ALLIANCE THÉRAPEUTIQUE AVEC LA FAMILLE?
De la Psychiatrie de secteur à une Psychiatrie de proximité
quelle place pour les familles ?
Ce texte reprend les élément d’une intervention lors d’un colloque du Comité Européen Droit, Ethique et Psychiatrie organisé en septembre 1995 à Paris sur le thème du bilan de la loi de 1990 (1), et la confrontation avec les législations européennes. Lors de ce congrès participaient des associations d’usagers et de familles de malades mentaux.
Cette intervention prolongeait celle du représentant de l’UNAFAM en rendant compte sur le mode critique d’un certain type de rapport qui a pu se constituer dans le champ de la Santé Mentale.
Dans ce processus le malade était seul objet d’un processus qui entamait sa liberté dans une optique où logique de soins et d’exclusion se sont longtemps confondus.
La mise en place en France d’un modèle de soin sectorisée a constituée une avancée qui ont constituer pour beaucoup de soignants dont je suis, une modification dans la prise en compte de l’environnement dans le soin à apporter aux malades mentaux . Et en particulier vis à vis du travail avec les familles, je pourrai aussi parler des multiples collaborations que les équipes réalisent avec des partenaires sociaux, la mise en place de réseaux...
La crise de la Psychiatrie et du secteur dont nous observons les effets aujourd’hui nous confronte à une réduction scientiste et technocratique de nos pratiques, où l’hôpital qu’il soit Psychiatrique ou général se situerait au centre du dispositif.
L'intérêt grandissant de la Psychiatrie pour les situations de crise marque aussi le passage à une psychiatrie d'intervention qui ne prend plus le temps d'attendre et d'observer.
La France à la différence d’autres pays ne disposerait pas d’associations d’usagers représentatives, mais par contre s’instaure depuis quelques années un dialogue avec les associations de familles qui augure peut-être de notre capacité à sortir de l’entre deux chaises de la Psychiatrie française entre le niveau hospitalier et la psychiatrie communautaire.
L’intérêt des professionnels de Santé Mentale pour les abords des familles est nettement croissant depuis quelques années : en témoigne le nombre d’ouvrages parus sur la question, le nombre de colloques,...
Il est de plus en plus fréquent actuellement pour les organisateurs de colloques en Santé Mentale d’inclure la question des familles, à côté des points de vue des points des professionnels en psychiatrie.
Cependant ces positions contrastent souvent dans la pratique avec des réalités diverses rendant compte de nombreuses difficultés dans l’établissement d’une collaboration avec la famille de la part des équipes de soin.
Il existe encore souvent des positions de méfiance, d’indifférence, voire de rejet ou d’intrusion dans la collaboration. qui s’instaure avec la famille, même si dans l’ensemble des rapprochements importants se font avec des associations de familles de patients, et si de nombreuses équipes établissent une relation de collaboration avec les familles.
A ce propos, je voudrai signaler la proposition d'un groupe de travail entre professionnels de santé mentale et représentants d'associations de familles.
En ce qui concerne la Psychiatrie, derrière des affirmations consensuelles en rapport avec le “politically correct”, les affrontements idéologiques en Psychiatrie sont aussi encore important, entre ceux qui défendent le sujet et son discours et les systémistes et autres néo-comportementalistes qui veulent “changer” la famille, ou encore ceux partisan d’une approche objective et “scientifique”, qui s’occupe du patient et seulement de lui.
Le rapport aux familles est un exemple de la manière dont les diverses logiques sont à l’œuvre en Psychiatrie : Logique du primat médical, logiques de l’expertise et logiques de la défense sociale.
Histoire des relations entre familles et Psychiatrie
Cette question des relations entre la famille et la Psychiatrie ; nous aimerions l’aborder à travers la place que les familles ont prises dans nos pratiques, et plus particulièrement au cours de l’hospitalisation.
Dans un article que nous avions consacré à l’abord des questions historiques concernant l’abord de la famille en Psychiatrie, nous avions montré comment de PINEL à FREUD les auteurs insistaient sur l’influence pathogène que peut exercer sur l’enfant la famille.
