Toutes personnes souffrant de maladie mentale
a une famille prête à l’aider à être aidé.
Depuis
20 ans j’exerce le métier d’infirmière de secteur psychiatrique. J’ai travaillé
dans divers lieux d’accueil et d’hospitalisations à temps complet ou à temps partiel.
J’ai découvert et ai été formé à différents modèles de travail.
Depuis
quelques mois j’assure la fonction de cadre de santé sur un CMP au centre de
Paris.
Au
cours de ces 20 années d’exercice, j’ai vu le contact avec les familles changé,
leur place dans nos institutions changé, mon regard de clinicienne se modifier…
Passons
par quelques constats que nous pouvons faire aujourd’hui
-
« les
étiquettes diagnostiques, en psychiatrie institutionnelle, sont à la fois
médicales et sociales, car elles signalent des troubles relationnels pouvant
évoluer vers le drame, la répétition, la chronicité invalidante ;
-
les
traitements médicamenteux ont leur ambiguïté, contrôlant ces troubles mais
laissant des difficultés durables
-
les
diagnostics sont hésitants, ou parfois contestables quand ils sont trop précis
-
la
psychiatrie institutionnelle exige une réflexion sur le travail en groupe, tant
chez les soignants que chez les soignés
-
ses
institutions conservent une étiquette sociale particulière, lieux de la folie
quoi qu’il en soit
-
l’opacité des
réactions psychotiques graves laisse peser un sentiment d’indéchiffrable.[1]
Parallèlement
à ce constat, depuis désormais plusieurs années les professionnels de la
psychiatrie ont un intérêt croissant pour le travail de réflexion avec les
familles et l’entourage du patient.
Historiquement
la relation entre la psychiatrie et les familles, a été orienté sur l’influence
pathogène que les familles exerçaient sur leurs proches « malades ».
La
société a évolué et les pratiques en psychiatrie publique également.
L’ouverture des champs d’intervention et de prises en charge sur le milieu de
vie a mis en contact soignants, milieu familial, entourage, voisinages, et plus
récemment même les politiques.
La
famille et l’entourage s’imposent de plus en plus comme une réalité prégnante,
incontournable, essentielle du quotidien du contexte de travail pour les
professionnels de la psychiatrie.
- Réalité d’un contexte de soins, la
famille est le plus souvent demandeuse
d’une intervention thérapeutique
-
réalité d’un
contexte agissant, le lieu de vie et les
rapprochements se font le plus généralement
dans la famille quand la maladie survient
-
réalité d’une
histoire, histoire de vie celle du patient, celle des soignants, celles des
familles, des institutions [2]
« L’implication
de membres de la famille des patients dans les soins aide les intervenants à
prendre quelque distance avec le trouble immédiat et à s’occuper directement de
l’environnement de chaque patient. Les implications familiales complémentaires
libèrent les intervenants de liens cachés, multiples et déroutants. Elles
atténuent les angoisses et les manipulations, apaisant les prises en charge. Il
devient plus facile d’instaurer une méthode généralisée de réunions, tant à
l’hôpital que sur le secteur, qui maintienne des relations fiables entre les
soignants. Ces apprentissages sont personnels et collectifs, traitement et
prévention de la contamination pénible créée par la chronicité angoissée des
malades… »[3]
Accueillir
au plus tôt la famille
Quand
on parle d’accueil, dans le champ qui nous intéresse, c’est de qualité d’écoute
d’abord dont nous parlons. La qualité cela ne va obligatoirement de soi. Ca
s’acquiert par le temps mais aussi par des formations
Le
début des soins amène parfois à une rupture entre le milieu familial et la
personne souffrante. Cette rupture peut être demandée par la famille mais aussi
être imposée par un tiers extérieur comme l’équipe de soin, le préfet, les
services d’urgences, le maire….
C’est
lorsqu’une situation est devenue si insupportable que le patient, les familles
viennent consulter. Notre responsabilité, en tant que soignant, est
grande. « Il nous faut accueillir la souffrance de celui qui fait symptôme
sans déposséder ceux qui l’accompagnent. »[4]
Souvent
lorsque survient la maladie, les familles souffrent depuis longtemps mais n’ont
pas pu ou eu l’occasion d’en parler. Elles ne comprennent généralement pas ce
qu’il se passe et se sentent culpabilisée.
Ces
familles sont dans le désarroi car nous
ne pouvons oublier que la psychose n’est pas et ne sera jamais une maladie
comme les autres et on ne peut la réduire « qu’à une maladie du
cerveau »
Le
soutien que ces familles procure, est un temps sans relâche, sans congés et
sans repos
La
formation initiale et continue des professionnels doit donc s’intéresser de
très près au travail à faire avec les familles, à la capacité à écouter et à
reconnaître dans l’entourage proche les ressources relationnelles et
psychiques.
