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A la cueillette des données 

Trois jours par mois, je fais le formateur en démarche de soin. J’abandonne Pierre, Michèle, Paul et Françoise, une certaine façon de soigner et je reçois mes collègues en Formation Continue. Les journées se divisent en deux temps  le matin nous honorons Sainte Théorie, l’après-midi nous revisitons l’histoire de Françoise, Michel, Paul. L’après-midi est toujours plus vivant comme si Sainte Théorie avait le don d’endormir mes collègues. Ainsi que le proclame une chanson à boire de mon enfance  “bonne théorie m’endort mais l’amour de transfert me réveille encore. ”
Formateur avisé, les matins de formation, je ne quitte jamais mon domicile sans glisser dans mon sac quelques métaphores, en voici une.

1,2,3, J’irais au bois.

En apparence rien n’est plus simple que de recueillir des données.
L’infirmière tel un moderne petit chaperon blanc se promènerait, en chantonnant, avec son petit panier, dans une forêt d’indices qu’elle n’aurait plus qu’à cueillir dans les arbres décisionnels avant de les coucher dans son recueil de données.
Çà, c’est une méthode de parisien ou de pharisien.
Il ne faut pas confondre.
Il ne faut pas confondre l’amanite tue-mouches et l’amanite des Césars, ni les baies d’if avec les fraises des bois. On y risque sa vie. Pour ne pas confondre, il faut s’être promené très tôt dans les bois, en compagnie d’une grand-mère, d’un grand-père ou d’un familier des lieux. Il faut connaître les coins, les paysages. Il faut de l’expérience. Pour ne pas confondre, on peut aussi avoir en main “grand Livre de la nature ” où sont répertoriés comme dans un herbier tous les produits comestibles. Il faut avoir des lectures.
1,2,3 j’irais au bois, 4,5,6 cueillir des cerises.
Lorsque l’on va au bois cueillir des cerises, on n’y trouve pas de noisettes. Çà n’est pas la saison, et si l’on y trouve des noisettes, il n’y aura pas de cerises. Lorsque l’on va au bois cueillir des cerises, on peut aussi se baisser pour ramasser des fraises des bois. Ce n’est pas parce que çà n’est pas dans notre projet de cueillette qu’il faut n’y pas prêter attention. Les fraises de bois ont beau être discrètes, elles ne s’en vexent pas moins très facilement. On n’est par ailleurs jamais sûr de trouver des cerises ou des fraises des bois. Un phytothérapeute, un promeneur solitaire a pu passer avant vous et cueillir tout ce qu’il y avait à cueillir. Reste le plaisir de se promener dans les bois, d’être en relation avec la nature.
Promenons-nous dans les bois pendant que le loup n’y est pas.
Lorsqu’en automne, on va ramasser des champignons, il ne faut pas y aller avec le “livre des Champignons ”. Ce n’est pas le nez collé à un livre qu’on trouve des champignons.
D’abord on se lève tôt. On se prépare. Il fait encore presque nuit, on s’est équipé de bonnes chaussures de marche. L’air est humide. On se retourne de temps en temps pour voir si l’on n’est pas suivi. Un coin, c’est un coin et çà ne se dit pas. On reste silencieux comme dans une église, c’est presque mystique la cueillette des champignons. On écoute les mille petits bruits de la forêt, on entend le lever des oiseaux, toute cette vie qui grouille autour de soi et que l’on ne voit pas. L’essentiel est invisible pour les yeux. On regarde tout de même autour de soi, à ras de terre, là où sont les champignons. Ce n’est pas le nez en l’air qu’on les trouve. Attention la branche  On finit par distinguer chaque teinte de feuilles, chaque nuance de fauve, d’ocre et de brun. On respire les sous-bois. Là une discrète odeur d’humus, ici des feuilles en décomposition. Le chant d’un cours d’eau. Là, non. Là, çà respire le bolet ou les trompettes de la mort.
Arrêtez 
Lorsque l’on trouve un champignon, on ne saute pas dessus, on ne l’arrache pas. Surtout pas. On se baisse. On écarte délicatement de la main les feuilles, les branchages, on dégage doucement le pied. A-t-il une volve, un anneau, des lamelles blanches  C’est une fausse piste, on repart. Là. Il est comestible. Alors, mais alors seulement et parce que l’on a vérifié, on le cueille.
C’est une question d’équilibre. Le champignon a besoin de la forêt pour croître, mais la forêt a besoin du champignon pour exister. Ne pas briser un équilibre fragile. Ne pas se comporter en intrus. Y en a-t-il d’autres autour  On fait soigneusement le tour du regard. On avance encore plus silencieusement. Comme si on allait les réveiller et qu’ils risquaient de partir. On va un petit peu plus loin. Moi, je vais même jusqu’à les appeler, à mi-voix, par leur petit nom latin  “
edulis  Boletus edulis  ”. Je ne jurerais pas qu’ils ne m’aient pas parfois répondu.
Lorsque l’on a assez de champignon, on arrête, on rebrousse chemin. On peut découvrir ou redécouvrir le paysage à hauteur d’homme. Il ne faut pas épuiser un coin. Pas de politique de la terre brûlée lorsque l’on ramasse des champignons. Ensuite, si on doute, on peut aller voir son pharmacien et on analyse avec lui ce que l’on a trouvé. On peut aussi, une fois rentré chez soi, ouvrir son “
des Champignons ” et comparer ce que l’on a cueilli avec les photos du livre. Çà n’est pas facile, on a le doute. La photo ne correspond pas tout à fait à ce que l’on a, c’est pas le bon angle, c’est une oronge ou une fausse  Mais les livres c’est comme çà, çà ne correspond jamais tout à fait. C’est même ce qui fait l’intérêt des livres. Des fois on finit quand même par aller voir son pharmacien. C’est égal, c’est de cette façon qu’on apprend à connaître les champignons. Sauf, si c’est votre grand-père qui vous a appris.
La cueillette des données en psychiatrie, c’est un peu comme çà.

