une attitude  celle de l’aventure et cela ne se fait ni sans défi, ni sans lutte et parfois même combat (lire l’article de Marie Rajablat à ce sujet). Une science est une quête, une démarche pour habiller le vrai  ; d’ailleurs le propre de la scientificité n’est pas de refléter le réel, mais de le traduire en théories changeantes et irréfutables.  ” (3)
Et même si ce que j’écris en introduction n’est qu’une fabulation, qu’un anti-mythe, “ 
L’esprit scientifique contribue à éclairer  c’est l’art de découvrir, de comprendre et de savoir utiliser. Son domaine est celui des vérités complexes, jamais démontrées, postulées, valables jusqu’à leur réfutation. Ainsi la science consiste à découvrir constamment des problèmes nouveaux et à soumettre les réponses à des tests renouvelés de plus en plus affinés.  ” (3)
La recherche clinique est une exigence. Elle procède d’un sentiment d’insatisfaction face à la réalité. Comment ne pas être insatisfait face à la maladie, à la souffrance de cet autre isolé dans son dedans, qui vit dans un monde disloqué, dont le corps est morcelé, qui est plongé quotidiennement dans un film d’horreur qu’il ne peut partager  Comment être satisfait aussi longtemps que nos soins ne sont que cataplasme sur une jambe de bois  Et sans recherche clinique, ils ne sont que cela.
La recherche clinique c’est de la passion. Mais après tout, sans passion pourquoi être soignant, autant pointer à l’ANPE ou travailler à la RATP 

Quelques textes

Un nombre croissant de textes évoquent la recherche infirmière Ils sont rarement appliqués. Aucun moyen réel n’est mis en place. A l’exception de quelques rares initiatives d’associations ou d’établissements hospitaliers pionniers, la recherche infirmière c’est du rien avec du pas grand chose autour. Et pourtant énonce, en 96, la Recommandation du Comité des Ministres aux états membres, “ La recherche infirmière, en tant que champ spécifique de recherche, devrait être intégrée et pleinement prise en compte dans les politiques et l’organisation de la recherche médicale dans chaque pays.  ” (4) Lisons encore  “initiatives telles que l’institution de projets de recherche implantés dans les services de soins devraient être entreprises de façon à favoriser la réalisation des études pertinentes aux soins du patient/client dans les différents systèmes de soins et à faciliter l’intégration de la recherche et de la pratique.postes de recherche devraient être créés dans la profession infirmière pour les activités de recherche, le conseil, la direction, la gestion et la supervision de la recherche en cours. Des moyens devraient être développés pour la diffusion des résultats de la recherche, afin de permettre leur mise en application. Ces résultats devraient être transmis aux décideurs.” (4) Quel dommage que ce texte ne soit jamais arrivé à la D.H.O.S, quel dommage que le ministre qui l’a signé, n’en ait jamais parlé au sein du gouvernement français. Il n'y a pas que dans nos services qu'existent des problèmes de transmission  L’électeur que je suis se souvient constamment que règne un certain mépris des infirmières au sein du ministère de la santé.qu’un médecin soit à sa tête n’est pas fait pour me rassurer.
