LE DREAN Samuel
Promotion 2002-2005
L’INFIRMIER
CONFRONTÉ A
LA
CONTENTION PHYSIQUE
TRAVAIL DE FIN D’ÉTUDE EN VUE DE L’OBTENTION
DU DIPLÔME D’ÉTAT D’INFIRMIER
SESSION NOVEMBRE 2005
Institut de Formation en Soins Infirmiers
de Carcassonne
SOMMAIRE
INTRODUCTION I QUESTIONNEMENT DE DEPART I. 1 Situation………………………………………………………………... I. 2 Analyse
de la situation………………………………………………… I. 3 Questionnement
……………………………………………………….. I. 4 Question
de départ…………………………………………………….. II CADRE CONCEPTUEL II. 1 L’usage de la contention physique par
l’infirmier…………………... II.
1. 1 Que faut-il entendre
par contention physique et quel est son cadre légal
d’application ?........................................................... II.
1. 2 En quoi la mise en
œuvre de la contention physique fait-elle débat ?.......................................................................................... II.
1. 3 Comment les infirmiers
sont-ils formés à la contention
physique ?.................................................................................... II.
2 La prise en charge de la violence des
patients au moyen de la contention physique…………………………………………………... II.
2. 1 Est-il possible
d’identifier les situations de violence légitimant le recours à la contention
physique ?........................................... II.
2. 2 Peut-on anticiper sur
un éventuel passage à l’acte ? Faut-il rechercher dans les différentes
pathologies psychiatriques des éléments prédictifs du passage à l’acte
?..................................... II.
2. 3 Existe-t-il d’autres
facteurs susceptibles de majorer la violence du patient en
psychiatrie ?............................................................
INTRODUCTION INTRODUCTION Au
terme de ma deuxième année d’étude, j’ai effectué un stage en psychiatrie au
sein d’une unité intersectorielle fermée. Cette expérience a été pour moi
l’occasion de me confronter à l’agressivité et à la violence des patients. L’apparition
des neuroleptiques a certes permis de limiter l’expression de cette violence au
quotidien. Toutefois, malgré le développement de ces nouvelles thérapeutiques
médicamenteuses, les comportements violents persistent dans les établissements
psychiatriques. La violence constitue en effet l’un des signes cliniques des
pathologies psychiatriques et ses manifestions sont, à ce titre, fréquentes. Au
début de mon stage, mes interrogations se sont portées sur le ressenti des
soignants confrontés régulièrement à ces épisodes de violence. Je me suis
notamment demandé comment les infirmiers géraient le stress engendré par cette
violence. Comment conserver une attitude soignante lorsqu’on risque soi même
d’être physiquement agressé ? Comment ne pas céder à un sentiment de peur
face à un patient violent ? Comment, en tant que soignant, ne pas sombrer
dans l’épuisement professionnel lorsqu’on est confronté à ces accès de violence
répétés ? Je
me suis ensuite rendu compte que j’avais axé tout mon questionnement autour de
la violence des patients. Or, ce n’est pas tant cette violence qui pose
problème aux soignants mais plutôt sa prise en charge. En effet, c’est parce
qu’on ne sait pas comment faire face à la violence du patient que l’on en a
peur ; et c’est de cette peur que naît ensuite le stress pouvant conduire
à l’épuisement professionnel. Je
me suis donc recentré sur la façon de réagir face à un patient devenu violent. Dans
cette prise en charge du patient violent, l’acte ultime reste sa mise sous
contention. Je me suis plus particulièrement intéressé à la contention
physique, qui consiste à immobiliser manuellement le patient agité. De tous les
actes de contention, la contention physique me paraissait en effet l’acte le
plus difficile à réaliser tant il est impliquant sur les plans émotionnels et
corporels. C’est donc sur cet acte si particulier que j’ai voulu travailler au
travers de ce mémoire. Il me semblait en effet que si l’infirmier maîtrisait
l’acte le plus difficile de la prise en charge de la violence alors il gagnerait
en efficacité et éviterait ainsi un épuisement professionnel précoce. Mon
mémoire débute par une analyse d’un épisode d’agitation au cours duquel
l’équipe soignante s’est retrouvée très proche de la confrontation physique
avec un patient. J’ai
ensuite consacré une partie de mon travail à synthétiser les différents points
de vue théoriques traitant de la contention physique. Enfin,
j’ai confronté mon travail de recherche théorique à l’expérience des
infirmiers, au travers d’entretiens individuels. QUESTIONNEMENT DE DEPART I QUESTIONNEMENT DE DEPART I. 1 Situation Cette situation se déroule
lors de mon stage d’été de 2ème année dans un service de psychiatrie
adulte en milieu fermé (HO, HDT)[1]. C’est mon premier jour
de stage ; je suis affecté dans l’aile du service qui reçoit les patients
dès leur arrivée, alors qu’ils sont encore en crise. Cette aile se divise en 2
secteurs de 6 lits sous la responsabilité et la surveillance de 2
infirmiers ; à tout moment les infirmiers des autres ailes peuvent intervenir
en cas de danger. Tandis
que je fais la connaissance des patients et que je commence à prendre mes
marques, je suis témoin d’une scène inhabituelle : une infirmière qui
consulte le planning s’interroge sur le nombre d’hommes présents dans le service ;
devant mon étonnement, l’infirmière me dit qu’il est rassurant pour elle de
connaître le nombre d’hommes prêts à intervenir en cas de problème. La
matinée se poursuit sans incident particulier ; lorsque, vers 10h00, un
coup de téléphone annonce l’arrivée, par les urgences psychiatriques de Mr B.,
25 ans, hospitalisé à la demande de ses parents et de son frère qu’il a menacés
de mort, après interruption de traitement. Ce patient est connu du service, où
il a, maintes fois, séjourné ; il souffre de schizophrénie de type
paranoïde, avec risque d’agressivité et de violence ; cette violence, il
l’a d’ailleurs exercée, un mois auparavant, envers l’un des infirmiers du
service. On s’empresse de me
relater l’incident : « Mr B
avait demandé à l’infirmier de lui couper les cheveux ; l’infirmier
s’exécutait en salle de soin, lorsque tout à coup Mr B s’est levé en l’injuriant alors que la
coupe n’était pas encore terminée ; il lui dit alors qu’il avait fait
exprès de mal lui couper les cheveux et qu’il allait le lui faire payer. Un peu
plus tard, alors que l’infirmier raccompagnait Mr B dans sa chambre, ce dernier lui sauta
dessus en lui assénant des coups de pied et de poing ; l’intervention
immédiate d’un autre infirmier permit à l’infirmier agressé de se dégager et de
s’en sortir, avec quelques ecchymoses et des lunettes cassées tandis que Mr
B était placé en isolement ». Une effervescence
soudaine m’indique que la tension s’accroît dans le service : un infirmier
consulte immédiatement le dossier du patient pour prendre connaissance des
derniers renseignements fournis par les urgences psychiatriques ; le
surveillant du service est prévenu de l’arrivée de Mr B ; tout en lisant le dossier, l’infirmier me
met en garde sur la dangerosité du patient ; je devine également sur les
visages des signes d’appréhension et de nervosité. L’ensemble du personnel
redoute visiblement que la venue de ce patient ne vienne perturber les autres
patients, dans un climat de violence généralisée. Le rappel des consignes
de sécurité et de vigilance par l’un des infirmiers du service ne font
qu’accroître le sentiment d’incertitude qui règne dans le service. On me rappelle une fois
de plus de ne jamais me trouver seul avec ce patient. Vers
11h00, Mr B arrive dans le service
accompagné par le personnel des urgences psychiatriques ; pendant les
transmissions on nous avertit que le patient n’a pas eu de sédation, ce qui
renforce les craintes des infirmiers sur la suite des événements. L’inquiétude
se confirme, car du bureau infirmier, on voit Mr B tourner dans le service, le regard noir
et l’attitude agressive, ce qui a pour effet d’exciter les autres patients. Le
stress chez les infirmiers monte d’un cran. L’infirmier du service
appelle le cadre de santé et des infirmiers des autres ailes ; nous sommes
d’abord quatre hommes à nous rassembler dans le bureau infirmier afin de
prendre la décision de mettre en isolement Mr B . Je ressens à cet instant précis un
étrange mélange de peur et de stress ; on se prépare mentalement au pire,
c'est-à-dire au contact physique avec le patient, dans le cas où ce dernier
refuserait d’obtempérer. Chacun se voit attribuer un rôle bien précis et nous
sortons du bureau. C’est l’infirmier du
service qui explique alors à Mr B
ce qui va se passer : « Mr B , vous ne présentez pas en ce moment les
gages de sécurité nécessaires, pour vous et pour les autres patients, pour que
l’on puisse vous laisser dans le service ; vous allez donc vous rendre en
chambre d’isolement en attendant l’arrivée du médecin ». Après nous avoir
insultés, Mr B refuse dans un premier
temps d’obtempérer. C’est seulement devant l’arrivée d’autres soignants et
après avoir évalué le rapport de force (nous sommes alors huit personnes dont
sept hommes face à lui) que Mr B se
décide finalement à coopérer, non sans avoir effectué auparavant quelques
gestes d’intimidation dans le but de tester nos réactions. Après s’être
déshabillé et mis un pyjama, il se laisse finalement enfermer sans résistance ;
mais, dès que la porte se ferme, les insultes reprennent. La visite du psychiatre
moins d’une heure plus tard confirme la mise en chambre d’isolement ; de
plus, devant le refus catégorique de Mr B
de prendre son traitement, le médecin prescrit des neuroleptiques pas
voie injectable. Peu après la tension
retombe, mais nous savons que nous avons été très proches du contact
physique ; de plus cette tension revient à chaque fois que nous sommes
face à Mr B , qui est d’ailleurs
toujours aussi agressif et potentiellement dangereux, malgré le traitement mis
en place. I. 2 Analyse
de la situation Cette situation prend
place dans un service de psychiatrie, en milieu fermé (HO-HDT). Ce service
accueille des patients, tous potentiellement dangereux (psychotiques
chroniques, psychopathes et déficients mentaux), en situation de crise. Dans ce
contexte, les infirmiers peuvent être confrontés à des patients violents,
susceptibles de les agresser physiquement. Ce risque de violence physique
envers les soignants, inhabituel, voire même exceptionnel, dans les autres
structures, fait ici partie du quotidien. Il a d’ailleurs été démontré, lors
d’une étude[2]
réalisée entre 1988 et 1992, sur 97 cas de violence physique exercée envers des
soignants, que 50% des actes violents sont attribués à des patients
hospitalisés d’office et/ou hospitalisés à la demande d’un tiers ; de
plus, cette étude montre que la pathologie constitue également un facteur
déterminant : 80% des patients auteurs de violence physique sont des psychotiques
chroniques et/ou déficitaires, la plus grande dangerosité étant attribuée aux
patients schizophrènes de type paranoïde. En raison de la dangerosité de ces
patients, il est recherché dans ce service une parité hommes-femmes de façon à
pouvoir intervenir et contenir efficacement un patient devenu violent. On repère, au travers de
la situation décrite, deux périodes distinctes : Tout d’abord, on
constate que, dès son arrivée dans le service, l’infirmière évalue
immédiatement le nombre d’hommes présents. Elle m’explique qu’elle agit ainsi
pour se rassurer ; en effet, cette situation se déroule pendant l’été, à
une période où l’on fait appel à du personnel extérieur au service afin de
préserver les effectifs ; ce recours à du personnel temporaire déséquilibre
parfois la parité hommes-femmes et perturbe souvent les patients psychotiques,
déstabilisés par la présence de nouveaux visages. L’infirmière, en consultant
attentivement le planning, apprécie les ressources disponibles et le niveau de
risque potentiel dans le service. Ensuite, un second
protagoniste entre en scène. Il s’agit de Mr B, un patient déjà connu du
service, ayant un mois auparavant agressé physiquement un infirmier. L’appel
téléphonique des urgences psychiatriques qui nous prévient de son arrivée imminente,
provoque une succession de réactions visant à prendre un certain nombre de
précautions :
Peu après l’arrivée de
monsieur B, il est décidé de placer ce dernier en chambre d’isolement ; il
s’agit d’une décision collégiale, prise, non pas en fonction des antécédents du
patient, mais au regard de différents facteurs :
Pour finir, on
s’aperçoit que malgré la tentative d’expliquer à M. B la décision qui vient
d’être prise à son encontre, c’est seulement face à une présence masculine et
physique importante (8 personnes dont 7 hommes), et après avoir évalué le
rapport de force, que Monsieur B s’exécute sans que l’on soit dans l’obligation
d’intervenir physiquement. C’est donc la démonstration de force qui a permis
d’éviter le recours à la contention physique. Par chance, cette
situation s’est bien terminée. Toutefois, nous sommes tous conscients d’avoir
été très proches de la confrontation physique. I. 3 Questionnement
On peut se demander ce
qui aurait pu arriver si la présence d’hommes avait été moins importante dans
le service, diminuant ainsi notre capacité de dissuasion. Il est certain, que
dans des périodes de congés ou durant les nuits où les effectifs sont moindres,
il est plus difficile de mobiliser une telle force de dissuasion afin de
contraindre le patient à la mise en chambre d’isolement. Au vue de cette
hypothèse, l’inquiétude de l’infirmière consultant le planning à son arrivée
dans le service, prend tout son sens. Plus généralement, cette
situation pose le problème du soin au patient violent, agité, n’obtempérant pas
aux recommandations des soignants. Je me suis en effet questionné à posteriori sur
la conduite à tenir dans le cas où Monsieur B serait devenu physiquement
violent, en refusant son placement en chambre d’isolement. -
Que
se serait-il passé si Monsieur B n’avait pu comprendre, du fait de sa
pathologie, ce qui lui était demandé et d’évaluer correctement le rapport de
force ? -
Comment
contraindre, alors, Monsieur B à rejoindre la chambre d’isolement, en toute
sécurité, sans le blesser et sans être blessé soi même ? -
Comment
être à la fois celui qui contraint physiquement et celui qui soigne ? -
En
quoi la contention physique est-elle nécessaire et légitime face à un patient
devenu violent ? I. 4 Question
de départ Mes interrogations au
regard de cette situation se regroupent principalement autour de la difficulté
d’intervenir et de réagir face à un patient devenu violent lorsque le dialogue
et/ou la dissuasion par la démonstration de force ont échoué. Cela m’amène donc à
poser la question de départ suivante : En quoi une réflexion
sur le recours à la contention physique peut-elle permettre à l’infirmier
en psychiatrie d’améliorer la prise en charge du patient devenu
violent ? CADRE CONCEPTUEL II CADRE
CONCEPTUEL II. 1 L’usage
de la contention physique par l’infirmier II. 1.
