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RÉFÉRENTIEL DES SOINS INFIRMIERS EN SANTÉ MENTALE



Nicole CARBOU
Valérie GUEUDRY
Bernard LEGENDRE
Pascale LE VILLAIN
Marie-Claude NIEL


Élaborer ce référentiel c'est mettre en mots les soins infirmiers en santé mentale et ainsi postuler leurs spécificités. Il a été réalisé dans un établissement (l'Hôpital Pierre Janet ), à une époque et dans une société données, dix ans après la disparition de la formation spécifique des infirmiers de secteur psychiatrique (ISP).

Mais c'est aussi, dans une première partie, tenter de définir et transmettre le savoir en action (compétences) requis en psychiatrie pour une approche, une compréhension et un accompagnement dans le soin des patients atteints de troubles du comportement et, dans une seconde partie, tenter de cerner l'ensemble des interventions de l'infirmier en santé mentale compte tenu de l'évolution économique, culturelle et sociale.

Nous avons opté pour les termes de sujet , patient, malade dont la neutralité nous semblait correspondre à la réalité actuelle en psychiatrie, sans pour autant négliger le terme d'usager qui figure notamment dans la charte de l'usager en santé mentale.

Cet écrit ne consiste pas en un référentiel métier infirmier dans le sens académique du terme. Il est élaboré à partir de la pratique infirmière dans les services de psychiatrie générale mais ne méconnaît pas les pratiques d'autres lieux (secteurs de psychiatrie infanto-juvénile, Maison de l'Adolescent , foyer de réinsertion " La Barrière d'Or ", etc.). Il développe la base du travail infirmier en santé mentale à re-décliner et préciser par la suite selon la spécificité des unités de soins.

Ce document ne présage en rien du système d'organisation des soins et ne prétend pas être exhaustif, mais il doit servir d'outil de travail dans la mise en place d'un tutorat pour les infirmiers arrivant dans les services de santé mentale (nouveaux diplômés ou infirmiers redéployés).

Il est la synthèse d'une réflexion menée par un groupe d'infirmiers de secteur psychiatrique et diplômés d'État travaillant dans des services différents au sein des secteurs de psychiatrie générale (service d'hospitalisation complète, unité d'extra hospitalier) ou intervenant dans des structures telles que le Centre d'Activités et d'Animations (CAA), l'Accueil Familial Thérapeutique pour Adultes (AFTA) et l'Institut de formation en soins infirmiers (IFSI).

Ce travail fait suite à une première expérience de formation pilotée par Catherine Leroy (cadre supérieur de santé du secteur de psychiatrie infanto-juvénile 76I06) et Marie-Claude Niel (cadre de santé de l'UCID - Unité de coordination, d'information et de documentation). En effet, au cours de l'année 2000 a été mise en place une formation destinée d'une part aux aides-soignants (cette catégorie de personnels n'existant pas auparavant à l'hôpital Pierre Janet) et d'autre part aux infirmiers redéployés des soins généraux. Cette formation se faisait en deux temps :
- des cours théoriques magistraux de psychiatres portant sur la pathologie mentale.
- des travaux de groupe, pilotés par des infirmiers de secteur psychiatrique, sur les conduites infirmières à tenir en application des cours. Ces infirmiers étaient aussi les tuteurs de ces nouveaux arrivants dans les différents services, du temps leur ayant été accordé pour participer à cette formation d'accompagnement.
Il fait également suite à la mise en place, en 2001, d'un groupe d'infirmiers psychiatriques qui ressentait la nécessité de poser une réflexion sur l'évolution de leur profession.

I. ROLE SPECIFIQUE DE L'INFIRMIER EN PSYCHIATRIE AUPRES DU PATIENT

Le rôle infirmier prend en compte la personne dans sa globalité. Il vise à rétablir l'intégrité physique et psychique de l'individu, à découvrir et comprendre ses difficultés et à lui donner les moyens de les résoudre.

" Le soin infirmier répond au besoin provoqué par la maladie, rupture de l'équilibre, de l'harmonie, de la santé, traduisant une souffrance physique, psychologique, une difficulté ou une inadaptation à une situation nouvelle, provisoire ou définitive.
D'après l'article premier du décret n° 2002-194 du 11 février 2002 relatif aux actes professionnels et à l'exercice de la profession de l'infirmier, les soins infirmiers ont pour objet :
- de protéger, maintenir, restaurer et promouvoir la santé ou l'autonomie des fonctions vitales de la personne,
- de concourir aux méthodes et à l'établissement du diagnostic,
- de favoriser le maintien, l'insertion ou la réinsertion des personnes dans leur cadre de vie habituel ou nouveau . "

Les tâches d'un infirmier sont multiples et variées. Il peut exercer dans des lieux aussi différents qu'une salle de soins, un atelier à visée thérapeutique, une structure intra-hospitalière, extra-hospitalière, ou à domicile. De cette diversité, doivent ressortir toutes les situations de soins débouchant sur un référentiel spécifique à la profession d'infirmier en santé mentale.

Une solide connaissance théorique des pathologies mentales et de leur sémiologie constitue une base de travail. En effet, les méconnaître, ne pas être conscient des relations pouvant être tissées entre le patient et le soignant, ne pas pouvoir les dominer, c'est prendre le risque de se mettre en danger psychologiquement mais aussi de devenir éventuellement soi-même pathogène pour les patients.

Les soins infirmiers en santé mentale se caractérisent par des actions de base relationnelles et éducatives requérant technicité, disponibilité, écoute, observation, analyse des problèmes, respect de la personne et de ses différences liées à la pathologie, accompagnement et actions de soins, mais aussi continuité du soin dans sa permanence et dans la cohérence des équipes.



À partir de ce tableau s'articule la première partie de ce référentiel.
Se dégagent, de ce premier constat du rôle infirmier, deux notions fondamentales : comprendre et résoudre.

