THÉRAPIE FAMILIALE ET
PSYCHOTHÉRAPIE.
Comment la Psychothérapie
individuelle et la Thérapie Familiale peuvent co-exister ?*
Résumé :L’idée de ce travail vise à présenter la manière dont la Psychothérapie individuelle analytique et la thérapie familiale peuvent s’articuler dans la pratique.Le travail clinique ne présente actuellement plus les oppositions classiques des débuts de la Thérapie Familiale mais une complémentarité. Une réflexion théorique est également ébauchée.
Nous nous sommes intéressés à l'influence sur la thérapie familiale de la psychothérapie individuelle. En effet Nous travaillons dans le contexte du secteur psychiatrique public, l'équipe de thérapie familiale mit en place dans le cadre d’un centre médico-psychologique reçoit des familles ou des couples dont fréquemment l'un des membres est suivit en psychothérapie individuelle. La thérapie familiale quand elle se met en place s'intrique alors avec des modalités diverses de prise en charge psychothérapeutique.
Dans beaucoup de cas c'est d'ailleurs le psychothérapeute qui à adressé la famille ou le couple, et nous nous trouvons dans certains cas dans une situation ou le patient adressé semble plus motivé par la thérapie systémique que le reste de la famille, et à aussi tendance à considérer son conjoint ou le reste de la famille comme "responsable" des problèmes," puisque lui se soigne". Souvent d'ailleurs il nous est implicitement demandé une alliance sur cette position.
La situation pour le thérapeute familial n'est pas facile entre la prise en compte de cette situation qui implique à la fois un des membres de la famille, parfois aussi au-delà de la famille, le thérapeute qui nous l'a adressé avec le souhait parfois de nous "faire plaisir" s’il partage nos options systémiques.
Dans d'autre cas c'est dans le cadre d'une psychothérapie, mais sans adresse du thérapeute qu'une personne souhaite entreprendre une thérapie familiale ou une thérapie de couple ; cette situation est plus facile que la précédente car l'implication du sujet est plus importante, quoique la détermination linéaire puisse être tout aussi forte que dans le cas précédent. Nous avons ainsi rencontré cette situation plus fréquemment dans des thérapies de couple. Souvent aussi la personne essayera d'installer également une relation de complicité. Dans d'autre cas, la psychothérapie individuelle n'a apparemment pas de lien avec la thérapie familiale, ce n'est ni le thérapeute, ni le patient qui ont porté l'indication, mais soit un autre membre de la famille, soit un intervenant extérieur. Dans ce cas la psychothérapie sera découverte incidemment. Enfin il nous est arrivé de recevoir des demandes de thérapie familiale, à la place d’une demande de psychothérapie individuelle, qui semblait mieux indiquée. La résistance à l’égard de la psychothérapie et d’un travail analytique nous à aussi amener à rencontrer certaines familles, et plus encore des couples. Notre attention s'est portée à ce sujet il y a quelques années alors que nous entamions notre formation en thérapie familiale. Au cours de notre formation en thérapie familiale nous avions été marqués par la position de MARA SELVINI, pour qui on ne pouvait entreprendre une thérapie familiale et conjointement une psychothérapie individuelle. La position de SELVINI était d'éviter toute forme de confrontation entre le modèle systémique et le modèle analytique.
Par la suite nous avons été très sensibles à la position de R.NEUBURGER quand à l'articulation entre thérapie familiale et psychothérapie individuelle, en particulier la psychanalyse, en ce qu'elle nous semblait formuler les positions en terme de complémentarité. Selon NEUBURGER dans certains cas la famille n'autorise pas l'expression d'une demande chez un quelconque de ses membres, quel que soit le symptôme ou sa gravité. La place de la thérapie familiale serait dans ces cas de permettre par une désaliénation du groupe familial, l'expression d'une demande chez un quelconque de ses membres et pas seulement celui qui est porteur des symptômes. "Ce travail s'appelle l'INDIVIDUATION" en thérapie familiale.
