Naissance de la formation infirmière
L'apparition du mot "enfermier" date du 13ème siècle mais c'est à la charnière des 19ème et 20ème siècles que l'appellation d'infirmière sera officiellement adoptée (1).
Devant les avancées du savoir médical et de l'efficacité thérapeutique, observées dans les trois dernières décennies du 19ème siècle (et en particulier grâce aux travaux de Pasteur), les services hospitaliers sont réaménagés. Ils deviennent de véritables lieux de traitement.
Les asiles, quant à eux, demeurent de véritables renfermeries d'incurables. A leur tour les aliénistes vont préconiser la médicalisation et l'hygiénisation de l'espace asilaire. Les médecins vont être amenés à déléguer des actes pratiqués jusqu'alors par eux seuls et à pointer la nécessité d'une formation aux actes infirmiers des gardiens d'asiles. Dans les asiles publics et privés, les médecins se heurtent d'un côté aux religieuses, n'obéissant qu'à la hiérarchie ecclésiastique et de l'autre, à l'instabilité du personnel laïc, à la réputation brutale. Aux soins médicaux et aux thérapeutiques curatives, les religieuses préfèrent invoquer les Saints guérisseurs : "Elles considèrent la folie comme un résultat du péché ; font des lectures mystiques à des malades atteints de folie religieuse(2)". Quant à la main d'œuvre dite "secondaire", "subalterne" ou encore "inférieure", ce personnel des "gardiens", "il consistait essentiellement en un ramassis de vagabonds, d'ivrognes, de naufragés de la société qui, poussés par la faim, acceptaient ces fonctions pour pouvoir hiverner dans l'établissement. C'est à ces gens exceptionnels et à leurs caprices sans fin qu'on confiait les aliénés" .
Dans ce contexte, et bien que proposée pour la première fois par Scipion Pinel en 1836, une instruction professionnelle pour le personnel infirmier se met en place à la fin du 19ème siècle
Le modèle républicain de Bourneville :
Sur l'initiative du docteur Bourneville, (1840 - 1909), anticlérical farouche et militant du groupe des radicaux, s'élabore un programme d'enseignement commun aux services médicaux et aux services d'aliénés. Le 1er avril 1878 se crée même à St Anne une formation supérieure spécialisée en Santé Mentale.
"Chez Bourneville, les motivations scientifiques, médicales ou administratives, bien qu'essentielles, ne masquent jamais la dimension politique de son action".[ ] Il s'agit pour lui, non seulement de qualifier les soignantes, mais de les motiver, en leur proposant une carrière ; il espère par-là les fixer dans l'établissement hospitalier"(3)
Le programme d'enseignement dit "Bourneville" propose des cours d'alphabétisation avant les cours théoriques et pratiques en anatomie, physiologie, techniques de soins, règles d'asepsie et d'hygiène. La loi du 15 juillet 1893, qui institue l'assistance médicale gratuite, met l'Etat devant l'obligation d'aider à l'organisation d'écoles d'infirmières. Le programme, qui se déroule sur un an et se divise en une série de sept cours théoriques, sera étendu à l'ensemble du territoire à partir de 1902 (circulaire Combes, du 28 octobre). Face à l'action de l'assistance Publique, des écoles privées s'organisent et d'autres modèles se constituent, à côté du modèle républicain de Bourneville.
Les autres modèles fondateurs de la profession :
Elle réhabilite socialement le nursing alors que l'Angleterre ne permet aux jeunes filles de l'aristocratie de se consacrer aux soins des malades. Son projet allie émancipation de la femme, amélioration de la formation des soignantes et amélioration de l'état des hôpitaux. Dans son système, la formation des infirmières résulte d'une fusion de l'école et de l'hôpital. Sa politique de formation repose d'abord sur la pratique, bien qu'un enseignement de trois séries de douze cours théoriques soit dispensé, chaque année, par des médecins. La formule de l'internat, qui permet d'inculquer aux jeunes filles une discipline stricte et une morale rigoureuse, parachève l'instruction technique et éducative des stages.
