Comment la notion de diagnostic infirmier est-elle apparue ?
Avant les années 50, on envisageait les soins infirmiers sous un angle essentiellement pratique, on les définissait par les tâches et les interventions infirmières.
Hildegarde Peplau fut la première soignante à théoriser les étapes de la relation infirmière/patient (" Les relations interpersonnelles en soins infirmiers " 1952). L'expression " diagnostic infirmier est utilisée pour la première fois en 1953 dans un document rédigé par Virginia Fry aux Etats-Unis. Elle suggère une nouvelle approche de l'exercice de la profession infirmière fondée sur la formulation d'un diagnostic infirmier et l'élaboration d'un plan de soins personnalisé. L'ANA (American Nurse's Association), en désaccord avec cette façon d'appréhender le rôle infirmier précise alors que cette terminologie ne " sous-entend en aucun cas la formulation de diagnostics et la prescription de mesures thérapeutiques ou curatives. "
Pour éviter l'appellation proscrite, les infirmières décrivent leur tâche comme étant de déceler chez une personne ou une famille des problèmes qui relèvent de leur compétence. Différentes définitions des problèmes de soins infirmiers seront proposés, dont celle de Faye Abdellah (1957), un problème de soins infirmiers est " un état observé chez une personne ou une famille auquel l'infirmière peut remédier par l'exercice de ses fonctions professionnelles ". L'infirmière doit donc dépister des problèmes et orienter ses interventions en conséquence. Les infirmières tireraient des conclusions à partir du phénomène observé. Leur mission serait donc de diagnostiquer les problèmes d'une personne ou d'une famille à partir des données qu'elles recueillent.
Si la plupart des infirmières américaines avancent très prudemment sur ce terrain, d'autres dans un combat quasi féministe s'opposent au droit exclusif des médecins à énoncer un diagnostic. Ainsi, en 1963, Komorita rédige cette définition : " Le diagnostic infirmier doit être une conclusion basée sur l'observation scientifique des besoins d'une personne en matière de soins infirmiers faite à partir d'une analyse critique de son comportement, de la nature de sa maladie et de tous les facteurs qui affectent sa santé. Cette conclusion doit servir de guide pour l'élaboration des soins infirmiers. " Cette définition est reprise dans les standards de la pratique infirmière en 1973.
En 1966, Kelly décrit pour la première fois, le diagnostic comme un moyen de déterminer aussi bien la cause d'un symptôme que la façon de le soulager. La collecte des données consiste non seulement à recueillir des renseignements sur les symptômes et signes cliniques du patient mais aussi sur son profil social et ses antécédents culturels, ainsi que sur les facteurs physiques et psychologiques liés à son environnement.
Nous avons vu qu'en 1966, Myra Levine avait tenté de tourner la difficulté en proposant le terme de trophicognostic, " jugement porté sur les soins infirmiers à administrer, auquel on parvient par une méthode scientifique ".
En 1967, le Dr. Lester King, dans l'article " What is a diagnostic ? " réfute l'idée le raisonnement voulant que la faculté de diagnostiquer soit réservée au médecin. " Même si un diagnostic comporte généralement des connotations d'ordre médical, celles-ci ne sont pas essentielles à la formulation du diagnostic ; les activités qui permettent de formuler un diagnostic ne sont pas uniques au domaine médical. " Selon Lester King, trois conditions doivent être réunies pour qu'un diagnostic puisse être valide :
- l'infirmière doit disposer de catégories de diagnostics infirmiers préétablies qu'elle consultera pour formuler son diagnostic ;
- le jugement diagnostic doit porter obligatoirement sur une entité spécifique et
- l'infirmière doit établir le lien entre le phénomène ou la réaction à l'étude et une catégorie de diagnostic infirmier.
Nous sommes bien d'accord que si ces trois conditions sont remplies, il sera possible de poser des diagnostics infirmiers valides. Ces critères ont d'ailleurs servi de fondements pour l'élaboration du système de classification ou de taxinomie actuel.