J'évoquerai deux situations pour illustrer ce thème:
Il s'agissait d'une famille qui nous avait été adressée par une collègue
pédopsychiatre qui suivait un des 2 enfants en thérapie individuelle pour des
symptômes phobiques Nous avons reçu cette famille en consultation familiale
Lors de la première séance nous nous sommes trouvés en présence d'un jeune
couple avec deux enfants ,très à l'aise ,ils nous ont relatés les difficultés
qu'ils avaient avec le plus jeune enfant ,il s'agissait de "crises"
répétitives ,ou l'enfant était incapable de rester avec ses parents, il évitait
alors systématiquement les pièces communes et restait le plus souvent dans sa
chambre. Les parents étaient très préoccupés de ce comportement très
invalidant. Ils avaient tous deux pendant de longues années suivis une analyse
et connaissaient bien la thérapie Familiale Ils se posaient toutes sortes de
questions sur leur "dysfonctionnement". Je présente un extrait de la première séance:. THERAPEUTE: Qu'est-ce-que vous craignez. Mère: Je ne sais pas...Je crains pour
Hugo qu'il ait du mal à trouver son autonomie. Il faut être bien dans sa peau.
Père: Je ne me pose pas ce genre de
questions. La question pour moi est celle de notre attitude. Hugo ne supporte
pas que je l'embrasse. Il a peur du contact physique
Mère: Si je lui fais un bisou il recule, cela est fréquent ; mais je
respecte son attitude; lorsque j'étais petite, j'étais comme lui.. THÉRAPEUTE: Pour vous protéger les enfants
c'est quoi?
Mère: C'est sans doute suite à notre propre enfance. J'ai été choyée
jusqu'à l'âge de 5 ans, j'étais élevée par mes grands parents, ensuite mes
parents m'ont reprise et alors ce fut très difficile. J 'étais livrée à
moi-même, mes parents se disputaient souvent…
Hugo s'approche alors de son père et lui parle tout bas.
A la fin de la séance nous avions conclu que de notre point de vue nous pensions que le fonctionnement de la famille nous semblait "satisfaisant" -1- mais nous avions remercié Hugo de nous avoir amené ses parents, en s'imaginant peut-être "qu'ils avaient des problèmes". Grande fût notre surprise lors de la séance suivante lorsqu'ils nous apprîmes que leur enfant allait bien. Ils nous ont expliqué en détail que leur comportement avait changé à la suite de la première séance, et qu'ils avaient compris la séquence" répétitive "où le comportement de leur fils induisait en fait une dispute au sein du couple. Depuis ils évitaient de présenter le même comportement. Les deux parents suivaient depuis de très nombreuses années une psychanalyse, et très influencés par leur tendance à se mettre en cause, ils pensaient que les problèmes de leur fils provenaient de leur propre comportement.
L'autre situation que nous voulions relater concerne un couple que nous avons suivi quelques temps ; nous avions été contactés par une jeune femme qui souhaitait qu'on clarifie sa relation avec un homme dont elle partageait la vie depuis longtemps, mais qu'elle envisageait de quitter parce qu'elle ne supportait pas son comportement. Cette femme se plaignait de l'alcoolisme de son ami, de son absence de travail. Elle suivait depuis longtemps une analyse et aurait bien voulu que son ami s'engage dans cette voie afin pensait elle de modifier son comportement. En fait au cours de la séance nous avions l'impression que le suivi analytique "protégeait" la femme de toute implication dans la vie du couple et qu'elle rendait son mari responsable de tous les problèmes. A la fin de la séance nous avons choisi arbitrairement de recadrer comme protecteur -2- le symptôme présenté par l'ami en insistant sur les avantages que présentaient pour l'homéostasie du couple, les fonctions du symptôme alcoolisme. En effet devant l'insistance de la femme vis-à-vis des problèmes de son mari nous pouvions remarquer que les problèmes d'alcoolisme, leur permettaient d'occulter les problèmes du couple.