Entre le modèle libéral anglo-saxon et la politique dirigiste à la Bourneville,
L. Chaptal ouvre la voie d'un compromis. Son action en faveur de la professionnalisation des infirmières présente trois dimensions essentielles : la défense de l'initiative privée dans le domaine de la formation des infirmières et de l'assistance sociale, l'affirmation de l'enracinement de la pratique soignante dans son passé religieux et la traduction des valeurs héritées par ce passé en morale professionnelle, enfin, la reconnaissance du rôle de l'Etat, comme principe de légitimation et instance de réglementation. Entre les libéraux, refusant toute intervention publique sur le terrain de la solidarité et de l'humanitaire et les républicains, soulignant les devoirs de l'Etat pour tempérer les effets des inégalités sociales, "elle s'insère dans un courant chrétien qui, tout en reconnaissant le bien-fondé d'une intervention publique en matière d'aide aux nécessiteux, n'admet pas pour autant que l'assistance puisse devenir un monopole de l'Etat"(4). Elle considère que le rôle de l'infirmière moderne est complémentaire à ceux de l'hygiéniste et de l'assistante sociale. Il est appelé à s'inscrire dans le cadre d'un "service social" et à s'élargir à l'éducation sanitaire et à la prévention médico-sociale. "L'infirmière doit savoir tout du malade - non pas tout de la maladie : la maladie, c'est la science du médecin, le malade, c'est l'art de l'infirmière" (5).
La reconnaissance officielle de la profession infirmière
Le décret du 27 juin 1922 institue des "brevets de capacité professionnelle" permettant de porter le titre d' "infirmière diplômée de l'Etat français" aux "infirmières hospitalières, aux visiteuses d'hygiène sociale et aux diverses infirmières à spécialité restreinte : puériculture, surveillance sanitaire des écoles, hygiène mentale etc"(6). Il est également crée un conseil de perfectionnement des écoles d'infirmières chargé de déterminer les programmes, d'organiser les examens, de poser les conditions de recrutement des écoles pour chaque catégorie professionnelle (Ibid., article 3). Le diplôme d'Etat infirmier est accordé aux infirmiers des asiles de la Seine diplômés avant le 31 décembre 1924. L'enseignement n'est toutefois obligatoire que pour les infirmiers des hôpitaux publics de soins généraux.
Le 26 mai 1930, un arrêté tend à uniformiser la situation du personnel infirmier des asiles au niveau national. C'est au cours des années trente que de nouvelles techniques de soins en matière de maladie mentale apparaissent : insulinothérapie, électrochoc. Ces méthodes biologiques contribuent à la reconversion des asiles en hôpitaux de traitement et exigent un personnel soignant qualifié. Le 5 février 1938, un règlement réorganise l'exercice de la profession d'infirmière des asiles qui, dorénavant, portera le titre d' "infirmière psychiatrique". L'arrêté du 23 juillet 1955, complété par l'arrêté et la circulaire du 4 octobre 1958, rend la formation uniforme sur tout le territoire français.
La psychothérapie institutionnelle, initiée par le docteur Tosquelles, l'avènement des neuroleptiques (Largactil â ) et la circulaire du 15 mars1960 sur la sectorisation, imposent de nouvelles exigences en matière de formation du personnel. De 1955 à 1972, la formation se déroule sur deux années et comprend 120 cours théoriques. Le 12 mai 1969, un arrêté institue la profession d' "infirmier de secteur psychiatrique"(7).
