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Le décret du 15 mars 1993.

Analyse et proposition du C.E.F.I.

Le Comité d'Etude des Formations Infirmières (C.E.F.I.) a été l'une des premières associations professionnelles à demander, au cours du Conseil Supérieur des Professions Paramédicales (C.S.P.P.M) en février 1998, la réactualisation du décret du 15 mars 1993 qu'il était convenu, dans le cadre des accords Durieux, de revoir tous les 3 ans. Cet engagement n'a pas pu être respecté, du fait essentiellement de la durée prévisionnelle (de révision) relativement courte : trois années ne paraissent pas suffisantes pour prendre la distance nécessaire à l'évaluation objective de la définition de nouvelles pratiques, compte tenu que leur mise en oeuvre nécessite un certain délai d'application.

Notre demande faisait suite à des débats particulièrement houleux sur un projet d'arrêté prévoyant de confier, dans certaines conditions, les aspirations endo-trachéales aux aides médico-psychologiques, auxiliaires de vie, ... La profession infirmière s'est sentie menacée, voyant, dans ce projet d'arrêté, une porte ouverte sur la dissolution de son champ de compétence et zone de responsabilité, définis dans le décret du 15 mars 1993.

Le C.E.F.I. a eu une position plus nuancée sur cette question et a préféré s'engager dans une réflexion autour de la délégation ; celle-ci devant être conditionnée à une formation dispensée par des infirmiers(ières) auprès des personnels concernés conformément à l'article 9 du décret de mars 1993. La décision prise par le ministère de revoir le décret en question permet d'élargir des perspectives d'une analyse plus approfondie de l'exercice professionnel.

La direction générale de la santé a constitué un groupe de travail sur ce sujet, composé exclusivement d'organisations syndicales, considérant que le nombre important d'associations rend sa représentativité complexe. Un certain nombre d'associations se sont élevées contre cette méthode, rappelant que les composantes syndicales représentent actuellement moins de 10 % des infirmiers(ières).

Le C.E.F.I. n'a pas pris part à cette polémique préférant consacrer son énergie dans l'élaboration de propositions concrètes. Nous avons pris acte de l'engagement du ministère à considérer toutes suggestions (écrites et soutenues dans le cadre d'audiences) qui émanent des associations. Nous avons par ailleurs retenu la garantie que le projet de décret sera étudié en Conseil Supérieur des Professions Paramédicales. C'est dans ce contexte et cet état d'esprit que le C.E.F.I. publie aujourd'hui les conclusions de sa réflexion.

Méthode de travail

Nous avons, dans un premier temps, sensibilisé des professionnels de terrain sur ce thème en rappelant qu'il s'agissait moins d'une refonte du décret que de sa réactualisation. Notre souci a été d'associer le maximum de professionnels pour que la nouvelle mouture du décret se rapproche au plus près des réalités de la pratique professionnelle et de leur évolution. Cependant, vu l'ampleur du travail à réaliser, nous avons limité notre étude à 6 régions : Aquitaine, Ile de France, Lorraine, Midi-Pyrénées, Picardie, Rhône Alpes. Nous avons procédé à une lecture attentive du décret actuel en questionnant, article par article, l'adéquation avec nos conceptions et vécus de travail au quotidien. Notre origine professionnelle nous a conduit, parfois même à notre insu, à centrer notre réflexion sur la discipline des soins psychiatriques. Nous ne nous sommes pas, pour autant, désintéressés des soins généraux.

Nous souscrivons tout à fait aux propositions de nos collègues notamment en matière de prescription infirmière et de leur évaluation. Mais, nous avons estimé qu'ils avaient plus de crédit que nous à soutenir le réexamen d'actes techniques de nature somatique, de part leur compétence, sous-tendue par leur expérience professionnelle.

Nous nous sommes donc focalisés à notre champ d'expertise pour tenter d'enrichir le décret de 1993 du savoir et des pratiques développés dans le champ de la santé mentale.

Constat

Cette approche a été confortée lorsque nous avons constaté la pauvreté du décret dans le domaine de la nomenclature des actes de soins psychiatrique. Nous relevons dans les articles de 3 à 6 (qui reprennent les principaux actes du rôle propre et prescrit) pas moins de 119 actes. Sur ces 119 actes, seulement 12 concernent plus spécifiquement la psychiatrie : ce qui représente à peine 10 % de l'activité infirmière.

Ce constat laisse supposer que presque rien ne se fait en psychiatrie, même si nous admettons que ce calcul doit être relativisé par le fait que certains actes relèvent aussi bien des soins généraux que de la santé mentale, comme par exemple les soins d'hygiène et de propreté ou bien encore les prélèvements sanguins, injections, perfusions... Les professionnels de la psychiatrie ne peuvent cependant pas se reconnaître dans la limitation des actions décrites dans l'actuel décret. Nos propositions de révision vont donc dans le sens de promouvoir les pratiques de soin en santé mentale pour asseoir la discipline des soins psychiatriques dans un exercice polyvalent de la profession infirmière.