Les
familles possèdent « des compétences et des savoirs uniques sur les
maladies psychiques, basées sur l’observation des manifestations de la maladie
dans la vie quotidienne hors des structures de soin…
(Elles)
ont une connaissance de la symptomatologie du début de la maladie avant que
n’apparaisse la première crise ;
Les
réactions aux médicaments dans la vie quotidienne et leur efficacité, si
variable selon les individus ;
Les
associations entre la survenue de la maladie et certains faits observés par les
familles et l’entourage. »[5]
Les
premières hospitalisations en psychiatrie retentissent comme des annonces.
Annonce de la maladie. Ces premières rencontres ont une influence considérable
sur le processus de soin. Temps fondamental qui va orienter ce que nous
pourrions nommer « la trajectoire du patient et de son entourage avec sa
maladie ». Les hospitalisations posent la question de la séparation et
celle de la mobilisation de l’entourage.
Il
faut aider la famille, non parce que son dysfonctionnement serait la source du
symptôme exprimé, mais parce que la crise du patient psychotique est une crise familiale. Prendre en compte
cet aspect permet de construire un cadre d’entretiens collectifs entre
patient-familles-soignants. Ce cadre reste centré sur l’évolution du malade.
Les ambitions visées sont autres que celles des thérapies dites familiales, qui
elles visent avant tout à changer la structure de la famille.
Travail
en entretien collectif
La
mise en œuvre d’emblée, d’entretien collectif crée une situation de fait
globale, à laquelle participe différents membres des équipes institutionnelles,
le malade et sa famille. « Cette pratique intégrative impose un effort
d’informations réciproque et des habitudes d’échange qui facilitent les actions
des interventions thérapeutiques, médicamenteuses, psycho ou sociothérapiques
voire réadaptatives ».[6]
Ces
rencontres outre l’afflux des informations qu’elles apportent et qu’elles
permettent d’échanger sont des lieux de recherche d’un consensus pour les
soins, les aménagements de la vie quotidienne, les projets à cours, moyen et/ou
long terme. Elles éclairent sur les relations dans un milieu humain naturel.
Afin
d’instaurer une alliance thérapeutique, qui est généralement définie comme
une habileté observable du thérapeute et du patient à travailler ensemble dans
une relation réaliste, de collaboration, basée sur un respect mutuel, sur la
confiance et sur un engagement dans le travail de la thérapie (Foreman
& Marmar, 1985) :
Les
échanges avec un ou plusieurs membres de la famille se situent toujours en
présence du patient.
Mettre
en œuvre des entretiens collectifs familiaux en psychiatrie d’adultes suppose
que le patient ait accepté le principe.
Cette
pratique des entretiens collectifs m’a permis d’éclairer différemment ma
clinique, sous divers aspects :
-
au travers
des entretiens collectifs, les protagonistes tissent des liens entre eux. A
chaque fois, c’est une équipe singulière et unique qui se réunit autour du
patient et de son entourage. Ces entretiens s’adaptent souplement aux
interventions thérapeutiques diverses et deviennent un lieu de rencontre,
d’information et éventuellement de décision.
-
L’individu
est envisagé dans son contexte ; ce qui amène la possibilité de
réintroduire la réalité extérieure évacuée le plus souvent dans la psychose.
Cette approche permet un décentrement contextuel vers le dehors. Elle nous
permet également d’apprendre’ à reconnaître l’individualité de chacun d’entre
nous.
-
S’assurer de
la présence du patient à toutes les rencontres avec ses proches c’est lui
proposer une fonction de décideur. C’est le désigner comme seul compétent en ce
qui concerne son avenir et son évolution.
Si en tant que soignants, nous sommes
experts en thérapie, le patient est expert pour SA thérapie.[7]
Plusieurs
études et analyses ont été réalisées, ces dernières années, auprès d’équipe
incluant dans les soins le milieu familial sous forme de thérapie familiale, d’entretiens
familiaux de soutien voire de programme éducationnel.
Il
semble bien qu’à long terme, le fait de faire participer la famille à la thérapie,
et cela le plus précocement possible et de manière régulière, diminue de
manière significative le taux de rechute psychotique. Ce qui souligne
l’importance de l’affiliation aux familles.
Illustration
brève d’un entretien collectif
Monsieur
Djabi, homme de 34 ans, présente de graves troubles schizophréniques. Il est
suivi depuis de nombreuses années sur le secteur. Il est le dernier d’une
fratrie de 8 enfants et vit chez ses parents, qui sont des personnes âgées.
Les
troubles du comportement de MR Djabi perturbent beaucoup la cellule familiale.
Des
entretiens familiaux ont lieu régulièrement. Y participent, MrDjabi, son père,
sa mère son médecin traitant et moi-même, infirmière référente de MR Djabi.