Le travail infirmier en psychiatrie s'articule autour de notions telles que la disponibilité, l'écoute, l'observation (pour comprendre la situation), l'analyse des problèmes, l'accompagnement, les actions de soins (pour tenter de résoudre cette situation). Il s'inscrit dans la continuité du soin, la permanence du soignant et la cohérence des équipes.
Le rôle spécifique de l'infirmier en psychiatrie auprès du patient pose comme préambule à toute définition le respect de la personne en tant que sujet et de ses différences liées à l'expression des troubles du comportement.
Par " différences " on entend l'appréhension faussée de la réalité dite normative : différences découlant de pathologies amenant le sujet à des troubles du comportement qui le démarquent de son milieu familial, de son réseau socioculturel, et qui, en l'isolant de la société, peuvent altérer sa qualité de vie. Ces troubles peuvent l'entraîner vers des conduites de replis, un isolement social ou à des actes dangereux pour lui ou pour autrui.
Tout travail en psychiatrie respecte ces différences sans pour autant y adhérer : cela pose la notion d'une bonne distance à trouver pour que l'infirmier se situe dans le champ du soin et de l'éducatif et non pas dans le champ de l'affectif ou tout autre mode de relation relevant des affects.
Nous tenons à préciser que la notion du temps adapté au rythme et à la pathologie des patients est un outil essentiel du travail de l'infirmier.

1. Comprendre

a. Disponibilité

La rencontre du patient (soit dans les moments d'accueil, soit tout au long de son suivi) nécessite que l'infirmier sache se rendre disponible. Disponibilité est un terme qui recouvre plusieurs connotations. Celle qui nous paraît essentielle n'est pas tant la disponibilité physique, le temps libre à consacrer, que la notion d'ouverture.
Par le terme " disponibilité " il faut comprendre ouverture intellectuelle nécessaire à l'observation et à l'écoute du patient. En effet, tout au long de la formation initiale, les bases des connaissances sont enseignées mais l'exercice de la profession en psychiatrie nécessite de prendre en compte l'individualité de la personne soignée dans son contexte familial, social, professionnel et culturel. Il s'agit donc bien de ne pas avoir de schémas acquis et de se garder d'un jugement de valeurs (ou moralisateur) sur les comportements ou les croyances du patient (religiosité, philosophie…). Mais il faut aussi savoir poser des limites, être disponible, cadrant tout en laissant s'exprimer le patient et trouver ainsi une bonne distance. Le professionnel exerçant en psychiatrie se trouve confronté à une population de patients qui, tout en présentant les symptômes rattachés à des pathologies identiques, sont uniques dans leur histoire familiale, leur inscription (ou non) dans la société et dans l'expression de leurs troubles. Il ne s'agit donc pas, non plus, d'aborder chaque patient d'après les connaissances théoriques que l'on peut avoir de la maladie. Il n'y a pas, en psychiatrie, de " protocoles d'accès " uniformisant les conduites à tenir face à deux patients schizophrènes, par exemple, même si l'on retrouve des similitudes de comportements, de thèmes délirants communs à l'un et à l'autre. Après la disponibilité basée sur l'ouverture intellectuelle dont nous venons de parler, il s'agit de poser une disponibilité nécessaire à l'identification du patient en tant que sujet unique inscrit dans son histoire personnelle, celle-ci venant différencier les manifestations déclinées par une même maladie. Un patient schizophrène ne faisant pas l'autre, il s'agit encore de se garder d'un " étiquetage " qui évacuerait son unicité.

b. Ecoute

Cette écoute se pratique de manière informelle (néanmoins formalisée dans les points de repères apportés) ou formalisée. L'écoute informelle concerne davantage la prise en compte, dans le quotidien, des besoins et des demandes du patient. Elle est centrée sur le facteur-présence (permanence) de l'infirmier dans le service qui en fera le premier interlocuteur du patient dans ses demandes ou dans l'urgence. L'écoute formelle (ou formalisée) se décline sur deux modes qui seront abordés dans les actions de soins à visée psychothérapeutique : l'entretien infirmier, et l'entretien en binôme avec le médecin ou un autre infirmier qui, même s'il répond à l'urgence du contexte, est un outil de soins permettant d'évaluer l'état clinique du patient.

L'écoute est donc un outil de soins particulièrement important. Elle offre l'espace/temps dans lequel le patient peut exprimer son histoire, ses peurs, ses angoisses, ses souffrances, ses difficultés, tenter de se reconstruire et constitue également le support incontournable de la relation soignant/soigné qui va permettre de poser le cadre thérapeutique, qu'il soit général (règlement du service), particulier (contrat de soins), ou adapté (notion de référent, de place et de fonction de chacun).

c. Observation

L'observation nécessite de solides connaissances théoriques de la sémiologie psychiatrique et des pathologies correspondantes. Dans l'observation du patient, toutes les informations sont importantes et sont à prendre en compte. En effet, un patient peut se présenter différemment selon le moment ou suivant la personne à laquelle il s'adresse. Ces informations et contre-informations provoquent des clivages au sein de l'équipe dont on ne peut se sortir que par le partage d'un travail clinique en réunion. En reliant les différentes informations, observations et perceptions de chacun à des connaissances théoriques, l'équipe élabore un cadre thérapeutique.
Dans un premier temps, l'observation du patient dans son environnement (il s'agit là de différents espaces/temps : centre médico-psychologique, visite à domicile, hôpital de jour, hospitalisation complète…) est la prise en compte de tout élément nécessaire à l'établissement d'un projet de soins. Ce temps se déroule le plus souvent dans le contexte émotionnel du patient (en extrême limite dans un moment de crise) et exige de l'infirmier à la fois une rapidité d'analyse de la situation et une réponse à ce qui est exprimé.
Dans un second temps, cette observation dégagée de la notion de rapidité s'oriente sur l'évolution du patient en fonction de la thérapeutique appliquée à sa pathologie.
Les observations infirmières doivent être retransmises à l'ensemble de l'équipe et notées dans le Dossier de Soins Infirmier (DSI) afin de réajuster les soins. Il est important d'introduire une notion " qualitative " : les observations ne se limitent pas à ce qui concerne les soins listés dans le décret 2002-194 du 11 février 2002 relatif aux actes professionnels et à l'exercice de la profession d'infirmier (nécessaires par ailleurs), mais prennent en compte également le comportement du patient, la manifestation de ses thèmes délirants (leur forme d'expression, leur amplification, régression ou stabilisation…), l'indication de la thymie (dans les troubles bipolaires par exemple), la capacité à construire du lien ou au contraire à se replier…

Disponibilité, écoute et observation vont permettre aux infirmiers d'analyser les problèmes et d'accompagner le patient par la mise en place, avec l'équipe, d'actions de soins.

