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LA PEUR ET LE SOIN EN PSYCHIATRIE


COURTRAY Sophie
Promotion 2001-2004



IFSI CRF Valence CHV

INTRODUCTION AUX SITUATIONS

       

J'ai effectué mon premier stage de psychiatrie au début de ma deuxième année d'infirmière. Celui-ci s'est déroulé au sein d'une unité fermée pour patients psychotiques adultes. Bien que l'équipe ait été très accueillante à mon égard, je suis arrivée dans une période troublée par de gros problèmes administratifs. En effet, l'équipe a effectué cinquante entrées, sorties et mutations en quatre semaines. Mon encadrement s'en est donc ressenti, étant plus ou moins livrée à moi-même. De plus, j'étais handicapée par mon ignorance des pathologies psychotiques, n'ayant alors étudié que les névroses ainsi que le début des psychoses infantiles. Malgré des demandes d'explications à l'équipe infirmière, je n'ai pu me faire une représentation globale de chaque pathologie puisque l'on me répondait seulement - qu'il s'agisse d'une schizophrénie, d'une psychose maniaco-dépressive ou d'une paranoïa - que le patient était en rupture avec la réalité. Ce manque a donc rendu difficile la mise en lien de mes débuts de connaissances en matière de psychiatrie avec ma pratique. Par conséquent, j'ai eu du mal à comprendre la nature du soin infirmier ainsi que ses modalités de mise en place. On se rendra compte, à travers mes situations, que je me suis alors retrouvée en contradiction avec ma motivation d'avoir une attitude soignante, de rester soignante, en dépit des événements. C'est sur ces incompréhensions, sur ces manques de liens et sur cette difficulté à rester soignante que j'ai voulu travailler à travers ce mémoire.




I        Questionnement de départ
I.1        Situation n°1: M.A
I.1.1        Description

        M.A, 33ans, hospitalisé en HO (hospitalisation d'office),d'origine maghrébine est atteint de schizophrénie. Il est placé dans l'unité d'entrée fermée où j'effectue mon stage, avec cependant des permissions l'autorisant à se rendre en ville deux fois par semaine. L'équipe le connaît bien, en effet cela fait dix-huit ans qu'elle le suit par périodes. Les infirmiers m'ont prévenue qu'il fallait que je m'en méfie. Il a en général une attitude solitaire et impulsive. Par exemple, il m'est arrivé de le croiser lorsqu'il arpentait le couloir des chambres en marmonnant des menaces du type: "le premier que je croise, je lui pète la gueule …". Ou encore, de le voir sortir violemment des toilettes en frappant la porte et en hurlant: "ça suffit maintenant!", peut-être sous l'emprise d'un délire? Je redoute donc ses mouvements violents, et son regard, que je trouve sombre et menaçant, m'impressionne beaucoup.
        Un jour, alors que nous nous rendions en salle de pause avec l'équipe, un patient a demandé une aide quelconque et les autres membres de l'équipe m'ont laissée seule. Je me trouvais debout, au fond de la salle, la porte ouverte. M.A entre, silencieux. Je ressens alors à nouveau ce sentiment de crainte à son égard. Partagée entre l'envie de lui demander de sortir et la crainte de générer un conflit à ce sujet, je le laisse entrer sans rien dire, pensant qu'il ressortira peut-être de lui-même. Je sais pourtant que les patients n'entrent jamais dans cette salle, sauf pour sortir dans le parc pendant que l'équipe est en pause et les y autorise. Il s'approche d'une commode près de la porte sur laquelle est posée une bouilloire. Il la prend dans ses mains, la secoue violemment en parlant de plus en plus fort, jusqu'à hurler ces paroles: "Toi j'vais t'casser la gueule à ta mère!!". Prenant cette menace pour moi et me sentant en danger, je porte aussitôt la main à mon bip, prête à appeler de l'aide. M.A se tourne alors vers moi, sourit et me dis calmement: "Non, je plaisante!". Encore sous le choc, je vois un autre patient que je redoute entrer à son tour. J'avance alors vers eux et leur demande de sortir, leur disant que ce lieu n'est pas destiné aux patients. Ils sortent alors calmement. Bien que je sois restée calme et immobile avec M.A, j'ai ressenti de la peur mêlée à une certaine impuissance face à ce patient que je ne savais pas contenir. J'ai réalisé que, si la situation avait été plus grave qu'une simple provocation, j'aurais pu être réellement en danger.


I.1.2        Analyse

        Tout d'abord, cette scène prend place dans un cadre précis: la salle de pause du personnel. Celle-ci représente un lieu réservé aux soignants. Elle est vouée à la détente et les différents membres du personnel y parlent de leur vie privée mais aussi des patients. Cela exclut donc la venue de ceux-ci, qui n'ont pas à savoir ce qui s'y passe ni ce qui s'y dit. Ainsi, en y laissant entrer ce patient        , je lui ai fait transgresser un interdit posé par l'équipe. De fait, je suis en contradiction avec les règles qu'il connaît, le cadre qui le rassure. Implicitement, je l'autorise donc au passage à l'acte.
On repère ensuite un premier protagoniste: l'élève infirmière. Je suis isolée du reste de l'équipe et je n'ai pas connaissance du fonctionnement des pathologies des patients de l'unité dans laquelle je me trouve. Je crains d'autant plus les patients déclarés dangereux du fait que je ne les comprends pas. De plus, n'ayant pas élaboré de réflexion personnelle vis-à-vis de ce patient et du sens de son comportement, je ne sais quelle ligne de conduite adopter. Je me comporte maladroitement, accentuant probablement plus son angoisse que je ne la contiens.
        Un second protagoniste entre en scène. Il s'agit d'un patient au comportement violent qui m'impressionne. Il a certainement perçu que je suis jeune, inexpérimentée et manque de confiance en moi. On peut alors imaginer qu'il a cherché à me tester en pénétrant dans la salle de pause, transgressant ainsi le cadre imposé. Voyant que je le laisse faire, il va plus loin et me provoque violemment. Par chance, il ne passe pas à l'acte. Peut-être a-t-il simplement voulu que je repose le cadre?
        Cette situation se termine cependant bien. En effet, lorsqu'un autre patient que je redoute est prêt à entrer, je crains une récidive de la scène. Ayant pris conscience de l'importance du cadre, je leur demande à tous deux de le respecter en quittant la pièce.


I.1.3        Questionnement

On peut se demander ce qui m'a manqué, à ce moment-là, pour réagir de manière adéquate. Etait-ce mon manque de connaissance des pathologies? Si ce facteur tient certainement une place importante dans la situation, je savais que les patients ne devaient pas entrer dans la salle de pause et aurais donc pu réagir à l'entrée de M.A. Peut-être est-ce ma peur de ce patient qui m'a empêchée de réfléchir à ce qui se passait? Il est vrai qu'elle a influencé mon manque de réaction. Mais on se rend compte que cette peur est surtout due à une incompréhension du comportement de M.A. Mais qu'aurais-je dû comprendre? La compréhension de ses actes m'aurait-elle alors suffit pour ne plus craindre son caractère violent?
I.2        Situation n°2: M.F
I.2.1        Description

        M.F, 45 ans, est un patient qui vient tout juste d'être hospitalisé en HO dans l'unité d'entrée fermée où j'effectue mon stage. Il est bien connu de l'équipe, y ayant déjà effectué plusieurs séjours. Il est connu comme étant paranoïaque, et m'est présenté comme dangereux et très manipulateur. Le voyant toujours aimable, poli, soigneux de son apparence et parlant avec nous avec facilité, j'ai plutôt un bon a priori à son égard et ne comprends pas ce qu'il fait là.
        Le médecin qui le suit lui autorise un temps de sortie quotidienne, accompagné, dans le parc. Cependant, l'équipe étant très occupée à cette période par des problèmes d'ordre administratif, il n'est pas possible de l'accompagner. Malgré les explications de l'équipe à cet égard, M.F ne comprend pas qu'il ne puisse pas sortir, trouve cela inadmissible et m'en fait notamment part.
        A l'heure du repas, tous les patients s'étant déjà rendus au réfectoire, je me dirige vers la chambre d'une patiente grabataire au bout de l'unité, dans un couloir isolé. Je croise alors M.F qui s'excuse de m'avoir gênée en parlant fort un peu plus tôt. Je lui explique calmement que le problème n'était pas le fait qu'il ait parlé fort, mais bien le conflit entre lui et l'équipe au sujet de ses sorties. Il s'énerve alors et me répond qu'il s'agit d'une prescription médicale, que le médecin lui a dit qu'il n'en avait "rien à foutre" de nos problèmes et qu'il devait sortir. Sans cela, il ne voyait pas ce qu'il venait faire ici. Face à ces paroles, je ressens un sentiment de malaise et d'insécurité, ayant généré une agressivité que je ne sais pas gérer. De plus, je réalise que je suis seule et isolée et que notre discussion tourne en rond et s'envenime. Je réussis alors à me détacher et lui rappelle qu'il devrait déjà être à table. Je m'éloigne, soulagée qu'il ne se soit rien passé de plus.
        Plus tard, au repas, il reste le dernier avec un autre patient dont il est proche et avec qui il se moque d'autres patients, s'amuse à les provoquer et à les pousser à bout. Alors que nous en sommes à ranger et nettoyer le réfectoire, il fait traîner, probablement délibérément, le repas et redemande du pain alors qui lui en restent. Je lui réponds que je lui en donnerai lorsqu'il aura mangé les tranches qu'il lui reste. Mais il critique ce raisonnement, me disant que de toute manière il m'en redemandera après, alors à quoi bon? L'autre patient le soutient. Rien de ce que je peux dire n'a d'effet sur lui et il en fait une histoire phénoménale. L'aide-soignante qui est avec moi me conseille: "donne lui son pain, qu'il arrête son manège", ce que je fais. Elle me dit tout bas: "ce genre d'attitude m'énerve! Ils font exprès de nous provoquer tous les deux, ils se fichent de nous…". M.F et l'autre patient finissent par sortir après avoir pris tout leur temps.