1 Que faut-il entendre par contention
physique et quel est son cadre légal d’application ? Il me semble tout
d’abord important de signaler que les recherches sur ce thème sont difficiles à
effectuer. Mr Palazzolo J[3], relève même « le
manque persistant de définition de ce type de procédure. »[4], dans la
littérature psychiatrique actuelle, ainsi que « l’absence notable de
débat concernant la façon dont nous devrions contenir les patients ».
Que peut-on en conclure ? : Que la contention physique est pratiquée de
façon exceptionnelle dans les établissements psychiatriques et qu’à ce titre
elle n’a que peu d’intérêt à être traitée ? Cela semble peu probable à
l’heure où Mr Friard [5] constate au
contraire « un retour des contentions »[6] dans nos
établissements. Une explication plausible serait alors, comme l’écrit Mr
Pannetier C[7],
que « la contention est un sujet tabou, douloureux et culpabilisant
pour les soignants. » [8] Afin de mieux comprendre
ce qui pose problème aux infirmiers dans la pratique de la contention physique,
nous nous attacherons d’abord à définir cette dernière, puis nous préciserons
son cadre légal d’application. La définition donnée par
l’ANAES[9] de la contention
la distingue de celle de l’isolement, modalité de soins avec laquelle elle ne
doit donc pas être confondue, même si ces deux pratiques peuvent être dans
certains cas associées. « La contention consiste à restreindre ou
maîtriser les mouvements d’un patient par un dispositif, soit fixé sur un lit
ou un siège, soit mobile comme une camisole de force. ». Plus
généralement, pour Palazzolo, « contenir un patient
signifie utiliser toutes sortes de procédures pour limiter l’autonomie de ses
mouvements corporels. »[10] J’ai pu constater au
cours de mes recherches que la contention peut revêtir, lors de sa mise en
œuvre, plusieurs formes ; ainsi, la contention peut être, selon les cas, chimique,
mécanique ou physique (autrement dit manuelle, pouvant aller jusqu’au corps à
corps). Si les contentions
chimique et mécanique font l’objet d’une réglementation précise par le biais
d’une prescription médicale, on s’aperçoit en revanche que pour, la contention
physique, le cadre légal est beaucoup flou. Ainsi, Mr Pannetier relève que « dans
le décret n°2002-194 du 11 février 2002 relatif aux actes professionnels et à
l’exercice de la profession d’infirmier, rien ne stipule que contenir
manuellement un patient est un acte infirmier. » [11] Mme Cansot C.[12]et Mr Masseix F.[13], confirment les
propos de Mr Pannetier, en écrivant « il n’existe pas d’item dans le
décret du 11 février 2002 relatif aux actes professionnels et à l’exercice de
la profession d’infirmier qui prévoit la possibilité ou l’obligation de
répondre, ou riposter, à l’agression physique. »[14]. Le remplacement
de ce texte, le 29 juillet 2004, par le décret n°2004-802 n’a apporté aucune
précision supplémentaire sur la mise en œuvre de la contention physique. Pour
reprendre les propos de Mr Dupont M.[15], « l’usage
de la contention pour maintenir et contenir un patient violent, susceptible le
cas échéant de se porter atteinte à lui-même, n’est prévu par aucun texte et il
ne peut être fait référence à aucune disposition autre que les textes généraux
relatifs au respect et à l’intégrité du corps humain. »[16]. On constate donc
l’absence de textes législatifs spécifiques réglementant le recours à la
contention physique ; en revanche, comme le souligne Mr Pannetier C., « les
seuls articles pouvant justifier l’usage de la contention manuelle sont les
articles 122-5, 122-6, 122-7 du nouveau Code pénal concernant la légitime
défense, seulement en cas d’agression injustifiée. Mais ils ne sont pas
spécifiques à l’institution psychiatrique et concernent n’importe quel
citoyen. »[17] De tous les soins
pratiqués par un infirmier, la contention physique est sûrement l’un des plus
techniques, des plus impliquant émotionnellement, et paradoxalement l’un des
moins réglementés par des textes de loi spécifiques à notre profession. Ce
constat et le manque de littérature se rapportant à ce thème ne font qu’entretenir
l’opacité, et se faisant l’absence de réelle légitimité, dans laquelle les
infirmiers sont amenés à intervenir physiquement sur des patients devenus
violents. Il en résulte un malaise chez les soignants qui sont réticents bien
souvent à effectuer cet acte et à en parler. Ce sont les raisons profondes de
ce malaise que nous allons, à présent, nous attacher à identifier. II. 1.
2 En quoi la mise en œuvre de la
contention physique fait-elle débat ? La contention renvoie à
un passé asilaire que tout le monde souhaiterait oublier. Selon Mr Beaumont L[18], « la
contention physique est un soin que les infirmiers répugnent à effectuer car il
renvoie à un passé asilaire que personne ne peut renier et dont chacun aimerait
oublier l’existence. ».[19] Comprendre la
difficulté de certains infirmiers à effectuer cet acte nécessite donc de faire
un bref rappel de l’histoire de la psychiatrie. L’isolement et la
contention comme moyen de maîtrise des malades agités et violents existent
depuis l’origine du traitement des maladies mentales. Dès l’antiquité, des
écrits font allusion à la nécessité « d’exercer un contrôle physique
sur les personnes agitées »[20]. Au Moyen Age, le malade
mental est le plus souvent « soigné » à domicile, maintenu attaché. « Le
recours aux moyens de contention semble traduire la sollicitude des proches qui
veillent à protéger le fou de lui-même, tout en préservant la sécurité de
chacun. » [21]
Au XIIIe
siècle, on préfère enfermer les « fous », parfois nus, dans des
cachots dans lesquels s’entassent également des prisonniers ordinaires ;
on utilise des camisoles de force et des chaînes fixées au mur et au lit pour
immobiliser les malades en arguant que plus le traitement est douloureux, meilleurs
sont les résultats. Avec la Révolution
Française, le « fou » redevient un malade qu’il faut soigner. Les
artisans de ce changement s’appellent PINEL et ESQUIROL. L’imagerie populaire
retiendra « Pinel libérant les aliénés de leurs chaînes ; à tort
d’ailleurs puisqu’il semble que ce soit en réalité PUSSIN qui osa en premier le
geste inaugurateur » [22].
C’est ainsi un infirmier, du moins ce qui sera plus tard considéré comme tel,
qui ouvrit la voie à un autre regard sur la folie ! Avec le XXe
siècle arrivent la psychanalyse et les neuroleptiques, ce qui permet
l’établissement d’une véritable relation soignant soigné et modifie
radicalement le climat d’agressivité qui régnait jusqu’alors. L’après guerre enfin,
marque l’apparition d’une nouvelle théorie sur la prise en charge de la folie ;
de nombreux soignants se rendent compte en effet qu’il n’y a pas grande
différence entre ce qu’ils ont vécu dans les camps d’extermination et ce que
vivent les malades qu’ils sont censés soigner. Il n’est donc plus question d’attacher
ni d’enfermer, ce qui aboutit à la fermeture des quartiers d’agités et à la
disparition des camisoles. C’est d’ailleurs à cette période (1953) que le
diplôme d’infirmier de secteur psychiatrique voit le jour. Il disparaît
en 1992, absorbé par le diplôme d’état infirmier. Mr Friard D. dira
que : « La contention avait disparu des pratiques et des Centres
Hospitaliers Spécialisés à tel point qu’il n’existait même plus de matériel
adéquat. Cette pratique ne réapparaît qu’à partir des années 1995-2000 »[23], ce qui coïncide,
et ce n’est peut être pas un hasard, avec la suppression des études d’infirmier
de secteur psychiatrique. Non seulement, la
contention renvoie à un passé douloureux mais en plus, aucune étude n’a jamais
démontré son efficacité thérapeutique. A ce propos, Mr Palazzolo J, s’appuyant sur
deux études, l’une de Shéridan et Al, l’autre de Strumpf et Evans, montre que « dans
l’ensemble, les malades ont une opinion négative sur le fait d’être contenus.
Ils expriment de la colère, de l’anxiété, une impuissance, se disent troublés,
tristes, frustrés, ou éprouvent d’autres sentiments négatifs. » [24] Mr Friard D. confirme ce
point de vue en écrivant : « Qu’il soit nécessaire d’attacher un
patient exceptionnellement violent n’implique en rien que cette mesure soit
thérapeutique. Elle peut être nécessaire pour assurer la sécurité de
l’environnement ou du patient sans être en aucune façon
thérapeutique (…). L’aspect thérapeutique de la contention n’a
évidemment jamais été démontré, Conolly administrant même la preuve contraire.
Il faut le dire et le redire l’isolement et la contention ne sont pas
thérapeutiques ». [25] En l’absence
d’efficacité thérapeutique démontrée, certains infirmiers perçoivent la
contention non pas comme un acte soignant, mais comme un acte sécuritaire, ce
qui amène nombre d’entre eux à s’interroger sur le sens de leur mission. Mr Masseix, relève, dans
un article consacré à la maîtrise de patients violents, le sentiment de malaise
chez certains infirmiers : « les soignants n’appartiennent pas à
un corps d’élite formé à la contention physique. Confrontés à ce genre de
situation grave, ils en ressortent, le plus souvent, avec quelques traumatismes
(surtout psychologiques), appuyés sur un vécu qui leur fait dire : on
n’est pas là pour ça ».[26] A ce sujet toujours, Mr
Friard D écrit : « De tout ce qu’un infirmier peut être conduit à
faire dans le cadre de sa pratique, la contention du patient agité est
certainement et de loin l’acte le plus complexe, celui qui l’implique le plus
et partant le moins partageable, le moins communicable. Si nous avons choisi
d’être infirmiers, ça n’est pas pour enfermer ceux qui délirent, qui ont un
comportement différent mais pour soigner des individus qui souffrent de
difficultés psychiques. Il est parfois difficile de maintenir vivace cet
idéal ».[27]
Ce même auteur souligne dans un article, qu’en Allemagne, en Grande-Bretagne
et au Canada, l’isolement et la contention sont considérés comme des mesures de
sécurité et non comme des moyens thérapeutiques ; il écrit ainsi : « Contrairement
à la plupart des démocraties occidentales, l’état français n’a pas jugé nécessaire
de légiférer en ce domaine, laissant au médecin toute liberté pour gérer ces
problèmes. Si aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, au Canada, en Belgique, aux
Pays-Bas, en Russie, des textes de lois précis réglementent l’utilisation de
l’isolement et de la contention, il est, en France, possible d’isoler et
d’attacher un patient sans aucun contrôle, ni a priori, ni a posteriori (…).
Cette absence de contrôle repose sur l’idée qu’isolement et contention ne sont
pas des mesures de sécurité mais des actes thérapeutiques. De fait, acte
thérapeutique, la contention ne peut être recommandée que par un médecin et en
aucun cas être contrôlée par un juge ».[28] La contention physique
est-elle un acte thérapeutique devant être effectué par des soignants ? Mr
Pannetier C, dit à ce sujet : « Pour certains, c’est évident,
d’autres au contraire, reconnaissent qu’ils n’ont pas été formés à cela mais
n’ont pas non plus envie d’apprendre des techniques pour maintenir un patient
agité. Ils se considèrent comme des soignants et non pas comme des agents de
sécurité ». [29] La contention physique
tend enfin à culpabiliser les soignants, car elle renvoie à ces derniers les
limites de leur capacité à contenir et leurs difficultés à prévenir un état
d’agitation.