2. Résoudre

a. Analyse des problèmes

Elle se base sur la connaissance théorique des différentes situations cliniques rencontrées et s'établit en collaboration avec les différents intervenants afin d'élaborer un projet de soins. L'objet du projet de soins n'est pas tant la guérison que la mise en place d'actions permettant au sujet d'être acteur de ses soins et d'accéder à un équilibre lui assurant un confort de vie et une meilleure ré-insertion dans un milieu social. C'est dans ce sens qu'il faut comprendre le terme "résoudre".

Le patient est une personne ayant :

- Un passé structuré tant bien que mal, issu de son histoire familiale, de ses relations à autrui, de son rapport à la scolarité, de sa construction…

- Un présent en " crise " dans le cadre de l'hospitalisation (ou stabilisé dans le cadre d'un suivi extra-hospitalier) dans lequel viennent se bousculer les étayages mis en place par le passé. C'est un temps fort que tente de vivre le patient, temps qui le démarque d'une réalité plus ou moins partagée avec les autres, qui met en exacerbation certains symptômes ou certains thèmes délirants jusque-là latents. C'est un temps qui peut le dépasser, le submerger totalement (notamment, par exemple, dans les manifestations de certaines pathologies : troubles bipolaires, bouffée délirante, phase aiguë paranoïaque…).

- Un futur à articuler du mieux possible avec les temps précédents et qui va être l'objet du projet de soin : la dynamique qui va tendre à restaurer le présent du patient, en tenant compte de son passé et en le projetant dans le futur, est le moteur du projet de soin, quels que soient les moyens mis à la disposition du patient et qu'il va pouvoir utiliser.

b. Accompagnement

- La notion de temps dans le soin infirmier en santé mentale

Le travail infirmier dans l'accompagnement du patient intervient dans trois types de situations.

1. Le temps unique c'est un temps que l'on trouve chez certains patients qui ont recours aux urgences, à une consultation, à une hospitalisation. Un patient présentant un épisode aigu lié, par exemple, à une prise massive de toxiques ou à une bouffée délirante peut ne connaître l'hospitalisation qu'une fois dans sa vie : c'est ce que nous nommons le temps unique. C'est un temps sans lendemain (à de rares exceptions près), sans conséquence dans la poursuite de l'histoire personnelle du patient. Là, les actions de soins seront faites d'écoute, d'observation mais aussi de protection et de surveillance du traitement prescrit (son efficacité et son réajustement). Il peut également se mettre en place un suivi extra-hospitalier afin de prévenir une éventuelle rechute. L'infirmier accompagne le patient (qui ne maîtrise plus son comportement et les conséquences qu'il peut avoir) dans une démarche de protection, de réassurance tout en tenant compte de sa dimension de sujet.

2. Le temps séquentiel où le sujet a recours aux soins par des séjours de rupture plus ou moins longs tout en maintenant son réseau extérieur (famille, proches, réseau socioculturel et professionnel). Souvent, les patients atteints de troubles bipolaires, par exemple, vivent dans un système d'étayage basé sur l'aller-retour entre l'hôpital psychiatrique et leur domicile : c'est ce que nous appelons le temps séquentiel qui est, en fait, une succession de séquences dans la vie du patient - hospitalisations et sorties à l'extérieur. L'infirmier accompagne le patient dans la reconstruction épisodique de son histoire. Là, les trois structures sectorielles (hospitalisation complète, de jour, suivi extra-hospitalier) posent le cadre contenant des soins.

3. Le temps a-séquentiel est le temps d'accompagnement de la chronicité des patients qui se trouvent dans l'incapacité de restaurer ou acquérir un lien social et dont la maladie est tellement invalidante qu'il y a nécessité d'un étayage constant dans leur accompagnement, tant dans leur vécu au quotidien que dans la souffrance psychique qu'ils éprouvent et qui court-circuite le plus souvent leurs capacités relationnelles. Il peut arriver que certains patients atteints de schizophrénie, par exemple, ou certains autistes, ne bénéficient plus d'autre lieu de vie que l'hôpital psychiatrique. Il n'y a alors plus cette dynamique de temps séquentiel : c'est ce que nous avons défini comme étant le temps a-séquentiel. Là, le travail infirmier peut se baser sur un contenant (cadre thérapeutique) constitué de notions essentielles telles que la permanence, la référence, la place et fonction de chacun et donc leur difficile interchangeabilité.

Dans ces trois temps, différentes situations de soins se présentent que ce soit en hospitalisation complète, de jour ou en extra hospitalier :
- L'accueil/rencontre du patient, de sa famille, de ses proches.
- La garantie de la sécurité du patient et des autres patients.
- La mise en place d'un cadre contenant.
- L'observance et l'efficacité du traitement.
- Le rôle médiateur qui va favoriser l'acceptation de la maladie par le patient et son environnement afin qu'il devienne acteur de ses soins et prenne ou re-prenne sa place de sujet.
- La référence : l'infirmier référent est l'interlocuteur privilégié du patient.
- La référence/soutien où l'infirmier assure un étayage lorsque le patient est en difficulté de vivre à l'intérieur ou à l'extérieur de l'hôpital. Étayage de présence dans la durée et dans la scansion de cette durée, étayage quant aux soins prescrits, au modus vivendi et aux capacités à écouter et détecter les symptômes qui signalent l'altération tant psychique que somatique de la santé du patient (perte d'appétit, de sommeil, de poids, mais aussi réapparition du délire…).
- La gestion de la phase aiguë symptomatologique : l'intervention auprès d'un patient en crise demande une organisation spécifique des soins autour du sujet, de ses proches, de sa famille. L'infirmier a à faire face à un court laps de temps d'évaluation des circonstances et des affects qui sous-tendent la crise, à une évaluation de la " demande " du patient formulée soit à travers une crise clastique sans verbalisation primaire, soit à travers une exacerbation verbale des émotions. La proposition de soin prescrite par le médecin et l'adhésion, ou non, du patient à cette proposition va définir l'organisation des soins et le plan de prise en charge. Les " outils " dont dispose l'infirmier pour tenter de résoudre ces situations de crise, relativement fréquentes dans les services hospitaliers, ou à l'extérieur de l'hôpital, sont les mêmes que ceux qui ont été décrits dans le chapitre " Comprendre " mais on doit prendre en compte à ce stade-là la notion d'urgence. L'écoute, l'observation, l'analyse des problèmes, l'histoire du patient, autant de notions qui, dans l'urgence, ne bénéficient pas du facteur temps mais doivent se réaliser sous forme d'entretiens courts, ciblés qui amèneront au décryptage des mécanismes qui ont conduit à la crise clastique et permettront d'agir plus rapidement.
Dans cet accompagnement, le travail infirmier pose le cadre de la relation d'aide articulée par les actions de soins, la permanence du soignant et la cohérence de l'équipe pluri-professionnelle.