I.2.2        Analyse

        Cette situation a pour cadre un couloir isolé se situant à l'opposé du réfectoire où patients et soignants sont réunis. Ce contexte contribue à me rendre vulnérable.
        Lorsque M.F entre en scène, il bénéficie d'un avantage sur moi: il a su s'attirer ma confiance en se montrant toujours calme et aimable, peut-être dans un processus de séduction visant à endormir ma confiance? D'ailleurs, Il me présente poliment ses excuses à propos d'un emportement qu'il a eu précédemment. En ce sens je me suis sentie "manipulée" par lui, n'ayant jamais perçu de signes pathologiques chez lui auparavant.
        Mais cette fois, je me rends compte que M.F essaie de détourner la situation à son avantage et lui montre que je ne suis symboliquement du côté de l'équipe. Seulement, mon ignorance de la psychose paranoïaque me met dans une impasse: non seulement je génère une agressivité que je ne sais pas gérer, mais en plus j'entre dans le jeu du patient. En effet, s'établit entre nous une relation duelle basée sur la loi du plus fort, c'est ce qui bloque la communication et entraîne chez moi cette impression de "tourner en rond". C'est le même phénomène qui se reproduit à table lorsque M.F demande du pain. En refusant catégoriquement de lui donner ce qu'il me demande, je me mets dans une situation de toute puissance, générant alors chez lui une agressivité. Je n'ai pas compris que ma réaction, qui aurait pu avoir une valeur face à une personne normale, n'avait aucun sens face à lui. Ma tentative d'imposer une règle - qui paraît, avec du recul, bien dérisoire et proche du ridicule - étant vécue comme une agression, comme l'instauration d'un rapport de force. De fait, je ressens une impuissance et je ne sais ni comment réagir, ni dans quel but le faire.

I.2.3        Questionnement

Ce que cette situation apporte de nouveau c'est mon incapacité à saisir le sens de ce qui se joue et, donc, la ligne de conduite à adopter, c'est-à-dire la priorité du moment. Qu'aurais-je du faire: poser des règles fermes face au patient? Discuter avec lui? Mettre fin à la discussion, comme je l'ai fait, afin de rompre le cercle vicieux dans lequel je me trouvais? Mais pouvais-je me protéger sans me mettre dans une position d'infériorité vis-à-vis du patient ni entrer dans un rapport de force avec lui? Comment dépasser la relation duelle afin de communiquer avec un tel patient? Par ailleurs, comment juger l'attitude de l'aide soignante: ignorer la volonté de toute puissance du patient est-il un moyen de le calmer où est-ce accepter de se faire manipuler par lui?



I.3        Question de départ

        Mes interrogations au regard de ces deux situations se regroupent principalement autour de la difficulté d'entrer en communication avec un patient psychotique au comportement violent que l'on ne comprend pas. Ainsi, si la peur se manifeste chez le soignant et que le patient la ressent, comment maintenir une attitude soignante? Cela m'amène donc à poser la question de départ suivante:
En psychiatrie, comment le soignant peut-il établir une relation de soin avec un patient psychotique au comportement violent malgré la peur que celui-ci peut lui faire ressentir?




II        Cadre conceptuel
II.1        Que recouvre la peur du soignant en psychiatrie?

        Il me semble tout d'abord important de signaler que les recherches sur ce thème précis sont difficiles à effectuer. En effet, bien qu'ayant consulté de très nombreux ouvrages, magazines et sites Internet, je n'ai trouvé qu'un seul dossier traitant le sujet. De plus, cet article date de 1988! Que peut-on en conclure: que les soignants exerçant en psychiatrie n'ont pas de motif de craindre les patients? Cela semble peu probable. Que ce thème n'a pas d'intérêt à être traité? Cela serait également étonnant, à l'heure où l'on parle tant du stress au travail et de l'épuisement professionnel. Une explication plausible serait alors que ce sujet serait si gênant à aborder que personne n'oserait le faire. Ainsi, de même qu'on aurait du mal à communiquer au public un dégoût des soignants face à certains patients très dégradés ou une maltraitance envers des malades dits difficiles, on ne pourrait présenter une image de professionnels travaillant en psychiatrie pouvant être fragilisés, voire dépassés, par des malades mentaux. Car alors, comment pourraient-ils garantir la sécurité de la société face à ces personnes atteintes de pathologies qui sont source de tant de fantasmes? A priori, on peut donc parler de sujet tabou.


        Afin de mieux comprendre comment fonctionne la peur liée au malade mental, attachons-nous d'abord à définir la peur elle-même. Le philosophe André Comte-Sponville en parle comme d'une "émotion qui naît en nous à la perception, ou même à l'imagination, d'un danger. Se distingue de l'angoisse par l'aspect déterminé de ce dernier." COMTE-SPONVILLE André, Dictionnaire philosophique, Puf, Paris, novembre 2001, p.440 Une différence est ici établie entre l'angoisse qui survient sans raison objective et la peur qui, même si elle est disproportionnée ou injustifiée, est ressentie à partir d'un fait réel. On peut compléter cette définition en ajoutant que la peur peut toutefois s'accompagner d'une appréhension concernant de potentielles récidives de la situation qui l'a suscitée.
        Maintenant que nous avons défini la peur, nous allons tenter de voir en quoi elle peut intervenir dans la vision du malade mental. Ce que l'on peut dire en premier lieu, c'est que le "fou", comme on l'appelle communément, évoque une image pour le moins fantasmatique. Ainsi, l'ouvrage "Légendes urbaines", qui répertorie les mythes de nos sociétés actuelles, en est le témoin. On y constate en effet que
"de l'assassin psychopathe qui dévore ses victimes au maniaque des villes qui commet la nuit des méfaits au hasard et sans motif, les récits extravagants foisonnent, où la folie provoque les pires horreurs ou engloutit sans prévenir le plus tranquille quidam." Education Vie et Santé, février 1995, n°1210, p.30-31 On se rend compte que la maladie mentale est bien mal connue du grand public pour susciter chez lui de telles représentations. En effet, rien de commun ici avec le ralentissement psychomoteur du dépressif, la crise d'angoisse et les hallucinations du schizophrène ou encore les rituels de la névrose obsessionnelle. Un éventail de pathologies, pourtant très vaste et comportant des niveaux de gravité très variables, est ici résumé à un déchaînement d'actions morbides qui tient plus du film d'horreur que de la réalité.
        Plus sérieusement, une enquête a été menée par le Syndicat interhospitalier de la Communication externe des Hôpitaux spécialisés de Paris, entre 1992 et 1993 afin de cerner les images du public sur les affections mentales. Cette enquête nous révèle que, pour 28% des personnes interrogées, elles sont inexpliquées, héréditaires pour 24 %. On s'aperçoit que la population reste incertaine quant à leurs causes profondes, telles que les différents courants de pensée en psychiatrie nous les exposent. Cela laisse, en quelque sorte, un part de mystère. Ensuite, pour 32% elles évoquent la peur et 35% jugent les malades mentaux dangereux. Mais comment ne pas avoir peur de ce qui nous semble mystérieux et qu'aucune connaissance sérieuse ne vient éclairer? Enfin, 19% perçoivent la folie comme un tabou et avouent qu'
"il est plus difficile d'en parler que du cancer ou du sida." IDEM, p.30 Ce dernier constat reste dans la logique, car la gêne est naturelle puisque l'image de la folie est vague et menaçante, plus que celle des autres pathologies évoquées qui sont plus concrètes et actuellement très médiatisées quant à leurs causes, leur développement et leur mode de traitement.
        On peut également penser que l'évocation de la maladie mentale est d'autant plus difficile qu'elle semble, pour le grand public, frapper au hasard et pourrait donc bien nous concerner personnellement un jour. On voit cela, dans un contexte un peu différent, avec la maladie d'Alzeihmer dans laquelle l'oubli de ses souvenirs et des gestes quotidiens, nous effraie par la déchéance qu'il induit, d'autant plus qu'il n'existe pas de traitement curatif.