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Dans les deux cas que nous avons présenter se posent la question de l'influence du cadre analytique et systémique. Dans le cadre analytique s'articule la question du sujet et son histoire. Le paradigme systémique se définit plutôt dans l'identité du système. Dans la première histoire la question nous est d'emblée posée de confirmer le "dysfonctionnement" familial. Il s'agit d'un couple qui pose d'emblée la question en terme de culpabilité devant les problèmes de leur fils. Dans l'optique systémique le symptôme n'est l'attribut ni du patient désigné, ni du système, mais structure de la communication dans le système. La réponse des thérapeutes sera de "connoter" positivement le symptôme. Qu'avons-nous dit en fait ? :
Tout en remerciant Hugo d'avoir amené ses parents parce qu'il s'imagine qu'ils ont des problèmes, nous pensions que de notre point de vue leur fonctionnement est "satisfaisant". En effet il s'agissait pour le couple de se présenter comme coupable des problèmes d'Hugo, mais en même temps, à un autre niveau ils disqualifient les thérapeutes qui ne pèsent pas "lourds "par rapport à 10 ans d'analyse; les parents utilisent leur expérience de la psychanalyse comme forme de résistance au changement. A la fois ils s'estiment responsables, mais "attention nous avons déjà beaucoup travailler sur nous", préviennent-ils. Dans cette technique nous sommes assez proches de ce que préconise ELKAIM -3- ; par cela nous résistons à la résistance du patient qui se manifeste sous la forme d'un changement. Nous introduisons à la fois un changement et un non changement, à un autre niveau. Nous les rassurons sur leur "dysfonctionnement", tout en prenant en compte la fonction du symptôme.
Le passage de l'approche psychothérapique classique à l'approche systémique suppose un changement épistémologique. Il ne s'agit plus de poser l'attitude des parents comme responsables des symptômes de leur enfant Mais d'envisager l'ensemble des interactions au sein du système familial et également le système famille-thérapeute. Certains aspects de la thérapie familiale déforment ce point de vue, en évoquant par exemple le problème du pouvoir, ou encore la rigidité dans la famille. Dans une conception systémique le statut de l'observateur n'est pas neutre mais partie prenante du système observé, ainsi la relation mise en place est nécessairement interdépendante. C'est cette position que l'on trouve chez de nombreux thérapeutes comme CAILLÉ,ANDOLFI,...comme élément -4- participant de la relation thérapeutique inclus dans le processus de changement. Dans cette perspective ce n'est pas la famille qui doit changer mais le système thérapeutique tout entier. On voit la différence avec la position de SELVINI sur la neutralité du thérapeute ,en effet dans cette optique le thérapeute décrit "de l'extérieur" les règles du système ,alors que de l'autre point de vue le thérapeute établit un lien émotionnel avec le système familial. Sans négliger les enjeux en cours pour autant, le thérapeute évite de conforter les constructions du monde des membres de la famille ou les siennes propres, mais offre une autre lecture de la situation en portant à son terme logique une règle du fonctionnement familial Dans la relation psychothérapeutique, nous nous situons à un autre niveau logique au sens de BATESON. Il n'y a pas incompatibilité de notre point de vue avec la démarche systémique. Si nous prenons par exemple la question du temps et celle classique, de la causalité, qui semble opposer systémiciens et analystes, il n'y a pas forcément opposition La question du POURQUOI ? , joue sans doute un rôle central dans la psychothérapie ,cependant le thérapeute individuel travaille aussi sur "l’ici et maintenant". Nous pouvons aussi dépasser l'opposition simpliste entre une vision de l'histoire selon laquelle des éléments du passé détermineraient automatiquement des éléments futurs et une lecture qui insisterait plutôt sur "l'ici et maintenant". Pour qu'un élément du passé continue à jouer un rôle important au niveau du présent, il faut que le maintien d'un comportement ait une fonction et un sens important par rapport au système où il se perpétue. Je donnerai un exemple de la manière dont un élément du passé peut dans un contexte: particulier jouer une fonction:
Il s'agit d'un patient que nous suivions et qui présentait une symptomatologie de psychose maniaco-dépréssive.. Ce patient était marié à une femme qui depuis toujours avait beaucoup d'ascendant sur lui ,c'est elle qui régulièrement se manifestait lorsque son mari n'allait pas bien. Il était depuis longtemps dans la position de patient désigné ,nous pourrions dire que la relation thérapeutique se maintenait activement inopérante Il existait une escalade symétrique entre le patient désigné et son environnement familial ou thérapeutique, chacun des partenaires tentant de contrôler l'autre.