Dès 1985, le guide du service de soins infirmiers définissait la recherche infirmière comme “ 
les études et travaux effectués ou conduits par des infirmiers pour trouver une ou plusieurs réponses à des questions sur des faits concrets et sur leurs relations  ; ces questions ont trait au soin et au service infirmier, à la formation en soins infirmiers et à la profession et à son histoire. Il s’agit le plus souvent d’une recherche appliquée qui peut être de type descriptif, explicatif, comparatif ou expérimental.  ” (5) Cette définition fut vite oubliée, et en 1988, le guide n°3 consacré au service infirmier énonçait que “  la recherche infirmière a pour objet d’améliorer les techniques, l’efficacité et la qualité des soins infirmiers, mais aussi de permettre une meilleure utilisation des crédits destinés aux soins.  ” (6) Singulière restriction  Le champ est infirmier, corporatiste, lié à la qualité. Nous sommes aux antipodes de ce que serait un domaine spécifique. On parlerait dans ce cas de “en soins  ” ou de “  recherche clinique  ”. Tout se passe comme si la recherche n’était qu’un quignon de pain abandonné aux infirmières. Peu importe les résultats, peu importe le patient, ce qui compte c’est de réaliser des économies.
En 1991, le guide infirmier, consacré à l’évolution des orientations en santé mentale précise que les infirmiers en santé mentale (ISP leur aurait fait mal  ) “ 
doivent être partie prenante de toutes les procédures évaluatives menées dans le champ de la santé mentale au travers de l’évaluation de l’activité, l’évaluation de la qualité des soins infirmiers et l’évaluation de la charge de travail.  ” (7). Nous sommes bien dans le registre du métier. Le champ autonome se restreint comme peau de chagrin. L’article 9 du décret du 15 mars 1993 énonce que l’infirmier propose, organise ou participe à des actions de recherche dans le domaine des soins infirmiers. Je n’évoquerai pas, par charité uniquement, les péripéties des Instituts de Formation des Cadres de Santé et le mariage monstrueux tenté avec l’université autour d’une improbable licence.
Ces textes d’une valeur juridique inégale ne sont la plupart du temps pas appliqués. Ils suffiraient pourtant à initier les bases d’une activité de recherche en soins infirmiers. Des directeurs de service de soins infirmiers suffisamment motivés pourraient cependant y trouver des arguments opposables à leurs “
héréditaires  ” les directeurs des ressources humaines. Après tout, ainsi que le note le guide du service infirmier n°12 (Octobre 1991), c’est à eux qu’il appartient de développer, d’encadrer et de faire connaître la recherche en soins infirmiers. Trop peu le font, comme si la recherche était dangereuse, non pas en terme de pouvoir mais d’autorité.
Alors agenouillons-nous et psalmodions tous en chœur  “
recherche infirmière,recherche infirmière    ” Et surtout gardons-nous de faire quoi que ce soit pour élaborer le moindre projet.