Recueillir les données

Parmi les cinq étapes de la démarche de soins, celle du recueil des informations est certainement la plus importante, la plus déterminante pour la suite de la prise en charge. Elle débute bien avant l’arrivée du patient dans l’unité, se concrétise à son entrée et se poursuit tout au long de son séjour et même au-delà.
Chaque rencontre, chaque accueil d’un patient chaque fois différent enrichit notre expérience, notre savoir-être et donc notre façon de cueillir et de recueillir ces données. Les données sont constamment enrichies et constamment remises en cause.
Il est également nécessaire, dans une prise en charge au long cours, qu’un certain travail d’oubli s’opère. Cette cueillette ne saurait être exhaustive, ses limites en sont la capacité du patient à les offrir et celle du soignant à les recevoir.
Toutes les étapes de la relation soignant/soigné, toutes les activités proposées auront également pour effet d’enrichir les données recueillies et permettront de réactualiser la démarche.
Quelles que soient les informations recueillies, leur qualité, leur quantité, le domaine sur lequel elles portent, le patient ne saurait s’y résumer. Ce qui compte, c’est ce que nous ignorons du patient, et ce que nous supportons d’ignorer. Il est essentiel qu’il y ait place en nous pour le manque, pour le mystère. Nous ne saurons jamais tout sur un patient et mieux nous le saurons, plus nous lui rendrons service. Chaque âme a son secret, chaque vie a son mystère. Percer ce mystère, révéler ce secret à supposer que cela soit possible reviendrait à tuer l’individu, à le contraindre à se tuer, provoquerait sa mort psychique.