Ce patient avait à plusieurs reprises fait des tentatives de suicides graves et inquiétait beaucoup tout son entourage. Lors d'un épisode il était fréquent qu'il soit hospitalisé ou encore suivit à domicile. Une fois lors d'une de ces rechutes dépressives nous nous sommes trouvés un soir au dispensaire dans une situation très embarrassante, en effet nous ne pouvions le faire hospitaliser faute de place, ni pouvoir proposer de visites à domicile à cause d'une...grève. Nous n'avons rien pût lui proposer à cause de cela, et craint ainsi que sa femme qu'il ne passe à l'acte. Or quand nous l'avons revu quelques jour après il allait bien, et cette amélioration s'est maintenu pendant plusieurs semaines. Ce patient devait nous expliquer lors de la séance suivante une partie de son passé où militant communiste il s'était heurté à son administration lors de mouvement revendicatif. Ainsi un lien s'était établi entre un élément du passé de ce patient et le contexte relationnel de prise en charge. ELKAIM appellerait résonance-5- cette assemblage particulier constitué par l'intersection de deux systèmes. A la suite de notre intervention les relations entre le système familial et le système thérapeutique sont devenues moins symbiotiques. Les éléments du passé qui ont resurgit ont sans doute contribué à dédramatiser la relation thérapeutique et mit en place une alliance thérapeutique. .Dans le travail psychothérapique les éléments du passé s'actualisent souvent dans le présent, et ce, avec l'aide du thérapeute, mais ils ne sont pas toujours rapporter au contexte relationnel dans lequel ils surgissent En ce qui concerne notre approche nous nous servons souvent des éléments de l'histoire de la famille afin de comprendre le sens et la fonction de ce vécu dans le système familial. Un système familial n'est pas une simple réalité bidimensionnelle; c'est aussi une réalité tridimensionnelle; l'histoire des relations passées s'y concrétise au présent pour pouvoir se développer dans l'avenir. La souplesse et la rigidité d'un système ne sont pas des propriétés intrinsèques de sa structure, ce sont des caractéristiques liées à sa dynamique, à un changement d'état temporellement et spatialement déterminé.
. Les manifestations pathologiques se manifesteront à l'occasion de transformation ou de pression à un moment déterminé de l'histoire de la famille. Le système va se modifier pour ne pas changer en utilisant la désignation comme réponse à une demande de changement. .Le travail psychothérapique vise à restituer les potentialités de l'individu permettant un retour à l'autonomie du sujet. Celui-ci n'est pas toujours l'objet de désignation rigide dans le système familial, ce qui facilite le travail de désaliénation de la psychothérapie.. La question de l'indication de thérapie familiale est fondamentale car si l'indication est mal posée elle aboutit à un élargissement de la désignation rigide ,de l'individu à la famille, et augure de l'escalade entre le système thérapeutique et la famille. Le système familial est la condition de l'individu, dont l'émergence comme sujet est conditionné par les règles que le système se donne.
En conclusion : vouloir isoler ce qu'on doit interpréter en terme systémique ou d'une autre façon, est un peu arbitraire.. L'approche systémique consiste à supposer aucune caractéristiques comme immanentes à l'objet, mais comme interactives entre telle ou telle partie de l'objet, entre l'objet lui-même et d'autres objets parmi lesquels l'observateur lui-même qui est lié à l'objet par certaines interactions. Familles et individu constitue pour paraphraser l'Ecole de ROME -6-"deux systèmes en évolution"
Dr. Patrick Bantman
BIBLIOGRAPHIE
1 NEUBURGER R.:La demande en Psychanalyse et en Thérapie Familiale.Revue PSYCHIATRIE,T.2,N.40,P.29 à36,1980.
2 Au sens systémique la qualification positive d’un comportement vise à resituer leur valeur homéostatique -voir le Dictionnaire de Thérapies Familiales
3 ELKAIM M.:Si tu m'aimes,ne m'aime pas.SEUIL,1989.
4 En ce qui concerne la notion de protection en thérapie familiale ,on considère qu’une personne protège une autre personne lorsque la première par une manoeuvre particulière permet à l’autre de faire l’économie d’une autre manoeuvre.Voire sur ce point le Dictionnaire clinique des thérapies Familiales-Ed.ESF-1988.
5 "J'appelle résonances ces assemblages particuliers constitués par l'intersection de différents systèmes comportant un même élément."M.ELKAIM,op.cité P.153.
6 L'école de Thérapie Familiale deROME se réfère à un modéle théorique de type "structurale"qui à beaucoup travaillé sur le système thérapeutique ainsi que sur l'utilisation de la métaphore en thérapie Familiale (voir ANDOLFI M.et COLL.;La Forteresse Familiale, DUNOD,1982)
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