- La personne et son espace

La prise en compte de la personne dans sa globalité, tant dans son espace psychique que dans son espace environnemental (familial, éducatif, médico-social, sanitaire…), induit l'intervention soignante dans la proximité du patient (l'hygiène, l'image corporelle…) et dans les différents lieux et situations de soins.

L'espace psychique

Préserver l'espace psychique d'un patient, c'est tout d'abord ne pas avoir une attitude de toute puissance intrusive quant aux sollicitations du quotidien tout en maintenant une exigence au niveau de l'hygiène de vie, l'image de soi et en prenant en compte la souffrance psychique dans laquelle le patient tente de vivre (persistances de phénomènes hallucinatoires envahissants, anxiété, angoisse, sensations de persécution…).
C'est aussi savoir être le récepteur du discours du patient et laisser s'exprimer son délire. Pour se situer dans le soin, le soignant doit trouver une bonne distance (face à des personnes qui sont soit dans le repli, la fuite, soit dans la fusion) et respecter l'espace psychique du patient en évitant d'être soit persécuteur (toute puissance du soignant) soit dans le jugement moralisateur qui peut conduire au rejet.

L'espace environnemental

Le soignant est amené à intervenir dans différents lieux de soins et en réseau :
- dans les structures sectorielles de psychiatrie : service d'hospitalisation complète, hôpital de jour, unité d'extra-hospitalier ;
- dans les unités intersectorielles, CAA (voir note n° 7), AFTA (voir note n° 8), La Barrière d'Or (voir note n° 6), Maison de l'Adolescent (voir note n° 5), Unité d'Accueil et de Crise (UAC), Unité de Thérapie familiale (UTF), " Guy de Maupassant ", Le Repère , Appartements relais associatifs ;

- en service de soins généraux (médecine, chirurgie, obstétrique, gériatrie), soit parce que le service demande l'intervention de l'Equipe mobile de Consultations Psychiatriques, soit pour suivre un patient du secteur ;
- en relation avec des associations, des établissements médico-sociaux ;
- en milieu carcéral ;
- dans des hôtels, pensions, foyers, etc.

c. Actions de soins

La relation d'aide s'articule autour des actions de soin.

" En situation de soins infirmiers, le besoin d'aide présente plusieurs niveaux co-existants, la personne humaine étant une entité bio-psycho-sociale. Les soins infirmiers sont une forme d'aide globale, notamment dans le registre relationnel et verbal.
Elle vise à restaurer l'autonomie du patient (ou à l'acquérir) par la mise en place d'actions de soins où la thérapeutique et l'éducatif sont étroitement liés.
Outre le rôle propre infirmier paru dans le décret 2082 - 193 du 11 février 2002 (art 5), le travail infirmier en santé mentale comporte d'autres spécificités . "

- Les actions de soins à visée médico-biologique

La chimiothérapie

Prescrite par le médecin, elle amène l'infirmier à un travail à la fois exécutif et éducatif : faire comprendre la nécessité de prendre un traitement régulièrement et donner des informations sur les modalités d'absorption et les effets secondaires des médicaments, ainsi que sur les conséquences des prises irrégulières ; travailler sur la capacité de la personne à repérer ses symptômes d'aggravation ou de régression de la maladie, et à les verbaliser à un soignant de façon à ce que le traitement soit réajusté ; aider par des contacts et des informations de diverses natures la famille et l'environnement immédiat à la compréhension de la maladie mentale et de ses effets, à la participation aux soins (notamment à la nécessité de la prise d'un traitement pour que le patient, leur proche en l'occurrence, accède à une meilleure qualité de vie et de capacité relationnelle).

La problématique somatique

Dans le cadre de son rôle propre, l'infirmier intervient dans la problématique somatique du patient et doit être à même d'établir une relation de confiance afin de recevoir, détecter et transmettre les éléments pouvant nécessiter la pose d'un diagnostic et la prescription par le médecin des soins correspondants.

La sismothérapie

Même si cette pratique est rare, c'est également une situation de soins où l'infirmier intervient dans l'accompagnement du patient (états dépressifs graves, mélancolies…).

- Les actions de soins à visée socio-éducative

Aide au logement

L'objectif d'autonomisation du patient conduit à des projets d'insertion (ou de ré-insertion) dans la société même, soit par le biais d'admission dans différents foyers, hôtels, pensions… soit par l'accession à un lieu thérapeutique, associatif ou communautaire (dans le cadre d'un réseau alternatif) ou tout simplement par l'installation du patient dans son propre domicile (qu'il y réside seul ou qu'il le partage avec d'autres). Démarches, entretien, ménage, budget, en partenariat avec différents intervenants (tuteurs, aides ménagères, assistants de service social…), constituent la ponctuation du quotidien et l'inscription dans la réalité.

Aide à l'insertion

Cette insertion se concrétise à la fois dans le cercle proche du patient (et donc par la qualité relationnelle qu'il va pouvoir acquérir ou maintenir) et dans son positionnement dans la société : par la compréhension de ses proches (voisins, famille, etc.), par le travail (emploi, Centre d'Aide par le Travail - CAT -, réseau associatif ou caritatif), par la recherche d'emploi, par l'inscription dans des organismes de stages de remise à niveau, par l'obtention d'une autonomie financière (Allocation Adulte Handicapé), par le biais du sport… Cette aide à l'insertion se fait en prenant en compte l'unicité de chaque patient.

- Les actions de soins à visée psychothérapeutique

L'entretien infirmier d'accueil et/ou d'orientation

Il se retrouve aussi bien en hospitalisation complète, de jour, au centre médico-psychologique, à domicile ou dans toute autre structure d'hébergement médical ou social. Il permet : de poser un espace/temps d'écoute, d'entrer en relation avec la personne, de répondre à ses questions, de recueillir des informations et de les transmettre au corps médical afin d'établir le plan de soins et de concourir ainsi au diagnostic médical.
Les approches de l'infirmier à travers ce processus ont pour objet de sécuriser la personne de façon à créer un climat de confiance qui favorisera une relation d'aide. Cette rencontre s'inscrit dans un moment donné de l'histoire du patient. L'infirmier accueille et oriente la personne dans le service, la renseigne sur les lieux et son environnement ; il l'informe des règlements de l'unité et des activités qui s'y déroulent ; il identifie les besoins du patient et répond à ceux qui sont immédiats. Il transmet aux autres membres de l'équipe les données significatives.
Le recueil de données recouvre les points suivants : les informations d'ordre administratif, la présentation de la personne (discours, comportement…), les symptômes, l'histoire de la maladie, les éléments biographiques.

