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Des entretiens infirmiers pour renouer le dialogue

" J'ai peur monsieur. Quand il est dans cet état là, il ne me reconnaît plus. La semaine dernière, il a défoncé la porte d'entrée. "

Mme Salah a les larmes aux yeux lorsqu'elle nous fait ces aveux. Son mari présent acquiesce. Leur fille de 18 ans, silencieuse, opine de la tête. Lucienne et Dominique, infirmiers dans l'unité " Provence " marchent sur des œufs. L'objectif de l'entretien familial est d'amener M. Salah à parler avec sa femme et sa fille de ses crises de violence, de l'ambiance familiale perturbée et de leurs conséquences afin de désamorcer un éventuel rejet.

Mise en confiance par la présence de ses deux infirmiers référents, M. Salah est entré tout de suite dans le vif du sujet. Il ne cache rien.

" Ma femme, elle dit quelque chose, elle a peut-être, elle a sûrement raison mais je me dis qu'elle a tort. Je réfléchis et alors çà part. "

Le début des soins est souvent l'occasion d'une rupture avec la famille que celle-ci soit demandée par la famille ou imposée par l'équipe. C'est face à une situation devenue insupportable que le patient vient consulter. C'est parce qu'elles sont confrontées à quelque chose qu'elle ne savent pas gérer que les familles nous confient ce proche qui leur semble être malade. Notre responsabilité est grande. Il nous faut accueillir la souffrance de celui qui fait symptôme sans déposséder ceux qui l'accompagnent. Entre la honte de savoir un père, une mère, un frère, une sœur à l'hôpital psychiatrique et le soulagement qu'il soit en sécurité, la position des familles n'est pas simple. Entre le détachement et la culpabilité, culpabilité parfois accentuée par l'attitude des équipes pour lesquelles les mères sont naturellement " schizophrénogènes " les attitudes ambivalentes sont nombreuses. L'entrée survient parfois dans un climat de violence. L'angoisse, la peur de celui ou de celle qu'on ne reconnaît plus, la sensation que les mêmes scènes se répètent mois après mois, que les soins ne servent à rien viennent ajouter de la complexité.

A mettre l'accent sur quelques rares affaires qui défraient la chronique, les médias tendraient à faire croire que le malade mental est naturellement dangereux. L'expérience montre qu'il n'en est rien. Plus que de violence réelle, il conviendrait de parler d'incompréhension mutuelle, de communications paradoxales qui éclatent parfois en affrontements verbaux, en colères aussi soudaines qu'imprévisibles et plus rarement en agression physique. Cette agressivité fait d'autant plus peur qu'elle ne semble pas directement liée à un élément déclenchant repérable. Les proches ont alors souvent l'impression d'avancer sur un terrain miné. On finit par acquiescer à tout ce que le patient raconte de peur de déclencher l'explosion. Cette attitude contribue évidemment à alimenter en retour l'agressivité d'un malade qui se sent infantilisé. Ces affrontements quotidiens, souvent harassants et répétitifs finissent par détériorer l'ambiance familiale et par provoquer des phénomènes de rejet : " On ne sait plus quoi faire. On ne sait plus quoi dire. On est débordé. "

Nous avons tous entendu ces plaintes des familles. Il est rare qu'elles soient prises en compte. Pour les soignants, les familles sont souvent suspectes.

Et d'abord un peu de géographie

Nous sommes infirmiers à l'hôpital de Laragne dans les Hautes-Alpes.

Au Pont-le-Barque Grand Buëch et Petit Buëch se rejoignent et donnent naissance au Buëch qui se jette dans la Durance à Sisteron. Son bassin constitue la partie méridionale des Hautes-Alpes, composée de massifs calcaires, étrangement plissés. Entre les corniches de Céüse et d'Aujour se sont creusées des vallées tortueuses qui s'élargissent vers le sud, jusqu'à la plaine de Laragne. Fortement influencé, historiquement et géographiquement par la Provence, le Laragnais est la région la plus méridionale des Hautes-Alpes. Tellement méridionale qu'on y entend même jurer en grec.