A partir du moment où se constitue l’asile au XIX é siècle, même si certains médecins repèrent déjà des indices de l’influence que l’entourage peut exercer sur le patient, il ne s’occupe que du malade et du malade seul. L’opinion de PINEL reflète celle des autres aliénistes :”Il est doux si doux en général pour un malade d’être au sein de sa famille et d’y recevoir les soins et la consolation d’une amitié tendre et compatissante, que j’énonce avec peine une vérité triste mais constatée par l’expérience la plus répétée, la nécessité absolue de confier les aliénés à des mains étrangères et de les isoler de leurs parents “
Il n’est pas nécessaire dans cette perspective, ni même souhaitable de demander à la famille une participation active au traitement.
Cependant même si la famille ne participait pas directement à la prise en charge la préoccupation sur les familles n’a cependant jamais été absente dès l’origine de la santé mentale. Les Psychiatres s’intéressaient à la famille dans plusieurs aspects : d’abord pour étudier la cause des maladies mentales, l’entourage des malades, dépister d’autres patients, et pour permettre la réinsertion des malades.
A partir de 1940, la prise en compte de la famille dans le champ de la maladie mentale se fait de façon dispersée. Ainsi apparaissent un certain nombre de notions qui vont connaître des fortunes variées, et qui pour plusieurs sont très actuelles :“La mère pathogène et la carence de soins maternels, le concept de lien symbiotique, le père pathogène “.
Le problème des interactions parents enfants psychotiques a pu par ce biais commencé à être abordé en élargissant le regard, mais parfois d’une manière trop schématique en considérant la psychose comme le contre coup d’une attitude pathogène de la mère ou du père.
L’évolution actuelle du soin psychiatrique et médico-psychologique a renouvelé cette insistance. L’évolution de la Psychiatrie publique, l’ouverture de sa pratique sur le milieu de vie, ont mis en contact de plus en plus les équipes soignantes avec la milieu familial, le réseau social, les relations de voisinage.
Actuellement dans notre contexte de travail, la famille s’impose de plus en plus comme une réalité prégnante, et ce à divers titres :
1/ Réalité d’un contexte de soins
Avec ou sans l’accord de l'intéressé, la famille se présente dans la majorité des cas comme demandeuse d’une intervention thérapeutique, même si dans les faits, cela est plus complexe.
2/ Réalité d’un contexte agissant
Très souvent la famille reste milieu de vie, lieu d’émergence des symptômes, lieu d’accueil et de rejet. Toute crise familiale contient en germe sa solution. Après l’urgence d’une intervention salvatrice dictée par une situation dramatique, il est nécessaire de travailler sur les images et les comportements exprimés in situ dans la cellule familiale afin d’en modifier la dynamique et d’en restaurer l’autonomie.
3/ Réalité d’une histoire, celle du patient, mais également invisible la sous-jacence de notre propre histoire familiale et tout ce qu’elle amène à projeter sur la situation familiale des gens que nous traitons. On dirait parfois une sorte de pièce de théâtre à trois acteurs : le malade, protagoniste de la pièce, le médecin et la famille, chacun ayant tendance à renvoyer la responsabilité de la souffrance et de l’impuissance à guérir sur les deux autres.
Nous aimerions aborder les conditions possibles d’une alliance thérapeutique avec la famille, que la pratique du secteur nous a permise de découvrir.
L'alliance thérapeutique
L’alliance est le fait que plusieurs personnes se joignent afin de poursuivre le même but ou les mêmes intérêts afin d’adopter les mêmes attitudes ou les mêmes comportements. Elle est du côté de la constitution d’un lien et d’une lecture commune d’une situation.
L'alliance thérapeutique est une propriété de la relation médecin - malade (Andréoli).
En Thérapie Familiale nous parlons souvent d'une alliance avec les membres d'une famille et les thérapeutes, ou encore d'alliances cachées, qui correspondent dans les familles à une logique sous-jacente, et les alliances ouvertes.