        Mais si la peur de la société envers les pathologies d'ordre psychiatrique est induite par leur méconnaissance, on peut penser que celle ressentie par des professionnels doit être autre. En effet, ceux-ci ont accès tant à la théorie concernant les pathologies, qu'à l'approche concrète et quotidienne des malades mentaux. Sur quoi repose alors la peur chez les soignants? C'est à cette question qu'à tenté de répondre l'article intitulé "Peur, moi jamais! La peur vécue par les soignants" paru dans le Soin psychiatrie n°92-93. On y expose différentes natures de peur présentes chez les soignants travaillant en psychiatrie.
        Premièrement, sont décrites les peurs ayant traits aux situations de crises:
-        "Peur d'être agressé physiquement, de la violence, certes, peur des coups, du corps à corps, mais aussi peur d'être l'objet de sentiments érotiques hétéro ou homosexuels et des conséquences."
-        "Peur de ce que l'on peut induire chez les patients, des passages à l'acte, des suicides."
-        "Peur d'être incapable, insuffisant, de ne pas être à la hauteur, de mal faire, de ne pas savoir se maîtriser, se contrôler physiquement, "de lui rentrer dans le lard"."       
Pour résumer, on peut dire que ces peurs concernent soit le comportement du patient avec sa dose d'imprévisibilité, la difficulté à l'appréhender et donc à anticiper ses réactions; soit le comportement du soignant, qui doit s'adapter sans cesse aux différents patients - eux-mêmes influencés par les circonstances changeantes de leur vie quotidienne - avec la possibilité de se tromper. Ces peurs semblent toutefois positives dans le sens où elles permettent au soignant de prendre un certain recul et de ne pas agir sans réfléchir aux conséquences de ses actes.
        Deuxièmement, est décrite une autre sorte de peur, chronique cette fois-ci, "permanente, insidieuse devant certains patients, dont "on se méfie"." Soins psychiatrie, n°92-93, juin-juillet 1988, p.26 Deux hypothèses face à cette dernière: soit elle est apparentée à l'angoisse en ce qu'elle ne semble pas s'enraciner dans un fait réel; soit elle est la conséquence d'expériences négatives du soignant en lien avec certains patients. Dans tous les cas, cette peur paraît freiner la relation avec le soigné. En effet, où est la place possible pour l'accueil, la communication et le soin, si le soignant enferme le patient dans une image menaçante qui le dépasse?


        Cette réflexion sur la peur de la pathologie mentale nous a montré un point essentiel: là où il y a méconnaissance, incompréhension, perte de sens de ce qui est perçu d'un comportement violent, la peur apparaît. Dès lors, on est tenté de ne voir qu'un déchargement pulsionnel qui vise à faire du mal, et peut-être même à nous faire du mal. Cette insécurité n'empêche-t-elle alors pas de rester soignant? Mais ce qui peut être pris pour un simple rapport de force ne signifie-t-il pas autre chose? Quelque chose de plus impliquant pour celui qui montre un tel comportement violent?



II.2        Comment comprendre un comportement violent chez un patient psychotique?

        Dans une optique de compréhension de la violence chez un patient psychotique, nous allons d'abord définir ce qui doit être entendu sous le terme de violence. Elle est à considérer comme "une force, […] une puissance naturelle dont l'exercice contre quelque chose ou contre quelqu'un fait le caractère violent" Santé mentale, novembre 2003, n°82, Acte Presse, p.26. Le dossier "la violence en psychiatrie", paru dans le n°82 de Santé mentale, en établit la classification suivante:
en service, les violences verbales sont […] désignées comme étant les plus fréquentes, les physiques comme les plus graves, bien que décrites comme moins fréquentes que le vécu d'insécurité qu'elles génèrent pourrait le laisser penser. La violence psychologique est, quant à elle, décrite comme la plus épuisante. Santé mentale n°82, OP-CIT, p.21


        Mais les situations de violence peuvent être différenciées autrement que par leur nature. On constatera ainsi que, bien qu'on les retrouve dans la majorité des pathologies mentales, leur cause de survenue ainsi que leurs manifestations varient d'une pathologie à l'autre. Ainsi, ce même dossier nous explique que, dans le cadre d'une schizophrénie,
"le sujet est plongé dans une expérience prégnante où l'angoisse déterminée par le bouleversement de ses rapports au monde, alimente l'agitation comme le vécu délirant. Les hallucinations auditives et les ordres envoyés par des voix menaçantes déterminent parfois des passages à l'acte extrêmement violents."2
Santé mentale n°82, OP-CIT, p.30Différemment, chez un psychotique maniaco-dépressif, "l'agitation maniaque est caractérisée par l'euphorie, le sentiment de bien-être ou de toute puissance qui anime le patient. […] Mais sa jovialité se mue souvent en agressivité devant les limites imposées." De manière encore différente chez le psychopathe, "l'agitation peut-être déterminée par de nombreux facteurs: à l'angoisse réelle s'ajoutent des manifestations agressives liées à l'intolérance à la frustration."
Ainsi, qu'elle soit liée à un automatisme mental, à un sentiment de toute puissance ou encore à une angoisse profonde, la violence prend des allures variées. D'où l'intérêt de connaître la pathologie dont est atteint le sujet violent, ainsi que ses fonctionnements personnels, afin de comprendre ce qui se joue et de pouvoir donner du sens à son comportement.

        Mais quel sens lui donner? Est-il en effet possible de déceler une "cause mère", universelle, à ces comportements violents, ou leurs étiologies sont-elles aussi variées que le nombre de patients concernés? En restant général, il semble d'abord envisageable de considérer la violence comme une forme de langage, cependant maladroit et inadapté, car inacceptable au sein d'une société. Elle naîtrait alors d'une difficulté à communiquer en respectant la loi symbolique (cette notion sera explicitée dans le concept suivant), celle-ci permettant d'ordinaire les échanges réglementaires entre les êtres humains. Par là, on peut même aller plus loin et considérer que "le passage à l'acte est un point d'appel désespéré du sujet (c'est même le seul) en quête de reconnaissance d'accession au monde des échanges symboliques, auquel il ne se sent pas rattaché."3
Soins savoir et pratiques infirmière psychiatrie, octobre 1994, n°168, Interéditions, p.18Plus que d'une difficulté à communiquer, on fait alors état d'une totale rupture avec la réalité telle que la normalité la conçoit, ceci entraînant une grande souffrance chez le patient. Ce dernier n'aurait donc pas accès au symbolisme, qui peut être défini comme un
"mode de représentation qui se distingue principalement par la constance du rapport entre le symbole et le symbolisé inconscient, une telle constance se retrouvant non seulement chez le même individu et d'un individu à l'autre, mais dans les domaines les plus divers […] et les aires culturelles les plus éloignées les unes des autres."4 LAPLANCHE J. et PONTALIS J-B, Vocabulaire de la psychanalyse, Puf, Paris, 1967, p.476       

        On découvre alors une nouvelle facette de la violence qui constituerait, sous une apparence destructrice et contraire à la création de toute relation humaine, un réel espoir pour le sujet concerné en ce qu'elle tente de le raccrocher à sa propre existence. Ainsi,
"elle permet d'éviter l'effondrement de celui qui n'a pas d'autre recours que cette externalisation d'une conflictualité psychique inélaborable en l'état. Elle détourne la souffrance du déprimé qui se remplit et se cache derrière ce leurre explosif qui l'empêche de se trouver, tout en lui permettant de ne pas se perdre. Elle prolonge le scénario fantasmatique du délirant par le biais de la projection en éloignant la menace interne d'un Moi bien peu contenant."5 Santé mentale n°82, OP-CIT, p.24
Elle apparaît donc comme une réelle béquille à un certain maintient de l'équilibre psychique, voir une tentative de se raccrocher à la réalité par un biais différent du sujet sain ayant, lui, accès au mode de pensée symbolique. On peut ici établir un parallèle avec d'autres types de fonctionnement présents chez les psychotiques et ayant ce même but. Ainsi, à travers ses hallucinations, le schizophrène perçoit un morceau de réalité qui s'impose à lui puisqu'il ne pouvait en prendre conscience seul. De même, l'autiste cherche, par ses stéréotypies, à éveiller en lui des sensations qui le raccrochent au monde qui l'entoure. On imagine donc la force avec laquelle le patient doit être attaché à ce mode d'expression et donc la difficulté pour nous, soignants, de lui en proposer un autre, nous semblant plus adapté à la société.


        Que de complexité dans la compréhension de la violence! En effet, prenant de multiples formes en fonction du sujet, de sa pathologie, de son histoire personnelle et des circonstances, elle semble habitée par un curieux paradoxe: bien qu'elle représente un moyen d'évacuer les tensions psychiques résultant d'une incapacité à avoir accès à la communication, elle est facilement perçue comme un obstacle à celle-ci. De fait, que de méprises possibles! Cet appel à l'aide d'une personne qui souffre prend alors pour son interlocuteur - ici le soignant - une allure d'agression, de danger imminent pouvant entraîner chez lui un sentiment de peur et un repli, là où le patient recherche une écoute et une possibilité de dialogue. Par conséquent, la connaissance de ce fonctionnement, déroutant de prime abord, permet de déceler autre chose qu'un passage à l'acte vide de sens et d'entrevoir un espace de soin possible.







II.3        Comment se décaler d'un comportement violent chez un patient psychotique afin d'établir une communication?