Une réforme s'opère pour les IDE et les ISP, respectivement par l'arrêté du 5 septembre 1972 et l'arrêté du 16 février 1973 : allongement de la durée des études (28 mois), recentrage du concept de soin sur la personne soignée, promotion de la santé. Des stages deviennent obligatoires en psychiatrie pour les IDE et en soins généraux pou les ISP. L'arrêté du 26 avril 1979 porte la durée des études à 33 mois et introduit une première année commune entre IDE et ISP. Les deux filières ne bénéficient pas pour autant des mêmes dispositions : "possibilité d'exercice dans tous les secteurs, sans complément de formation pour les IDE, formation pour obtenir le DE, et donc la polyvalence d'exercice, pour les ISP" (8). L'arrêté du 23 mars 1992 instaure un diplôme unique polyvalent avec lequel les ISP n'ont à ce jour pas d'équivalence de droit.
La réforme du statut, des règles et des actes professionnels
La réforme du statut portant première modification du Code de la Santé Publique, relative à la profession d'infirmier, date du 31 mai 1978. "Est considéré comme exerçant la profession d'infirmière ou d'infirmier toute personne qui, en fonction des diplômes qui l'habilitent, donne habituellement des soins infirmiers sur ou conseil prescription médical, ou bien en application du rôle propre qui lui est dévolu. En outre, l'infirmière ou l'infirmier participe à différentes actions, notamment en matière de prévention, d'éducation de la santé et de formation ou d'encadrement" (article L.473). La loi du 12 juillet 1980 modifie quant à elle certaines dispositions du Code de la Santé Publique, relatives à l'exercice de la profession d'infirmière. Le décret du 12 mai 1981 concerne IDE et ISP en dressant la liste des soins que les infirmiers sont habilités à dispenser, soit en application de leur rôle propre, soit sur prescription médicale, soit en présence d'un médecin (environ 70 actes relatifs aux soins somatiques, 3 alinéas concernent les actes intéressants spécifiquement les ISP). Un arrêté du Conseil d'Etat du 14 mars 1984 annule ce décret, à la suite du recours déposé par le syndicat des médecins biologistes, estimant qu'il autorisait les infirmiers à pratiquer des actes relevant de la compétence exclusive des responsables de laboratoires d'analyse de biologie médicale.
"Cette annulation provoquera une grève infirmière très suivit. Elle aboutit à la loi u 25 mai 1984, puis au décret du 17 juillet 1984, relatif aux actes professionnels t à l'exercice de la profession d'infirmier"(9). Il restera très proche du précédent et sera abrogé 9 ans plus tard.
Aujourd'hui, deux décrets déterminent les responsabilités infirmières, l'un définit les règles professionnelles, l'autre concerne les actes professionnels et l'exercice infirmier. Le décret n ° 93-221 du 16 février 1993 établit une sorte de "code de déontologie infirmière". Le décret n ° 93-345 du 15 mars 1993 est, quant à lui, le décret dit de "compétence". L'application de ce décret est précisée par la circulaire GGS/PS n ° 97-412 du 30 mai 1997.
(1) GIESBERGER (P), Evolution historique de la formation infirmière en psychiatrie, la fin d'une histoire, mémoire de maîtrise de sciences et techniques "Hygiène mentale", Faculté de médecine de Créteil, 1992.
(2) BOURNEVILLE (D.M), Histoire illustrée de la psychiatrie.
(3) VEROREL (H), MEYLAN (A), Cent ans de psychiatrie, Ed. du Scarabée, Paris : 1969, page 23.
(4) SALIBA (J), BON-SALIBA (B), OUVRY-VIAL (B), Les infirmières ni nonnes, ni bonnes, Des Gens, 1993.
(5) Ibid.
(6) CHAPTAL (L), Le livre de l'infirmière, introduction à la quatrième édition, Paris : Masson, 1936.
(7) JO, article 1, 1er juillet 1922.
(8)JONES (C), De la polyvalence aux qualifications, une formation pour les soins infirmiers en santé mentale, mémoire, Ecole des Cadres de St Anne, 1993.
(9) LETOURNEAU (D), Santé Mentale, n° 18, Mai 1997.
(10)GIESBERGER (P), ibid.