Promenons-nous dans l’étymologie

Le mot “donnée” apparaît en 1771. Il est forgé à partir du latin donare (842)  faire un don. Donner c’est mettre en la possession de quelqu’un, c’est abandonner à ce quelqu’un, dans une intention libérale ou sans rien recevoir en retour une chose que l’on possède ou dont on jouit.
La notion de don implique donc une relation, une série d’interaction entre deux personnes ou entre deux groupes de personnes. L’une donne et l’autre reçoit. Çà crée un déséquilibre relationnel. La notion de don devrait impliquer une réciprocité.
Les données c’est d’abord ce que le patient met en notre possession, ce qu’il nous abandonne de lui-même. Recevoir ces données est un privilège, une marque de confiance. Çà crée des devoirs chez celui qui reçoit.
Donner, c’est aussi renoncer à ce que l’on possède en propre, çà renvoie à une perte qu’il faut donc combler par un don.
C’est pour cette raison que j’accepte toujours une cigarette qu’un patient m’offre. C’est pour rétablir une relation de réciprocité.
Que nous offre donc le patient 
Il nous donne des renseignements sur lui-même. Renseignements qui vont nous permettre de le soigner certes, mais qui vont également nous permettre d’exercer un certain pouvoir sur lui.
Dans certaines sociétés (amérindiennes notamment), les individus avaient deux noms, un nom usuel, social, destiné aux échanges et un nom secret qui devait rester inconnu. Qui connaissait ce nom secret pouvait exiger ce qu’il voulait de l’individu. La magie noire repose également sur ce principe. Invoquer un démon c’est d’abord pouvoir le nommer, le connaître et ensuite le contraindre à agir pour nous.
Chacun de nous vit avec un certain nombre de masques. En répondant à nos questions, le patient abandonne quelques-uns de ses masques, il se déboutonne, se déshabille, laisse entrevoir son intérieur. Le masque montre autant qu’il cache. En se dépouillant de ses masques, l’individu n’en continue pas moins à se cacher. L’individu est un tout indivisible dont nous ne percevons que des facettes, un être “
 ” doté d’un conscient et d’un inconscient et qui par cela même tend à échapper constamment à son interlocuteur.
Chez certains la frontière entre dedans et dehors est tellement mince, tellement fuyante qu’en répondant à nos questions, ils peuvent finir par se sentir dépossédé d’une part importante d’eux-mêmes. Il est là encore essentiel d’installer une réciprocité, un échange.
Les données ne sont qu’étymologiquement un don (à la fois l’action de donner et la chose donnée comme si les deux se confondaient), autrement il n’y aurait qu’un seul mot.
Les données pour le scientifique c’est ce qui est connu, déterminé dans l’énoncé d’un problème et qui sert à découvrir ce qui est inconnu.
C’est aussi ce qui est admis, connu ou reconnu et qui sert de base à un raisonnement, de point de départ pour une recherche.
Le recueil des données n’est donc qu’un premier temps qui prend sens dans un second temps  le temps du dévoilement de l’inconnu, le temps du raisonnement, le temps de la recherche aboutie, de l’action.
Appliqué aux soins, cela implique que le soignant doit chercher ce qui est admis, connu ou reconnu par le patient, sa famille, l’équipe pluridisciplinaire pour découvrir à partir de ces données ce qui est inconnu ; ce que le patient, la famille, l’équipe ne savent pas qu’ils savent et qui doit leur être restitué. Autrement dit, tout problème se définit par des éléments connus et des éléments inconnus intrinsèques.
Les données sont également une représentation conventionnelle d’une information (fait, notion, ordre d’exécution) sous une forme (analogique ou digitale - système binaire) qui permette d’en faire le traitement automatique ou informatique. On évoquera alors la notion de base de données.
Si nous recueillons des données auprès du patient pour ensuite les représenter sous une forme analogique ou binaire afin de les traiter par l’informatique, nous ne sommes plus du tout dans la même logique. Dans ce cas, le soignant cherche à recueillir des informations pour pouvoir les transformer et les traiter. Il n’est plus qu’un maillon entre le patient et l’ordinateur. On pourrait même imaginer des malades suffisamment au fait de l’informatique qui entreraient directement les données dans l’ordinateur. L’ordinateur n’aurait alors plus qu’à leur imprimer le traitement adéquat. L’aspect relationnel impliqué par la notion de don disparaîtrait alors totalement et avec elle le soin.
Le terme de données n’est donc peut-être pas innocent.
On peut lui préférer ceux d’information ou de renseignement en sachant qu’information vient du latin informare (former, façonner, “
çonner l’esprit ” donc instruire) et que renseignement vient d’insignare (mettre une marque, signaler, désigner) dérivé de signum (le signe), renseigner consisterait à remettre une marque, un signe.
Intéressons-nous pour achever ce parcours étymologique aux mots cueillette, recueil.
Le mot recueil apparaît en 1534, il vient du latin colligere. Cueillir. Recueillir c’est faire “
accueil ”. Recueillir les données serait étymologiquement faire bon accueil aux renseignements que le patient nous apporte. Un recueil c’est un ouvrage ou volume réunissant des écrits, des documents. On insiste ainsi sur la nécessité de noter par écrit les renseignements fournis.
Qu’il faille écrire les informations données implique-t-il d’utiliser une grille de recueil de données  Ne risque-t-on pas insensiblement pas de passer sous silence tout ce qui n’entrerait pas dans la grille et d’oublier des éléments importants  Ne risque-t-on pas de passer d’une grille support papier à une grille informatisée où le soignant n’aurait plus qu’à cocher des cases et où la parole propre du sujet disparaîtrait 
Retenons de cette promenade que les mots utilisés ne sont pas neutres, qu’il importe d’être vigilant.
Il importe de retenir que sans la participation active, sans la collaboration du patient nous ne pouvons rien recueillir d’essentiel. Cette collecte, ce recueil, ce bon accueil à ce que l’autre nous transmet de lui-même est une interaction entre lui et nous, c’est un don qui doit supposer une certaine réciprocité.
Sans ce don, sans cette collecte, sans cette relation de confiance aucun soin n’est possible.
Nous ne recevons pas ce don pour nous-mêmes mais au nom d’une équipe soignante, ce qui suppose de transmettre ce que nous avons recueilli, de le mettre en forme, de telle sorte que ce qui est anarchique, informe puisse trouver ou retrouver une forme, puisse être à nouveau une marque, un signe. Les renseignements, les informations, les données recueillis n’ont pas de valeur, ni de poids en eux-mêmes. Elles ne sont signifiantes que dans un second temps, celui de l’analyse.

