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Accompagner pour améliorer.

 

Malgré un investissement professionnel maximal de la part des équipes de soins et un travail apparemment bien accompli (patients accueillis, soins administrés, situations organisées et gérées), il peut arriver, pour chaque membre de ces équipes, d’éprouver une insatisfaction professionnelle dans le cadre d’une situation de soin, avec laquelle il faudra cohabiter, pour pouvoir ensuite la dépasser.

Cheminer sur sa propre insatisfaction nécessite d’analyser la situation de soin. Chacune est en effet singulière et fait converger un ensemble d’éléments que nous ne percevons pas toujours, comme les stratégies et les jeux d’acteurs. Tous les membres de l’équipe ont leur importance, en ce sens où, selon leur personnalité et leur sensibilité, leurs expériences ou leurs connaissances, ils peuvent contribuer à une meilleure compréhension des phénomènes en action. Au travers des temps de rencontres, leurs ressentis et leurs visions des situations diffèrent parfois, voire se confrontent.

Derrière le factuel des situations, c’est le soin qui est interrogé, et sa qualité. Il n’y aura jamais de réponse définitive à ce qu’est une bonne situation de soin. L’équipe, par ses interactions et ses productions de pensées, a le mérite de vouloir progresser vers l’appréhension et la gestion des situations de soins de façon qualitative. Cette élaboration doit bien évidemment être encadrée pour évoluer de façon optimale, et c’est là l’une des fonctions essentielles du cadre de santé qui accompagne l’équipe dont il a la charge dans le quotidien des soins.

Le cadre de santé est avant tout un professionnel qui met du soin dans les soins. Par son expérience, il est sensibilisé aux questions relatives à l’optimisation des situations de soins. Son savoir-faire se base sur l’observation, la réflexion et l’échange. Son savoir-être s’ancre sur le dépassement des évidences et la volonté constante d’amélioration. La qualité, rapportée aux situations de soin, et donc à une donnée immatérielle et profondément humaine, ne s’entend pas comme pour n’importe quel produit. Cette qualité est le fruit d’une intention nécessitant un cheminement, par lequel est passé le cadre de santé qui choisit à son tour d’accompagner une équipe confrontée aux insatisfactions liées aux situations de soins. La qualité est donc l’essence même de l’accompagnement du cadre de santé face aux équipes soignantes.

Prenons l’exemple d’un soignant, trop centré sur la réalisation des actes, préoccupé par le bon geste au détriment du ressenti des patients. Il aura tendance à relier qualité avec excellence d’exécution. Dépasser progressivement la seule technicité des soins pour rencontrer et accompagner la personne soignée, en réalisant alors un soin plus global qui aide et respecte le patient, est le fruit de ce cheminement pour l’aider à passer de « faire des soins » à « prendre soin ». Cette évolution guide vers une perspective soignante plus porteuse de sens, c’est à dire contribuant au bien-être et à la santé du patient, et ne résultant plus d’une somme d’actes fragmentés, techniques, éducatifs, ou même relationnels. Il n’existe pas de bon soin en soi. Le bon soin est celui qui sait s’adapter au contexte évolutif du patient sachant que le meilleur des soins ne donne jamais de succès total et immédiat.

Le cadre de santé est donc celui qui sensibilise à cette recherche de perfectibilité plutôt que de perfection autour de la qualité des soins. Ce processus est en perpétuel devenir en ce sens où la qualité des soins n’est ni systématique, ni prédéterminée, ni acquise définitivement. Amener les équipes sur ce terrain nécessite de réfléchir constamment avec elles sur la pratique des soins, dans la mesure où la qualité des soins ne peut pas s’observer objectivement à partir des seuls actes de soins, mais en englobant leur contexte avant, pendant, et après : Ce soin est-il encore adapté ? A-t-il été expliqué au patient, à son entourage ? L’a-t-il compris ? Est-il rassuré ? Ou en intégrant leurs conditions de réalisation : Comment le soin est-il vécu pour le soignant qui l’effectue ? Peut-il l’effectuer dans de bonnes conditions ? Comment l’articule-t-il dans le projet de soin du patient ?

Pour ce faire, le cadre de santé part de l’existant, de ce qu’il constate en matière d’indicateurs tant négatifs, comme le défaut de compétences de tel agent au regard de la situation, que positifs comme l’implication ou le dynamisme d’un autre agent. Ce début permet une première évaluation de la pratique soignante consistant à juger subjectivement le soin porté aux personnes et à apprécier l’aide qui leur est apportée. En retour, les équipes expriment leurs ressentis, leurs interrogations et leurs réflexions, et évaluent ainsi à leur tour la situation de soin.