        A travers les réflexions précédentes, nous avons constaté qu'une conduite violente peut cacher deux sources d'obstacles possibles à la communication. Ainsi, si le patient emploie un mode d'expression mal construit et inacceptable, le soignant peut aussi se tromper dans l'interprétation du sens profond de celui-ci et masquer son incompréhension derrière une peur envers le patient. Dans une telle situation, il paraît donc essentiel de restaurer une communication, centrée sur les besoins réels du patient. Pour ce faire, il est primordial que le soignant dédramatise son ressenti. Roustang va dans ce sens lorsqu'il dit aux soignants que "pour être sûr que nous avons perçu sa peur, le patient veut vous la faire ressentir à votre tour. […] Ce qu'il vous faut subtilement réussir, c'est accepter d'éprouver la peur comme personne et à vous en distancier grâce à la fonction." ROUSTANG F.," Dans certains cas", Etudes freudiennes, n°30 La peur est ici perçue comme un signe d'alerte positif dans le sens où elle permet de percevoir un besoin derrière un agir violent. L'auteur va même plus loin en nous signifiant que le ressenti de peur, d'angoisse, face à un patient est un indicateur de ce que vit ce dernier. Et si la peur demeure dans un certain degré d'atteinte de la sensibilité du soignant elle n'est donc plus un obstacle à la relation mais une possibilité de la nouer.


        Cependant, il est difficile d'entrer en relation avec une personne qui nous aborde sur un mode violent. En effet, outre une première réaction possible de crainte, la violence engendre d'autres mécanismes chez celui qui la reçoit. Ainsi, le dossier sur la violence en psychiatrie, paru dans le n°82 de Santé mentale
Santé mentale, novembre 2003, n°82, Acte presse, p.57 à 58, nous énumère différents types de réactions psychiques qui peuvent surgir. Il paraît intéressant d'en prendre connaissance afin de pouvoir les reconnaître et ainsi mieux les contourner. Cependant, l'article en question est assez long et fait parfois appel à des concepts théoriques très complexes. Je choisis donc de ne présenter que les grandes lignes relatives aux différents phénomènes évoqués, étayées de quelques extraits.
        Premier phénomène, la réaction
"en miroir" face à la violence. Ne prenant pas de recul vis-à-vis du comportement violent du patient, le soignant se sent agressé et agresse le patient en retour. Cette agression peut prendre la forme de "colère, injonctions fermes, appel de renforts". Comme il adopte le registre de communication impropre du patient, il le cautionne et n'assainit en rien leur relation.
        Deuxième phénomène: l'acte appelle l'acte. Pris dans ce jeu de dualité, les protagonistes se répondent sans cesse, accroissant la tension qui existe entre eux.
        Troisième phénomène: l'installation de la loi du plus fort. Le psychotique n'a pas su dépasser le stade de la relation symbiotique, exclusive, à l'autre. Il se veut tout-puissant face à lui. Alors, si le soignant vient s'opposer à lui, en perdant son rôle de tiers symbolique (cette notion sera développée dans la suite du concept) qui aurait pu ouvrir la relation, s'installe cette loi du plus fort. Le soignant est alors complètement entré dans le fonctionnement duel que le patient cherchait précisément à établir.
"Tout cela aboutit à une discussion impossible. Chacun cherche en effet alors plus à convaincre l'autre de la légitimité de son propos qu'à le "rencontrer" dans ce qu'il a à dire". C'est un processus destructeur qui ferme la relation, entraînant une montée de la tension entre les deux protagonistes.
        Quatrième phénomène: la distorsion de la temporalité. Ici
, "le présent est surinvesti […]. Nous sommes dans le "tout, tout de suite"; l'attente équivalent au frustrant rappel du principe de réalité". Nous y retrouvons une des caractéristiques de la psychose qui est l'intolérance à la frustration, l'impossibilité de reporter le désir. Avec ce mécanisme, on constate que le patient entraîne une fois de plus le soignant dans son jeu. En effet, un soignant pris dans ce phénomène n'arrive plus à se distancier de ce qu'il attend du patient sur le moment, comme de se calmer, de respecter un règlement, de respecter l'autre. Une fausse priorité est investie, ce qui envenime le conflit au lieu de le dénouer.
        Cinquième phénomène: la perte de la fonction de soignant. Celui-ci a perdu ses capacités de distanciation, d'écoute du patient, d'analyse, campé qu'il est sur ses positions. Il n'a donc plus aucune fonction thérapeutique.
        Sixième et dernier phénomène: l'attaque des capacités de pensée. Piégé dans un engrenage sans issue, le soignant perd pied et ne sait plus comment réagir de manière adéquate. On peut parler de
"gel de la pensée".
        Voilà donc différents pièges dans lesquels peut tomber le soignant s'il ne prend pas suffisamment de recul et se laisse emporter par des réflexes instinctifs. Un conflit avec un psychotique est une situation particulière dans laquelle le soignant doit rester vigilant en analysant tant ce qui fait l'agir violent que ce qu'il choisit de mettre en place pour le dénouer. Connaître les différentes réactions naturelles face à la violence doit pouvoir lui permettre de s'en dégager et d'envisager d'autres conduites, plus adaptées à la situation.

        Ainsi, afin de permettre au patient psychotique de se dégager de sa conduite violente, le soignant doit veiller à ne pas entrer dans son fonctionnement. En revanche, une attitude d'accueil de ce qu'il exprime, même mal car agressivement, une empathie envers la souffrance qu'il montre permettent d'instaurer une certaine contenance. Cette dernière consiste pour le soignant à recevoir la violence, l'angoisse, et à les reformuler, les mettre en mots, afin de les renvoyer au patient sous une forme qui lui soit acceptable. Se sentant ainsi entendu et compris, celui-ci sera plus apte à entamer un dialogue.
        On l'a donc vu, dans ces circonstances, l'écoute du patient et l'aide à la verbalisation de son ressenti restent des soins de base. Mais le travail du soignant va bien au-delà. Il consiste également à l'accompagner dans la recherche d'un sens à donner à son comportement violent en l'aidant à pointer l'origine de sa souffrance, à démêler ses sentiments et enfin à établir les liens manquants dans son esprit entre ces composantes. Ainsi, la déliaison qui angoissait le patient et avait provoqué sa violence est remplacée par la pensée. Cela lui permet de se raccrocher à la réalité de manière rassurante, c'est-à-dire autrement qu'à travers une altercation qui n'était qu'une confrontation et non une rencontre de l'autre.

        Parallèlement à ce travail de mise en lien, le soignant est aussi garant de l'accès du patient à la loi symbolique. Avant d'aller plus loin, attachons nous à comprendre ce qu'est cette loi. Elle tire son origine dans le complexe oedipien. En effet, à ce stade de son développement, l'enfant est animé par un sentiment amoureux ambigu envers son parent de sexe opposé et entre donc en conflit avec son parent de même sexe. Mais celui-ci est porteur de l'interdiction d'un tel rapport entre l'enfant et son conjoint, le limitant ainsi au rapport de filiation existant. Cet interdit de l'inceste est désigné sous le terme de "Nom du Père" et engendre l'instauration de la loi symbolique. Celle-ci écarte l'enfant de la relation symbiotique à laquelle il aspire par le fait-même de l'existence d'un tiers symbolisé dans cette relation. Cette limite est imposée à l'enfant par la culture et ne lui est donc en rien naturelle. En cela, elle rentre dans le domaine du symbolisme, c'est-à-dire des lois abstraites qui régissent les conduites humaines et qui nous permettent de nous comprendre en parlant le même langage et, donc, de vivre en communauté. Elle est frustrante mais humanisante. Si cette notion n'est pas intégrée, la personne demeure dans un mode de relation duel et n'a pas accès au principe de réalité. On parlera alors de forclusion, qui est le point d'ancrage des pathologies psychotiques.
        Concrètement, comment retraduire ce phénomène en service, face à un patient psychotique qui tente d'instaurer, dans un moment de violence, une relation duelle avec un soignant? L'essentiel est d'éviter l'installation de ce mode de relation. Cela devient possible à travers l'introduction dans la relation d'un tiers symbolique qui peut être la loi, le règlement de l'institution ou encore les directives du médecin qui suit le patient. Ce tiers est alors invoqué dans le but de poser des limites au comportement du patient, à ses demandes, par exemple. Le soignant devant se présenter comme respectant lui-même les règles qu'il apporte, puisqu'elles les régissent tous deux, au même titre que le reste des patients et du personnel qui les entourent, de manière universelle en somme. Une fois ce cadre posé, pourra s'instaurer un espace relationnel où le dialogue sera possible. Le patient pourra alors exprimer son ressenti profond, rencontrer l'empathie du soignant et élaborer une réflexion sur la situation présente de manière acceptable. Il semble important de justifier l'intérêt des règles évoquées et de laisser entrevoir des possibilités de les modifier, quand les circonstances le nécessitent et le permettent, afin de ne pas donner l'image d'un cadre immuable, en perte de sens. D'autre part, une erreur consisterait en ce que le soignant s'approprie la notion de loi, se présente lui-même comme cadre pour le psychotique. En effet, cela reviendrait à mettre en place la relation duelle, basée sur la loi du plus fort, que l'on cherche justement à éviter.
        Toutefois, selon l'état d'agitation du patient et son niveau de violence, il se peut que tout ce travail ne soit pas à sa portée sur le moment. Dans ces circonstances, les soins techniques tels que la contention physique, l'administration d'un traitement neuroleptique d'urgence ou la mise en chambre d'isolement, trouvent leur justification et leur intérêt. Il faut cependant garder à l'esprit que la violence
"est avant tout une affaire de contenance avant d'être une question de contention. La contention […] ne l'aidera qu'en la potentialisant ou en palliant ses défaillances. Elle sera là quand plus rien d'autre ne sera possible, pour justement permettre qu'autre chose devienne concevable." IDEM, p.25 Ainsi, si elle ne permet pas d'apaiser directement le mental du patient, la contention physique permet en revanche de limiter son agir violent, dans le but de le protéger, lui et/ou son entourage. C'est une réponse immédiate à une situation de crise mais qui doit être suivie du travail de verbalisation et de mise en lien quand l'état du patient le permettra.