A l'origine (il faut toujours remonter à l'origine), est un carrefour qui fait communiquer Sisteron et Serres, et Ribiers et Gap. Au nœud de ce carrefour existait une auberge à l'enseigne de l'Aranea (l'Araignée). Au début du 17e siècle, le seigneur d'Arzeliers, village perché à quelques lieues, instaura une foire près de l'auberge et fit construire à proximité son château. C'est autour de cette auberge, de ce château et de cette foire que s'est développée la commune de Laragne. " L'existence d'un hôpital psychiatrique joue également un rôle dans l'économie locale. " énonce un guide touristique montre l'importance d'un Centre Hospitalier âgé de quarante ans.

Notre département/secteur est avant tout montagneux : Gap (720 mètres) est le plus haut chef-lieu de département français ; la plus haute ville d'Europe est Briançon (1320 m) tandis que la commune la plus haute est Saint Véran (2071 m). La Barre des Ecrins, quant à elle, avec une altitude de 4102 mètres, est le deuxième sommet des Alpes françaises. Qu'on nous pardonne ces considérations géographiques mais elles ont leur importance. Une zone de montagnes, çà signifie un isolement parfois important, des routes bloquées par la neige, des déplacements difficiles, çà signifie aussi parfois un repli sur la cellule familiale qui revêt une importance capitale pour les patients. Il est donc essentiel de garder un lien avec ces familles, de rechercher constamment la meilleure alliance thérapeutique possible.

Les Hautes Alpes sont composées de pays, de microrégions aux caractères marqués et contrastés. Le département dans son ensemble, présente une dualité qui s'explique par des influences à la fois provençales et dauphinoises. Des pays du Buëch (Serrois, Rosannais, Laragnais, Veynois et Bochaîne) au caractère provençal, dans le Sud, à la Haute Romanche et au Briançonnais, très montagneux dans le nord-est, les Hautes-Alpes sont composées d'une dizaine d'entités, dont font partie le Champsaur, Le Queyras, et l'Embrunais. Le département n'est guère industriel, à l'exception de la métallurgie à L'Argentière-la-Bessée. Longtemps autarcique, l'agriculture est disparate, avec d'importants vergers dans le sud et une agriculture de montagne plus au nord.

A cette diversité et à cette dispersion de l'habitat correspond une dispersion des lieux de soin. Les médecins se multiplient d'un lieu de soins à un autre. Les distances qui les séparent retentissent évidemment sur la présence médicale dans les unités.

L'unité Provence dans laquelle nous travaillons est une Unité d'Accueil, et nous tenons à cette appellation qui structure, qui sous-tend notre projet de soin. D'une certaine façon, Provence est un des rares lieux qui transcende cette diversité géodémographique. Accueillir, c'est d'une certaine façon s'ouvrir à la diversité. Sept médecins suivent les patients hospitalisés selon leur provenance géographique. Les infirmiers doivent donc constamment tisser du lien, le travail de liaison revêt un caractère essentiel.

Alors que partout ailleurs, on tend à fermer les unités d'accueil hospitalier ( ! ), à ouvrir des Unités d'accueil pour patients agités (UPID), le choix a été fait à Laragne de se doter d'unités d'accueil ouvertes, sans chambre d'isolement. Quel que soit le mode d'hospitalisation de la personne soignée, elle sera accueillie dans une unité ouverte, et rien à part la capacité des soignants à la contenir, à l'envelopper ne l'empêchera de sortir.

S'il est relativement facile d'enfermer le patient dont l'agressivité ou la violence posent problème, maintenir vivante et soignante cette volonté d'ouverture est une exigence de tous les instants qui implique un dispositif institutionnel clairement repéré et conçu pour accompagner des soignants confrontés à la violence, au passage à l'acte, à l'immobilisme ou à l'activisme, sans autres outils qu'eux-mêmes et leur capacité à penser le soin. L'enjeu est de taille, il s'agit de proposer des soins ouverts sur la vie, sur la communauté. Il s'agit d'éviter de briser les liens noués par le patient avec un environnement, avec un entourage dont les possibilités de soutien ont été momentanément ébranlées.