A ce sujet, Mr Beaumont dit que, « ce soin culpabilise car si le
patient s’agite, c’est que nous n’avons pas su, à un moment au moins, écouter
sa souffrance. » [30] Mr Friard D, déclare quant
à lui, « c’est précisément parce qu’ils n’arrivent pas, ou plus à être
contenants que les soignants vont isoler ou attacher le patient ».[31] D’autres encore mettent
l’accent sur la difficulté à évaluer le niveau de contrôle du patient : « les
soignants travaillant en psychiatrie ont une longue expérience des patients qui
perdent leur contrôle. Ils les aident à le regagner. Une partie de leur
pratique quotidienne consiste à estimer quels patients se contrôlent ou non.
Parfois cette détermination est établie justement ; parfois la limite
entre self control et perte de contrôle est plus floue. En d’autres termes, le
point auquel le patient perd son self control ne serait pas toujours bien
défini pour les équipes ».[32] Tous s’accordent
toutefois sur la difficulté de rétablir une relation thérapeutique avec un
patient que l’on a contenu physiquement et mis en chambre d’isolement. Mr
Pannetier C. écrit à ce sujet : « Si contenir est un soin,
pourquoi les médecins interviennent-ils physiquement si rarement ? Rares
aussi sont les médecins présents lors de la mise en chambre d’isolement.
Certains déclarent ne pas vouloir casser la relation thérapeutique avec leur
patient. L’infirmier ne casse-t-il pas aussi une relation thérapeutique avec le
patient ? » [33] Nous voyons bien, au
travers de ce paragraphe, les nombreuses interrogations que suscitent ce soin,
et donc, la difficulté des infirmiers à se positionner clairement par rapport à
cet acte. En outre, en l’absence d’efficacité thérapeutique démontrée, de
nombreux infirmiers remettent en cause le bien fondé de leur mission. La
contention physique touche ainsi à l’idéal de la profession, faisant dire à
certains « on n’est pas là pour ça ». Dans ce contexte, on
peut se demander qu’est-ce qui est fait, en matière de formation, pour
permettre aux infirmiers de mieux appréhender ce soin difficile. II. 1.
3 Comment les infirmiers sont-ils
formés à la contention physique ? Le savoir infirmier sur
le soin au malade violent, agité, agressif, repose encore bien souvent sur un
savoir empirique et non sur une formation qui entraînerait une compétence soignante
à gérer cette violence. Les écrits de Mr Beaumont à ce sujet montrent que, « la
réponse à cette violence reste souvent basée sur l’expérience des anciens, le
savoir-faire. C’est ce que Bourdieu appelle l’habitus : le résultat d’un
ensemble de pratiques qui s’est constitué au fil des jours, a été capitalisé et
se transmet de génération en génération par la confrontation à la
réalité ». Il écrit encore : « Ce sont des pratiques
adaptées à leurs finalités que l’on acquiert par une sorte d’imprégnation
sociale. On trouve bien ici le principe du soin contention, soin que l’on
n’apprend pas mais que tout infirmier en psychiatrie pratique ». Et il
souligne enfin, que « l’apprentissage porte sur les moyens techniques,
les postures à adopter. Ils sont transmis lors des situations de violence
« aux hommes, par des hommes » puisque classiquement, mais pas
exclusivement, c’est à eux que l’on fait appel ».[34] D’autres, comme Mr
Pannetier C, montrent que le problème est lié au manque de formation, mais
aussi à la baisse des effectifs masculins dans les services de psychiatrie :
« Maintenir un patient agité… Cela ne va pas de soi, ce n’est pas inné.
(….). Il y encore quelques années, la question de savoir comment maintenir un
patient agité se posait à peine. Les équipes infirmières étaient composées de
nombreux hommes. Mais aujourd’hui la situation est différente : les hommes
sont de plus en plus rares et il arrive parfois qu’à dix nous ayons du mal à
maintenir un patient agité. Comment procédons-nous ? On fait comme on
peut. (…). Malgré l’expérience soignante en psychiatrie, la contention manuelle
ou maîtrise d’un patient agité n’est pas théorisée. »[35] D’autres enfin proposent
une alternative à ce manque de formation initial, par l’intermédiaire de
formation professionnelle qui porte « sur les questions délicates de la
prévention, de gestion des phénomènes de violence et d’agressivité. (…). Cela
suppose une formation qui comprend plusieurs points : la gestion du stress
engendré par ces situations, une lecture des signes avant coureurs, une prise
en compte des paramètres cliniques et anthropologiques et enfin, des éléments
de techniques de corps ».[36] Cette réflexion sur la
contention physique montre la complexité de la mise en œuvre de ce soin
infirmier si particulier. Ce soin, légalement mal défini, peu abordé par la
littérature professionnelle, non enseigné dans la formation initiale et dont
l’efficacité thérapeutique reste à prouver, place l’infirmier dans une
situation pour le moins inconfortable ; obligé d’intervenir dans un devoir
de protection mais sans légitimité réelle, il se questionne sur le sens à
donner à sa mission, d’autant que l’acte de contenir physiquement, très
impliquant émotionnellement, est susceptible de « casser » la
relation thérapeutique établie avec le patient. La contention physique
reste néanmoins, malgré les difficultés précédemment mentionnées, l’ultime
recours, parfois, pour faire face à un patient devenu violent. II. 2 La
prise en charge de la violence des patients au moyen de la contention physique Comme nous venons de le
démontrer, contenir physiquement un patient violent n’est jamais un acte
anodin. Le recours à la contention manuelle doit ainsi être réservé à des
situations bien particulières, lorsqu’il existe un danger immédiat pour le
patient de se blesser ou de blesser les autres, et lorsque tout autre moyen
pour ramener le calme a échoué. On ne limite en aucun cas la liberté d’un
individu pour la convenance du personnel ou pour remplacer les soins infirmiers
nécessaires. Limiter l’utilisation de la contention physique doit ainsi être
une préoccupation permanente des infirmiers, tant cet acte, parfois
indispensable, peut être source de frustrations, aussi bien pour les équipes de
soignants que pour les patients eux-mêmes. Identifier correctement les
circonstances de mise en œuvre de la contention physique nécessite dans un
premier temps, de définir ce qu’est la violence ; puis, nous attacherons à
repérer dans les différentes pathologies psychiatriques les éléments prédictifs
d’un éventuel passage à l’acte ; enfin, nous verrons quels autres facteurs
sont susceptibles de majorer la violence du patient. II. 2.
1 Est-il possible d’identifier les
situations de violence légitimant le recours à la contention physique ? Dans une optique de
compréhension de la violence chez un patient en psychiatrie, nous allons
d’abord définir ce qui doit être entendu sous le terme de violence. Les dictionnaires
contemporains définissent la violence comme un état, une force intense et
souvent destructrice : violence de la tempête, d'un choc, d'un caractère,
d'une passion. Si nous prenons appui sur l’Encyclopaedia Universalis, c’est « une
force brutale, un abus ou un déchaînement de la force. »[37]. La violence s'oppose
ainsi à la conciliation et au dialogue. Au niveau de la pratique soignante, Mr
Beaumont L. écrit : « C’est d’abord une affaire de coups et de
bosses. C’est pourquoi nous la considérons comme évidente : elle laisse
des traces autant physiques que psychiques. Elle survient là ou le discours
s’arrête, dans l’acte. »[38] Dans le langage courant,
on emploie le mot "violence" pour qualifier de multiples situations. Dangerosité,
agressivité, agression sont ainsi des termes qui se substituent aisément les
uns aux autres. Le discours psychiatrique quotidien n'échappant pas à cette
confusion, il me semble nécessaire de distinguer ces trois notions. La dangerosité, est une notion qui
renvoie à une éventualité incertaine et « implique une prédiction dont
le degré de survenue est aléatoire »[39] . Elle indique la
possibilité qu'un individu puisse se livrer à un acte violent. A l'heure
actuelle, la connaissance d'antécédents violents et l'identification des
situations dans lesquelles ils se sont déroulés, constituent le facteur
prédictif le plus fiable à l'échelle d'un individu. En effet, les chances de
prévoir un acte de violence chez un individu sans antécédent sont quasiment
nulles. L'agressivité recouvre « un
comportement qui vise, consciemment ou non, à dégrader, nuire, humilier,
contraindre ou détruire »[40] ; elle se
traduit de façon très variée, soit par des paroles blessantes soit par des
attitudes menaçantes. D’autres auteurs la définissent comme la « tendance
à attaquer ». Pour Mr Beaumont, être agressif « se dit de
quelqu’un qui est naturellement porté à attaquer, provocateur ».[41] Mme Prido Huet C.
note toutefois « que l’agressivité n’est pas nécessairement violente
(…) mais, l’agressivité majore et complique souvent aussi la relation au malade
souffrant. »[42] L'agression se définit comme
l'expression comportementale de l'agressivité, c'est à dire l'action d'attaquer ;
l'agression est un comportement social qui prend son origine et se réalise dans
une relation à autrui. Elle s'exprime dans une interaction : (…) « une
conduite d'agression est inconcevable sans la présence d'autrui, il n'y a pas
d'agression sans victime. »[43] Ce qui fait dire
à Mme Prido Huet C. que « l’agression est donc une violence en acte qui
met en évidence l’intentionnalité de l’acte et le préjudice porté à
autrui. »[44] Comme on vient de le
voir, il peut être fait une gradation dans la violence ; la violence est
un terme générique qui recouvre plusieurs termes désignant des degrés
différents de violence. A quel moment se
justifie la mise sous contention ? Il semble que la dangerosité ne
justifie pas, seule, le recours à la contention physique car elle est l’une des
caractéristiques du patient atteint d’une maladie psychiatrique ; elle demeure
en revanche l’un des éléments qui permet de prévenir un éventuel passage à
l’acte, par une vigilance accrue. L’agression est sans doute le stade de
violence qui impose une mesure d’urgence et donc le recours à la
contention ; nous rentrons ici dans le cadre légal de l’assistance à
personne en danger, qui justifie, à lui seul, la légitimité de la contention
physique. L’agressivité, quant à elle, reste la situation qui interroge le plus
les soignants ; comme l’écrit Mr Palazzolo J. : « le dilemme
pour le soignant commence lorsqu’il faut déterminer quand intervenir et
maîtriser le patient qui perd le contrôle et quand ne pas intervenir, laissant
le patient utiliser ses propres ressources dans un effort pour reprendre la
maîtrise de lui-même. »[45] II. 2.
2 Peut-on anticiper sur un éventuel
passage à l’acte ? Faut-il rechercher dans les différentes pathologies
psychiatriques des éléments prédictifs du passage à l’acte ? L'agressivité et la
violence ne sont pas l'apanage de la maladie mentale, néanmoins les phénomènes
de violence sont très présents dans le quotidien de la psychiatrie. De fait, violence et
dangerosité occupent une place importante dans la clinique psychiatrique.
Certaines maladies mentales, en tant que déstructuration de la conscience,
modifient le rapport du malade à son environnement et le conduisent parfois à
des réactions violentes. Nous tenterons ci-après
de livrer quelques repères psychopathologiques en matière de risque de
comportements violents. Dans le cas des troubles
mentaux aigus,
c’est le délire, l’angoisse de morcellement et les hallucinations qui fomentent
le passage à l'acte. Au cours d'une bouffée délirante aiguë ou d'un état de
confusion mentale, la conscience du sujet est envahie d'idées délirantes et
d'hallucinations, le plus souvent terrifiantes. Le monde est alors perçu comme
hostile. L'adhésion au délire peut engendrer des troubles du comportement de
menace ou d'attaque, ce qui rend le patient potentiellement dangereux : il
peut s'agir pour lui de tuer ou d'être tué. Dans le cas des troubles
mentaux chroniques,
et notamment des psychoses hallucinatoires chroniques, la violence est
alimentée par un délire de persécution. Le plus souvent, des injures et des
menaces précède le passage à l’acte. Dans la paranoïa, les
délirants interprétatifs peuvent attaquer leur persécuteur en état de légitime
défense. "L'agression du paranoïaque s'appuie sur le mécanisme de la
projection"[46].