        On constate donc qu'un soignant ne peut se contenter de réagir selon ses pulsions premières. En effet, nous avons affaire ici à une situation pathologique qui ne peut se résoudre sans une certaine réflexion. Le piège serait que le soignant se laisse emporter par les fonctionnements archaïques que déploie le psychotique et qui font appel à des réflexes dont tout être humain, même exempt de pathologie mentale, a la trace au fond de lui. Il lui est donc nécessaire de prendre de la distance afin d'analyser ce qui se joue. Cette distanciation est rendue possible par la connaissance de ses propres réactions face à la violence, la recherche de liens dans ce qu'exprime le patient, et l'introduction d'un tiers symbolique qui ouvre la relation. Ainsi, le soignant place le patient au cœur du soin et le resitue dans la réalité avec laquelle il était en rupture.




III        La recherche sur le terrain
III.1        Exploitation des entretiens

Afin de confronter mon travail de recherche théorique à l'expérience des soignants étant au contact quotidien de psychotiques, j'ai réalisé des entretiens (annexes n°1 et n°2). Cet outil me paraissait être le plus approprié dans la mesure où il permet de laisser une grande place à l'expression des soignants interrogés. De plus, cela instaure une interactivité propice au réajustement des questions, à la reformulation de ce qui se dit et donc à une exploration profonde des sujets évoqués grâce à la personnalisation de l'entretien à chacun des soignants qui a bien voulu s'y prêter.
        J'ai choisi de réaliser deux entretiens au sein d'une unité d'entrée fermée (ce type de service étant souvent le lieu de situations de violence) et deux autres dans une unité de suite (y ayant effectué un stage, j'avais commencé à aborder le sujet avec les soignants). Je n'ai pas souhaité choisir les soignants selon des critères quelconques de sexe, d'ancienneté dans le métier ou de type de diplôme (infirmiers de secteur psychiatrique ou diplômés en soins généraux), mon seul critère étant leur motivation personnelle à participer à mon travail. Je suis en effet partie du principe que chacun a son propre rapport aux agressions, à la peur et au soin infirmier, quel que soit son profil apparent.
        En ce qui concerne le déroulement des entretiens, il a été le même dans les deux services où je suis intervenue: j'ai rencontré les infirmiers (-ières) l'un après l'autre, dans un bureau isolé dans le service, pendant environ trente à quarante-cinq minutes chacun.
        Tout cela s'est réalisé dans une ambiance très agréable. En effet, les soignants se sont très volontiers prêtés à la réflexion proposée ainsi qu'au partage de leur expérience et de leur pratique. Tous ont manifesté de l'intérêt pour ce sujet qui est, visiblement, au cœur de leurs préoccupations quotidiennes. Certains se sont dits surpris du fait que je ne m'intéresse pas seulement au soin infirmier mais aussi au ressenti du soignant et y ont vu, de fait, une certaine reconnaissance de leur profession. D'autres ont même verbalisé le plaisir qu'ils avaient pris à participer à mon travail. Tous se sont dits intéressés d'avoir accès à ma recherche en soins infirmiers (RSI) une fois celle-ci achevée.
        Au final, je suis donc tout à fait satisfaite de ces entretiens qui ont véhiculé de réels apports pratiques utilisables dans ma RSI. Bien qu'ayant une base de pensée plus ou moins commune, chaque soignant a apporté des pistes de réflexion différentes sur la vision des patients, des soins et du travail de l'infirmier psychiatrique. Ce fut une expérience très enrichissante. Je vais maintenant vous en retransmettre le contenu. J'aborderai plusieurs thèmes, reliés à la peur du soignant face aux conduites violentes des psychotiques et leurs modalités de prise en charge. Ces thèmes sont ressortis du recoupement des expériences et des réflexions amenées par les différents soignants.


III.1.1        Les agressions en faits
III.1.1.1        Les différents types dagressions rencontrées par les soignants

        J’ai tout d’abord noté des différences dans les agressions survenues en unité d’entrée et en unité de suite. En effet, de par leur fonction, les unités d’entrées reçoivent des patients dans un état de profond mal-être, sinon de crise. Le risque d’agression y est donc plus grand. Cela peut se manifester dès l’arrivée du sujet, surtout si celui-ci conteste son hospitalisation. Par ailleurs, les soignants concernés ont tous deux établi une différence nette entre les comportements violents chez les psychotiques et chez les psychopathes. Alors que les premiers leurs renvoient une image de mal-être, d’une demande de soins et leur font éprouver une certaine empathie, les seconds leur paraissent animés par des accès de violence gratuite, sont caractérisés d’"énervants" Ces termes ont étés employés par l'un ou l'autre des soignants interrogés. , car attaquant sans cesse le cadre établi, et donc de "difficiles à gérer".
        Dans l’unité de suite, les agressions se manifestent davantage lors de retours de permissions pendant lesquelles le patient a interrompu la prise de son traitement ou s’est alcoolisé.
        On rencontre enfin des types de violence communes aux deux services comme les insultes (envers le personnel, les patients, les médecins) ou l’agitation (le patient gesticule, attaque son environnement sans toucher aux personnes). D’autres formes sont cependant plus graves que celles-ci. Ainsi, les équipes sont aussi confrontées au clivage mis en place par les patients où certains soignants sont reconnus comme bons et d’autres comme mauvais. Souvent instauré par un patient présenté comme
"caractériel" et "très demandeur  ce phénomène engendre une tension constante au sein de l’équipe et entraîne une perte de la relation thérapeutique, que l’on soit bon ou mauvais objet. Enfin, on rencontre parfois des délires érotomaniaques où le patient projette ses pulsions, son agressivité sur un soignant en particulier. Ce point sera davantage développé lorsque nous aborderons le thème de la peur chez le soignant.


III.1.1.2        Une évolution dans le type de patients reçus

        En général, les soignants s’accordent à dire que les services reçoivent de plus en plus de jeunes marginalisés, de psychopathes. De fait, ils observent une recrudescence de la transgression des règles établies, de "violence gratuite", d’intolérance à la frustration et donc d’agressions. Ils ne m’ont pas fourni d’interprétation de ces données.


        Après avoir énuméré les différentes sortes d’agressions rencontrées par les soignants, nous allons maintenant découvrir comment ces professionnels vivent leur confrontation quotidienne avec des patients violents. En effet, face à la violence, chaque soignant a un ressenti qui lui est propre et aucun ne peut y rester indifférent.


III.1.2        La peur dans le ressenti du soignant
III.1.2.1        Les causes et circonstances de survenue de la peur

        On peut se demander de quoi les soignants peuvent avoir peur dans leur quotidien et ce qui favorise la survenue de ces peurs. Parmi les réponses des soignants, j’ai repéré trois situations particulièrement redoutées. La première est la peur de l’agression physique. Celle-ci se manifeste surtout auprès de patients en état de grande violence (psychotiques très angoissés, patients alcoolisés à l’extrême). Elle est liée à la peur de ne pas savoir maîtriser le patient, de ne pas "être à la hauteur". elle peut être accentuée par l’envahissement du soignant par une angoisse débordante chez le patient ou encore de fantasmes projetés sur lui (réputation du patient, interrogation du type "serais-je le suivant sur la liste  "). La seconde peur est celle de l’auto-agression du patient sous forme de mutilation ou de suicide. Elle prend naissance dans la crainte de ne pas repérer la détresse d’un patient, ses appels. La troisième est la peur d’être la cible d’un délire érotomaniaque. Prenant place dans la pathologie paranoïaque,
"l'érotomanie, magnifiquement décrite par G de Clérembault, est l'illusion délirante d'être aimé par un "objet" le plus souvent inaccessible (vedette, homme politique en vue, médecin, prêtre, avocat, ces trois dernières professions étant spécialement prédisposées à servir d'objet à l'érotomane, qui, huit fois sur dix, est une femme). L'affection évolue selon trois stades: après une phase d'espoir souvent prolongée arrive la phase de déception durant laquelle les sollicitations sont de plus en plus inopportunes pour l'"objet", puis la phase de rancune qui peut s'accompagner de manifestations médico-légales graves (chantage, conduites agressives et parfois tentatives de meurtre)." Encyclopaedia Universalis, version 9, CD-Rom, 2003
Ce délire s'accompagne d'une intolérance à tout ce qui peut interférer dans cette relation imaginaire, avec émergence d'agressivité. Celle-ci serait davantage tournée vers ceux qui s'y opposent (soignants, institution, famille de l'objet) que vers l'objet lui-même. Le passage à l'acte sexuel reste rare. Il s'agit donc d'une violence davantage psychologique. La peur d'en être l'objet est évoquée comme une des plus dures à gérer. En effet, non seulement une agression de ce type s’enracine dans le long terme, mais en plus elle fonctionne sur le phénomène du transfert et se greffe sur un soignant particulier, et non plus sur celui qui se trouve là, par hasard, au moment d’un accès de violence. En cela, elle est caractérisée de "harcèlement" et engendre une grande usure chez le soignant impliqué. Elle est reliée à la crainte générée par des menaces concernant la vie privée du soignant, sa famille ("je te retrouverai dehors…").
        Cependant, les soignants reconnaissent que la peur n’est pas un processus rationnel toujours explicable. De fait, chacun a une charge émotionnelle différente, ce qui fait qu’une même situation n’aura pas le même impact chez tous. La réaction varie également selon les patients et la connaissance que l’on en a, la situation, et selon ce qu’elle renvoie au soignant. Ainsi, alors qu’une situation objectivement difficile n’engendrera peut-être pas de peur, une autre plus anodine la générera, sans que l’on comprenne pourquoi. On peut donc dire que le ressenti du soignant est étroitement lié à son histoire personnelle ainsi qu’à son expérience.