Infirmiers dans les Hautes Alpes, nous habitons le département. Certains d'entre nous y sont nés, y ont grandi. Nous n'avons pas le même rapport avec les familles que nos collègues des villes. Ce père qui ne comprend plus son fils, c'est l'électricien qui a réparé ma télévision, cette mère qui souffre en silence et qui porte sa croix, résignée, je la croise tous les jours au marché de Laragne. Ce mari décrit comme violent est un ancien camarade du lycée de Gap. Le personnel et le professionnel jouent parfois d'étranges ballets qui malmènent parfois durement le secret professionnel.

Nous n'avons en tout cas pas la même écoute ni la même distance à l'autre.

La distance introuvable

Infirmière Diplômée d'Etat en décembre 1998, je travaille au Centre Hospitalier de Laragne depuis maintenant un peu plus de quatre mois.

L'accueil des familles et de l'entourage des patients m'apparaît totalement différent dans les Hautes Alpes de celui qu'on peut faire en Provence. En effet, quand on est né et que l'on habite dans le village ou la ville où l'on soigne, la proximité avec les patients paraît plus grande et la distance à établir plus difficile à trouver. Cette question me semble d'autant plus complexe que je n'y ai été ni confrontée, ni préparée durant mes études en Avignon, ville où je ne connaissais personne. Maintenant, notamment à " Provence ", la psychiatrie coïncide souvent avec mon environnement plus proche, social et familial. Les relations avec ces proches patients changent et interrogent ma capacité à rester dans un statut de soignante. Ainsi, est remise en cause, la distance à établir, et la " neutralité " des soins dispensés. Il n'est pas rare que je doive accueillir un ancien camarade de classe, un voisin ou encore un parent proche … Tout cela retentit évidemment sur la qualité de la relation soignant/soigné. Il n'est pas simple d'entrer dans le café du village et d'y trouver une personne hospitalisée la veille en train de boire un verre, de même qu'il n'est pas rare de partager un repas lors d'une invitation.

Pour les patients et leur famille, je suis à la fois rassurante et inquiétante. Rassurante parce qu'ils me connaissent. Ils peuvent ainsi dédramatiser l'hospitalisation en psychiatrie. Inquiétante parce que mêlée à leur quotidien. Que ferais-je de ce qu'ils vont me dire ? Il est même parfois nécessaire de leur renvoyer la notion de secret professionnel auquel nous sommes tous tenus.

Puis-je être réellement une " tierce personne " ? Cette question se pose notamment lors des entretiens individuels ou familiaux. Lorsque des entretiens visent à relancer la dynamique familiale, l'infirmière est perçue différemment lorsqu'elle fait partie de l'entourage proche ou plus lointain du patient ou de sa famille. Entre complicité recherchée et distance, il existe plus d'un positionnement.

Lorsqu'autant de paramètres qui nous échappent interviennent dans le soin , il apparaît indispensable de poser et de se poser des limites en faisant référence au rôle propre et à la démarche de soins.

Il s'agit d'une difficulté double car l'apport théorique autour de l'accueil des familles reste quelque chose de très pauvre et de flou dans nos études. Ce n'est que depuis ces quelques mois passés à Provence que je travaille autour de l'approche des familles et de l'entourage des patients. L'aide de mes collègues m'est précieuse.

L'attachement, le lien familial qui maintient les êtres dans leur place d'humain est souvent brisé par une pathologie qui suscite des peurs, des conflits au sein de la famille. L'écoute du vécu des familles apparaît un élément indispensable dans la prise en charge des patients. Ces familles en souffrance, par le biais de l'hospitalisation attendent souvent que nous répondions à leurs demandes, leurs craintes, leurs désirs. Elles nous demandent de les accompagner tout au long de ce qui est pour elles une épreuve. Ce travail permet de considérer l'individu dans sa globalité, dans son histoire.