La victime est désignée en fonction des thèmes du délire et l’agression est en
parfaite cohérence avec le délire. Ce n’est pas le cas des
schizophrènes qui apparaissent comme un groupe à risque, en particulier les
délirants paranoïdes. Les moments délirants et le début de la maladie
constituent les moments les plus risqués. L'acte apparaît généralement
immotivé, incohérent et non prémédité. L'indifférence, la froideur affective et
la non culpabilité persistent après l'acte violent. Dans le cas des
insuffisances intellectuelles, l'importance de l'agressivité du débile mental
est souvent corrélée avec le degré de son déficit intellectuel. Le débile
profond perçoit le monde de façon rudimentaire et les changements brusques
génèrent pour lui une angoisse qui facilite le recours à la violence. Le débile
moyen est capable de percevoir son handicap. Il peut de fait ressentir les
manifestations de rejet de l'entourage et réagir à ces frustrations par de la
violence. Le débile léger se révèle quant à lui intolérant à la frustration,
irritable et instable. Mme Perrono C. souligne au sujet des déficients
intellectuels, que « l’acte violent est souvent déclenché par
l’impulsivité, l’inadaptation sociale et favorisé par certains chocs
affectifs. »[47] Dans le cas de la
psychopathie,
la violence prend une forme plus délictueuse. Le psychopathe se sent victime
d’une société qui l’exclut ; il justifie ainsi les actes répréhensibles
qu’il vient à commettre. Mme Prido Huet C. écrit à ce sujet, « Aucune
notion de culpabilité ne l’habite. Nous pouvons même aller jusqu’à dire, dans
son cas, que le recours à la violence est l’un des seuls modes relationnels
qu’il puisse trouver. Il réagit par l’acte plus que par la parole. »[48] Le plus souvent
la violence est ainsi vécue comme une réponse à une agression physique ou
psychologique. Enfin dans le cas des névroses, les névrosés sont
décrits comme des patients peu enclins à la violence. Des mécanismes de défense
opèrent en effet pour contrôler l’agressivité. Il arrive cependant que la
maîtrise soit inefficace. Ainsi l'hystérique est fréquemment agressif envers
les autres ou envers lui-même (manifestations somatiques). L'obsessionnel quant
à lui, généralement bien défendu, peut se livrer à des actes impulsifs à
l'occasion d'épisodes à forte charge existentielle, comme un divorce subi. Le diagnostic apparaît
être un facteur déterminant de la violence chez les malades psychiatriques. En
effet une enquête portant sur l’analyse de 97 cas d’accidents du travail du
personnel soignant au cours d’interactions violentes avec des patients en
milieu psychiatrique entre 1988 et 1992, montre « que 80 % des patients
violents étaient des psychotiques chroniques et/ou déficitaires. (…) La plus
grande dangerosité est attribuée aux patients psychotiques, notamment aux
schizophrènes de type paranoïde. »[49]. Il s’agit donc
pour l’infirmier d’avoir une parfaite connaissance des différents signes
cliniques de chaque pathologie psychiatrique afin de déterminer à quel niveau
d’agressivité se situe le patient et ainsi intervenir avant le passage à
l’acte. Toutefois, la
connaissance de ces différents signes ne suffisant pas à prévoir
systématiquement le comportement d’un patient, il semble intéressant de
rechercher d’autres circonstances pouvant induire un comportement violent chez
un patient atteint d’une maladie psychiatrique. II. 2.
3 Existe-t-il d’autres facteurs
susceptibles de majorer la violence du patient en psychiatrie ? Il existe des facteurs
individuels liés aux patients. Il semble que l’âge et le
sexe constituent des éléments importants dans la potentialité d’agression de la
part d’un patient ; il a ainsi été démontré que les actes de violence
concernent le plus souvent, « un homme jeune (environ 30 ans),
hospitalisé par le biais d’une hospitalisation d’office ou d’une
hospitalisation à la demande d’un tiers dans 50 % des cas. (…) Il s’agit d’un récidiviste dans 16 % des cas. »[50] Les antécédents
apparaissent aussi comme un facteur prépondérant; ainsi certains auteurs
insistent sur « le caractère prédictif d’une part de l’existence de
nombreuses hospitalisations antérieures et d’autre part d’antécédents de
psychopathologie familiale. A ceci, s’ajoutent des antécédents récents et/ou
anciens de passages à l’acte. »[51] Parmi les facteurs liés
aux patients, nous devons également citer certains traits comportementaux comme :
la colère, l’excitabilité, l’hostilité avec comportement de menaces notamment
verbales, un comportement de peur avec expression de craintes , un état
dépressif avec sentiments de dévalorisation, une tension (poings serrés…), une
logorrhée rapide à voix haute et forte, un comportement bruyant, des mouvements
répétitifs avec gestes violents, une déambulation avec gesticulation, un abus
récent d’alcool ou de drogue, qui sont annonciateurs d’un passage à l’acte
imminent. Ainsi la même enquête montre « que l’agitation est constatée
dans 72 % des cas au moment de l’accident violent »[52] Mr Kay S.R. quant
à lui écrit à ce sujet que « l’ensemble de ces signes présentent, par
leur cumulation, une valeur de prédictivité indéniable. »[53] Précisons
aussi que si ces aspects du comportement peuvent apparaître comme étant
violents aux yeux du soignant, ils seront ressentis de la même façon dans l’autre
sens, par la personne soignée atteinte par une pathologie psychiatrique, qui,
en se sentant agressée, alimentera encore le cycle de la violence. Enfin, insistons sur un
facteur qui paraît essentiel dans la prévention de la violence du patient en
psychiatrie, c’est l’équilibration du traitement ; toujours la même étude
montre que dans « 58 % des cas le traitement était en cours de remaniement.
(…) et que 90 % de nos patients étaient sous neuroleptiques. »[54] Les facteurs
environnementaux et structurels peuvent aussi favoriser la violence du patient
en psychiatrie. Ainsi, au cours d’une
journée, il y a des moments où les passages à l’acte sont plus fréquents. Certains
auteurs comme Mr Negley E.N. et Mr Manley J.T. les ont définis ; il s’agit
des moments suivants : « lorsque les patients sont rassemblés,
lorsqu’ils sont sans activité, lorsque le personnel soignant est moins
disponible, c’est-à-dire avant et après les repas et lors des transmissions. »[55] On s’aperçoit également
que les caractéristiques du lieu dans lequel évoluent les patients, peuvent
induire un comportement violent. L’étude précédemment citée révèle que « 61%
des patients étaient en unité fermée (…) et que la majorité des accidents
a eu lieu dans des salles communes où les patients avaient l’habitude de se
rassembler. »[56] On peut citer
comme autres facteurs favorisants, l’éclairage, le niveau de bruit et l’encombrement
des lieux qui, pour Mr Hall E.T « constituent des facteurs
anxiogènes. »[57] Les facteurs liés aux
équipes et aux médecins. L’analyse effectuée par
Mr Rioton B., Peltier M-P., Guibert S.[58] sur 97 cas
d’interactions violentes soignants-soignés a mis en lumière que les équipes
présentes au moment des accidents avaient une certaine « sous-qualification »,
une « surreprésentation féminine » et une présence
insuffisante auprès des patients. D’après cette étude, il
semblerait que la formation, la féminisation des services psychiatriques et le
manque de personnel soient susceptibles d’accroître le passage à l’acte des
patients. L’étude démontre pour
finir que le « sous effectif médical avec une charge de travail élevée
par médecin, un manque de communication évident entre le personnel et les
médecins, et enfin le manque de leadership de ces derniers » ne font
qu’augmenter les risques d’agressions. Il n’existe pas de
maladie psychiatrique sans violence. La violence est bien une réalité du monde
de la psychiatrie. Ce qui pose problème aux
soignants, ce n’est pas vraiment la violence en elle-même mais bien plus sa
prise en charge au quotidien, tant il est difficile, comme nous venons de le
constater, d’anticiper sur un éventuel passage à l’acte du malade. Ainsi, malgré
les progrès thérapeutiques réalisés et l’humanisation des soins, la contention
physique demeure, parfois, le recours ultime du soignant face au patient devenu
violent. Conscients de la
nécessité de contenir physiquement en cas d’extrême urgence, certains
infirmiers restent néanmoins perplexes sur la légitimité de cet acte qui
n’entre pas dans la représentation qu’ils se font de l’idéal de leur
profession. Historiquement utilisée abusivement dans des buts punitifs et/ou
expiatoires, la contention physique stigmatise en effet un ensemble de
représentations négatives sur la prise en charge de la maladie mentale. Bien
que son utilisation se soit considérablement humanisée, l’éthique de cette
procédure suscite encore de nombreuses interrogations. Le flou des textes
réglementaires, le manque de littérature ainsi que l’absence de consensus sur
la nature thérapeutique de cet acte ne font qu’accroître le malaise des
soignants. Selon Mr Palazzolo J., « jusqu’ici,
les recherches psychiatriques et gérontologiques concernant l’utilisation des
contentions ont été focalisées sur l’identification des facteurs déclanchant l’instauration
de telles procédures, et sur les caractéristiques du sujet contenu. On ne
retrouve que très peu d’études cherchant à comprendre dans quelle mesure
l’expérience de la contention peut affecter le patient »[59]. A l’heure où on
assiste à une recrudescence des contentions physiques dans les établissements
psychiatriques, il m’a semblé également intéressant de comprendre dans quelle
mesure l’expérience de la contention physique affecte aussi les soignants. Mes
recherches documentaires m’ont conduit à mettre en évidence un sentiment de
malaise chez certains infirmiers contraints de recourir à cet acte. Nous allons
maintenant confronter ce travail de recherche théorique à l’expérience des
soignants afin de découvrir comment ces professionnels vivent sur le terrain la
mise en œuvre de cet acte. LES ENTRETIENS EXPLORATOIRES III LES ENTRETIENS EXPLORATOIRES III. 1 Méthodologie Afin de confronter mon
travail de recherche théorique à l’expérience des infirmiers travaillant en
psychiatrie, j’ai été amené à réaliser des entretiens semi-directifs. Ce type
d’entretien me paraissait être le plus approprié dans la mesure où il permet de
laisser une très grande place à l’expression des soignants interrogés, tout en
canalisant le discours de ces derniers. De plus, ce type d’entretien autorise
la reformulation de ce qui se dit et donc l’exploration profonde des sujets
évoqués. J’ai choisi de réaliser
mes entretiens dans deux structures différentes : §
une
unité intersectorielle d’hospitalisation sous contrainte (ce type de service,
du fait de la population reçue et des conditions de leur arrivée, est souvent
le théâtre de violence de la part des patients) §
et
un service d’urgence psychiatrique (service qui fait le lien entre le patient
et l’hôpital, et les soignants y travaillant sont souvent les premiers à être
confrontés à la violence du patient). Je n’ai pas souhaité
choisir les soignants selon des critères quelconques de sexe ou d’ancienneté
dans le métier ; il me semblait toutefois essentiel de m’entretenir avec
un soignant ayant le diplôme d’infirmier de secteur psychiatrique afin de
connaître la place de la contention physique dans cette formation. J’ai donc interrogé
trois infirmiers : un infirmier par structure et un cadre de santé de
l’unité intersectorielle d’hospitalisation sous contrainte, titulaire du
diplôme d’infirmier de secteur psychiatrique. J’ai démarré mes
entretiens en demandant aux soignants de me définir la notion de contention
physique afin d’éviter tout malentendu ultérieur. Puis, j’ai abordé plusieurs
thèmes ayant trait aux interrogations que je me suis posées tout au long de mes
recherches théoriques. Je me suis intéressé notamment aux circonstances dans
lesquelles surviennent ces actes de contention. Puis, je me suis attaché à
comprendre le point de vue des professionnels sur cet acte ainsi qu’à découvrir
leur ressenti personnel. Concernant le
déroulement des entretiens proprement dit, il a été identique dans les deux
services. J’ai interrogé chacun des infirmiers pendant environ une heure, dans
un local isolé. Ces entretiens se sont déroulés dans une atmosphère conviviale
et détendue. Les soignants ont répondu d’autant plus volontiers à mes questions
que celles-ci portaient sur leur pratique infirmière. Le paragraphe suivant
est un condensé de l’analyse des entretiens. Sous chaque grand thème abordé,
vous trouverez la question posée, le rappel de mes interrogations, la synthèse
des réponses des personnes interrogées ainsi qu’une mise en lien avec la
théorie. III. 2 Exploitation
des entretiens III.
2.1 La contention physique : définition
et cadre légal Question 1 :
Comment définissez-vous la contention physique ? (y compris son cadre
légal) Ce qui frappe en premier
lieu, c’est la difficulté à s’entendre sur une définition précise du terme
« contention physique » ; en effet, pour deux des soignants
interrogés, la contention physique recouvre plusieurs notions : - D’abord, l’aspect
« contenant » (encore nommé « enveloppement »), qu’on
utilise pour les schizophrènes mais aussi pour les patients dont la
décompensation a un retentissement physique (personnes qui, sous l’effet d’un
stress important, se décomposent littéralement et s’effondrent) ; la
contention physique est alors considérée comme un acte de soin, visant à « envelopper »
le patient de façon à le rassurer. - ensuite, l’aspect
« contention mécanique », qui consiste à attacher le patient devenu
violent ou, tout au moins, à limiter ses mouvements. La contention physique est,
dans ce cas, considérée comme une période de transition entre un moment
d’agitation et la contention mécanique proprement dite. Mais faut-il vraiment
s’étonner de ces définitions multiples ? Cette difficulté à définir le
terme « contention physique », je l’ai moi-même expérimenté lors de
mes recherches théoriques, au cours desquelles, reprenant les propos de Mr
Palazzolo J., je relevais le « manque persistant de définition de ce
type de procédure » [60]
dans la littérature actuelle. Les soignants s’accordent
en revanche pour dénoncer l’absence de textes spécifiques à notre profession,
définissant la mise en œuvre de la contention physique. Le cadre légal se
résume ainsi à la prescription médicale mais celle-ci, en urgence, intervient
rétroactivement. Autrement dit, si le médecin est absent au moment des faits,
les infirmiers sont amenés à intervenir avec pour seul cadre juridique, le
devoir de tout citoyen de porter assistance à personne en danger. Ces témoignages confortent
mes recherches documentaires dans lesquelles je mettais en évidence le flou
juridique entourant cet acte si particulier. Cette carence semble d’autant plus
dommageable qu’elle n’est pas suppléée par la prescription médicale qui
mentionne le plus souvent le but à atteindre (la mise en chambre d’isolement
et/ou la mise sous contention mécanique) et non le moyen d’y parvenir
(c’est-à-dire la contention physique). III.