L'entretien infirmier de suivi thérapeutique

Il a pour but de reconstruire l'histoire du patient qui est le plus souvent décousue et dont il doit ré-articuler les bribes. L'entretien infirmier relève des deux modes : formel et informel (déjà évoqués dans la partie sur l'écoute), l'informel étant lié à la matérialité de l'infirmier dans le service, à sa présence qui en fera le premier interlocuteur du patient dans l'urgence. Le formel relève de la même dynamique que l'entretien en binôme, l'infirmier s'autorisant à programmer les entretiens dans le cadre du suivi de " ses " prises en charge. Ces entretiens infirmiers doivent bien sûr être étayés par une formation, même si les acquis sur le terrain permettent d'avoir déjà une certaine technicité.

L'entretien de suivi en binôme (médecin, infirmier)

La fonction de l'infirmier dans ce type d'action de soins prend plusieurs modalités. Il est médiateur/passeur en facilitant l'échange entre le patient, le médecin. Il est adaptateur/coordinateur et fait le lien entre les différents intervenants quant aux événements survenus dans l'histoire du patient par exemple. Il est référent/interlocuteur de par sa permanence dans l'espace-temps du cadre de soin. Il est récepteur/décrypteur de la parole du patient. Il est exécutant/garant de l'application du contrat de soins décidé en équipe. Il est observateur/transmetteur des signes cliniques, de leur évolution ou non et de l'observance des effets du traitement prescrit par le médecin dans leur efficacité constatée.
L'entretien en binôme avec le médecin est soumis parfois à l'urgence du contexte mais peut relever d'une programmation faite par l'infirmier (en fonction de ses observations) et proposée au médecin dans le cadre d'une hospitalisation de longue durée, ce afin d'éviter que le seul moteur d'écoute dans le cadre d'un entretien en binôme ne soit l'urgence d'une situation. Nous pensons que pour l'infirmier en psychiatrie, il est essentiel de connaître l'existence de cadres conceptuels formalisés.
C'est pourquoi nous proposons de nous référer à ce passage sur la relation psychothérapeutique :

" La psychothérapie n'est pas la simple sympathie ou le soutien humanitaire à l'égard de l'être faible et souffrant. Il s'agit d'interventions calculées pour lesquelles une formation particulière est indispensable ".
Les indications des psychothérapies sont posées à partir d'une évaluation sémiologique et doivent s'inscrire dans le projet thérapeutique élaboré par les soignants. Malgré une grande variété de méthodes psychothérapiques on peut dégager quelques caractéristiques communes :

L'unité de lieu
Une psychothérapie ne se fait pas n'importe où, mais dans un espace neutre réservé à cette fin durant son déroulement.

L'unité de temps
Comme pour le lieu, il y a un temps spécialement réservé à l'action psychothérapique.
En dehors du temps défini, les soignants et les soignés ne doivent pas essayer de continuer la psychothérapie. Les soignants doivent se garder de tout vouloir interpréter en dehors du cadre délimité de la cure, de chercher à rationaliser tous les actes de la vie.

L'unité d'action
Les objectifs de la cure sont définis en accord entre le (ou les) soigné(s) et le (ou les) thérapeute(s) en fonction de la demande plus ou moins explicite du (ou des) soigné(s). L'analyse de celle-ci est effectuée d'une part entre le soigné et le soignant, mais aussi avec l'ensemble de l'équipe concernée. Elle doit s'inscrire dans le cadre du projet thérapeutique préalablement défini. Cette analyse permet de dégager les objectifs de la cure psychothérapique.

Dans la diversité des techniques, de grandes catégories sont décrites :
- la psychanalyse
- la psychothérapie d'inspiration analytique
- la thérapie à médiation corporelle (relaxation…)
- la thérapie à médiation objectale (l'art thérapie…)
- la thérapie de soutien
- la thérapie comportementale
- la thérapie familiale
- l'analyse transactionnelle
- la méthode de conditionnement
- la suggestion et l'hypnose.

La psychothérapie est une technique difficile et engageante. La bonne volonté seule ne suffit pas, les conditions techniques, la compétence et la supervision sont aussi indispensables . "

- Les actions de soins à visée socio-thérapeutique

Ce sont les actions qui ont à voir avec la sphère corporelle, la médiation objectale et sociale. Les patients peuvent fréquenter les ateliers du Centre d'Activités et d'Animations, et bénéficier d'une thérapie à la fois centrée sur la valorisation de la personne elle-même (dans la tentative de création d'un objet : poterie, bois, peinture…) mais aussi sur une visée socio-thérapeutique (reconnaissance de l'autre, du groupe, du lien social). Actuellement, à l'hôpital Pierre Janet il existe :
- les activités impliquant la sphère corporelle : sport collectif, relaxation, musculation, piscine, gymnastique, psychomotricité, esthétique
- les activités d'expression ou à médiation objectale : musicothérapie, terre et modelage, informatique, créa-déco, bois, cuisine, jardin-herbier, cerfs-volants, bibliothèque, sculpture, peinture, journal
- les activités à médiation objectale et sociale : la plupart du temps, les ateliers du CAA axent leur travail sur une extériorisation par la médiation de leur spécificité. Par exemple, l'atelier peinture (par le biais soit d'intervenants qui sont peintres sans aucun lien avec la psychiatrie, soit d'expositions montées exclusivement dans le réseau artistique de la cité) est un lieu de soins qui prend en compte à la fois la dimension groupale interne et sa dynamique, mais aussi la dimension du lien avec l'extérieur de l'Hôpital. Il ne s'agit pas là d'art thérapie concentrée sur l'évaluation clinique du patient à travers l'expression de sa production picturale, mais bien d'offrir à la personne en difficulté un espace de travail (le mot " atelier " générant lui même ce sens) où elle pourra " se mettre au travail " et s'inscrire dans une histoire de " vraie peinture " si possible articulée, liée au réseau artistique de la ville. Cela, même si, bien entendu, la vocation première de cet atelier est d'être avant tout un lieu de soins.
On trouve une démarche similaire dans l'atelier journal et son fonctionnement à la fois interne et extériorisé dans les informations qu'il met en pages. La vie à l'hôpital, avec ses problématiques, y est autant traitée que celle de la cité, par exemple - le lien avec l'extérieur impliquant la rencontre des auteurs de cette vie sociale.
Il existe aussi des activités à médiation objectale et sociale telles que les sorties à l'extérieur (cinéma, restaurant, spectacles…) et en particulier les séjours thérapeutiques. Ces séjours thérapeutiques, ruptures avec le lieu de soins habituels, permettent à la fois d'évaluer les possibilités de resocialisation et de restaurer les acquis non-exploités. Un groupe de patients, avec trois ou quatre infirmiers, quitte l'institution pour quelques jours, voire une semaine. Le plus souvent il existe un thème dominant tel que : balade, randonnée, voile, sport, peinture…, mais quelquefois le seul but est de vivre autrement, en groupe, pendant un temps donné. C'est une rupture avec le lieu de soins habituel, aussi bien pour les patients que pour les soignants. Cela permet de créer des relations différentes. L'infirmier évalue à la fois les possibilités de resocialisation et l'emprise des thèmes délirants et anxiogènes dans le quotidien. Par l'exercice de relations et d'expériences nouvelles, les séjours thérapeutiques sont des instruments performants dans la prise en charge de la maladie par les patients eux-mêmes en leur donnant le désir d'un autre vécu. Ce n'est pas une parenthèse dans la vie du patient, il y a un avant (préparation selon le thème du séjour) et un après. C'est un moment du projet de soins.