Aussi, les objectifs de soin seront individualisés et plus facilement repérables nous permettant de travailler l'originalité du symptôme.

La proximité des familles dans notre environnement est telle qu'il est essentiel de participer aux réunions de supervision qui permettent d'orienter et d'évaluer le soin et surtout de poser des limites. Le transfert et le contre-transfert risquent de ne pas se restreindre à la vie de l'unité de soins mais de déborder dans notre vie quotidienne. Il nous faut être constamment en état de vigilance autour de ce point.

La proximité impossible

Il y a un an, j'annonçais mon prochain départ pour Laragne. Je me souviens avoir déclaré qu'un secteur s'explorait à pied. C'est à la poussière sur les souliers disais-je qu'on reconnaît l'infirmier de secteur psychiatrique. J'annonçais comment j'investirais mon nouveau secteur.

Evidemment, je n'en ai rien fait. Pour aller de Laragne à Embrun, il faut compter une heure et demi de voiture l'été. Vous imaginez à pied. Nous ne sommes jamais sûr en hiver d'atteindre notre destination. A Céüse, au pied de la montagne s'est implantée une structure d'accueil pour polyhandicapés. Il suffit qu'un camion dérape sur le verglas pour bloquer le passage. Jean-Claude, en séjour de rupture à Provence, attendra pour sortir des jours meilleurs.

Je n'ai donc pas visité mon secteur. Les patients me parlent de St-Firmin, de Tallard, de Saléon, autant de lieux, de villages que je ne peux même pas me représenter. Je me suis vite rendu compte que cette ignorance était dynamique. C'est parce que je ne connais pas ces lieux qu'ils doivent me les raconter. Ainsi, Thibaud, un jeune patient psychotique, habite avec ses parents une vieille auberge bien connue. " Chez moi, c'est ouvert aux quatre vents. " Si je connais les lieux, la climatologie, j'acquiesce et je ne vais pas plus loin. Comme je ne connais pas, je lui demande de m'expliquer. Apparaît alors une occupation des lieux qui épouse l'organisation du système familial et qui permet de visualiser les relations à l'intérieur de la famille, sa place à lui, et les places des différents membres de la famille par rapport à lui. Ces quatre vents sont aussi les quatre entrées de la maison, chacune étant utilisée exclusivement soit par ses grands-parents, soit par ses parents, soit par son oncle, soit par lui. Il en va des familles comme de Thibaud. Il faut m'expliquer. Et en m'expliquant, la famille fait apparaître des informations qu'elle ignorait savoir. Les informations qu'elle me donne sont aussi des informations qu'elle se donne à elle-même. Il faut préciser que je suis un peu lent et que j'ai souvent du mal à comprendre. Ainsi que l'écrivent certains systémiciens tels que Guy Ausloos, l'information vient de la famille et y retourne.

Je me suis donc interdit de visiter le secteur. Etranger je suis, étranger je reste. Je ne ferais pas semblant de m'intégrer. Ce positionnement s'avère dynamique pour l'équipe et pour les patients.

L'utilisation du tutoiement quasi systématique des patients laragnais et par extension des autres m'avait surpris. Il me semblait qu'il y avait chez mes collègues manquement à la nécessaire distance thérapeutique. Mais peut-on, lorsque l'on est infirmier, vouvoyer son plombier sous prétexte qu'il est hospitalisé dans l'unité où l'on travaille ? Peut-on vouvoyer un camarade d'école, le compagnon des jeux d'enfants ? Un ancien flirt ?

Evidemment, non.

Travailler dans la proximité donc. Mais, comme mon école et mes flirts se situent en Bretagne, je ne vais pas me mettre à tutoyer M. Durand.

