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Un tronc pour plusieurs ou plusieurs pour un tronc ?



Une réforme en profondeur des études des futurs professionnels du secteur de la santé se dessine depuis plusieurs années qui inclus les études infirmières entre autres. Le Monde s'en fait l'écho dans un article paru dans son numéro du Mardi 6 Novembre dans lequel il nous est confirmé l'orientation choisie par le ministère de favoriser la création d'une première année universitaire en forme de tronc commun concernant toutes les professions médicales, c'est à dire les futurs médecins, sages-femmes, orthophonistes, kiné, etc.. et infirmières. Pourquoi pas les Aides-Soignantes suis-je tenté de dire avec tout le sérieux du monde ? La philosophie qui semble présider à cette orientation est on ne peut plus respectable puisqu'il s'agirait de décloisonner la profession médicale d'une part et d'autre part de promouvoir une culture commune des métiers de la santé.

Je me refuse d'emblée à chercher derrière ce qui nous est annoncé quelque pièges que ce soit, quelques buts sordides, voire quelque manipulation politicienne. Je manifeste peut-être là une candeur qui ne serait pas de mise mais voilà, c'est une position à laquelle je tiens particulièrement et que je mets en pratique quotidiennement avec mes collègues et les étudiants que je fréquente. C'était également ma position, une éthique personnelle si vous voulez, lorsque sur le terrain je travaillais avec des malades mentaux. Je n'ai jamais regretté ce positionnement en tant que soignant, je ne vois pas pourquoi je le regretterais en tant que formateur et je suis sur de ne pas le regretter en tant que citoyen. Le mode d'être si fréquent aujourd'hui de la défiance systématique, voire de la paranoïa, ne fait qu'alimenter selon moi le cycle désastreux de l'envie, du ressentiment et de la vengeance dont les échos sinistres retentissent à travers le monde depuis quelques temps.

Alors voici ce que je pense de cette réforme telle qu'elle m'est donnée à penser à travers cette petite source d'information que j'ai sous les yeux. Je pense, tout comme ce fût le cas pour le rapport Piel et Roaland concernant la psychiatrie française, que les intentions sont louables, que les buts sont à énoncer clairement et que les moyens à mettre en œuvre sont à élaborer de concert avec l'ensemble des corps de métier concernés. Comme pour le rapport il semble qu'il ne soit pas fait grand cas des résistances et surtout des moyens de les vaincre ou de les contourner. Les résistances présentent un risque majeur non pas en tant qu'elles pourraient s'opposer à cette réforme et la faire capoter (ce qui n'est pas exclus) mais en tant que faute d'être prises en compte, elles s'exprimeront à coup sur dans la mise en place de la réforme et en dévoyer à la fois la philosophie et les buts, j'en veux pour preuve un exemple tiré de la même page du monde.

Je lis qu'à Grenoble les futures sages-femmes formées selon ces voeux sont satisfaites que leur soit apportée " une culture générale et médicale " et d'arriver à l'école de sages-femmes, c'est à dire après cette première année commune, " avec une vraie culture médicale sur l'anatomie et la physiologie... on est moins perdu " disent-elles.

Voilà qui est pour moi l'expression de la résistance à ce projet si riche d'un potentiel d'humanisation de l'ensemble des professions de santé : "le paramédical", censé disparaître de notre dictionnaire, semble s'épanouir en toute liberté à Grenoble. En tant que formateur en IFSI et professionnel de la santé mentale ce n'est pas du tout cela que j'aimerais entendre des futures étudiantes sortant de la première année commune, qu'il s'agisse de futures infirmières ou d'étudiants se destinant à d'autres professions du secteur de la santé.

Cette réforme fait écho en moi avec un constat plein de bon sens qui a été énoncé avec une clarté suffisante il me semble : la formation des médecins gagnerait à être enrichi dans le volet des sciences humaines. Ceci pour dire avec tact que les médecins gagneraient à être formé pour soigner des êtres humains vivants. Il me semble que si ce tronc commun doit être utilisé à quelque chose c'est précisément à cela, que les futurs professionnels de la santé dans leur ensemble soit pendant un an mobilisés sur les aspects philosophiques, sociologiques, psychologiques, humanistes, relationnels et j'en passe de leur futur métier. Une véritable formation de base comune autour de disciplines transversales dont l'objectif énoncé clairement est de préparer le futur soignant (j'utilise ce mot à dessein) au fait que le sujet demandeur de soin doit être, est, au centre des préoccupations de tous les soignants et du système de santé dans son ensemble.
Je refuse complètement que les étudiantes en soins infirmiers soient dotées d'une véritable culture médicale car elles sont déjà, en partie au moins (ceci est à l'origine du terme fâcheux de paramédical) dotée d'une telle culture par leur passage en IFSI et nous connaissons bien les difficultés que cela engendre tant en ce qui concerne l'identité des soignants que le mode de prise en charge des patients. Si la réforme consiste à rendre commune la première année des études médicales telle qu'elle existe actuellement le résultat (un désastre) sera effectivement de faire de la culture médicale le socle commun à toutes les professions qui pour le coup seront paramédicales, même celles qui ne le sont pas encore. Il conviendra donc de modifier radicalement le contenu de cette "première année de médecine" si l'on veut respecter la philosophie qui paraît présider à cette réforme.

Donc, je suis favorable à cette réforme à condition que les objectifs soient énoncés sans ambiguïté, c'est à dire qu'ils ne puissent être dévoyés. J'y suis favorable également à condition que les buts énoncés ne fassent pas le lit de buts sous-jacents. Autrement dit à condition que l'on ne berne pas le citoyen lucide que je pense être. Enfin mon adhésion serait confirmée si se mettait en place une concertation véritable avec l'ensemble des acteurs y compris les formateurs en IFSI qui vont se trouver privé d'une première année durant laquelle ils s'efforcent d'introduire les notions que j'ai énoncé plus haut. Il est vrai que malgré de dures résistances nous n'avons pas attendu cette réforme pour insister sur le fait que le sujet demandeur de soin doit être au centre du soin. Comment vont donc évoluer les formations marquées d'une certaine spécificité qui suivront cette première année ?

C'est à un vaste chantier que nous sommes tous invités ici, ne laissons pas, une fois encore, nous échapper les décisions majeurs qui nous concernent et concernent nos professions, nous en serions, une fois encore (c'est un Infirmier de Secteur Psychiatrique qui écrit), les premières victimes... après les patients (mais AZF nous a appris que nous sommes tous des patients potentiels !).


Argenty Jean, Cadre Formateur à l'IFSI Gérard Marchant, Toulouse.