2. 2 Les circonstances de mise en œuvre
de la contention physique Question 2 : Avez-vous
personnellement déjà eu recours à la contention physique face à un patient
violent ? Si oui, dans quelles circonstances et face à quelle
population ? Il est intéressant de
s’interroger sur les circonstances favorisant la mise en oeuvre de la
contention physique afin de dégager un éventuel modèle prédictif permettant aux
soignants d’anticiper, et partant de limiter, le recours à cet acte. D’abord, tous les
soignants interrogés reconnaissent avoir déjà eu recours à la contention
physique. Les avis divergent toutefois sur la fréquence de ces contentions. Ainsi,
pour l’infirmier des urgences psychiatriques et celui du secteur fermé, la
contention physique est un acte fréquent tandis que pour le cadre de santé, la
contention relève d’un « très petit pourcentage de cas ». Ensuite, il ressort des
réponses des soignants que cet acte est surtout utilisé sur des patients
délirants ou hallucinés, des patients paranoïaques qui passent à l’acte, des
psychopathes qui jouent le rapport de force ou encore sur des patients sous
l’emprise de produits toxiques. Quelquefois, il est fait usage de la contention
physique pour des schizophrènes en état de déstructuration complète, avec
angoisse de morcellement. On remarque que les
catégories de patients les plus citées sont celles des paranoïaques et des
patients délirants ou hallucinés. On retrouve ici des résultats semblables aux
études précédemment évoquées lors de ma recherche documentaire. Pour autant,
peut-on se servir de ces éléments comme d’un modèle prédictif ? Une bonne
connaissance des pathologies et signes cliniques associés permet certainement
de mieux appréhender la dangerosité du patient et donc de mieux évaluer le
risque de passage à l’acte ; toutefois, ces éléments ne suffisent pas, à
eux seuls, à prévoir avec certitude le comportement du patient. III.
2. 3 Le point de vue des professionnels
sur la nature thérapeutique de la contention physique. Question 3 : A votre
avis, la contention physique est-elle un acte de soin ou un acte
sécuritaire ? Après avoir recensé les
circonstances d’utilisation de la contention physique, j’ai souhaité connaître
le point de vue des professionnels sur la nature thérapeutique de cet acte ;
les écrits sur ce sujet semblent en effet plutôt mettre en avant le caractère
sécuritaire de la contention. L’analyse des entretiens
montre que les soignants interrogés ne se prononcent pas de manière catégorique
sur le sujet ; les réponses apportées sont plutôt nuancées. Les deux
infirmiers et le surveillant s’accordent en effet pour dire que la contention
physique peut être tantôt un acte de soin, tantôt un acte sécuritaire ;
tout dépend en réalité des circonstances de mise en œuvre de la contention et
en particulier, des patients sur lesquels on effectue cette contention. Une
contention physique réalisée sur un patient atteint de schizophrénie constitue
par exemple un acte de soin pour les soignants interrogés. Ce qui est intéressant,
c’est de constater que, pour les soignants du secteur fermé, la contention
physique, qui peut être au départ un acte sécuritaire, devient, une fois que le
patient est stabilisé et que l’on a repris avec lui les conditions de mise en
œuvre de cet acte, un soin à part entière. Ainsi, l’infirmier du secteur fermé
déclare : « Moi je dirais que
c’est un acte de soin ; c’est vrai qu’il est sécuritaire aussi, mais c’est
surtout un acte de soin, car ça permet à la personne de prendre plus conscience
de ses limites, de ce qu’il peut faire et ne pas faire, c’est un mode de
recadrage, c’est l’extrême limite du recadrage. Une fois que le patient est
stabilisé et que le dialogue est à nouveau possible, il faut absolument
reparler avec lui de ce qui s’est passé, parce que c’est nécessaire ; si
l’on met la contention sans expliquer au patient à posteriori pourquoi on a mis
en œuvre cet acte, ça n’a aucun intérêt. Le but ultime de la contention, c’est
que la personne prenne conscience qu’il y a quelque chose qui a dérapé. » Ce point de vue me
paraît d’autant plus intéressant qu’il ouvre des pistes de réflexion
nouvelles ; en effet, ma recherche documentaire me laissait penser que les
infirmiers se divisaient en deux catégories bien distinctes : ceux,
majoritaires, qui voyaient en la contention un acte purement sécuritaire et
ceux, moins nombreux, qui appréhendaient la contention comme un acte de soin à
part entière ; ainsi, pouvait se développer chez certains (les tenants de
l’acte sécuritaire), un sentiment de malaise et de frustration. Si on admet au
contraire que la contention n’est pas seulement sécuritaire mais aussi un acte nécessaire
et « fondateur pour ce qui vient après », autrement dit pour
la relation thérapeutique, alors on donne peut être la possibilité aux
soignants de se défaire d’une certaine forme de culpabilité. III.
2. 4 La contention physique et le
ressenti des soignants Question 4 : Que
pensez-vous du recours à la contention physique face à un patient devenu
violent, et quel(s) sentiment(s) avez-vous éprouvé après avoir effectué cet
acte ? Dans la littérature
actuelle, certains articles traitent de la culpabilité des infirmiers,
contraints d’avoir recours à la contention physique. Cette culpabilité
s’enracine dans l’histoire du traitement de la maladie mentale, durant laquelle
la contention physique s’apparentait à un acte purement coercitif. Ce sentiment
négatif est accentué par l’absence d’efficacité thérapeutique démontrée (cf
question précédente). La culpabilité naît enfin d’un sentiment d’inefficacité,
qui fait dire au soignant qu’il n’a pas su écouter la souffrance du patient.
J’ai donc voulu connaître le ressenti des infirmiers sur le terrain, afin de
confronter leurs réponses à mes recherches théoriques. Tout d’abord, les
soignants interrogés confirment que le recours à la contention physique s’avère,
dans certaines situations, incontournable. L’infirmier des urgences
psychiatriques estime, quant à lui, que ce recours pourrait même devenir de
plus en plus fréquent dans les années à venir ; il justifie son point de
vue par la diminution du nombre d’infirmiers de secteur psychiatrique et par la
fermeture de lits alors même que l’évolution de la société, et notamment
l’évolution de la consommation des toxiques, entraîne une augmentation du
nombre de patients fréquentant les établissements psychiatriques. Quant aux sentiments
éprouvés, ils varient sensiblement d’un soignant à l’autre. L’infirmier de
secteur fermé déclare ne pas avoir eu de problème de conscience, ayant toujours
pratiqué cet acte dans des conditions lui paraissant justifiées. Le cadre de
santé avoue au contraire, avoir ressenti de la frustration et une certaine
culpabilité face à un acte qu’il considère comme un échec, le constat d’une
incapacité à contenir et à prévenir un état d’agitation. Enfin, l’infirmier des
urgences psychiatriques évoque, pour sa part, la peur (la
« trouille ») d’un éventuel passage à l’acte du patient, et la
crainte de répondre instinctivement à cette violence. On constate, au travers
de la diversité de ces réponses, qu’il y a autant de réactions ou de sentiments
différents qu’il y a, au fond, de personnalités et d’individus. De fait, chacun
réagit en fonction de sa propre histoire personnelle. Il ne peut être fait de
généralisation sur ce sujet, le ressenti du soignant demeurant une expérience
personnelle. On relève néanmoins que le seul infirmier n’ayant aucun problème
de conscience vis-à-vis de la contention physique est celui qui considère cet
acte avant tout comme un acte de soin. On sent bien dans ses propos qu’il
légitime cet acte en lui prêtant un caractère nécessaire, non abusif et
fondateur pour la mise en place des soins à venir. III.
2. 5 La place de la contention physique dans
la relation soignant–soigné Question 5 : Pensez-vous
que la mise en œuvre de la contention physique puisse être une entrave à la
relation soignant-soigné ? On peut se demander si
le fait de contenir physiquement un patient ne constitue pas un obstacle pour
les soins ultérieurs à dispenser au patient. Autrement dit, est-ce que le lien
thérapeutique n’est pas rompu à partir du moment où on est intervenu physiquement
sur le patient ? Cette question me semble
fondamentale. Si, effectivement, la contention physique est susceptible de
rompre la relation thérapeutique avec le patient, alors il est légitime que
l’infirmier répugne à effectuer cet acte. Les avis des soignants
interrogés sur cette question divergent en apparence. Alors que pour
l’infirmier des urgences psychiatriques, la contention physique est « forcément
une entrave à la relation soignant – soigné », le cadre de santé ainsi
que l’infirmier de secteur fermé ont un avis contraire. Ce dernier en veut pour
preuve que « la violence qu’ont exercé sur moi certains patients, n’a
jamais été en rapport avec un patient à qui j’avais effectué une contention et
qui voulait se venger d’avoir été mis sous contention ». Ce désaccord entre les
soignants repose en réalité sur des conditions d’exercice très différentes. Alors
que l’infirmier des urgences psychiatriques ne passe que très peu de temps avec
le patient, les deux autres soignants disposent des conditions matérielles
nécessaires pour reprendre avec ce dernier les circonstances qui ont amené à sa
mise sous contention ; ce qui fait dire au cadre de santé : «C’est
justement parce qu’on reprend avec le patient ce qui s’est passé que ça devient
un acte fondateur de tout ce qui vient après ; c’est ce qui justifie tout
au moins à mes yeux le fait qu’on peut se permettre d’utiliser des contentions
physiques avec quelqu’un. Si on reste dans le « non dit », ce ne sera
jamais un acte de soin ; c’est même pire, je crois que là on tombe dans
quelque chose qui tient de la coercition. » Dans ma recherche
théorique, je montre que tous les auteurs sont d’accord pour dire qu’il est
difficile de rétablir une relation thérapeutique avec un patient que l’on a
contenu physiquement ; mais aucun ne s’avance toutefois à dire que c’est
impossible. Ce qui me semble particulièrement intéressant dans les témoignages
des soignants du secteur fermé, c’est qu’ils nous apportent la preuve que le
lien thérapeutique peut effectivement être rétabli après une contention
physique. Plus encore, ils se servent de la contention physique comme étant l’acte
fondateur des soins à venir. III.
2. 6 La formation à la contention
physique Question 6 : Avez-vous
reçu une formation spécifique à la mise en œuvre de la contention
physique ? si oui, quel type de formation ? si non, pensez-vous qu’il
soit nécessaire, pour un infirmier, de recevoir une telle formation ? Compte tenu de la baisse
des effectifs masculins en psychiatrie et de l’arrêt, depuis 1993, du diplôme
d’infirmier de secteur psychiatrique, je me suis demandé s’il ne serait pas
intéressant de proposer aux infirmiers, une formation spécifique à la mise en
œuvre de la contention physique. Si on fait notamment le
lien avec ma situation de départ, on constate que la première préoccupation
d’une infirmière prenant son service est d’évaluer le nombre d’hommes présents
dans le secteur. Cette préoccupation est induite par la dangerosité de certains
patients et par le manque de représentants masculins, parfois, dans les
équipes. Dans ce contexte, ne serait-il pas intéressant de proposer une
formation sur la mise en œuvre de la contention physique (sur des bases de self
défense) afin de permettre aux infirmiers de mieux appréhender cet acte qui est
émotionnellement et physiquement très impliquant ? Il ressort d’abord de
l’analyse des entretiens, qu’aucun des soignants interrogés n’a bénéficié d’une
formation ayant trait à la contention physique. On constate ensuite, et
c’est inattendu pour moi, que les soignants interviewés n’y sont pas
favorables. Ils justifient leur point de vue en montrant qu’une formation ne
tiendrait pas compte du facteur humain et que la réponse serait donc
stéréotypée pour des situations qui sont à chaque fois différentes. Selon eux,
il vaut mieux faire confiance à l’expérience du soignant, qui saura s’adapter,
avec son propre vécu et sa propre histoire, à la situation qui se présente. Ces
propos confirment le constat fait par Mr Beaumont : « la réponse à
cette violence reste souvent basée sur l’expérience des anciens, le
savoir-faire. C’est ce que Bourdieu appelle l’habitus : le résultat d’un
ensemble de pratiques qui s’est constitué au fil des jours, a été capitalisé et
se transmet de génération en génération par la confrontation à la
réalité » ».[61] Je remarque toutefois
que, lors de mes entretiens, je n’ai pu interroger paradoxalement que des
hommes ; or, il aurait été intéressant, au vue de ma situation de départ
et dans une profession à 80% féminine, de recueillir aussi l’avis
d’infirmières. Cela aurait peut être permis d’avoir un autre écho sur ce
sujet ; d’autant qu’un auteur comme Mr Pannetier C. relève : « Maintenir
un patient agité… Cela ne va pas de soi, ce n’est pas inné. (….). Il y encore
quelques années, la question de savoir comment maintenir un patient agité se
posait à peine. Les équipes infirmières étaient composées de nombreux hommes.