La proximité a un prix. Il y a des questions que mes collègues ne posent pas. Ils pensent connaître les réponses et donc n'interrogent pas ce que le patient leur dit. D'autres questions leur paraissent trop intimes, ils ne les posent donc pas. Je n'ai évidemment pas les mêmes limites et n'hésite pas à poser ces questions. Les entretiens effectués à deux ont donc une plus grande richesse. Le travail de post-entretien en est aussi plus riche. Les collègues décryptent les paroles, les silences ce que je suis incapable de faire, me situant hors du contexte. Le travail de supervision hebdomadaire permet encore d'aller plus loin.

A Provence, chaque patient est vu en entretien d'accueil infirmier à distance de l'entretien médical (en général dans les 72 heures). Les familles sont également précocement rencontrées (en général dans la semaine qui suit l'entrée).

Les entretiens familiaux

Pour toutes ces raisons, nous avons été conduits à proposer régulièrement des entretiens aux familles. Il ne s'agit pas pour nous de pratiquer des thérapies familiales (systémiques ou analytiques) mais plutôt de permettre aux différents membres de la famille d'exprimer leur ressenti vis-à-vis de ce qui s'est passé, et de nouer ou de renouer ainsi un dialogue. Ces rencontres ont pour cadre la démarche de soin infirmier et le projet thérapeutique individualisé de chaque patient. Elles donnent lieu à un compte-rendu écrit dans le dossier du patient. Si nous ne cherchons pas à pratiquer des thérapies familiales, certains d'entre nous ont suivi des formations systémiques, ou ont eu des parcours analytiques. L'existence d'une supervision hebdomadaire animée par deux psychologues permet de réguler ces entretiens.

Plusieurs cas de figure peuvent se présenter.

L'entretien peut répondre à une demande directe de la famille. C'est assez rare. Les familles se méfient des psychiatres et de la psychiatrie. Elles ont souvent du mal à identifier le rôle exact des infirmiers de secteur psychiatrique. Et si une rencontre leur apparaît nécessaire, elles préfèrent avoir affaire au médecin. Mieux vaut s'adresser au bon Dieu qu'à ses saints. Elles ont également une connaissance par " ouï-dire " des infirmiers : " Untel, c'est un cossard, tu peux rien lui demander. ", " Une telle est une peau de vache. ", " Il est dur mais juste. ".

Il peut être une réponse à une demande directe du patient. Il s'agit souvent alors de l'aider à faire entendre son point de vue. Le patient s'appuie sur les soignants pour étayer sa position au sein de la famille, pour exprimer son désir d'autonomie, pour essayer de trouver une distance relationnelle acceptable et pour lui et pour sa famille. Il s'agit parfois de contenus plus complexes. Ainsi M. Maillart, un vieil homme de 73 ans, ne supportait pas de s'être endetté et d'avoir hypothéqué la maison qu'il avait bâtie de ses mains au bénéfice de son deuxième fils. Il avait longuement hésité et cédé aux arguments répétés de sa femme. Le temps passant, il avait retourné son agressivité contre lui-même, refusait de manger et se laissait mourir. C'est dans ces circonstances qu'il a été hospitalisé dans l'unité. Après avoir traité l'urgence somatique, après l'avoir enveloppé de nos soins les plus attentifs, nous avons commencé à lui proposer des entretiens infirmiers. Un jour alors que sa femme était venue le voir, il a demandé à Annie, notre collègue responsable de l'accueil, de le recevoir lui et sa femme. Autour de cet entretien, soutenu par notre collègue, il a pu exprimer combien il se sentait envahi par cette idée d'avoir des dettes à son âge, et combien il en voulait à son épouse de lui avoir " forcé " la main. Grâce à la présence de l'infirmière, sa femme a pu entendre ce qu'il disait sans se sentir par trop agressée. Nous avons bien perçu qu'il y avait là un conflit conjugal qui devait remonter à quelques années mais nous sommes bien gardés d'intervenir sur ce point pour lequel nous n'avions pas de mandat. Notre objectif était de rétablir un dialogue, de renouer une communication entre eux. Cet entretien a eu un effet libérateur sur M. Maillart qui a quitté l'unité une semaine plus tard. Le reste leur appartient. S'ils souhaitent aller plus loin et renouveler des entretiens de ce type, la décision est leur.