Propositions

Nous avons considéré que la structure du décret était suffisamment claire et explicite pour ne pas envisager de modifications sur son ossature actuelle. Les propositions que nous développons s'inscrivent en conséquence dans les articles tels qu'énoncés dans le décret de 93. Nous allons donc reprendre chacun d'entre eux en mettant l'accent sur les modifications qui nous paraissent souhaitables voire incontournables.

L'article 1 définit la notion de soins infirmiers. L'approche des soins infirmiers telle que décrite dans cet article ne prend pas suffisamment en compte la dynamique de la relation interpersonnelle soignant-soigné, au moment même où se développe la formalisation de contrat de soin et d'infirmier référent.

Nous proposons la formulation suivante :

"les soins infirmiers, préventifs, curatifs ou palliatifs sont de nature technique, éducative et relationnelle. Leur finalité est, par le développement d'échanges interpersonnels, de promouvoir l'autonomie physique et psychique du sujet souffrant". La suite de l'article reste inchangée.

L'article 2 précise le domaine dans lequel s'exerce le rôle propre de l'infirmier.

Nous proposons 3 réajustements :

1) remplacer l'expression "besoin du patient" par "problème de santé", ce qui donnerait : "Il (infirmier) identifie les problèmes de santé des patients, formule des objectifs de soins, met en oeuvre les actions appropriées et les évalue".

Cette modification se justifie car nous savons, à la lumière des approches anthropologiques, que le sujet ne peut pas être réduit à l'état de besoin. L'homme est aussi un être de désir : le besoin exprimé par l'homme génère une demande adressée à l'autre (en l'occurrence au soignant dans le cadre des soins).

2) Introduire la notion de prescription de soins infirmiers et de prescription infirmière : la prescription de soins infirmiers permettrait de préciser la collaboration avec nos partenaires : aides-soignants, aides médico-psychologiques ... dans la réalisation de certaines tâches telles que les soins aux fonctions vitales, soins de confort ... ou encore soins d'escarres ...

La prescription infirmière qui concernerait exclusivement la prescription de première intention sur la douleur physique (pouvoir donner par exemple un comprimé de Doliprane en cas de douleur dentaire) et la douleur psychique (ce qui clarifierait par exemple la prescription d'anxiolytiques ou d'insomnie en "si besoin").

3) Spécifier les démarches d'auto-évaluation des pratiques infirmières susceptibles de développer la qualité des soins infirmiers (référence à l'ordonnance d'avril 96).

L'article 3 énumère les actes infirmiers relevant du rôle propre.

Nous avons dans ce domaine plusieurs suggestions :

1) Supprimer le terme de "contention" pour ce qui concerne la pose de bandage afin de le réserver à la contention en chambre d'isolement thérapeutique. Nous éviterions ainsi toute confusion.

2) Ajouter la notion de "prescription - y compris médicamenteuse" dans la correction de l'hypothermie et de l'hyperthermie : ce qui éviterait par exemple que l'infirmier fasse appel à un médecin pour un fébricule.

3) Spécifier certains actes pratiqués quotidiennement par les infirmiers exerçant en psychiatrie tels que :

- information du patient sur ses droits, devoirs et sur les consignes de sécurité.

Nous pensons aux recommandations de l'ANAES dans ce domaine. Il nous apparaît, d'autre part, hautement souhaitable que figure, dans le décret, la nécessité d'informer le patient sur son mode d'hospitalisation, notamment quand il s'agit d'une hospitalisation sous contrainte (hospitalisation d'office ou à la demande d'un tiers). Cette information permet de considérer le malade mental comme un citoyen à part entière par la connaissance de ses droits et obligations.

- organisation et animation du repas thérapeutique

- entretien individuel et familial dans le cadre d'une visite à domicile

- consultation infirmière (en référence à ce qui se pratique particulièrement dans les centres médico-psychologiques dans le cadre de la psychiatrie de secteur).

- actions d'information et de coordination des réseaux du champ sanitaire et social (en référence à la psychiatrie de liaison préconisée dans la circulaire de mars 1990 et à la récente loi sur l'exclusion).

- organisation et animation d'activités groupales à visée thérapeutique, éducative, socio thérapique :

- ateliers à médiation corporelle : expression corporelle, euthonie et détente corporelle

- ateliers à médiation objectale : ateliers terre, eau, cuisine; ateliers conte, marionnettes, vidéo; ateliers d'expression artistique et/ou culturelle; ateliers à médiation verbale : groupe de parole.

- participation de l'infirmier référent aux réunions cliniques dans le cadre de l'élaboration, la mise en oeuvre et l'évaluation du projet thérapeutique.

- accompagnement des patients dans les démarches de réadaptation psychosociale dont le but recherché est de favoriser l'autonomie du patient : aide à la gestion d'un budget ; aide dans les procédures administratives; aide dans l'achat de produits de premières nécessités.