En 1967, Yura et Walsh proposent une définition novatrice de la démarche de soins en distinguant quatre étapes.
En juillet 1969, à Nantes lors d'une université d'été C. Mordacq rentrée depuis peu du Canada présente la notion de diagnostic infirmier : " Epoustouflant, impensable dans le contexte hospitalier français où le terme diagnostic semble intimement lié à médical. " Le groupe d'infirmière présent laisse aux canadiennes le diagnostic et " adopte " le plan de soins.
Le système de classification des diagnostics infirmiers
En 1970, l'infirmière responsable de l'examen du patient gagne le droit d'émettre un jugement fondé sur son observation. Cette fonction autonome lui est reconnue par un texte de loi. L'ANA publie de nouveaux critères de soins infirmiers prenant en compte l'aspect diagnostique du rôle infirmier.
En 1972, Marjorie Gordon soutient sa thèse de doctorat en sciences infirmières sur le raisonnement diagnostique.
En 1973, la loi régissant l'activité infirmière américaine est modifiée, notamment en ce qui concerne la responsabilité de poser des diagnostics infirmiers. Il se constitue également cette même année, un groupe d'études pour la classification des diagnostics infirmiers dont l'étude et les tests se font en milieu clinique.
La première conférence nationale est organisée aux Etats-Unis. Cent professionnels y sont invités. L'objectif est " d'amorcer le processus qui conduira à l'élaboration d'un système de classification organisé, logique et complet regroupant les problèmes ou les états de santé que les infirmières peuvent diagnostiquer et traiter par leurs interventions. " Un plan d'action est déterminé pour recueillir et échanger des informations sur le sujet et établir des liens entre les différentes associations nationales.
De 1973 à 1975, un groupe de classification voit le jour, ce groupe se charge de coordonner un projet visant " à recueillir des données sur les diagnostics infirmiers en étudiant à l'échelle nationale, un échantillon varié de patients recevant des soins infirmiers. "
En mars 1975, une centaine d'infirmières se réunissent dans l'état du Missouri pour :
- approfondir tous les aspects touchant la conception d'une nomenclature et d'une taxinomie pour les problèmes de santé diagnostiqués par les infirmières ;
- revoir ou évaluer les diagnostics infirmiers proposés lors de la première conférence nationale ;
- créer et définir de nouveaux diagnostics infirmiers.
Au cours de ces journées, une méthodologie sera définie : études de cas, consensus des infirmières, études rétrospectives de dossier. L'objectif est de valider les signes majeurs des diagnostics infirmiers. Callista Roy, Marjorie Gordon, Dorothéa Orem participent à cette conférence.
L'ensemble des écrits infirmiers des années soixante-dix reflètent non seulement l'acceptation grandissante du terme, mais aussi l'utilisation plus étendue du concept dans les milieux de soins et d'enseignement. Dans les revues spécialisées les articles traitant du sujet sont de plus en plus nombreux, des livres abordent les aspects théoriques et pratiques du diagnostic infirmier.
Vers une taxinomie des diagnostics infirmiers
C'est à l'Institut Gustave Roussy (Villejuif) qu'exercent les premières utilisatrices des diagnostics infirmiers en France. L'Institut, dès 1980 assure la formation au diagnostic infirmier (en référence au travail américain). L'infirmière générale met en place une évaluation de la qualité des soins infirmiers centrées sur le diagnostic infirmier.
En 1982, , l'Association Nord-Américaine pour le Diagnostic Infirmier (la NANDA, ANADI en français) est créée. Cette appellation reconnaît neuf ans de participation infirmière américaines et canadiennes au développement du diagnostic infirmier.