L'entretien peut avoir lieu à la demande du médecin. Il s'agit parfois de recueillir des données supplémentaires concernant l'histoire de la personne. Il s'agit le plus souvent d'aider les membres de la famille à mettre des mots sur les circonstances de l'hospitalisation, à échanger autour de leur perception de ce qui s'est passé, à expliquer les réactions des uns et des autres. Il arrive que nous soyons confronté à des moments d'agressivité très important. Ainsi avons nous accueilli M. Salah et sa famille. Depuis son accident de voiture qui s'était traduit par un traumatisme crânien et une très longue hospitalisation en réanimation, M. Salah était devenu violent et terrorisait femme et enfants. L'objectif était de favoriser une sorte de debriefing. M. Salah a pu décrire comment il se sentait à ces moments de grande violence, nous l'avons incité à aller plus loin, à raconter ce qu'il voyait, ce qu'il faisait et pourquoi il le faisait. Sa femme et sa fille, rassurées par notre présence, ont pu exprimer leur ressenti, leur peur pour leur vie, leur incompréhension vis-à-vis de ce père et mari qui devenait soudainement violent alors qu'il ne l'avait jamais été. Confronté à ce qu'il provoquait mais sans que l'affection qu'il portait aux siens ne soit remise en cause, M. Salah a pu repérer avec l'aide des siens des signes annonciateurs de tempête. Çà commence par un voile noir qu'il voit, comme une sorte d'aura. Alors, il est très calme, il ne peut rien faire. Il est très/trop calme. Il faut que personne ne bouge. Des fois il se demande ce qu'il va pouvoir prendre comme arme.

Sa fille raconte les larmes aux yeux qu'il l'a mise à la porte, que si elle était entrée à ce moment là : " C'était fini pour elle. " Mère et fille parlent et parlent encore. Nous les limitons en leur proposant d'aller au Club à l'extérieur porter leur vécu douloureux, dans un lieu qui serait leur. C'est là où travaille Denise la belle-sœur d'Alain qu'elles connaissent bien.

Si sa femme et sa fille comprennent que cette violence est consécutive à ses traumatismes crâniens, elles n'en souffrent pas moins et le rendent responsable d'un certain nombre d'échecs : au Code de la Route pour sa femme, au bac pour sa fille. Il apparaît ainsi que cette situation d'examens lui est très difficile, çà revient souvent dans son discours. Il se sentirait trop frustre, trop en position passive par rapport à une femme qui fait bouillir la marmite. Il ne se sentirait un homme que dans ces moments de violence. Certes, il culpabilise, mais il montre une certaine " jouissance " lorsqu'est évoquée la peur qu'il suscite, lorsque femme et fille évoque sa force décuplée dans ces moments de crise. Ces moments-là seraient aussi une réaction à ce qu'il vit comme des humiliations quotidiennes.

Et lors de la permission qui a suivi, M. Salah a reconnu l'arrivée du " voile noir " qui obscurcissait sa conscience. Il a senti qu'il risquait de devenir violent. Il s'est isolé dans la chambre de son fils et s'est endormi. Sa femme plutôt que de le poursuivre de ses plaintes, plutôt que de s'inquiéter de son état, l'a laissé faire. Le lendemain matin, le voile noir avait disparu et tout le monde avait passé une bonne nuit. Cet unique entretien n'a rien résolu sur le fond, M. et Mme Salah ont encore beaucoup de choses à se dire. J'ai revu Mme Salah au marché la semaine dernière. Les scènes ont repris, elle n'a gagné que six mois de tranquillité, ce qui n'est pas mal dit-elle. Je l'ai renvoyée à la consultation avec le médecin traitant et au Club pour parler de tout çà dans un lieu qui serait à elle.