3. Continuité du soin

Le patient se trouve au cœur du dispositif soignant. La continuité du soin est assurée par la permanence (la présence et la référence au dispositif soignant) et la cohérence du dispositif (l'articulation et la liaison sur un axe transversal des différentes orientations partagées, de la mise en commun des informations et des zones d'interventions de chaque professionnel pour éviter un risque d'empiétement). Ces deux dimensions trouvent leur efficacité dans leur articulation : la dispense des soins de manière cohérente suppose que soient définis à chaque niveau le projet de secteur, le projet du lieu de soins et le projet thérapeutique individualisé.

" Le projet de secteur

Le projet de secteur se définit comme l'ensemble des objectifs globaux que l'équipe pluridisciplinaire se propose d'atteindre avec les moyens dont elle dispose, sous la responsabilité du praticien, chef de secteur, en référence au projet d'établissement. Le cadre infirmier supérieur, en liaison avec les cadres de proximité et le personnel du service infirmier du secteur adapte et oriente le projet du service infirmier. Il en est le garant.

Le projet du lieu de soins
Établi dans chaque lieu de soins, il prend en compte l'analyse des besoins des personnes soignées et permet l'adaptation de la structure concernée. À partir de ces données, il est élaboré par l'équipe pluridisciplinaire et constitue un des maillons du projet de secteur. Dans la mise en œuvre et l'accomplissement de ce projet le cadre soignant, garant de cette démarche, doit prendre en compte les espaces et les plannings pour gérer les soins et les activités, évaluer et procéder aux réajustements nécessaires.

Le projet thérapeutique individualisé
C'est le but recherché pour la personne à travers l'élaboration d'une démarche de soins, établie si possible en concertation avec la personne soignée, visant à maintenir ou à restaurer son équilibre. Il doit permettre de planifier, d'agir et d'évaluer afin de poursuivre ou de modifier les actions au vu des résultats. Le principe du projet thérapeutique individuel repose sur sa cohérence. La garantie et le maintien de cette cohérence impliquent la nécessité de soignants référents. Le projet thérapeutique élaboré par l'ensemble des soignants sous la responsabilité du médecin est la ligne directrice du travail de chacun pour adapter ses actions aux aspects bio-psycho-socio-culturels de la personne dans le cadre de sa compétence . "

4. Permanence et cohérence

La permanence est, d'une part, la matérialité du dispositif soignant (24h/24 en hospitalisation, aux urgences ou sous d'autres formes en extra-hospitalier, consultations…) et d'autre part la capacité de résistance psychique du soignant face au flot d'expressions délirantes, d'angoisses, de violence, d'agressivité des patients. Cette permanence peut et doit être aménagée en incluant la notion de présence/absence : il ne s'agit pas d'instaurer une chronicisation, une dépendance aux soins du patient pris dans un système soignant tout puissant, mais de le préparer à être acteur/sujet de ses soins, à gérer sa maladie, à acquérir ou re-acquérir son autonomie. Absence signifie, bien entendu, une verbalisation, un rythme qui n'ont rien à voir avec le rejet et l'abandon.
Dans une formation ou spécialisation d'infirmier travaillant en psychiatrie, il sera nécessaire d'insister sur l'étude de la relation particulière entre soignants et soignés. Elle peut prendre la forme d'un mécanisme de défense (rejet), d'une réparation (rachat, culpabilisation), d'une froideur protocolaire, d'un transfert ou contre transfert…
Le cadre de soin résulte d'une permanence articulée dans une cohérence des partenaires débouchant sur des objectifs communs après partage des informations et des observations de chacun.

L'infirmier en santé mentale fait partie d'une équipe pluridisciplinaire : constituée de praticiens d'approche analytique, psychologues, psychomotriciens et orthophonistes, kinésithérapeutes, ergothérapeutes, assistants de service social, éducateurs spécialisés, aides-soignants, aides Médico-pédagogiques, familles d'accueil thérapeutique, et d'agents des services hospitaliers.

Il est amené à travailler en réseau médico-social, éducatif, associatif, judiciaire et donc dans un partenariat pluriprofessionnel par un travail de liaison qui se situe sur un axe transversal reliant assistants de service social, médecins généralistes, organismes de tutelle, services de protection judiciaire de la jeunesse, associations de lutte contre les conduites addictives, Instituts médico-éducatifs, Centre d'Aide par le Travail, associations caritatives, hôtels, appartements associatifs, centres d'hébergement et foyers, familles d'accueil social, centres municipaux d'action sociale, etc.

Les infirmiers peuvent aussi intervenir de façon ponctuelle, dans des moments de crise, pour aller chercher une personne en HO ou en HDT , répondant ainsi à la " demande " de la société ou d'un lieu de soins.