Mais aujourd’hui la situation est différente : les hommes sont de plus en
plus rares et il arrive parfois qu’à dix nous ayons du mal à maintenir un
patient agité. Comment procédons-nous ? On fait comme on peut. (…). Malgré
l’expérience soignante en psychiatrie, la contention manuelle ou maîtrise d’un
patient agité n’est pas théorisée. »[62] III. 3 Analyse Lors de mon stage d’été
en secteur psychiatrique fermé, j’avais été interpellé par le comportement inhabituel
d’une infirmière qui, consultant le planning, s’était interrogée sur le nombre
d’hommes présents dans le service. Jamais auparavant, je n’avais en effet
rencontré une telle attitude. J’avais alors interprété sa réaction comme étant
le signe manifeste de la peur que lui inspirait la violence de certains
patients. Par la suite, j’ai compris que ce n’était pas la violence des
patients qui engendrait la peur mais plutôt le fait de ne pas savoir comment prendre
en charge cette violence. Très rapidement, je me suis donc interrogé sur la
manière de réagir face à un patient devenu violent. Les recherches que j’ai
menées, tant théoriques que sur le terrain, montrent que la contention est
toujours l’ultime recours, lorsque tout autre moyen a échoué, de faire face à
la violence d’un patient. Que cette contention soit mécanique, chimique ou « géographique »
(chambre d’isolement), le corps à corps avec le patient, que l’on désigne sous
le terme de « contention physique », demeure bien souvent un passage
obligé. C’est cette dernière forme de contention qui soulève le plus de
réticences de la part des soignants. En effet, cet acte, s’avère
particulièrement impliquant pour les infirmiers, aussi bien physiquement
qu’émotionnellement. Or, la plupart du temps, c’est un acte effectué dans
l’urgence. Il m’a donc semblé important de mener une réflexion sur la
contention physique afin d’améliorer la prise en charge du patient devenu
violent. Il ressort de mes
recherches, une absence notable de débat dans la littérature psychiatrique
actuelle concernant la façon dont on devrait contenir les patients. La même
carence s’observe au niveau des textes règlementaires spécifiques à notre
profession, ce qui fait dire au cadre de santé que j’ai interrogé :
« Il n’y a pas actuellement de texte qui définisse réellement la mise
en œuvre de la contention physique ; (…) on est amené à commettre des
actes de soins, mais on se garde bien de les définir en temps que tels ;
donc, tout le monde est au courant que dans les hôpitaux français il arrive
qu’on attache des gens mais il n’y a pas de texte qui dise qu’on ait droit ou
pas de le faire. Je pense que ça devrait changer à l’avenir car les gens se
sont fédérés et ont commencé à dire : « là, il faudrait écrire ce
qu’on fait et surtout écrire la façon dont il faut le faire ». En l’absence d’études
théoriques et d’un cadre juridique précis, les infirmiers ne disposent pas
aujourd’hui de références précises auxquelles se rattacher lors de ces
situations de crise ; chacun gère alors, comme il le peut, son ressenti
personnel et individuel, dans lequel on retrouve pêle-mêle de la peur, de la
culpabilité et de la frustration. Auparavant, le manque de
références théoriques et/ou juridiques ne se faisait pas réellement sentir car la
question de savoir comment contenir physiquement un patient violent se posait à
peine. Les équipes de soignants étaient en effet composés de nombreux hommes
dont la seule présence suffisait le plus souvent à dissuader les patients d’un
éventuel passage à l’acte. Mais aujourd’hui, la situation est différente :
on assiste à une nette recrudescence des contentions dans les établissements
psychiatriques tandis que les équipes se féminisent. Dans ce contexte, la
question de la mise en œuvre de la contention physique peut-elle encore être
passée sous silence par le législateur ? Je propose donc l’hypothèse
suivante : Pour améliorer, en
psychiatrie, la prise en charge des patients devenus violents, il faut qu’un
texte règlementaire définisse la contention physique comme étant un acte
relevant du rôle propre de l’infirmier, et en précise les circonstances et les
modalités de mise en œuvre. CONCLUSION CONCLUSION Si l’apparition des
neuroleptiques a permis de diminuer sensiblement l’expression des comportements
violents chez certains patients, il n’en reste pas moins que ces comportements
persistent dans les établissements psychiatriques et que leur prise en charge
par les équipes de soignants soulève toujours de nombreuses interrogations.
Parmi celles-ci, le recours aux moyens de contention semble un sujet
particulièrement sensible, même si ces derniers se sont, au fil du temps,
« humanisés », passant de l’enchaînement pur et simple à la camisole
dite « chimique » avec accompagnement médical et psychologique. De toutes les formes de
contention, la contention physique est certainement la plus taboue. On ne peut
que constater le manque persistant de définition de ce type de procédure dans
la littérature psychiatrique actuelle. Jugée intolérable par certains et
nécessaire par d’autres, l’utilisation de la contention physique ne fait pas, loin
s’en faut, l’unanimité. Il faut dire qu’aucune étude scientifique n’a pour
l’instant démontrée son efficacité thérapeutique. Dans le même temps, dénoncer
systématiquement son utilisation, c’est ignorer ses propres limites face à la
violence et son incapacité, parfois, à la contrôler ; c’est également
minimiser l’incidence de la baisse des effectifs, et en particulier des effectifs
masculins, dans les services de psychiatrie. Jusqu’à présent, le
législateur n’a pas voulu adopter de loi précise quant à l’utilisation de la
contention physique. Le décret du 29 juillet 2004, relatif aux actes
professionnels et à l’exercice de la profession d’infirmier, ne stipule
aucunement que maintenir manuellement un patient est un acte infirmier. Dans
ces conditions, les soignants sont amenés à intervenir sans légitimité réelle,
sans que soient clairement précisées les circonstances et les modalités de mise
en œuvre de la contention physique. Ce qui fait dire à certains : « on
n’est pas là pour ça ». D’autres, en revanche, à l’image de deux des
soignants que j’ai interrogés, ont trouvé à donner du sens à cet acte, en
l’intégrant dans leur démarche de soin. Mais chacun, au final, gère, comme il
le peut, son ressenti personnel et individuel. A l’heure où le nombre
de soignants en psychiatrie diminue, où le nombre d’hommes dans les services
baisse et où les épisodes dangereux se multiplient, ne faudrait-il pas que les
pouvoirs publics se penchent ouvertement sur le problème afin de proposer un
texte de loi, garant du bon usage de cette pratique par les équipes de
soignants ? On pourrait même imaginer que soient proposées aux équipes
volontaires, des formations visant à mieux appréhender cet acte, grâce à une
réflexion, une distanciation et des techniques. Il se pourrait alors que, mieux
préparés à gérer ces situations de crise, les infirmiers soient plus sereins et
donc davantage disponibles pour l’écoute et le dialogue avec les patients. Pour finir, je dirai que
ce travail de fin d’études a été pour moi, l’occasion d’un véritable
enrichissement de mes connaissances en psychiatrie. Ce fut aussi l’opportunité
de réfléchir longuement sur l’un des actes les plus difficiles, parce que l’un
des plus impliquant, de l’infirmier travaillant en psychiatrie. Etant très
intéressé par ce secteur, j’ai particulièrement apprécié d’avoir l’occasion
d’approfondir cette question délicate. J’espère que ce travail pourra
simplement intéresser d’autres soignants, débutants comme moi, ou
professionnels en exercice, qui s’interrogent sur la contention physique. BIBLIOGRAPHIE LIVRES ET OUVRAGES DUPONT M : « Soins sous
contrainte en psychiatrie », Paris, Doin, Editions Lamarre, 2004 HALL E.T. : « La dimension
cachée », Paris, Editions Seuil, 1971 MICHAUD Y : « Violence et
politique », Paris, coll. "Les essais", Editions Gallimard, 1978 SENNINGER J.L, FONTAA V : « Psychopathologie
des malades dangereux », Paris, Editions Dunot, 1996 DICTIONNAIRES ET ENCYCLOPEDIES Encyclopaedia Universalis : version Cédérom n°4,
1998 REVUES ET ARTICLES BERGIN S : « Isolement et
contentions », Revue Canadienne de psychiatrie, vol.36, décembre 1991 FRIARD D : « Attacher n’est
pas contenir », revue Santé Mentale, n°86, mars 2004 KAY
S.R : « Profiles of aggression among psychiatric
patients », J.new. Ment. Dis., n°176, 1988 LAVOINE P.L : « Prédire la dangerosité »,
VST, N°63, 1999 MASSEIX F : « L’heure du corps
à corps », revue Santé Mentale, n°82, novembre 2003 NEGLEY
E.N., MANLEY J.T : « Environmental
interventions in assaultive behavior », J.Gerontol. Nurs., n°16, 1990 PALAZZOLO J :
« Contention : état des lieux », revue Santé Mentale, n°86, mars
2004 PANNETIER C : « Flic ou
soignant », revue Santé Mentale, n°86, mars 2004 RIOTON B, PELTIER M-P, GUIBERT S : « Les accidents du
travail du personnel soignant au cours d’interventions violentes avec des patients
en milieu psychiatrique », L’information psychiatrique, N°2, février 1998 THESES ET RAPPORTS BEAUMONT L : « Violence et rôle du cadre de santé », mémoire de
cadre de santé, Lyon 1998 PERRONO C : « La contention
physique contre la violence en psychiatrie », thèse de Docteur en
médecine, Besançon 1998 PRIDO HUET C : « Ce qui fait
violence en psychiatrie », mémoire de cadre de santé, Paris 2002 DOCUMENTS ELECTRONIQUES FRIARD D : « De la violence
dans les soins », http://www.serpsy.org
ANNEXES GRILLE D’ENTRETIEN Dans le cadre de mon
mémoire de fin d’étude, je me suis intéressé à la prise en charge des patients
violents en psychiatrie. La confrontation de mon expérience personnelle avec la
littérature traitant de ce sujet m’a conduit à poser la question de départ
suivante : En quoi une réflexion
sur le recours à la contention physique peut-elle permettre à l’infirmier en
psychiatrie d’améliorer la prise en charge du patient devenu violent ? Je vous sollicite afin
de pouvoir m’entretenir avec des soignants de votre établissement et compléter
ainsi mon travail de recherche. 1. Comment
définissez-vous la contention physique ? (y compris le cadre légal) 2. Avez-vous
personnellement déjà eu recours à la contention physique face à un patient
violent ? Si oui, dans quelles circonstances et face à quelle
population ? 3. A votre avis, la
contention physique est-elle un acte de soin ou un acte sécuritaire ? 4. Que pensez-vous du
recours à la contention physique face à un patient devenu violent, et quel(s)
sentiment(s) avez-vous éprouvé après avoir effectué cet acte ? 5. Pensez-vous que la
mise en œuvre de la contention physique puisse être une entrave à la relation
soignant - soigné ? 6. Avez-vous reçu une
formation spécifique à la mise en œuvre de la contention physique ? Si
oui, quel type de formation ? Si non, pensez vous qu’il soit nécessaire
pour un infirmier de recevoir une telle formation ? PREMIER ENTRETIEN Sexe : masculin Ancienneté
dans la fonction : 11 ans Age : 51 ans Ancienneté
dans le service : 8 ans Fonction : infirmier Lieu d’exercice :
urgences psychiatrique Formation initiale : 2 ans de formation
d’infirmier de secteur psy et 2 ans de diplôme d’état 1. Comment
définissez-vous la contention physique ? (y compris le cadre légal) La contention physique
est de deux ordres ; il y a ce qu’on appelle la camisole chimique et ce
qui remplace la camisole de force. La camisole chimique étant l’idée générale
qu’il puisse y avoir des produits pour contenir le patient et la deuxième c’est
la contention physique initiée par la camisole de force, qui petit à petit à
été remplacée par la notion de pouvoir attacher le patient pour le contenir
physiquement lui même dans son enveloppe corporelle, et ensuite la contention
physique dans une chambre particulière fermée, qu’on appelle les chambres
d’isolement. Dans la contention
physique où il y a interaction physique (corps à corps) entre le patient et le
soignant, il y a 2 formes : - une première forme qui
existe depuis fort longtemps du travail avec le schizophrène, le schizophrène
ayant par définition une problématique d’enveloppe, de « moi peau »;
la contention physique fait partie à ce moment là du soin ; ça consiste à
attraper le patient et ça ne se fait qu’à un seul soignant, et à l’aborder non
pas par l’avant mais par l’arrière de manière à ce que ce patient se sente
enveloppé avant que ce soit le soignant qui reconstitue le « moi
peau » ; ça c’est la première contention physique qui existe, qui là
effectivement est du rôle du soin ; - ensuite il y a une
deuxième forme de contention physique, qui est la contention physique du
patient agité pour lequel se pose la question de savoir si on aurait pu ou pas,
faire quelque chose avant, mais où là on est dans le passage à l’acte, où là
effectivement on est plutôt dans une pratique de l’ordre de la sécurité, tant
pour le patient que le soignant. Le cadre légal de la
contention théoriquement n’existe pas ; si on se rapporte au code pénal,
la contention physique s’apparente au passage de la menotte, et donc à partir
du moment où on passe des menottes, théoriquement c’est un officier de police
qui devrait le faire avant nous ; on ne peut contenir un patient qu’à
partir du moment où effectivement il a déjà été menotté ; ça s’est le
cadre légal. Après on peut considérer que cette notion de contention physique
est une contention physique de sécurité, mais qu’elle rentre dans un cadre de
soin et auquel cas à ce moment là, la notion de la contention physique c’est
quelque chose qui doit être pensé à l’avance, protocolisé, et éventuellement
faire l’objet d’un document spécifique comme pour les chambres d’isolement. Conclusion au jour
d’aujourd’hui on n’a pas cette chose là, donc aujourd’hui ça se résume à la
prescription médicale. Dans le décret de
compétence infirmier, il n’y a rien qui définit la contention physique comme un
acte à exécuter par un infirmier ; néanmoins, il est prévu dans le cadre
général de la loi qu’on doive porter assistance à toute personne en danger. Il
est prévu aussi dans le statut d’infirmier, qu’en aucun cas, un infirmier ne
doive laisser un patient en situation de danger. 2. Avez-vous
personnellement déjà eu recours à la contention physique face à un patient
violent ? Si oui, dans quelles circonstances et face à quelle
population ? J’ai effectivement, et à
plusieurs reprises, eu recours à la contention physique. On se trouve parfois
confronté à des patients déstructurés qui nous « attaquent » et dans
ce cas, la question ne se pose même pas, car c’est le patient qui vient au
contact du soignant ; la seule défense que l’on ait, c’est de contenir le
patient, et de le contenir parfois violemment. Il nous arrive également
d’être face à des patients sous l’emprise de produits toxiques, qu’il s’agisse
de drogue ou d’alcool, et pour lesquels la discussion est parfois difficile ou
encore d’être en présence de patients paranoïaques qui passent à l’acte. Et puis, il y a le cas
particulier de la contention physique du patient schizophrène, en état de
déstructuration complète avec angoisse de morcellement. Les contentions
physiques sont assez fréquentes et les demandes de renfort en hôpital
psychiatrique notamment (je connais car j’y ai exercé plusieurs années), sont
journalières. 3. A votre avis, la
contention physique est-elle un acte de soin ou un acte sécuritaire ? La question se pose
effectivement, mais la réponse n’est pas si facile que ça. Si on a affaire au
schizophrène en angoisse de morcellement et que l’on veut effectivement
reconstruire son enveloppe, on est dans le cadre du soin, mais un seul soignant
y va. Si on a affaire à un
patient en état de passage à l’acte volontaire de sa part, ou sous l’emprise de
toxiques, il est certain qu’à ce moment là on est plutôt dans le sécuritaire.