Il s’agit là d’une idée d’ouverture qui dans le cas de l’Hospitalisation suppose que celui que nous recevons soit aussi vu en tenant compte des liens qui existe avec la famille, de ce que représente la séparation induite par l’hospitalisation à la fois pour la famille, et pour le patient . Le cadre des premières hospitalisations est fondamental dans ce qui est en jeu comme alliance possible entre le patient, sa famille et l’équipe soignante.
Il permet d’aborder la question de la séparation, celle de la mobilisation de l’entourage, de passer d’une logique individuelle à une logique collective. Dans beaucoup de cas la famille demande à être écoutée, soutenue dans la difficulté qui est la sienne.
L'alliance est du côté du lien. Accueillir c'est proposer de lire ensemble une situation.
Il importe dans une pratique d’accueil avant tout de reconnaître cette dynamique d’ensemble, afin d’évaluer la souffrance dans son contexte.
Il ne nous est pas toujours facile, en particulier lors des premiers contacts d’accepter cette rencontre, et d’impliquer la famille dans le travail thérapeutique. Nous sommes souvent dans une position d’arbitrage dans des situations familiales conflictuelles et complexes.
Chacun cherche une alliance avec l’équipe soignante dans ce type de situation, sauf peut-être le patient qui lui ne demande rien.
Notre formation, nos habitudes, le contexte dans lequel nous travaillons contribue aussi à l’individualisation de la demande. Il est vrai aussi que la famille n’est pas toujours demandeuse d’une écoute.
.Cette approche s’avère cependant souvent fructueuse. Dans beaucoup de cas ce qui nous semble mystérieux dans le discours du patient trouve dans le travail avec la famille une intelligibilité.
Il introduit une perspective plus importante en rappelant les ancêtres, les secrets, les loyautés transgénérationnelles. Cette approche permet souvent le “passage d’une Psychiatrie du regard, à une Psychiatrie de la voix”.
Le psychotique a changé de visage souvent quand on a travaillé avec la famille.
Il ne s’agit pas dans cette démarche de mettre les parents en accusation mais en implication. Nous avons souvent été frappé dans notre pratique de l’importance de demande de rencontre des familles, insuffisamment prises en considération, ou bien considérées comme rejetantes, ou encore pathogènes.
Il faudrait aussi pouvoir s’interroger sur certains comportements dits déviants de certains parents, qui peuvent être induits par la mise à distance des familles de certaines équipes, familles qui tentent de préserver une relation avec leur patient, sur un mode difficile, vécue souvent en rivalité avec l’équipe soignante. Nous nous rappelons ainsi de la phrase d’une mère d’un patient psychotique, que nous recevions il y a longtemps pour un entretien, et qui d’emblée nous dit : "je ne suis pas coupable".
Quelle alliance dans l'hospitalisation ?
Le problème de l’hospitalisation Psychiatrique vient compliquer cette approche de la famille en terme d’alliance thérapeutique en faisant intervenir la loi, ainsi que la contrainte. Dans un cadre comme celui de la loi de 90, ou les relations sont souvent instituées par le biais d’un tiers qui sollicite l’hospitalisation, la relation familiale est souvent vécue comme compliquant auprès du patient le recueil du consentement, ainsi que sa collaboration. Il n’est pas rare de voir ainsi se mettre en place des relations symétriques entre la famille et l’institution hospitalière régies par l’utilisation de la loi de 90.
La famille exprimant par le recours à la loi de 90 sa difficulté de fonctionner mais ne souhaitant pas forcément ou craignant les changements engendrés par l’hospitalisation. On voit ainsi se mettre en place des relations symétriques entre équipe soignante hospitalière et la famille, dans le rapport hospitalisation / sortie.
Cette escalade peut dans certains cas être atténuée par la rencontre avec la famille. Face à la crise, il est important de prendre en compte et de respecter la famille dans son fonctionnement, de voir avec elle les différentes solutions déjà envisagées antérieurement.