Considérer le patient comme un sujet

L’essentiel me paraît être de considérer le patient comme un sujet. Je ferais même de ce “considérer le patient comme un sujet ” le premier temps réel de la démarche de soins, un préalable indispensable sans lequel nous ne saurions parler de démarche de soins. Plus qu’un slogan, ce considérer le patient comme un sujet est un paradoxe.
Il suppose que nous puissions le considérer comme quelqu’un qui souffre et qui d’une façon ou d’une autre a besoin de notre aide, et donc comme un potentiel “
 ” de soin et à la fois comme quelqu’un qui n’a absolument pas besoin de nous pour ce qui est l’essentiel de sa vie et donc comme quelqu’un qui nous est étranger et auquel nous sommes étrangers, soit comme un sujet.
Nous ne pouvons le considérer comme un sujet que si nous nous considérons nous-mêmes comme un sujet, que s’il nous est possible de vivre sans avoir besoin que quelqu’un ait besoin de nous.
Il est évident qu’il n’est pas possible de considérer le patient comme un sujet si nous nous considérons nous-mêmes comme un pseudopode du médecin, comme un exécuteur de tâches prescrites, comme un professionnel dépendant.
Autrement dit, nous ne pouvons accueillir et recueillir ce que le patient nous offre que si nous avons préalablement éclairci notre rapport à l’autre, notre rapport au soin, à la souffrance. Le temps de formation qui va bien au-delà de la formation initiale devrait nous permettre d’effectuer cette clarification nécessaire.
C’est en ce sens que la première étape du recueil de données débute bien avant l’arrivée du patient/sujet.
Elle se poursuit dans l’unité fonctionnelle avec une équipe qui doit également clarifier son rapport au patient, ses objectifs de soins, sa philosophie de soins, la place et le rôle de chacun face à ces objectifs et à cette philosophie.