Dans ce cadre là, la prescription médicale ne sert pas et il vaut mieux mettre
en place des protocoles. 4. Que pensez-vous du
recours à la contention physique face à un patient devenu violent, et quel(s)
sentiment(s) avez-vous éprouvé après avoir effectué cet acte ? Je pense qu’on sera
toujours dans l’obligation d’utiliser la contention physique, ne serait-ce que
pour nous sauvegarder nous-mêmes. Le recours à la contention physique risque
même de devenir de plus en plus fréquent. En effet, il y a, dans
un premier temps, un problème de compétences, vu qu’il n’y a plus d’infirmiers
psy et qu’il y a de moins en moins de psychiatres. Ensuite, on ferme des
lits psy alors qu’on a de plus en plus de patients psy qui rentrent ; ces
patients poussent dehors un patient qui n’est pas encore totalement soigné, ou
tout au moins qui n’est pas encore stabilisé. Donc forcément on remet dehors un
patient qui va repasser à l’acte. Ce qui veut dire que la crédibilité du soin
avec ce patient n’est pas réelle et que, quelque part, quand ce patient voit un
soignant en face de lui, ce patient ne peut plus avoir confiance en ce
soignant, car on ne lui apporte pas la sécurité. Enfin, l’évolution de la
société et notamment l’évolution des toxiques et de la consommation de
toxiques, fait que, avec ces patients là, on aura de plus en plus recours à la
contention. Là s’ouvre un champ qui est partiellement défini : où est la
limite de ce qui doit venir en psychiatrie de ce qui devrait aller en
prison ? La première chose que
j’ai ressenti moi en tant qu’infirmier, c’est la « trouille » car
le climat de violence, ce n’est pas quelque chose de facile à gérer. La plus
grande peur que j’ai eu, c’est le passage à l’acte parce qu’effectivement on
prend des coups et que l’instinct humain fait qu’on est tenté d’en rendre
autant qu’on en a pris. 5. Pensez-vous que la
mise en œuvre de la contention physique puisse être une entrave à la relation
soignant - soigné ? C’est forcément une
entrave à la relation. Surtout que le problème des urgences, c’est que le
patient on ne le voit pas longtemps, donc ce patient pour nous il va
disparaître, et le seul acte qu’on aura posé avec lui c’est de la violence. Le
patient ne gardera pas forcément de souvenir de cette violence ; en
revanche, nous, au niveau de nos transmissions et au niveau de notre gestion des
gens, on saura que ce patient là, la seule manière qu’on a eu de traiter avec
lui, c’était de la violence ; ça altère notre relation avec lui.
Inévitablement, ça freinera notre relation avec lui. 6. Avez-vous reçu une
formation spécifique à la mise en œuvre de la contention physique ? Si
oui, quel type de formation ? Si non, pensez vous qu’il soit nécessaire
pour un infirmier de recevoir une telle formation ? Je n’ai pas reçu de
formation spécifique à la contention physique. Ce genre de formation
spécifique n’existe pas. Il n’existe qu’une formation théorique à la gestion de
la violence et, dans une moindre importance, des formations à la gestion du
stress. Il n’existe pas d’autres formations à ma connaissance sauf un
établissement qui était « Maison Blanche » qui avait donné des cours
de self défense à son personnel, notamment pour pouvoir se défendre face à des
gens qui sont armés d’armes blanches. L’idée générale de faire
une formation pour gérer la violence ça n’existe pas. Ça ne pourra jamais
exister pour la bonne et simple raison que le patient a son histoire, que le
soignant a son histoire, et que les circonstances de survenue de la violence ne
se reproduisent jamais à l’identique. DEUXIEME ENTRETIEN Sexe : masculin Ancienneté
dans la fonction : 12 ans Age : 50 ans Ancienneté
dans le service : 11 ans Fonction : cadre de santé Lieu
d’exercice : secteur fermé Formation initiale : infirmier de
secteur psychiatrique 1. Comment
définissez-vous la contention physique ? (y compris le cadre légal) Plusieurs définitions
sont possibles : Première notion,
l’aspect contenant ; la première des notions, c’est l’enveloppement, qu’on
utilise pour les schizophrènes mais aussi chez les gens dont la décompensation
a un retentissement physique (personnes qui, sous l’effet d’un stress très
important, se décomposent littéralement, qui s’effondrent) ; il faut alors
les contenir pour les rassurer. C’est la notion de contention plus en terme
d’enveloppement. C’est un soin qui vise en gros à « recoller » les
morceaux (perte de notion d’espace physique). Deuxième notion, la
contention mécanique. Pour avoir un contact soignant efficace avec la personne
soignée, il ne faut pas que ça se termine en pugilat ; si le soignant se
retrouve plus dans une position où il va essayer de ne pas prendre de coups, on
n’arrivera jamais à établir un contact efficace et soignant. Donc on peut aussi
utiliser la contention dans ce sens là où l’on va contenir physiquement d’abord
puis mécaniquement, cette fois-ci, la personne soignée de façon à ce qu’il ne
reste de la relation que la communication verbale. Et on se sera pas en train
de se dire « si je vais vers lui, il va me frapper » car il aura été
contenu. Ça c’est un autre aspect de la contention qui n’est pas tellement
utilisé mais qui est parfois utilisé quand même ici, quand on a affaire à des
gens qui, en général, sont des états délirants avec agitation et où on ne peut
plus avoir une action efficace même en utilisant des neuroleptiques ; il
peut arriver parfois que l’on soit totalement dépassé, tout en ayant besoin de
garder un contact avec la personne ; donc, il n’est pas question de la
sédater à outrance parce qu’à ce moment là il n’y aurait même plus la
possibilité d’avoir un contact verbal avec elle, donc on la contient
mécaniquement et au moins comme ça, il y a un dialogue qui peut s’établir. La
contention physique dans ce cas là est toujours la transition entre un moment
d’agitation et la contention mécanique. Il n’y a pas
actuellement de texte qui définisse réellement la mise en œuvre de la
contention physique. Les gens sont un petit peu « faux jetons »
c’est-à-dire qu’on est amené à commettre des actes de soins, mais on se garde
bien de les définir en temps que tel ; donc tout le monde est au courant que
dans les hôpitaux français il arrive qu’on attache des gens mais il n’y a de
texte qui dit qu’on a droit ou pas droit de le faire. Je pense que ça devrait
changer à l’avenir car les gens se sont fédérés et ont commencé à dire :
« là, il faudrait écrire ce qu’on fait et surtout écrire la façon dont il
faut le faire ». 2. Avez-vous
personnellement déjà eu recours à la contention physique face à un patient
violent ? Si oui, dans quelles circonstances et face à quelle
population ? Oui, j’ai déjà eu
recours à la contention physique face à des patients violents, dans un très petit pourcentage de cas; ça
s’adresse surtout aux gens délirants ou hallucinés. Ce n’est pas une violence
tournée vers la personne qui va intervenir ; il s’agit plutôt d’une
violence générique où les gens vont bien entendu se retourner vers la personne
physique parce que c’est nous qui sommes en face de lui, mais en réalité cette
violence est dirigée vers un système qui l’a amené à l’enfermement. Il y a des critères de
sécurité à respecter lors de la mise en œuvre de la contention physique, ce qui
fait qu’on n’intervient pratiquement jamais seul, mais toujours au minimum à
deux, parfois beaucoup plus. 3. A votre avis, la
contention physique est-elle un acte de soin ou un acte sécuritaire ? C’est les deux ! Ça peut être un acte de
soin quand il s’agit d’apporter un certain apaisement à une personne ; il
faut savoir que dans ces cas là d’ailleurs, c’est vraiment le dernier recours,
quand on a épuisé toutes les autres solutions thérapeutiques. Après il y a l’aspect
sécuritaire qui existe aussi. Parfois, on ne peut pas se permettre de se mettre
en danger ; l’aspect sécuritaire apparaît notamment lorsque quelqu’un,
qu’on ne connaît pas et qui est déjà contenu, arrive à un moment de la journée
où nous sommes en sous effectif (par exemple le soir après 18 heures) ;
dans ce cas, on ne va pas le détacher d’emblée ; on ne sait pas ce qui
s’est passé, on ne va donc pas prendre le risque de le détacher. On va le
mettre sur son lit et on va le rattacher. Et après, on va voir. Lorsque le
médecin arrive, on peut très bien décider que, vu l’état, il y a moyen de
négocier les choses avec lui, si il accepte le traitement, on va peut être
lâcher un peu. Mais d’emblée, on ne le fera pas. Des risques, on va peut être
en prendre après mais pour en prendre, il faut que tous les moyens soient
réunis pour que cette prise de risque soit justifiée et calculée. 4. Que pensez-vous du
recours à la contention physique face à un patient devenu violent, et quel(s)
sentiment(s) avez-vous éprouvé après avoir effectué cet acte ? Si j’ai bien compris la
question, il s’agit d’un patient déjà devenu violent. On peut se dire qu’il y
a peut être un défaut d’analyse ; on n’est pas tout puissant, donc il peut
arriver que le constat que l’on pose à un certain moment, ce n’est pas le bon
et c’est à ce moment là que ça devient difficile et qu’il peut y avoir de la
génération de violence. Donc ça c’est le premier point. Le sentiment éprouvé,
c’est à la fois de la frustration et puis une certaine culpabilité, parce qu’on
est toujours en train de se dire : « eh bien oui, tu as loupé quelque
chose » ; mais c’est forcément une analyse après coup. La personne
est devenu violente et il faut dans un premier temps, mettre fin à cette violence
parce qu’on ne peut pas travailler dans la violence ; ce n’est pas
possible. Il faut d’abord y mettre un frein, donc là forcément il y a de la
frustration et il y a un sentiment qui n’est pas très bon et extrêmement
négatif. 5. Pensez-vous que la
mise en œuvre de la contention physique puisse être une entrave à la relation
soignant - soigné ? Non. Ça c’est curieux
mais, à chaque fois, et dieu sait que ça nous est arrivé souvent que ce soit
moi ou mes collègues, tous ceux qui se sont trouvés confrontés à contenir des
gens, à chaque fois on reprend les choses et le simple fait de dire
« voilà on a été amené à faire ça avec moi parce que vous étiez comme
ceci, parce que vous ne compreniez pas cela », le fait de reprendre les
choses, fait que même si l’acte était au départ un acte conservatoire, devient
un acte de soin. C’est capital de reprendre ce qui s’est passé avec le patient
sans quoi on quitte le domaine du soin et c’est très grave. C’est justement
parce qu’on reprend avec le patient ce qui s’est passé que ça devient un acte
fondateur de tout ce qui vient après ; c’est ce qui justifie tout au moins
à mes yeux le fait qu’on peut se permettre d’utiliser des contentions physiques
avec quelqu’un. Si on reste dans le « non dit », ce ne sera jamais un
acte de soin ; c’est même pire, je crois que là on tombe dans quelque
chose qui tient de la coercition. 6. Avez-vous reçu une
formation spécifique à la mise en œuvre de la contention physique ? Si
oui, quel type de formation ? Si non, pensez vous qu’il soit nécessaire
pour un infirmier de recevoir une telle formation ? Non, je n’ai jamais reçu
de formation spécifique à la mise en œuvre de la contention physique. Est-ce
que c’est nécessaire ? Ce n’est pas ce qu’il y a de plus important.