III.1.2.2        Les facteurs influençants

        On peut toutefois distinguer d’autres facteurs plus généraux, mais qui jouent néanmoins un rôle important dans ce type de situation. On relève tout d’abord la notion d’esprit d’équipe. Celle-ci est reconnue comme synonyme d’un soutien nécessaire. La confiance entre collègues en est le ciment. La bonne connaissance des différents membres qui la composent est une ressource précieuse pour s’adapter aux situations délicates. En effet, chacun a sa propre personnalité, ses propres ressources et quand certains sont reconnus comme étant généralement "fermes", d’autres ont une approche des patients plus "maternante" et c’est autant de recours possibles à la résolution d’une situation de violence.
        Autre facteur primordial  les conditions de travail. Par exemple, une bonne coordination de l’administration est favorisante. Ainsi, l’annonce préalable d’une entrée violente permet l’anticipation, aussi bien technique (préparation de la chambre d’isolement, prise de contact avec le médecin) que psychologique pour le soignant. D’autre part, un sous-effectif peut être déterminant pour une prise en charge. En effet, un trop grand déséquilibre entre la force déployée par une patient et la capacité de contention physique d’un soignant permet au premier d’affirmer potentiellement sa toute-puissance et menace par conséquent la sécurité des personnes. Dans ce domaine, de grands progrès ont été effectués ces dernières années dans les services visités  apparition d'émetteurs individuels appelé PTI (protection du travailleur isolé) permettant d’alerter des renforts, la
en place de téléphones mobiles dans les services, des feuilles d’affichage du personnel masculin disponible au quotidien, et des fiches de signalement de violences subies par les soignants. Tout cela favorise une meilleure prise en charge de la violence grâce à un sentiment de plus grande sécurité chez le personnel.


III.1.2.3        La peur  : nécessité ou entrave dans la relation 

        D’un côté, les soignants reconnaissent que le ressenti de peur face à un patient violent permet d’instaurer une certaine distance. Celle-ci aurait en effet tendance à s’effacer avec la connaissance du patient, l’attachement que l’on peut lui porter (ce qui arrive fréquemment avec les jeunes patients selon un des soignants). Elle permet de "rester sur ses gardes". Tous reconnaissent que de ne pas éprouver de peur serait synonyme de danger pour le soignant qui ne percevrait pas la difficulté de la situation. Cependant, tout est une question de degré et elle reste positive dans la mesure où elle peut être dépassée afin d’instaurer une communication avec le patient violent.
        Au contraire, si le sentiment de peur est trop fort, elle devient déstabilisante pour le soignant et ne l’aide en rien, bloquant la relation. Elle n’est plus alors qu’une
"sensation désagréable" empêchant l’instauration de la "sérénité" nécessaire dans les soins et dans la relation.
        Après avoir découvert comment les soignants vivent et ressentent leur confrontation à la violence, nous allons nous pencher sur les moyens qu’ils mettent en place pour y répondre.


III.1.3        Comment les soignants répondent-ils face à la violence 
III.1.3.1        Le bagage de lexpérience

        Tous les soignants sont tombés d’accord pour dire qu’avec l’expérience on détecte mieux les signes avant-coureurs de la violence, son origine, et que l’on a une analyse et une compréhension meilleures de la situation. Cela est rendu possible d’une part par la référence à la théorie, d’autre part grâce aux liens avec des situations similaires déjà rencontrées, le souvenir de leur prise en charge, les récits faits par des collègues. Il en résulte "une certaine confiance en soi". Et encore, "confiance" ne paraît pas être le terme exact. En effet, tous étaient également d’accord pour dire qu’une remise en question permanente de sa pratique est indispensable, que la certitude de tout maîtriser est un leurre et qu'elle est, par conséquent, dangereuse.
        Mais l’expérience n’est pas le seul facteur qui favorise une bonne prise en charge de la violence. Ont également été évoqués la personnalité de chacun avec une capacité plus ou moins grande à gérer les agressions ou des moyens différents de le faire, les moyens pratiques étayant le soignant (PTI et autres déjà cités) et surtout une bonne relation préalablement nouée avec le patient. On retrouve cette notion d’inégalité face à la violence avec des évolutions différentes selon chacun, selon les patients concernés, dépendante des circonstances et de l’état psychique du moment chez le soignant.





III.1.3.2        Quelques grandes pistes pour la gestion des agressions

        Les différents comportements évoqués par les soignants vont être présentés selon un ordre chronologique possible. Il faut cependant garder en tête que, dans la réalité, l’adaptation à la situation peut se traduire par la suppression de certaines étapes ou un changement dans leur organisation.
        En premier lieu, le rôle du soignant nécessite une certaine prise de distance afin de juger de la situation. Elle se traduit par une évaluation du degré de violence présenté par le patient, ce qui permettra d’orienter les décisions du soignant concernant les soins infirmiers à mettre en place.
        Ensuite, les soignants ont abordé la nécessité d’établir une communication. Là où certains ont parlé de
"mots rassurants", d’autres ont évoqué le fait de raccrocher le psychotique à la réalité. La parole a pour tous le but de faire baisser la tension, l’angoisse présente chez le patient, elle permet de le rassembler lorsqu’il délire. Cependant, il a également été dit que lorsqu’un patient délire trop, la parole peut alimenter ce délire. Dans ce cas, il serait plus judicieux d’agir de manière ferme plutôt que de chercher à analyser la situation avec le patient violent.
        Parallèlement à cette instauration de la communication, les soignants ont vu une nécessité de réagir face au malaise du psychotique. Certains ont évoqué le fait que la réaction du soignant court-circuite la survenue d’une peur possible dans la mesure où ce dernier focalise son attention sur le besoin d’apporter une aide au patient agressif afin de le soulager. En allant plus loin, on peut même poser l’hypothèse suivante élaborée par un soignant  il n’y a pas de peur, il n’y a que de l’angoisse que l’on absorbe, il s’agit de savoir ce que l’on en fait  se laisser envahir par elle ou s’en servir pour comprendre le patient et le rassurer. De toute manière, la règle de base reste pour les soignants interrogés la nécessité de réagir, de prendre des décisions, pour le bien du patient.
        La notion d’humilité a été spontanément abordée par tous. En effet, comme chaque soignant a sa propre sensibilité pour comprendre les patients et sa propre capacité à élaborer du soin infirmier, il est logique que les résultats obtenus soient variables selon les différentes interactions possibles entre eux et les patients. S’ensuit la possibilité de passer le relais à d’autres collègues, sans pour autant se penser comme un mauvais soignant. De même, quelqu’un a exprimé le fait que de ne pas arriver à prévenir l’explosion de violence chez un patient ne viendrait pas forcément d’une mauvaise gestion de la situation. Il a été posé l’hypothèse que si le patient est trop tendu, trop mal, il
"explosera" de toute manière. Peut-être même a-t-il besoin de montrer sa violence pour être sûr d’être contenu par la suite 
        Enfin, il est évident que dans le cadre d’une grande violence que l’on n'arrive pas à gérer il ne faut pas hésiter à demander de l’aide, à actionner son PTI, à faire venir des renforts. La solution ultime de la contention physique, de la mise en chambre d’isolement, de l’administration d’un traitement d’urgence permettra alors de rassembler le patient et de lui apporter la contenance que la parole n’a pas pu lui amener. Bien entendu, le soin infirmier ne s’arrête pas là et la parole devra être posée ultérieurement, quand le patient y sera plus réceptif.