Accueillir

Accueillir, c’est enfin se préparer à l’accueil. C’est ranger sa maison, enlever la poussière, mettre quelques fleurs dans un vase pour faire joli ; accueillir, c’est avoir envie de recevoir l’autre tel qu’il est, avoir envie de lui faire plaisir, se souvenir de la dernière fois où l’on s’est rencontré, c’est quelques images, quelques réminiscences. C’est s’habiller le cœur. C’est considérer que la personne qui vient à notre rencontre est la personne la plus importante au monde et que nous sommes pour lui le lieu et la personne la plus importante au monde, la plus accueillante. Alors nous sommes prêts à le recevoir, à l’accueillir. Nous n’avons jamais fini de considérer le patient comme un sujet. C’est un véritable travail sur soi, une ascèse.
Théories que tout cela  S’il fallait attendre d’être prêt à accueillir les patients pour les recevoir, s’il fallait attendre d’être suffisamment nombreux, suffisamment disponibles pour cela, il n’y aurait pas beaucoup de patients hospitalisés 
Est-on mieux accueilli chez les riches que chez les pauvres  Est-on mieux accueilli chez un couple prêt à se séparer qui signe un armistice le temps de nous faire bon accueil ou chez un couple d’amoureux passionnés qui ne pense qu’à son bonheur 
La façon dont on donne vaut mieux que ce qu’on donne.
Lorsqu’on accueille quelqu’un, une fois les formalités de politesse accomplies (elles sont importantes mais l’accueil ne se limite pas à cela), tous ne se jettent pas sur les invités pour les soumettre à un feu roulant de questions. On prend son temps, on a toute la soirée pour cela. On évite qu’ils soient obligés de donner cinq fois de suite des nouvelles de leur tante (surtout si la tante se remet difficilement d’un cancer), de leurs cousins par alliance. On prend son temps. On laisse venir. Il y a des préliminaires, comme en amour. On fait visiter la maison, les lieux d’aisance, que la personne puisse se repérer dans notre maison comme si c’était la sienne. On lui propose un apéritif, un café, une boisson chaude ou fraîche, selon la saison, selon son goût.
Lorsqu’un patient arrive dans l’unité, c’est un peu comme cela.
S’il est hospitalisé, c’est qu’il a rencontré au moins un médecin auquel il a raconté son histoire. Il va en rencontrer un deuxième dans l’unité, il en rencontrera peut-être un autre demain. S’il est hospitalisé, c’est qu’il ressent ou qu’il lui est arrivé des choses pénibles. Si nous sommes infirmiers, ne lui demandons pas de nous reraconter cette histoire. Il a besoin de se poser, de faire halte dans un lieu d’étape, de souffler. Offrons-lui un bon fauteuil, rassurons le, entourons le, enveloppons-le d’attention(s) s’il peut le supporter. Certains voyageurs, certains patients ont vécu des événements tellement difficiles qu’il faut savoir les laisser seuls. Etre là, pas trop loin, attentifs, mais les laisser se récupérer à leur rythme. Si ce que la personne a besoin, c’est de se reposer permettons-lui de le faire. Il sera toujours temps demain de reparler de tout çà. Surtout si parler, verbaliser lui demande un effort. Si elle éclate ou si elle est prête à exploser, si une immense colère la fait déborder, la fait sortir d’elle-même, accueillons la, essayons de la rassurer, contenons-la. Ici, il y a quelque chose qui résistera. Et lorsque viendra le lendemain, le temps de l’entretien, laissons là notre recueil de données, ces questions une fois pour toutes. Accompagnons ce que ce patient a à nous dire. N’oublions pas que dans données, il y a “
 ”. C’est comme pour les champignons, çà n’est pas un dû, c’est une marque de confiance, c’est l’aboutissement d’une relation, d’une attention à ce qui nous entoure, d’une attention au patient. On n’extorque pas les données, çà n’est pas un interrogatoire, c’est une cueillette. On cueille les confidences au vol, on comprend à demi-mot, on reformule juste ce qu’il faut pour être sûr d’avoir bien compris, on dégage doucement tout ce qu’il y a autour. Parfois, çà n’est qu’une russule émétique, une fausse piste, une réaction de prestance. D’autrefois, c’est une girolle, un bolet de Bordeaux, le patient se fie suffisamment à nous pour nous confier ce qui est réellement important pour lui à ce moment là. On peut creuser un petit peu avec lui. Parfois, cet entretien suffit à le soigner, à dépasser ce qui l’agressait. Alors, c’est le bonheur. Mais attention  Il faut savoir s’arrêter, ne pas épuiser cette confiance. Il ne faut pas pratiquer la politique de la terre brûlée. Il faut savoir s’arrêter, mettre une limite, que le patient ne se vide pas, qu’il ne se répande pas en nous, qu’il ne donne pas tout lors d’un premier entretien et qu’il ne lui reste plus rien en lui ensuite. Il faut savoir apprécier sa confiance, ces petits moments de grâce comme quelque chose de rare et de précieux. Apprécier le don et donner à notre tour. La confiance, çà se mérite 
Et quand çà ne parle pas parce qu’il y aurait trop à dire, parce que nous sommes dans l’indicible, nous avons d’autres sens pour recueillir ces données. Nous pouvons écouter avec les yeux, avec l’odorat, avec le tact, le “
à peau ”, le goût. Tout un paysage sensible se met en place qui nous renseigne sur le patient mais aussi sur nous. Ce que nous ressentons est tout autant à recueillir que ce que le patient ressent. Se dessine alors un paysage d’une richesse telle que les mots aussi précis soient-ils ne nous permettent pas de le décrire. Ce paysage est d’autant plus riche que nous sommes à la fois ceux qui rêvent devant le paysage, la paysage lui-même et dans le paysage d’un autre rêveur.
L’accueil n’est pas vraiment un concept, c’est plutôt un ensemble de pratiques. Il s’agit de donner une forme institutionnalisée à la rencontre. C’est pour cette raison qu’il est absurde de vouloir faire des protocoles d’accueil. Il s’agit d’une rencontre où chacun, soignant comme soigné est acteur.
Après avoir retracé les grandes lignes de l’entretien avec le patient, après l’avoir conclu, après avoir pris rendez-vous pour un prochain entretien, après avoir pris congé, il est possible de regarder ce que nous avons dans notre panier. Il est possible alors après avoir pris du recul de remplir notre recueil de données, d’analyser ces données et d’élaborer une démarche de soins provisoire.


Dominique Friard.