Les projets élaborés avec les patients auront d’autant plus de chance de se concrétiser si la famille y a participé ou en a été informé.
Des retours en milieu familial insuffisamment préparé réintroduisent rapidement le conflit entre le patient et sa famille. L’alliance thérapeutique doit à la fois prendre en compte les problèmes propres du patient et ceux de sa famille, en évitant de prendre parti pour l’un, contre l’autre.
Dans cette approche il peut être intéressant que le médecin qui s’occupe du patient, et celui qui écoute les parents ne soit pas le même. Ceci afin d’éviter d’être perçu par le patient comme manipulé par la famille. Il importe de prendre en compte la souffrance exprimée par la famille, comme une demande d’aide, sans l’exclure, ou la renvoyer à un thérapeute extérieur à l’institution.
Ce travail a pour visée la prise en compte de dimension du sujet et également celle de sa famille et de son environnement. Dans et par ce travail la famille retrouve un rôle actif et les parents sont revalorisés par la découverte de leurs capacités d’aide pour leur enfant que les échanges fréquents qu’ils ont avec les soignants les amènent à investir autrement.
Alliance et crise.
Les crises, en particulier nous sont apparues comme un moment fécond où à travers un échange avec l’équipe soignante, pouvait se forger une alliance thérapeutique solide et efficace, à condition de savoir résister au risque de désignation .
La pratique de secteur permet cette rencontre plus proche et moins protégée par le bouclier de l’hôpital.
L’approche systémique offre ainsi la particularité de pouvoir s’intégrer au sein d’une pratique en réseau. Cette approche popularisée aux USA par ROSS V.SPECK, intègre le réseau social de la famille. En France plusieurs équipes ont été influencées par cette approche. Le but de ces rencontres était de favoriser le maintien d’un réseau, et de contribuer à réaliser l’entraide et le soutien de tous les membres de la famille. Pour notre part nous recevons très souvent les familles dans des contextes de crise, et il ressort de nos interventions que le symptôme constitue pas seulement le problème, mais également la solution élaborée par la famille en crise. L’élargissement du cadre d’intervention permet d’intégrer tous les multiples éléments apparemment non directement liés à l’aspect personnel ou familial.
Face à des situations de crise il nous semble nécessaire avec l'aide de la famille de procéder à un élargissement du champ d'observation de l'individu à la famille et au contexte relationnel dans lequel le problème s'est produit. Et cela sans nier la dimension psychopathologique des problèmes auxquels le patient est confronté. Je peux vous donner un exemple de cette démarche à travers le problème de Mme K. récemment hospitalisée.
L’inévitable préoccupation étiologique ne doit pas pour autant être déniée, elle fait partie de l’esprit humain qui ne peut fonctionner sans principe de causalité. Mais elle ne doit donner lieu qu’à la construction d'hypothèses fragiles et toujours remodelées, conçues comme des échafaudages plus ou moins fantaisistes.
Ce changement de perspective nécessite de prendre en compte le fonctionnement familial non pas comme cause /ou conséquence du fonctionnement du malade, mais au contraire de réaliser l’aspect complémentaire de la famille et son malade comme nécessaire à leur équilibre, qui pour un certain nombre de raisons se vit comme fragile et conflictuelle. Comme le disait HEGEL : "l’individu qui ne lutte pas pour être reconnu hors du groupe familial n’atteint jamais à la personnalité avant la mort".
En conclusion l’engagement des équipes de santé mentale dans des actions alternatives d’insertion me semble aujourd’hui favoriser le dépassement du clivage entre famille, patient et équipes soignantes. A condition de ne pas s’enfermer avec les familles dans de nouvelles logiques excluantes, et de repérer les valeurs qui inspirent de telles pratiques.
Docteur Patrick Bantman
Psychiatre des Hôpitaux
Références
1/-JOURNÉES DU 29-30 SEPTEMBRE 1995, PARIS :
“Lois sur l’hospitalisation Psychiatique : Panser le système ou repenser la loi “-Comité Européen Droit Ethique et Psychiatrie -