Qu’est-ce que la recherche cliniqueun infirmier ?

Le verbe rechercher vient du bas latin circare  aller autour qui a donné “  ”. Rechercher signifierait étymologiquement “  parcourir en cherchant  ”, soit parcourir en allant autour, en tournant autour d’un objet, soit fureter. Le Petit Robert propose différents sens au mot “  ”  de l’esprit pour trouver une connaissance, la vérité  ”, c’est aussi “travail, les travaux faits pour trouver des connaissances nouvelles, pour étudier une question ” et enfin “ensemble des travaux, des activités intellectuelles qui tendent à la découverte de connaissances et de lois nouvelles  ”. Il s’agit “un effort conscient, méthodique et insistant.  ” La recherche en soins, la recherche clinique ne peuvent appartenir qu’au dernier type.
Un chercheur-infirmier, c’est un fureteur. Il est en mouvement autour d’une question qui le titille, qui part de la rencontre avec un patient et de ce qu’elle produit pour chercher une généralisation. La recherche c’est une dynamique, c’est d’abord prendre en compte ce que la réalité, ce que la rencontre avec cet autre souffrant provoquent en soi. Le chercheur-infirmier n’est pas, à distance de ce qu’il observe. Il ne s’abrite pas derrière son protocole de recherche, ni derrière un microscope. Il est dedans. Il participe et c’est là qu’est toute la complexité de son travail. Dans ce sens, la recherche en soins ou la recherche clinique appartiennent aux sciences humaines qui impliquent l’observateur et où l’observateur s’implique. Elle a peu à voir avec la recherche médicale. Elle suppose des méthodologies particulières et spécifiques qui n’ont rien à voir avec celles des sciences exactes qui séduisent pourtant tant de chercheures.
La recherche en soin est le plus souvent une recherche/action, c’est-à-dire “ 
une étude qui, ayant un certain projet de changement, transpose des connaissances théoriques dans le milieu naturel étudié et en dégage des renseignements susceptibles de généralisation pour aboutir à la production d’un savoir théorique.  ” (8) Elle s’appuie sur une observation participante orientée non pas vers la vérification d’hypothèses mais surtout vers la compréhension des pratiques dans leur globalité. L’un des objectifs est de susciter, chez les acteurs, une prise de conscience des conditions nécessaires au changement.
La recherche clinique, telle que la définissent les responsables du PHRC “ 
est une activité de recherche effectuée chez l’homme et dont la finalité est l’amélioration de la santé humaine dans le respect fondamental de la personnalité et de l’intégrité de chaque individu. Elle est située en aval de la recherche expérimentale sur laquelle elle s’appuie mais dont elle est distincte. Il s’agit d’une recherche hospitalière, encouragée par les délégations à la recherche clinique des Centres Hospitalo-Universitaires, ouvertes à tous les établissements, publics et privés, participant au service public hospitalier et donc soumis au budget global.  ” (9)Tout cela est bien restrictif pour des soignants qui interviennent au domicile des patients, qui les accompagnent en ville autour d’activités ciblées, qui arpentent les secteurs et sont confrontés quotidiennement à un certain effritement social qui retentit parfois sur la santé psychique des individus voire compromet gravement leur retour à une vie “  ”. Toute la question est de définir la clinique en tant que champ de réflexion non spécifiquement médical. Par clinique, on entend classiquement  “  de méthodes visant l’acquisition de connaissances par l’observation des phénomènes morbides ou non présentés par le sujet dans l’ensemble de sa situation sans recours aux techniques de laboratoire et autres. La méthode clinique, impliquant essentiellement la rencontre du clinicien avec le sujet, suppose, outre l’utilisation fournie par l’anamnèse et les divers examens, l’interprétation par le sens clinique (synthèse de l’observation, des connaissances, de l’intuition et des expériences antérieures) des conduites présentées au cours de cette rencontre et des examens.  ”(10)