- intervention psychophysique non abusive dans le cadre de situation de crise, de violence ou d'agitation psychomotrice. Cet acte suppose une formation aux attitudes gestuelles et verbales pour désamorcer la situation d'agressivité afin d'engager un processus de résolution de la crise.

Nous souhaitons également que soient déclinés dans la consultation infirmière : l'entretien d'accueil et d'information; l'information et la surveillance des troubles du comportement; l'aide et le soutien psychologique; la relation d'aide thérapeutique

L'article 4 décrit les actes effectués sur prescription médicale.

Il nous parait nécessaire également d'étoffer cet article par un certain nombre d'actes concernant notamment :

- l'entretien individuel à visée psychothérapique : la dimension psychothérapique sous-entend une formation personnelle de supervision.

- l'animation et la participation au sein d'une équipe pluridisciplinaire aux techniques de médiation psychothérapique : psychodrame analytique; art thérapie; musicothérapie; hypnothérapie.

- participation aux thérapies familiales

- participation aux entretiens médicaux à visée diagnostic et/ou thérapiques.

L'article 5 : précise les actes infirmiers à accomplir sur prescription médicale écrite.... à condition qu'un médecin puisse intervenir à tout moment.

Nous proposons, au regard des recommandations de l'ANAES, de spécifier les soins qui gravitent autour de la contention et l'isolement de patients agités :

- application des protocoles de contention physique

- application des protocoles de mise en chambre d'isolement thérapeutique.

Nous attachons une attention particulière à associer au terme d'isolement la dimension thérapeutique, car nous considérons que l'agressivité de patient, qui conduit à la contention et l'isolement, est toujours l'expression symptomatologique d'une souffrance et doit, de ce fait, revêtir une dimension de soin.

L'article 6 décrit les actes infirmiers réalisés un présence d'un médecin.

Nous souhaitons voir remplacer le terme de sismothérapie par électro-convulsivothérapie pour nous conformer à la dénomination scientifiquement utilisée.

L'article 7 concerne l'infirmier anesthésiste.

Nous estimons que nous devons réserver les observations au personnel concerné faute de compétence dans ce champ d'exercice.

L'article 8 : mentionne qu'en l'absence du médecin, l'infirmier est habilité, sous certaines conditions, à accomplir les actes nécessaires conservatoires, jusqu'à l'intervention d'un médecin.

Nous n'avons pas de remarques particulières à formuler si ce n'est à préciser que cet article concerne également la spécificité des soins psychiatriques notamment dans les actes de contention et de mise en chambre d'isolement décrits dans l'article 5.

L'article 9 : spécifie que selon le secteur d'activité, l'infirmier est habilité à proposer des actions de formation, de prévention, de dépistage et d'information.

Nous notons que dans cet article figurent "l'information sexuelle et l'information dans le domaine de la santé mentale". Nous comprenons difficilement ce qui a motivé l'association "information sexuelle et santé mentale". Ce rapprochement interroge les représentations sociales : le fait psychique serait-il indissoluble d'une connotation sexuelle ? Pour notre part, nous souhaitons différencier ces deux aspects, considérant que l'information sexuelle est tout aussi nécessaire dans le champ de la santé publique (comme par exemple les lycées) que de celui de la santé mentale.

Conclusion

L'étude réalisée par notre association confirme la nécessité d'une réactualisation du décret régissant les actes professionnels. Nous avons longuement déploré l'insuffisance du décret en matière d'explicitation des soins psychiatriques. Les professionnels de la santé mentale ont une tendance naturelle à incriminer leurs collègues de soins généraux d'avoir occulté délibérément la dimension des faits psychiatriques. Nous pensons que cette attitude de dénégation, véhiculée par une minorité de professionnels de santé ne peut, à elle seule, expliquer les raisons de cet état de fait. Nous estimons que nous avons notre part de responsabilité sur la situation actuelle, liée à notre difficulté à nommer ce que nous réalisons au quotidien auprès des patients souffrant de troubles psychiques. Nous pensions qu'en résumant notre activité sur le relationnel, nous avions tout dit ; il est temps d'ouvrir les yeux et de regarder la réalité en face pour faire reconnaître notre identité professionnelle. La révision du décret sur les actes professionnels nous offre la possibilité de spécifier nos actions. Sachons nous saisir de cette opportunité pour formuler des propositions concrètes revalorisant le soin psychique.

Nous n'avons pas la prétention de détenir l'exhaustivité de la pratique psychiatrique et appelons en conséquence tous les professionnels soucieux de faire reconnaître la qualité des soins en psychiatrie, de se mobiliser sur ce thème : il en va de notre avenir et de celui des patients que nous soignons. Si nous laissons le décret en l'état actuel, nous pourrons difficilement faire entendre la charge en soins dans le futur PMSI et la nécessité de préserver le contenu de formation conduisant au diplôme d'état d'infirmier.

Christian. Bourdeux

Infirmier Général - Fondation Bon Sauveur d'Albi

Président du Comité d'Etude des Formations Infirmières

Membre Titulaire du Conseil Supérieur des Professions Paramédicales.