La complexité des situations professionnelles rencontrées et la subtilité qui caractérisent une pratique soignante ne facilitent pas cette évaluation de la qualité et imposent obligatoirement la prudence. La qualité se trouvant dans la juste et délicate appréciation constamment renouvelée de ce qu’il est préférable de faire dans une situation donnée, ce retour permet souvent de dégager un consensus face à la situation, qu’il soit d’ordre éthique (bien-être du patient et respect de sa volonté), que d’ordre organisationnel face à des pratiques parfois individualistes. Au-delà, cette première évaluation permet de partir à la découverte de la singularité de la situation ou de ses acteurs qu’ils soient patients ou soignants. Prendre en compte, pour le cadre de santé, les singularités rencontrées permet alors d’adapter ou spécifier ses réponses.

Prenons pour exemple la dignité de l’être humain :  le considérer, l’estimer, le respecter, ne va pas forcément de soi. Pour éviter la banalisation de l’être humain, c’est-à-dire son oubli au sein des pratiques du quotidien, voire sa chosification, le cadre de santé doit toujours être attentif à redécouvrir l’aspect singulier de chacun. Une vigilance constante est requise pour garantir et respecter à chaque instant les droits à la dignité, au respect, et à l’intégrité, ou encore les droits à l’information, l’expression et à la décision. C’est cette intelligence du singulier qui permettra de répondre au plus juste en tenant compte de l’humain dans sa manière de vivre ce qu’il a à vivre, c’est-à-dire repérer, comprendre et identifier ce qui est important pour lui, ce qui est perçu comme bien par lui dans sa situation, chercher à comprendre ce qui le préoccupe. Cela ne débouche pas nécessairement sur la capacité à satisfaire tout ce qu’il attend, mais cela lui donne une indication de bienveillance.

Bien évidemment, ce type de réflexion commune requiert un climat professionnel sain et apaisé, propice à une atmosphère de bien-être, de confiance et de construction. Le cadre de santé doit donc favoriser la pratique du débat par des temps de réflexion institutionnelle spécifiques où chacun pourra s’exprimer, revenir sur des situations vécues, partager ses points de vue, affiner son sens critique, puis éventuellement rompre avec les habitudes et s’éloigner des évidences. Il est question ici d’une parole qui s’élabore, une parole qui donne à voir ce qui se fait et ce qui pourrait s’améliorer. Ce travail continu de réflexion éthique influence les modalités organisationnelles, les manières d’être et de faire de chacun. Le cadre de santé peut, durant ces instants de reprise, intervenir pour impulser ce qu’il juge adapté pour permettre d’optimiser les situations. Pour certaines, il lui faudra stimuler la créativité des agents ou leur permettre d’acquérir de nouvelles connaissances et compétences par l’accès à la formation. Pour d’autres, il lui faudra faire preuve de souplesse et de patience en soutenant et en accompagnant chacun à son rythme. Pour d’autres encore, il lui faudra passer par un positionnement d’autorité et de responsabilité dans le respect des règles déontologiques et professionnelles. Ce management minutieux et adapté est essentiel. Il donne une cohésion à l’équipe en la dotant de visions et de valeurs communes de travail, afin d’éviter toute incompréhension ou tout découragement en son sein. Il permet, de surcroît, d’être dans une démarche d’évolution positive allant vers la recherche du meilleur et du plus juste.

Le cadre de santé est cette personne ressource qui unie et fédère, qui soutient et alimente la réflexion sans imposer de théorie, qui explique les changements nécessaires, et qui, par ses interventions adaptées, contribue à améliorer la qualité des soins. Il s’agit bien d’un soin mis dans les soins, qui s’adresse à l’humain au travail et lui porte une attention, non pas seulement pour qu’il prenne soin à son tour des patients, mais aussi parce qu’il mérite d’être estimé en tant qu’humain, et pas seulement pour son travail. C’est en promouvant cette intelligence du singulier que l’on renforce la solidarité d’équipe et l’implication de ceux qui ont choisi de donner des soins, que l’on y développe une confiance raisonnable, pour constituer une atmosphère apaisée, propice au bien-être et à la réflexion gage de qualité.



Yannick Moszyk 2015