Au
cours d’un entretien le père requiert mon aide afin d’établir un dossier de
nationalité française pour son fils. Mr Djabi est algérien. Le père demande
cette aide car il ne sait ni lire, ni écrire et que les démarches sont
complexes. Mr Djabi sait parfaitement lire et écrire mais son père ne souhaite pas
faire ces démarches avec son fils, disant très en colère : « Il
perd tous ses papiers. On ne peut rien lui confier ».
Mr
Djabi se met, à ce moment là, à avoir des propos incohérents et des rires
immotivés.
La
mère soupire et se détourne.
Nous
conviendrons, au cours de cet entretien, d’aider la famille à réaliser ce
dossier mais en incluant la participation de Mr Djabi. Nous déterminerons
ensemble qu’aucune démarche ne pourra être entreprise sans sa présence.
Notre
alliance est centrée sur le patient et nous lui proposons de reprendre
« sa » place dans les démarches sociales le concernant. Nous
entendons la demande du père et tentons par notre réponse de diminuer le seuil
d’inquiétude de la famille.
L’alliance
thérapeutique doit prendre en compte les problèmes du patient mais également
ceux de la famille, tout en évitant de prendre parti pour l’un ou pour l’autre.
La souffrance exprimée par la famille doit être entendue comme une demande
d’aide et doit être accueillie par l’équipe soignante.
Les
Familles - Partenaires
Dans
ma pratique quotidienne, le travail avec les familles s’établit également sur
un niveau tout autre, celui du réseau.
Les
familles, l’entourage, les patients ou ex-patients se sont beaucoup investis et
impliquées. Ils ont mis en œuvre des associations, des fédérations qui sont
devenus au fil des années de véritables partenaires pour les professionnels de
la psychiatrie. Ils sont présents dans les établissements hospitaliers et
participent à l’élaboration du projet médical d’établissement.
La
psychiatrie fait le constat que les personnes souffrant de troubles psychiques
peuvent difficilement vivre sans accompagnement. Accompagnement par leurs
familles et/ou par un milieu faisant fonction de famille.
Les
associations des familles et les associations d’usagers se trouvent
actuellement porteurs des projets et orientations des politiques de soin. Au
jour d’aujourd’hui les projets tel que les SAVS[8],
les clubs (d’entraide), la reconnaissance du handicap psychique ont été portés
par des associations de famille et d’usagers. Ils ont un rôle de
« facilitateur » et leurs travail et présence ont permis de mettre en
œuvre, dans plusieurs départements, ces projets de services : SAVS et
Club. En outre sur Paris (secteur que je fréquente), plusieurs réunions, entre
l’UNAFAM, des services d’aides à domicile, des associations médico-sociale et
les services de psychiatrie publique, nous ont permis de préciser le type de
prestations et l’implantation des services. Nous avons pu définir des
partenariats et écrire de réelles conventions qui vont permettre de pouvoir
proposer à la fois des soins de qualité et des prestations de suivis détachées
de l’hôpital psychiatrique.
Ces
rencontres entre usagers, famille et professionnels favorisent le dialogue.
Nous apprenons à nous connaître et à nous faire confiance. Nous tissons des
liens.
Ces
liens entre les secteurs de psychiatrie et les associations de famille et
d’usagers sont importants à travailler et à entretenir.
Alors…
De
l’accueil à l’alliance ?
Un
apprivoisement à faire….
Un
chemin à parcourir pour chaque équipe, chaque famille, chaque patient…
Isabelle
Aubard
Infirmière
de secteur psychiatrique
Cadre
de santé
Hôpital
Esquirol
Secteur
Paris Centre 75 G 01
[1] J.C Benoit, « Patients, familles et soigants », p.11-12, ERES, nouvelle édition 2003
[2] P.Bantman, « Alliance thérapeutique avec la famille », site serpsy.org
[3] J.C Benoit, « Patients, familles et soigants », p.11-12, ERES, nouvelle édition 2003
[4] D.Friard, D.Marchand, A.Obéa, L.Pinet, « Des entretiens infirmiers pour renouer le dialogue », Journées « Accueils ? » et CEMEA les 29 et 30 mai 1999, site serpsy.org
[5] B.Escaing, Vice-Président Racherche de l’UNAFAM, « Quand les familles se mobilisent pour la recherche », Santé Mentale, N°94
[6] J.C Benoit, entretiens collectifs familiaux en psychiatrie d’adultes, Encycl. Med. Chir. Paris. Psychiatrie, 37819 D10, 12-1980
[7] M.C Cabié, « Un apport systémique en santé mentale. L’entretien infirmier en institution : un temps fondamental »
[8] Service d’Accompagnement à la Vie Sociale