Pour le Petit Robert, la clinique est l’ensemble des données obtenues par l’observation directe des malades. Le mot “  ” vient de clinicus latinisation du grec klinikos dérivé de klinê (le lit mais aussi la salle des malades). Tout cela venant de la racine indo-européenne klei incliner, pencher. Le klinikos était le médecin qui se donnait la peine de se pencher au chevet du malade par opposition à l’empereikos qui se prévalait de son expérience pour donner ses conseils à distance.
Définir la notion de clinique infirmière à partir de cette notion de proximité du patient n’apparaît pas aberrant. Les médecins ne sont pas les seuls professionnels caractérisés par leur contact avec les patients et par leur capacité à les observer.
Qui rencontre-t-on aujourd’hui au chevet des patients  Les médecins  Ils se font de plus en plus rares. Il y font trois petits tours et puis s’en vont. Faute d’effectifs suffisants, ils sont de plus en plus des empereikos. Au chevet des patients, on trouve les infirmiers. Les malades aujourd’hui, sauf à l’hôpital général, ne se rencontrent plus exclusivement autour d’un lit. Ils font de l’escalade, de la voile au cours de séjours sociothérapiques. C’est lors d’une course croisière en pleine mer dans un espace à la fois exigu et immense que François va connaître une crise d’angoisse. Ils accueillent les infirmiers à leur domicile dans leur intérieur. Ils fréquentent des ateliers thérapeutiques. La rencontre s’effectue autour d’une pièce de poterie, d’un ordinateur ou de tout autre objet médiateur de la relation. C’est ainsi que Sylvie me demande de lui recoller la tête car elle a laissé sécher trop vite la pièce qu’elle a façonnée. Le soin est de moins en moins hospitalier et de plus en plus communautaire.
Comment alors définir une recherche clinique infirmière en psychiatrie 
Le rôle infirmier consiste à aider la personne malade et son groupe de référence à accepter, intégrer, et dépasser la crise existentielle impliquée par la maladie en utilisant tous les éléments de la vie quotidienne hospitalière et extra-hospitalière, et notamment leurs aspects corporels, psychologiques, relationnels et sociaux. La clinique infirmière en psychiatrie repose donc sur la rencontre de l’infirmier et de l’équipe infirmière avec le sujet et son entourage dans un contexte dont chacun des partenaires doit être le créateur. Elle suppose le recueil des données relatives à la maladie, à la façon dont le sujet y réagit, aux représentations qu’il y associe, aux objectifs de soins qu’il est prêt à se donner, au sens qu’il lui donne. Elle implique une interprétation de ces différentes données et leur évaluation. C’est là qu’est le champ d’une recherche clinique ou d’une recherche en soin.
Si la clinique médicale est relative à l’observation des phénomènes morbides faite au lit du malade, la clinique infirmière se rapporte, elle, aux réactions à l’alitement, aux soins proposés, à ce qu’ils supposent chez le patient, à ce qu’ils mobilisent ou non dans sa famille et son entourage et aux réactions que cela provoque chez l’infirmier, et dans l’équipe.
Parmi les différentes méthodes utilisées, ainsi que le note Xavier Averso (11), la monographie apparaît comme un outil particulièrement utile au chercheur. La monographie n’implique pas de budget important. Elle fut mise au point par Frédéric Le Play pour l’étude des problèmes sociaux liés à la condition ouvrière en Europe. Elle se définit comme un ensemble d’investigations portant sur un phénomène concret et donnant lieu à une description aussi complète que possible. Elle présente deux caractéristiques  son objet est limité (famille, village, service de soins, histoire clinique), cet objet est décrit de manière aussi exhaustive que possible dans sa singularité et toutes ses particularités.
Il est évident que l’absence de troisième cycle portant sur les soins prédispose admirablement les infirmiers qui veulent faire de la recherche à l’apprivoisement de ces différentes méthodes de recherche.