II. EVOLUTION DU TRAVAIL INFIRMIER EN SANTE MENTALE

Cette partie sera consacrée à une mise en perspective de l'évolution du travail infirmier en psychiatrie. Plusieurs facteurs viennent alimenter cette évolution. Ils sont, d'une part, de type " exogène " : quelles mutations peut-on constater dans certaines fractions de populations, dans leurs caractéristiques culturelles, cultuelles, dans les problématiques liées aux tranches d'âge, à leurs statuts et à la souffrance psychique qu'ils entraînent ? Mais ces facteurs sont aussi de type " endogène " : face à la réalité du terrain, aux conditions de travail, aux effectifs, à l'évolution même de la conceptualisation des soins, y aurait-il difficulté de mise en application des soins tels que nous les avons définis ?

1. Mutation de la société

Le rôle de l'infirmier (et les interactions qui en découlent) auprès du patient en santé mentale le place de fait dans l'environnement du patient et par là même le conduit à tenir compte de l'évolution de la société et de ses mutations. C'est ainsi qu'actuellement les adolescents, en grande difficulté et de plus en plus nombreux, la précarité, l'exclusion (et la clinique psychosociale qui en découle), le vieillissement de la population, l'immigration sont autant de composantes qui sont à prendre en compte dans l'approche et le soin en santé mentale.

a. Les mineurs

Malgré le rôle important de prévention et de suivi ambulatoire tenu par la Maison de l'Adolescent en CMP et CATTP , les adolescents en grande difficulté sont de plus en plus nombreux dans les services d'hospitalisation pour adultes. Cette situation
provient d'un déficit de structures d'accueil à temps plein des mineurs en phase de crise.
Du fait que les mineurs en difficulté sont déjà encadrés dans le champ psycho-social, juridico-éducatif ou dans leur famille, l'équipe psychiatrique est amenée à tenter d'articuler ces différents champs, à s'organiser en réseau en répondant de façon ponctuelle à l'urgence, au cas par cas dans des structures conçues pour des adultes et dans un monde composé de patients en grande souffrance eux-mêmes.

b. Les exclus

La précarité, l'exclusion génératrice de souffrance psychosociale, et qui ne se range pas dans la clinique classique, peut conduire à des comportements addictifs, de violence sur soi ou sur autrui, d'isolement, et à une clochardisation en recrudescence.
Actuellement, on demande à la psychiatrie une réponse paradoxale face à la montée de cette souffrance sociale : les infirmiers, acteurs du soin proprement dit, ne sont pas formés à cette clinique psychosociale et le nombre des travailleurs sociaux dans l'institution n'augmente pas.

c. Les détenus

Les conditions de détention et les pathologies rencontrées dans le champ carcéral font qu'un fort pourcentage des détenus a recours à des psychotropes. 40 à 50 % des soins en maison d'arrêt sont des soins psychiatriques. Une unité hospitalière, avec une présence infirmière, se met donc en place à la maison d'arrêt du Havre.

c. Les immigrés

L'apprentissage d'une approche et d'une formation pour l'appréhension des personnes issues de l'immigration avec les différences de schémas familiaux, de cultures et de cultes est indispensable : le mode d'expression de la souffrance et la représentation des soins peuvent être tout autres.

d. Les personnes âgées

Le vieillissement de la population et le manque de structures géronto-psychiatriques entraînent d'une part une augmentation de la demande de présence des équipes psychiatriques dans les lieux d'accueil des personnes âgées et, d'autre, part un nombre de plus en plus important de personnes âgées dans les services de soins en santé mentale.

Pour réaliser cette adaptation du travail de l'infirmier, bien que de façon informelle et ponctuelle il soit déjà amené à intervenir dans ces différentes situations décrites, il est incontournable de mettre en place, dans un partenariat avec d'autres catégories professionnelles, un système de formation à la recherche clinique sur ces différentes catégories de populations.

2. Difficulté de l'application des soins face à la réalité du terrain

Un référentiel classant les spécificités des soins en santé mentale ne peut donc se concevoir isolé du contexte social mais doit également tenir compte du système de santé en place, de son histoire et de son avenir.

a. La démultiplication des lieux de soin

Les services de plus en plus spécialisés entraînent une compartimentation des soins. Depuis quelques années la cohabitation des pathologies est remise en cause par la création d'unités protégées fermées accueillant des patients en phase aiguë (services de cinq à vingt lits destinés aux entrants). Les patients atteints de troubles dépressifs sont maintenant accueillis en dehors de l'hôpital Pierre Janet, dans un service situé dans l'hôpital Flaubert. Quant aux patients autistes, ils bénéficient à temps partiel d'une structure de jour spécialisée. La création d'une Maison d'Accueil Spécialisée (MAS) est en projet : la prise en charge de l'autisme se fait dans un glissement d'un lieu de soin à un lieu de vie.

En conséquence, le travail dans les unités d'hospitalisation dépend de plus en plus d'une organisation des soins asilaire bi-polaire : d'un côté les entrants, les personnes hospitalisées sous contrainte, de l'autre les chroniques. Dans la politique de soins et dans les actions de soins mises en place, force est de constater un repli de l'intra-hospitalier sur lui-même, d'autant plus que la nouvelle législation sur la responsabilité médicale entraîne une certaine frilosité dans les prescriptions médicamenteuses. Au moment où s'ouvrent les CATTP, où se créent les appartements associatifs, communautaires, thérapeutiques et où les hôpitaux de jour sortent des murs, des services d'hospitalisation complète se referment partiellement ou totalement, ce qui entraîne inévitablement que l'infirmier exerce dans une politique de soins faite d'un paradoxe majeur.