Conclusion

Ces entretiens s'inscrivent dans un dispositif de soin trop long à décrire ici. Nous n'en reprendrons que quelques éléments.

Une unité ouverte est une unité où les soignants sont ouverts, où ils ne sont pas enfermés dans les murs de l'hôpital ou de leur unité. Les soignants de Provence ont ainsi un temps de détachement sur d'autres structures de soins. Nathalie travaille quelques heures sur le Centre d'Accueil et de Consultations à Gap, Christian et Alain accompagnent chaque jeudi un ou deux patients à l'Atelier Thérapeutique à Gap et travaillent avec eux autour de la menuiserie, Delphine co-anime l'activité " Entrez en relation " dans une autre unité. Avec l'animatrice de la Maison des jeunes, et la sociothérapeute du Club je coordonne un atelier Ecriture ouvert aux Laragnais à la Maison des Jeunes de Laragne.

Ces activités constituent ainsi un lien naturel entre dedans et dehors. La relation établie par le patient avec un ou des soignants repérés par lui comme référents, est ainsi un moteur d'intégration.

Si chaque patient bénéficie d'un entretien médical à l'entrée, il bénéficie également nous l'avons vu d'un entretien infirmier d'accueil qui constitue la première rencontre formalisée avec l'équipe infirmière. Il permet une mise à distance des symptômes. Il favorise une personnalisation du soin et permet d'énoncer les premiers éléments de la démarche de soins à partir de la demande ou de la non-demande de soin du patient. A partir de cet entretien d'accueil, en lien avec la démarche de soins, d'autres entretiens formalisés, avec des objectifs précis sont programmés. Leur contenu est évidemment repris si nécessaire en supervision et contribue à enrichir la réflexion collective lors des réunions de synthèse. Ces entretiens doivent donner lieu à un compte-rendu écrit. Ils constituent un temps fort du travail infirmier. L'unité d'accueil pour être un lieu où il y a de la vie doit proposer un certain nombre d'activités individuelles ou de groupe. Ces activités liées à la démarche de soin ou prescrites par le médecin sont l'occasion de mieux connaître le patient, permettent de lui proposer une médiation qu'elle soit corporelle (relaxation, bains bouillonnants, gymnastique, ping-pong, randonnée, etc.), culturelle (arts plastiques, poésie, jeux de rôle, etc.) ou sociale (accompagnements divers, entraînement aux divers actes de la vie quotidienne, etc.). Elles ont pour but de maintenir le lien social, de soutenir la relation soignant/soigné (le patient est invité à projeter sur un objet plutôt que sur le soignant), de créer un espace de parole voire d'élaboration ou tout autre objectif contenu dans le projet de soins ou dans la démarche de soin infirmier. Elles impliquent des comptes-rendus écrits, individualisés et collectifs. Elles sont régulièrement évaluées et contribuent à enrichir les synthèses.

Selon les prescriptions médicales, selon les difficultés rencontrées, selon la démarche de soins, des entretiens familiaux sont organisés. Ils peuvent avoir pour but de recueillir des renseignements concernant le patient, de permettre à des familles éprouvées par la maladie de leur parent de souffler, d'exprimer leur désarroi (débriefing), voire de rétablir la communication à l'intérieur de la famille. Dans tous les cas, il s'agit d'établir une alliance thérapeutique avec la famille ou l'entourage du patient qui contribue à modifier l'ambiance des soins, à rapprocher les différents " partenaires " mobilisés par la prise en charge d'un patient considéré comme un acteur de ses soins.

Qui dit unité d'accueil dit unité de recherche. Les soignants de l'unité réfléchissent et rédigent des écrits susceptibles d'enrichir la réflexion sur le rôle propre infirmier.

29 et 30 mai 1999 Journée "Accueils?" et CEMEA

Dominique Friard, Delphine Marchand, Annie Obéa, Lucienne Pinet,

Infirmiers de secteur psychiatrique

Unité Provence, CH de Laragne (05)


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