Introduire dans les cours de l’IFSI une formation sur le sujet de la contention
(quelque soit le mode de contention que l’on va utiliser), ce serait encore une
fois mettre de côté l’aspect humain du travail qu’on effectue c’est-à-dire nier
l’individu, ne pas tenir compte du fait qu’il a une famille, qu’il a un passé,
qu’il a peut être été lui-même confronté à une certaine violence. Comme tu es
infirmier, tout ça c’est ta vie à toi, on n’en parle pas et on va te dire
comment il faut faire avec la contention avec les gens ; ça ce n’est pas
bon. Moi, je préfère que les gens viennent avec ce qu’ils sont, qu’ils restent
des êtres humains mais qu’ils réfléchissent et qu’ils se positionnent. A la
limite, je préfère, et je trouve ça extrêmement respectable, qu’un des mes
collègues vienne me voir en me disant « moi, non, ne me demande jamais
d’attacher quelqu’un », je respecterai son choix et je prendrai d’autre
disposition mais en tout cas, son choix serait respecté. TROISIEME ENTRETIEN Sexe : masculin Ancienneté
dans la fonction : 11 ans Age : 47 ans Ancienneté
dans le service : 11 ans Fonction : infirmier Lieu
d’exercice : secteur fermé Formation initiale : infirmier DE 1. Comment
définissez-vous la contention physique ? (y compris le cadre légal) C’est un acte, qu’on
pourrait dire violent, parce quand on est obligé d’en arriver là, ça se passe
rarement facilement, mais c’est nécessaire. La décision médicale est
le cadre légal ; en urgence, c’est l’infirmier qui prend la décision
d’intervenir et il prévient le médecin, donc la décision médicale est donnée à
effet rétroactif ; malgré tout, jamais personne à présent, heureusement,
n’a remis en cause le fait d’intervenir avant d’avoir l’avis médical, ce qui
est tout à fait logique, car quand on met quelqu’un sous contention, c’est que
réellement il y a un danger pour la structure, pour les patients et pour les
infirmiers. 2. Avez-vous
personnellement déjà eu recours à la contention physique face à un patient
violent ? Si oui, dans quelles circonstances et face à quelle
population ? Oui, j’ai eu à faire
fréquemment de la contention physique, dans des circonstances de violence bien
souvent, chez des gros psychotiques et des gens très délirants, du genre
paranoïaque, quelques fois sur des psychopathes qui jouaient le rapport de
force et pour lequel il était nécessaire d’arriver à la contention. 3. A votre avis, la
contention physique est-elle un acte de soin ou un acte sécuritaire ? Moi je dirais que c’est
un acte de soin ; c’est vrai qu’il est sécuritaire aussi, mais c’est
surtout un acte de soin, car ça permet à la personne de prendre plus conscience
de ses limites, de ce qu’il peut faire et ne pas faire, c’est un mode de
recadrage, c’est l’extrême limite du recadrage. Une fois que le patient
est stabilisé et que le dialogue est à nouveau possible, il faut absolument
reparler avec lui de ce qui s’est passé, parce que c’est nécessaire ; si
l’on met la contention sans expliquer au patient à posteriori pourquoi on a mis
en œuvre cet acte, ça n’a aucun intérêt. Le but ultime de la
contention, c’est que la personne prenne conscience qu’il y a quelque chose qui
a dérapé. 4. Que pensez-vous du
recours à la contention physique face à un patient devenu violent, et quel(s)
sentiment(s) avez-vous éprouvé après avoir effectué cet acte ? Je les ai toujours
effectuées dans des conditions où c’était réellement nécessaire, et je n’ai
jamais vu de contention physique inappropriée, donc c’était une sécurité pour
le patient, pour les autres patients et pour le personnel ; ça m’a
toujours paru nécessaire et jamais abusif. Je n’ai donc jamais eu
de problème de conscience sur le fait de mettre en œuvre une contention
physique, par contre sur la longueur de ce qui lui succède (contention
mécanique et/ou chambre d’isolement) ça ma parfois dérangé ; mais là, ce
n’est plus nous qui sommes maître des évènements, mais le médecin et l’équipe. 5. Pensez-vous que la
mise en œuvre de la contention physique puisse être une entrave à la relation
soignant - soigné ? Non, je n’ai jamais
remarqué que ce soit une entrave à la relation, par contre il faut malgré tout
en parler avec le patient et justifier la contention. Les premier jours les
gens ne reconnaissent peut être pas la faute, mais il n’y a pas de sentiment de
vengeance après avoir été mis sous contention de la part des patients, parce
que justement le fait d’en parler, que la personne nous voit régulièrement,
qu’on puisse en discuter et que ce soit aussi à nous à un moment de défaire les
contentions, toutes ces choses font qu’un lien relationnel s’installe et bien
souvent les personnes assument et acceptent cette contention. D’ailleurs la violence
qu’ont exercé sur moi certains patients, n’a jamais été en rapport avec un
patient à qui j’avais effectué une contention et qui voulait se venger d’avoir
été mis sous contention 6. Avez-vous reçu une
formation spécifique à la mise en œuvre de la contention physique ? Si
oui, quel type de formation ? Si non, pensez vous qu’il soit nécessaire
pour un infirmier de recevoir une telle formation ? Je n’ai pas eu de formation
spécifique à la mise en œuvre de la contention physique et j’ai été formé sur
le « tas ». Pour appréhender
quelqu’un qui est agité, il faut appeler du renfort et tu fais ce que tu
peux ; il n’y a pas d’autre solution, il faut essayer de faire le moins
mal possible à la personne et aussi d’éviter d’avoir mal. Mais une
formation ! Il n’y a pas de recette, ce n’est pas possible à moins d’être
un « roi de l’Aïkido » qui pourrait maîtriser la personne sans lui
faire mal. [1] HO, « Hospitalisation d’office » ; HDT, « Hospitalisation à la demande d’un tiers » [2] B. RIOTON, M-P. PELTIER, S. GUIBERT, « Les accidents du travail du personnel soignant au cours d’interventions violentes avec des patients en milieu psychiatrique », L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE, N° 2, février 1998, pages 153 à 161. [3] Mr PALAZZOLO J, Psychiatre, au Centre hospitalier Sainte-Marie, réseau ERAHSM, Nice [4] Mr PALAZZOLO J, « Contention : état des lieux », revue Santé Mentale, n°86, page 31, mars 2004 [5] Mr FRIARD D, Infirmier de secteur psychiatrique, Rédacteur en chef de la revue Santé mentale, fondateur du site Internet http://www.serpsy.org [6] Mr FRIARD D, « Attacher n’est pas contenir », revue Santé Mentale, n°86, page 16, mars 2004 [7] Mr PANNETIER C, Infirmier diplômé d’état, EPS Perray-Vauclause, Epinay-sur-Orge [8] Mr PANNETIER C, « Flic ou soignant », revue Santé Mentale, n°86, page 52, mars 2004 [9] A N A E S, Agence Nationale d’Accréditation et d’Evaluation en Santé [10] Mr PALAZZOLO J, op.cit [11] Mr PANNETIER C, op.cit [12] Mme CANSOT C, Juriste, conseillère d’insertion et de probation à la maison d’arrêt de Melun [13] Mr MASSEIX F, Formateur-Conseil, Sociologue et enseignant d’arts martiaux traditionnels japonais, 4e Dan de Karaté et Ju-jutsu [14] Mr MASSEIX F, « L’heure du corps à corps », revue Santé Mentale, n°82, page 52, novembre 2003 [15] Mr DUPONT M, Directeur d’hôpital, chargé d’enseignement à l’Université René Descartes Paris V [16] Mr DUPONT M, « Soins sous contrainte en psychiatrie », Paris, Doin Editeurs/Editions Lamarre, page 19, Juin 2004 [17] Mr PANNETIER C, « Flic ou soignant », revue Santé Mentale, n°86, page 52, mars 2004 [18] Mr BEAUMONT L, Infirmier de secteur psychiatrique, Cadre infirmier [19] Mr BEAUMONT L, « Violence et rôle du cadre de santé », mémoire de cadre de santé, pages 4, Lyon 1998 [20] Mr BERGIN S, « Isolement et contentions », Revue Canadienne de psychiatrie, vol.36, pp.752-759, décembre 1991 [21] Mme PERRONO C, « La contention physique contre la violence en psychiatrie », thèse de Docteur en médecine, pages 11, Besançon 1998 [22] Mr BEAUMONT L, op.cit [23] Mr FRIARD D, « Attacher n’est pas contenir », revue Santé Mentale, n°86, page 18, mars 2004 [24] Mr PALAZZOLO J, « Contention : état des lieux », revue Santé Mentale, n°86, page 31, mars 2004 [25] Mr FRIARD D, « Attacher n’est pas contenir », revue Santé Mentale, n°86, page 21, mars 2004 [26] Mr MASSEIX F, « L’heure du corps à corps », revue Santé Mentale, n°82, page 52, novembre 2003 [27] Mr FRIARD D, « De la violence dans les soins », page 10, http://www.serpsy.org [28] Mr FRIARD D, op.cit, 20 [29] Mr PANNETIER C, « Flic ou soignant », revue Santé Mentale, n°86, page 52, mars 2004 [30] Mr BEAUMONT L, « Violence et rôle du cadre de santé », mémoire de cadre de santé, page 4, Lyon 1998 [31] Mr FRIARD D, op.cit, 22 [32] Mr PALAZZOLO J, « Contention : état des lieux », revue Santé Mentale, n°86, page 34, mars 2004 [33] Mr PANNETIER C, « Flic ou soignant », revue Santé Mentale, n°86, page 52, mars 2004 [34] Mr BEAUMONT L, « Violence et rôle du cadre de santé », mémoire de cadre de santé, pages 3-12, Lyon 1998 [35] Mr PANNETIER C, op.cit, 51-52 [36] Mr MASSEIX F, « L’heure du corps à corps », revue Santé Mentale, n°82, page 52, novembre 2003 [37] Encyclopaedia Universalis, version Cédérom n°4, 1998 [38] Mr BEAUMONT L, « Violence et rôle du cadre de santé », mémoire de cadre de santé, pages 12, Lyon 1998 [39] Mrs SENNINGER (J.L), FONTAA (V), Psychopathologie des malades dangereux, Paris : Dunot, 1996, 173 pages. [40] Mme PRIDO HUET C, « Ce qui fait violence en psychiatrie », mémoire de cadre de santé, page 21, Paris 2002 [41] Mr BEAUMONT L, « Violence et rôle du cadre de santé », mémoire de cadre de santé, page 8, Lyon 1998 [42] Mme PRIDO HUET C, op.cit [43] Mr MICHAUD Y, « Violence et politique », Paris : Gallimard, coll. "Les essais", 1978, p.20. [44] Mme PRIDO HUET C, op.cit [45] Mr PALAZZOLO J, « Contention : état des lieux », revue Santé Mentale, n°86, page 34, mars 2004 [46] LAVOINE P.L, « Prédire la dangerosité », VST, N°63, 1999, p. 25-27. [47] Mme PERRONO C, « La contention physique contre la violence en psychiatrie », thèse de Docteur en Médecine, page 44, Besançon 1998 [48] Mme PRIDO HUET C, « Ce qui fait violence en psychiatrie », mémoire de cadre de santé, page 35, Paris 2002 [49] Mr RIOTON B., Mr PELTIER M.P., Mr GUIBERT S, « Les accidents du travail du personnel soignant », l’information psychiatrique, n°2, page 155, Février 1998 [50] Mr RIOTON B., Mr PELTIER M.P., Mr GUIBERT S, « Les accidents du travail du personnel soignant », l’information psychiatrique, n°2, page 155, Février 1998 [51] Ibid [52] Ibid [53] Mr KAY S.R, « Profiles of aggression among psychiatric patients », J.new. Ment. Dis., n° 176, page 539-557, 1988 [54] Mr RIOTON B, Mr PELTIER M.P, Mr GUIBERT S, op.cit [55] Mr NEGLEY E.N, Mr MANLEY J.T, « Environmental interventions in assaultive behavior », J.Gerontol. Nurs., n°16 , pp 29-33, 1990 [56] Ibid [57] Mr HALL E.T, « La dimension cache », Paris, éd. Seuil, 1971 [58] Mr RIOTON B., Mr PELTIER M.P., Mr GUIBERT S, « Les accidents du travail du personnel soignant », l’information psychiatrique, n°2, page 156, Février 1998 [59] Mr PALAZZOLO J, « Contention : état des lieux », revue Santé Mentale, n°86, page 31, mars 2004 [60] Mr PALAZZOLO J, « Contention : état des lieux », revue Santé Mentale, n°86, page 31, mars 2004 [61] Mr BEAUMONT L, « Violence et rôle du cadre de santé », mémoire de cadre de santé, pages 3, Lyon 1998 [62] Mr PANNETIER C, « Flic ou soignant », revue Santé Mentale, n°86, page 51-52, mars 2004 |