La démultiplication des lieux de soin, à effectif constant, amène l'infirmier travaillant en psychiatrie à être de plus en plus spécialisé en fonction de l'unité où il exerce. À partir de cette démultiplication, la conceptualisation des soins rétrécit le champ d'action de l'infirmier, le conduisant, d'une part, à une sur-spécialisation (unité d'entrants, de réinsertion, lieux de vie - en ce qui concerne la prise en charge des autistes -, adolescents…) et, d'autre part, à un morcellement du suivi du patient.

b. La gestion de la violence

La gestion de la violence, à l'heure où nous travaillons sur ce référentiel, semble de plus en plus glisser vers une résolution " musclée ". La présence de l'infirmier-homme est de plus en plus recherchée dans les moments de violence, et des mini équipes mobiles masculines sont constituées. Lorsqu'il s'agit d'aller chercher une personne en Hospitalisation d'Office, d'intervenir dans un service en difficulté ou pour les protocoles de chambre d'isolement, les infirmières sont de moins en moins sollicitées alors que, dans des moments de crise, on a souvent pu constater que la mixité des équipes était rassurante pour le patient et ne plaçait pas d'emblée la relation sur un terrain de rapport de force.
En intra-hospitalier, face à des situations de crise, l'effectif de fonctionnement étant à l'heure actuelle l'effectif de sécurité, la création de ces mini-équipes mobiles masculines, d'une part démunit les services dès qu'il y a intervention et, d'autre part, donne aux infirmiers de l'intra-hospitalisation le sentiment de freiner toute évolution de carrière. Cet état de fait n'étant pas satisfaisant, un travail institutionnel va être mis en place, en lien avec des sessions de formation, sur " la dimension thérapeutique de l'isolement en psychiatrie ".
Il est quelquefois difficile de penser et d'organiser les soins sur les critères définis dans la première partie du référentiel des soins infirmiers en santé mentale.

c. L'arrivée de nouvelles catégories

L'arrivée des aides soignants (AS) et des aides médico-psychologiques (AMP) a modifié la prise en charge infirmière auprès du patient dans son approche quotidienne (toilette, repas, rangement du linge…). Ce temps dégagé pourra permettre de développer le " rôle spécifique de l'infirmier en psychiatrie auprès du patient " tel qu'il est décrit dans la première partie de ce référentiel.

CONCLUSION

Comme il est précisé dans l'introduction, ce référentiel est marqué par l'histoire de la psychiatrie, en général, et de l'Hôpital Pierre Janet en particulier.
Il sert actuellement de base de travail dans le cadre de la formation complémentaire en santé mentale dispensée aux soignants arrivant en psychiatrie. Volontairement, il ne fait que lister et effleurer des directions pour mettre en mots le travail en santé mentale. Développé lors de la formation complémentaire, sa fonction est d'accompagner les soignants et de susciter une dynamique de recherche au service de la réflexion clinique.
D'autre part, ce référentiel a été écrit à un moment donné : il est daté. Presque dépassé sitôt terminé, il nécessitera des mises à jour régulières. Cela prouve que la santé mentale vit aujourd'hui des changements importants : les pratiques évoluent rapidement de par les interactions entre le médical, la recherche pharmaceutique, le social et l'économique. Sans connaître les incidences de l'évolution de la société sur la pratique psychiatrique, on ne peut cependant qu'encourager les soignants à s'exprimer davantage car poser en mots le soin en psychiatrie est un appel au débat : ce n'est qu'ainsi que les portes des institutions pourront, à leur tour, s'ouvrir vers la société et que l'on pourra alors parler de santé mentale.


NOTES

Infirmière de secteur psychiatrique, Hôpital Pierre Janet, Le Havre.

Infirmière diplômée d'Etat, Hôpital Pierre Janet, Le Havre.

Infirmier de secteur psychiatrique, Hôpital Pierre Janet, Le Havre.

Infirmière diplômée d'Etat, Hôpital Pierre Janet, Le Havre.

Cadre de santé, Hôpital Pierre Janet, Le Havre.

Établissement regroupant quatre secteurs de psychiatrie générale et deux secteurs de psychiatrie infanto-juvénile administrativement rattachés au Groupe hospitalier du Havre.

Spécialité médicale consacrée à l'étude, au diagnostic et au traitement des maladies mentales (cf. J. Postel).

Organisation de la société pour développer des politiques d'hygiène mentale et de prévention des maladies psychiatriques. Il n'y a donc pas de politique de santé mentale qui ne dépende des conditions économiques culturelles et sociales (cf. J. Postel).

Les mots ou phrases importants sont en italiques.
Unité destinée spécifiquement à l'accueil et à la prise en charge des jeunes de 13 à 20 ans en souffrance psychologique, somatique et psychiatrique.

Unité de soins destinée à assurer, après la phase aiguë de la maladie, le prolongement des soins actifs et les traitements nécessaires à la réadaptation en vue d'un retour à une existence autonome.

Unité se soins utilisant différents outils de médiation thérapeutique (sport, danse, musicothérapie, peinture, informatique, journal, couture, décoration, etc.).

Accueil pour un temps donné, au sein de familles rémunérées par le Groupe hospitalier du Havre, de patients de tout âge pour lesquels le maintien ou le retour à domicile, ou dans leur famille naturelle, ne paraît pas souhaitable ou possible. Cet accueil constitue une phase de réadaptation sociale. Le patient se reconstruit, se resocialise, reprend une certaine autonomie, fait des projets. L'équipe gère le suivi de ces patients tout en soutenant les familles par des rencontres fréquentes (visite à domicile (VAD), réunions, formation).

Guide du service infirmier, n° 11.

Correspondant aux urgences psychiatriques.

Unité de soins, extériorisée de l'Hôpital Pierre Janet, accueillant des patients en hospitalisation libre présentant des troubles anxio-dépressifs.

Unité se soins accueillant à la journée des adultes atteints de psychose infantile à expression gravement déficitaire, dits autistes.

Structures à visée de réinsertion sociale mises à la disposition de quelques patients pour des durées limitées. Une présence discontinue du personnel soignant peut être organisée selon les cas.

Guide du service infirmier, n° 11.

Guide du service infirmier, n° 11.

Guide du service infirmier, n° 11.

Hospitalisation d'office.

Hospitalisation sur demande d'un tiers.

Centre Médico-Psychologique.

Centre d'accueil thérapeutique à temps partiel.



BIBLIOGRAPHIE

BARBIER D., " Le rôle de l'infirmier dans le travail en réseau ", Soins psychiatrie, n° 219 mars 2002.

BERNARD P., Manuel de l'infirmier en psychiatrie, Masson, 3e édition, 1977.

Collectif de seize infirmiers de l'Hôpital Pierre Janet, " Réflexion sur la pratique infirmière ", Méandres, n° 1, décembre 1997, pages 17 à 23.

Décret 2002 - 194 relatif aux actes professionnels et à l'exercice de la profession infirmier du 11 février 2002.

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PERRIN-NIQUET A., " De la polyvalence à la spécialisation infirmière, les enjeux en psychiatrie ", Soins psychiatrie, n° 218, janvier 2002.

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