Comment faire pour 

Vous voulez faire de la recherche en soins  Attendez-vous au pire. Aucun cadeau ne vous sera fait. Pour vous y préparer, prenez une carte au RPR à Paris, ou chez les Verts, ou dans un groupuscule d’extrême-gauche, un de ces trucs où l’on se déchire à belles dents pour un peu de pouvoir Si vous réussissez à survivre, vous serez presque prêt. Apprenez par cœur “Prince  ” de Machiavel, vous pouvez rajouter quelques traités de stratégies. Metternick, Bismarck sont de bonne compagnie. La Guerre des Gaules de Jules Caesar vous aidera à percevoir les enjeux institutionnels à l’œuvre. La lecture de Lénine et de Trotsky peuvent vous être également utiles.
Je ne plaisante pas. Vous n’avez aucune chance de mener à bien vos projets de recherche si vous n’êtes pas dotés d’un solide bagage en théorie et stratégie politique. Vous arrivez dans un monde hostile qui ne vous attend pas et dont vous allez bousculer tous les équilibres. Vous allez devoir faire face à de nombreuses attaques souvent déloyales. Le système essaiera de vous briser par tous les moyens.
Votre seule chance de survivre est de repérer les différentes interactions, les alliances, les pouvoirs réels et officieux, les réseaux de communication, les groupes de pression, les moyens directs et indirects de pression que vous pouvez exercer, les amants, les maîtresses. Vous devez parfaitement connaître le terrain sur lequel vous voulez intervenir. N’oubliez pas les syndicats  Vous êtes aussi dangereux pour eux que le directeur de l’ANAES. A vous seul, vous êtes une remise en cause des avantages acquis. Le droit à la chronicité est quasiment inscrit dans la constitution de l’institution.
Vous devez parfaitement vous connaître. Vous ne pourrez au début compter que sur vous et sur vos ressources. Si vous fonctionnez sur le registre “
émissaire  ”, si vous portez en vous la moindre once de culpabilité, de recherche de la punition, n’essayez même pas. Travaillez ce point impérativement. Le système vous acculera à la faute. Vous finirez par être interdit professionnellement. Ne commencez que lorsque vous aurez travaillé ce point. C’est également une question de survie.
Vous n’avez aucune légitimité. Vous avez à faire vos preuves, mais plus vous les ferez, plus vous serez dangereux et plus le système cherchera à vous attaquer. Méfiez-vous de vos réussites comme de la peste. N’hésitez pas à rater des choses sans importance. Faites en sorte de ne jamais dépendre réellement de qui que ce soit. Vous êtes hors hiérarchie, c’est votre limite mais c’est aussi votre chance, ne les bradez pas.
Soyez sur le terrain, c’est votre seule légitimité, c’est ce qui fera que vos collègues vous reconnaîtrons, c’est ce qui fera que vous garderez un contact avec les patients, c’est ce qui vous évitera de vous assécher. Refusez les promotions qui vous éloigneraient du terrain C’est un piège. On veut vous écarter de la clinique pour que vous ne soyez plus crédible.
Trouvez-vous des partenaires à l’extérieur de l’établissement. Publiez. Publiez très vite. Publiez même n’importe quoi d’à peu près correctement écrit. Il est essentiel que le système se rende compte que s’il vous titille d’un peu trop près, il prend le risque que ses petits secrets soient dévoilés au grand public.
Donnez-vous du temps. Ne cherchez pas à changer quoi que ce soit. De toute façon le système est trop chronique pour évoluer. Il vous faut faire en sorte que le prix à payer pour l’immobilisme soit supérieur à celui que représenterait le changement. Trouvez-vous un espace de supervision. Faites en sorte de toujours avoir un coup d’avance et pour cela attendez-vous au pire. Méfiez-vous des sourires, des louanges. De toute façon ce que vous, vous faites est nul. Donc si l’on vous complimente, c’est que cela cache quelque chose. L’essentiel, ce ne sont pas les mots, ce sont les actes. Des promesses qui ne coûtent rien, vous en entendrez beaucoup.
Apprenez à mendier. La recherche c’est 50 % de recherche de budget et d’écriture de projet qui ne seront pour la plupart pas lus. Mendier c’est facile, ce qui compte c’est d’apprendre le vocabulaire. Apprenez la langue de bois à la mode. Entraînez-vous. Apprenez à parler pour ne rien dire.
Et s’il vous reste un peu de temps et d’énergie, vous ferez un peu de recherche sur le terrain avec vos collègues.
Vous voulez toujours faire dans la recherche  Eh bien bonne chance 


Dominique Friard
ISP Laragne (05)


1 Formule de Shannon, à l’origine de sa célèbre théorie mathématique de la communication.
2
ai trouvé  ”, anecdote rigoureusement authentique, à l’érection près.
3
Martel (F), in Recherche en Soins Infirmiers n°
4
Recommandation n° R (96) 1, Recommandation du Comité des ministres aux états membres sur la recherche infirmière (adoptée par le Comité des Ministres le 15 février 1996).
5
Guide du Service de Soins Infirmiers, n°1, 1985, Le dossier de soin.
6
Guide du service de Soins Infirmiers n° 3, 1988, Le fonctionnement du service de soins infirmiers
7 - Guide du service de Soins Infirmiers n° 11, 1991, L’évolution des orientations en santé mentale.
8 Grand Dictionnaire de Psychologie Larousse, Paris 1990.
9
Programme Hospitalier de Recherche Clinique, Définition des concepts.
10
MORFAUX (L.M.), Vocabulaire de la philosophie et des sciences humaines.
11
AVERSO (X), Initiation à la recherche, Notes de cours.



nous contacter:serpsy@serpsy.org