La NANDA a pour but de perfectionner et promouvoir une taxinomie des diagnostics infirmiers qui soit d'utilité générale pour les infirmières diplômées. Les théoriciennes infirmières proposent de classifier les diagnostics infirmiers sous les grands thèmes de la santé humaine qui relèvent particulièrement de la compétence des infirmières. Cette structure théorique comporte les neuf modes de réaction humaine, qui représente la base conceptuelle de la future taxinomie. Ces modes sont :
1- Echanges : dons réciproques
2- Communication : transmission de messages
3 - Relations : établissement de liens
4 - Valeurs assignation d'un mérite relatif
5 - Choix : sélection entre diverses possibilités
6 - Mouvement : activité
7 - Perceptions : réception d'informations
8 - Connaissances : sens associé à une information
9 - Sensations et sentiments : conscience subjective de l'information
En France, en 1983, le GRIEPS (Groupe de Recherche et d'Intervention pour l'Education des Personnels de Santé) inclut le diagnostic infirmier dans une session de formation sur les soins infirmiers en cardiologie.
Aux cinquième et sixième conférence nationales (1984 et 86), les infirmières présentent des rapports de recherche sur la définition et la validation des diagnostics infirmiers, et révèlent les résultats des dernières études effectuées sur la taxinomie. Les fondements de la future taxinomie sont exposés lors de la sixième conférence : la taxinomie I est présentée à la septième conférence, puis approuvée par les membres de la NANDA. L'assurance qualité, la compétence clinique, l'informatisation des diagnostics infirmiers sont également abordés lors de cette conférence.
En 1986, Carpenito (Consultante en soins pour la NANDA) publie " Nursing diagnosis Application to clinical practice " traduit dans l'année par des cadres enseignantes au CHRU de Bordeaux.
Le même année, un groupe de professionnels élabore le guide du service infirmier n°3, on y trouve une définition du diagnostic infirmier : " Le diagnostic infirmier est l'identification d'un problème de santé réel ou potentiel, présenté par une personne ou un groupe, et qui est de la compétence de l'infirmière en fonction de sa formation et de son expérience. "
En 1987, la première recherche française est présentée au Congrès de Calgary " Besoins en soins infirmiers des personnes soignées ". L'équipe enseignante du CHRU de Bordeaux publie : " La démarche de soins, approche théorique ".
En 1988, aux Etats-Unis, la taxinomie I est révisée, d'autres diagnostics infirmiers sont retenus.
En 1990, lors de la neuvième conférence, deux nouveaux diagnostics infirmiers sont suggérés et approuvés ce qui porte à 100 le total des catégories diagnostiques admissibles à des fins cliniques. Au cours de cette conférence, la question d'une définition des diagnostics infirmiers est abordée. Il s'agit de préciser la terminologie qui leur est propre, leurs critères d'admissibilité ainsi que le processus de leur révision. Il s'agit également d'élaborer la taxinomie II et la présentation d'une liste de situations exigeant des soins infirmiers (projet de taxinomie CIM-10 de l'ANADI).
A partir de 1990, en France un nombre croissant d'articles concernent les diagnostic infirmiers dans les diverses revues et livres professionnels, écrits le plus souvent par des infirmières canadiennes.
En 1991, l'AFEDI (Association Francophone Européenne pour le Diagnostic Infirmier) est créée. Son siège social est à Bruxelles. L'AFEDI est affiliée à la NANDA. Les buts de l'AFEDI sont de :
- développer le diagnostic infirmier comme un concept contribuant à la promotion de la qualité, de la reconnaissance et de la gestion des soins infirmiers ;
- participer à la recherche internationale sur les diagnostics infirmiers ;
- développer des réseaux d'échanges et être garante de la scientificité des diagnostics infirmiers de langue française.
En 1992, Cécile Boisvert et Catherine Duboys Fresney publient " Le diagnostic infirmier chaînon manquant entre les besoins infirmiers et le PMSI ".
En février 1993, le guide infirmier n°15 est publié, et en mars 1993, le décret de compétence rend obligatoire l'utilisation du diagnostic infirmier.