III.1.3.3        le partage en équipe

        Pour finir, j'ai interrogé les soignants sur la verbalisation de la peur au sein des équipes. La réponse a été unanime: oui, ils l'évoquent entre eux, il existe une solidarité qui leur permet d'en parler ouvertement. Cela peut se faire lors de la relève ou de temps personnels (dans les vestiaires), n'ayant pas de moment spécifique prévu à cet effet. Cependant, il est reconnu que de telles confidences peuvent être retenues par la pudeur ou même par une appréhension du jugement des autres, par la crainte d'être perçu comme un "mauvais soignant". Mais parler reste un exutoire à sa tension intérieure. Cela permet de ne pas repartir chez soi avec sa peur, ses angoisses et, donc, de limiter l'usure psychique.
        Par ailleurs, la verbalisation a aussi la propriété d'éclaircir les situations incomprises. Ainsi, le regard de l'autre aide à entrevoir la situation sous un angle neuf, à apporter de nouveaux éléments d'analyse, à discerner la présence de transferts et contre-transferts. Il aide à réfléchir à la manière d'aider le ou les patients(s) concerné(s) et, par là, à appréhender la situation différemment la fois suivante.
        L'importance de ce partage est donc tout à fait reconnue par les soignants qui ont d'ailleurs déploré le manque de moyens mis en place au sein de leurs services. Ils ont évoqué la nécessité qu'il y aurait à avoir des supervisions au sein de l'établissement, avec un professionnel venu de l'extérieur, plutôt que le suivi individuel et externe qui leur est proposé. Ils ne sont pas des
"superwomen" ni des surhommes et voudraient que cela soit reconnu et qu'un réel soutien soit mis en place. Ils revendiquent, en quelque sorte, leur droit à être faillibles, à éprouver de la souffrance, à avoir peur parfois.


        C'est donc un fait établi: la peur du soignant en psychiatrie existe. De fréquence, d'intensité et d'impact variables, elle concerne, un jour ou l'autre, tous ceux qui travaillent au contact des patients psychotiques. Comme nous l'avons vu, cette peur peut nous aider à comprendre l'autre, à appréhender son ressenti mais elle peut aussi bloquer la relation si on ne la dépasse pas, faisant perdre au soignant sa fonction thérapeutique. Afin de la conserver, celui-ci doit nécessairement s'impliquer dans le conflit avec le patient, aller à sa rencontre au cœur de sa souffrance psychique. Pour cela, il doit garder en tête que la finalité de ses actions est le bien du patient, l'amener à un
"mieux être". Par ailleurs, les soignants se sont accordés à dire que la peur existera toujours face à une grande violence même si, avec l'expérience, elle est moins fréquente. C'est un sentiment dont on ne peut maîtriser la venue. Mais heureusement qu'il en est ainsi, car elle est le témoin d'une activité, d'une relation qui se noue, qui est vivante, c'est un sentiment humain. Il faut cependant faire en sorte qu'elle ne soit pas handicapante. Pour cela, on peut agir sur les facteurs qui l'influencent comme l'analyse de la situation, la bonne connaissance des patients, la référence à la théorie des pathologies et la mise en place de mesures concrètes face au problème qui se présente.




IV        Problématique et hypothèse
IV.1        Problématique

        Les approfondissements que j'ai effectués, tant théoriques que sur le terrain, me conduisent à la constatation suivante: si c'est la peur qui m'a amenée à réfléchir à la violence, à son ancrage dans la pathologie psychotique et à la position du soignant face à un psychotique violent, elle n'était, en définitive, que l'arbre qui cachait la forêt. Je n'avais en effet pas encore conscience des composantes essentielles à prendre en compte dans les psychoses afin de pouvoir aider les personnes qui en sont atteintes. Je me rends finalement compte que ce n'est pas le fait d'avoir peur d'un patient psychotique qui empêche de trouver comment l'aider, mais que c'est parce qu'on ne sait pas comment le faire que l'on en a peur.


        Mais cette peur demeure cependant le nœud du problème. En effet, elle donne à la violence un aspect paradoxal. Ainsi, comme nous l'avons vu à travers les concepts, elle est un mode de communication indispensable au psychotique en souffrance. Cependant, elle génère la peur chez celui qui pourrait l'aider, en lui évoquant un danger. Le patient violent risque, de fait, d'être rejeté puisqu'il a un langage inacceptable.
        Afin de ne pas tomber dans ce piège, il est donc nécessaire au soignant de prendre du recul afin de décrypter ce comportement inadéquat. Il devra effectuer un tri entre les éléments à rejeter (la forme de langage qu'est la violence) et ceux à conserver afin d'aider le patient (le fond de ce qu'il veut nous dire, c'est-à-dire son angoisse, la cause de son mal-être). Mais on se heurte ici à une nouvelle difficulté: la nécessité de réagir rapidement face à la violence, ce qui laisse peu de place pour la distanciation et la réflexion. Toutefois, le soignant pourra s'appuyer sur la relation nouée au préalable avec le patient, sur la connaissance qu'il en a et sur la recherche d'éléments pouvant être mis en lien avec sa violence.
        Mais n'oublions pas que la peur peut, si elle est trop forte, court-circuiter la réflexion et bloquer la possibilité d'engager une communication. Il faudrait alors rester dans une peur limitée, qui soit constructrice. Car celle-ci a aussi valeur de protection quand elle nous signale un danger et nous fait garder une certaine distance. Mais comment faire pour ne pas se laisser handicaper par sa peur? En cherchant à se protéger au maximum par une distance physique et sans se laisser toucher émotionnellement? Cela irait à l'encontre de la nécessité de s'impliquer dans la souffrance de l'autre afin de l'aider et de le lui signifier. Mais, comme nous venons de le voir, la recherche de liens aide à se détacher de la violence perçue. Sa mise en place permettra alors à l'incompréhension d'être remplacée graduellement par la pensée et de limiter la peur liée à la difficulté de ne pas savoir comment aider le patient.

IV.2        Hypothèse

        Ces réflexions nous amènent au constat suivant: le fait de réfléchir à la violence d'un psychotique et d'y réagir afin de l'amener à un mieux-être permet d'éloigner la peur. Or, qu'est-ce que tout cela sinon être soignant? On peut donc en déduire que, lorsque l'on se laisse dépasser par sa peur, c'est que l'on écoute ses ressentis d'être humain, de non-professionnel. On peut, de ce fait, poser l'hypothèse suivante:

Pour établir une relation d'aide auprès d'un psychotique violent sans se laisser dépasser par sa peur, il faut se recentrer sur le patient en souffrance en laissant de côté nos affects afin de demeurer dans une attitude soignante.




CONCLUSION

       

Ce travail a été pour moi un réel enrichissement de mes connaissances en matière de psychiatrie. En effet, il m'a permis de mieux cerner les fonctionnements des psychoses et de la violence. A travers ces derniers, j'ai pu approfondir les notions de loi symbolique, de tiers et de cadre thérapeutique qui m'apparaissent aujourd'hui comme essentielles à connaître afin de créer du soin auprès des personnes psychotiques.
        De plus, la tentative de réponse à ma question de départ, qui a découlé de ce travail, me satisfait pleinement. En effet, je trouve qu'elle rejoint tout à fait les pratiques des soignants interrogés lors de mes entretiens, pratiques qui m'avaient déjà parues pleines de bons sens et humanisantes dans leur vision des personnes et des soins. En définitive j'ai retrouvé, au fil de mes recherches et de ma réflexion, ce que ces soignants ont appris grâce à leur expérience.
        Enfin, cette hypothèse que je propose me semble aisément applicable à ma pratique personnelle. Ainsi, j'effectue déjà cette démarche de distanciation vis-à-vis de mes ressentis afin de me recentrer sur mon patient dans d'autres circonstances, avec d'autres patients que ceux de psychiatrie. A ce jour, il m'est donc possible de penser que je pourrai également appliquer ces comportements dans le milieu psychiatrique face à un patient angoissé et violent. Je développerai davantage ces dernières réflexions lors de la soutenance orale de mon travail de fin d'études.
V        Les annexes
V.1        Annexe n°1: mon guide d'entretien


Courtray Sophie
3°année
IFSI de Valence

TRAVAIL DE FIN D'ETUDE: GUIDE D'ENTRETIEN


Ma question de départ est la suivante:

"En psychiatrie, comment un soignant peut-il établir une relation de soin avec un patient psychotique au comportement violent malgré la peur que celui-ci peut lui faire ressentir?"





1.        Etes-vous souvent confrontés à des patients violents au sein de votre service? (vécu personnel)


2.        Ressent-on parfois de la peur vis-à-vis d'un patient?(peur de quoi?)


3.        Dans quelles circonstances cette peur apparaît-elle? (type de patient, de situation)


4.        Quelles causes y voyez-vous?


5.        La peur peut-elle être nécessaire à la construction d'une relation entre le soignant et le patient?


6.        Dans quelle mesure entrave-t-elle la relation soignant-soigné?


7.        Cette peur évolue-t-elle avec l'expérience?


8.        Quels moyens peut-on se donner pour rester dans une relation de soin avec un patient que l'on redoute?


9.        Vous semble-t-il nécessaire que ce problème soit abordé au sein d'une équipe soignante?
V.2        Annexe n°2: la retranscription des entretiens
V.2.1        Entretien n°1 (unité d'entrée)

Question n°1
? La population du service:
-        Il y a de plus en plus de gens agressifs
-        Les gens acceptent de moins en moins la frustration, ce qui génère de l'agressivité
-        Unités fermées: il y a plus d'agressions car les patients sont en crise, parfois ils ne sont pas d'accord pour être hospitalisés

? Il y a différentes sortes d'agressions:
-        Celle induite par la pathologie (délire): on peut mettre en place des soins infirmiers, on ressent de l'empathie, on l'accepte mieux
-        Celle des psychopathes (c'est leur mode de communication): c'est plus dur à vivre car ils sont provocants, agressifs
-        Celle provoquée par la détresse sociale

? Renvoyer l'agressivité peut être positif car on renvoie l'autre à sa réalité

? D'abord on a une première réaction épidermique puis on en parle entre collègues (relève, vestiaires), il n'y a pas de supervision

Question n°2
? Un patient délirant, imprévisible engendre de la peur
? De quoi a-t-on peur:
-        agression physique (le prochain sur la liste?), fantasmes de ce qui s'est passé ailleurs
-        auto-agression (suicide): ne pas avoir saisi un appel
-        menace: "je te retrouverai dehors", sur la famille

Question n°3 à 5
(cassette d'enregistrement inaudible)

Question n°6
? La peur permet d'instaurer de la distance (la connaissance du patient, l'attachement - surtout avec les jeunes - font baisser la distance)
? Le conflit est positif car, quand on n'est pas d'accord, la relation se met en place. Mais la peur est négative (cependant, ne pas avoir peur du tout est dangereux aussi)

Question n°7
-        On détecte mieux les signes, l'agressivité, son origine, les circonstances (délire, psychopathe)
-        Analyse, compréhension
-        Souvenirs, on fait des liens avec des évènements passés, leur gestion (les apports pour canaliser sa peur)
-        Remise en question permanente nécessaire

Question n°8
-        On instaure la communication par la parole
-        Quand ce n'est pas possible: on laisse du temps, de l'espace pour laisser se décharger l'agressivité
-        On essaie avec différents IDE
-        Quand tout ça n'est pas possible: on appelle des renforts, les médecins de garde (pour ne pas que le cadre explose). A la fin: mise en chambre d'isolement (les murs recentrent le patient)

Question n°9
-        Difficulté par rapport au jugement des autres, image de "mauvais soignant", on a des expériences différentes donc on n'obtient pas tous les mêmes résultats
-        C'est important de l'aborder
-        Rien de mis en place dans le service, mais ils peuvent en parler entre eux

Entretien n°2 (unité d'entrée)

Question n°1
? Psychotiques-psychopathes:
-        le psychopathe entretient un rapport conflictuel avec la loi, le cadre, notion de prison, de police
-        le psychotique est mal, d'où le besoin de lui apporter quelque chose (de l'amener à la réalité)
? Il n'y a pas de peur, il n'y a que de l'angoisse que l'on absorbe.
? Quand le patient est trop délirant, si on parle on peut alimenter son délire: il vaut alors mieux agir et ne pas parler
? On a pas de certitude de maîtriser: quand c'est le cas, c'est grave!

Question n°3
? On ressent un mal-être, on a hâte d'en finir, on se relâche après
? Cause:
-        la peur de ne plus maîtriser (quand on connaît bien la personne il n'y a pas d'inquiétude)
-        quand il y a trop d'angoisse chez le patient: on est déstabilisé, on ressent de l'angoisse

Question n°5
Dans sa phase aiguë: bloque, n'aide pas, déstabilise

Question n°7
Grâce à l'expérience (la sienne plus celle des autres). Pas de certitude:
-        une "certaine" confiance en soi
-        capacité à gérer
-        la base de la personnalité compte aussi
-        aide de la théorie



Question n°8
Evaluer le degré d'agressivité, l'angoisse (en cas de violence physique: contention; en cas de tension permanente: verbalisation)

Question n°9
-        Ce serait indispensable
-        Liens forts dans l'équipe, verbalisation entre eux
-        Fait appel au rapport à la pudeur
-        On réfléchit à la façon d'aider les patients


V.2.2        Entretien n°3 (unité de suite)

Question n°1
? Il y a moins de violence qu'en unité d'entrée car la crise est passée, c'est plus ponctuel
? On rencontre la violence aux retours de permission lors d'alcoolisation ou d'arrêt du traitement
? Quand le patient n'est pas réceptif, on appelle des renforts (il faut savoir jusqu'où on peut aller)
? Il peut parfois se produire un clivage dans l'équipe dans le cadre d'une tension quotidienne, d'un patient caractériel, très demandeur. Il y a alors perte de la relation thérapeutique (qu'on soit bon ou mauvais objet)

Question n°2
? Oui
? Lors d'un passage à l'acte violent
? Un patient qui a peur est très angoissé, il se fait peur, il a peur de nous, cette peur peut nous envahir. Il faut alors le ramener à la réalité par la discussion afin de faire baisser la tension, de permettre de rassembler le malade
? Si on se sent pas à la hauteur il faut demander de l'aide



Question n°3
? C'est du cas par cas
? Quand la violence est difficile à gérer:
-        patient alcoolisé à l'extrême
-        psychotique très angoissé (MCI, traitement sédatif, renforts: quand il est dangereux pour lui-même ou pour les autres, qu'il n'y avait plus rien d'autre à faire)

Question n°4
? Quand on sent qu'on ne peut pas faire face
? On n'est pas du tout pareils par rapport à la peur:
-        parfois après coup on trouve ça bête
-        parfois c'est très difficile et on n'a pas peur
-        l'important c'est ce que ça renvoie au soignant ++ (c'est personnel, le côté émotionnel)

Question n°5
C'est une question de degré:
-        si on peut la dépasser par quelques moyens, entamer la discussion: elle est positive
-        si on ne peut pas: il faut demander de l'aide

Question n°7
? Non, elle n'évolue pas avec l'expérience devant une grande violence (mais avec l'expérience on peut faire tomber la violence plus facilement). On ne contrôle pas sa peur.
? Oui pour des petites choses: une gifle, un malade qui crie, des menaces, insultes (il faut alors une mise en mots, instaurer une contenance, la reformulation)

Question n°8
? Maintenir un lien verbal
? Si le patient est dans la gestuelle: il ne faut pas la lui renvoyer

Question n°9
Cela aide à appréhender la situation différemment la prochaine fois, grâce au regard de l'autre. On perçoit mieux les transferts et contre-transferts.

V.2.3        Entretien n°4 (unité de suite)

Question n°1
-        insultes (contre les personnes, les locaux, les patients, le médecin, …)
-        agressions physiques (gesticule, tape dans l'environnement)
-        délire érotomaniaque (menaces, propos)

Question n°2
? Liée aux conditions de travail (nombre de personnel, plus d'hommes, bips: ont fait baisser la peur, surtout la nuit!)
-        au début il n'y avait que le téléphone (pas de portable) et des fiches de présence des hommes. Mais l'agressivité était plus rare aussi. Aujourd'hui les jeunes n'ont plus de limites, il y a beaucoup de marginalisés, de psychopathes. Le mal-être autrefois souvent perçu est devenu de la violence gratuite.
-        le sous-effectif joue aussi sur le ressenti: la force physique du patient lui permet d'accéder à la toute-puissance
-        on a à disposition des fiches de violence pour la signaler
-        ex: si une entrée agitée est annoncée: on peut anticiper (voir les hommes présents ce jour-là, tenir la chambre d'isolement prête, prévenir le médecin) afin de ne pas se trouver en situation d'un passage à l'acte subi, inattendu

? Cela dépend de la situation du patient: connu, redouté, avec qui ça se passe toujours mal… (besoin de maternage ou de cadrage)

? L'esprit d'équipe compte:
-        il faut pouvoir avoir confiance en ses collègues
-        c'est un soutien, on a besoin de se connaître entre collègues (certains sont plus dans le maternage, d'autres dans la fermeté)

? De toutes manières, il faut prendre des décisions, ne pas être tétanisé (PTI, crier, appel de renforts)



Question n°3
Dans le cadre d'un délire érotomaniaque (avec menaces sur la famille). Cela fait plus peur qu'un passage à l'acte, c'est plus dur à supporter car la violence est dirigée contre soi. C'est personnel, cela fait appel au transfert. La peur engendre une usure par harcèlement. Les collègues prennent alors la relève.

Question n°5
-        Elle bloque la relation
-        Il faut une sérénité entre le patient et le soignant, après c'est un rapport de force. C'est, de toute manière, une sensation désagréable
-        Elle permet toutefois de rester sur ses gardes

Question n°7
-        Oui
-        Le sentiment, les impressions sont toujours les mêmes (manifestations corporelles, frissons)
-        La peur est différente selon les personnes et les patients (transfert)
-        Une même manifestation de violence chez deux patients différents sera vécue différemment
-        Une bonne relation quand le patient est bien facilite la relation quand il est mal

Question n°8
-        Il faut "foncer dans le tas", même s'il y a possibilité de danger
-        Il faut agir
-        Des mots rassurants peuvent diminuer la violence
-        Si le patient doit exploser, il explosera, peu importe ce qu'on lui dit. Il a besoin d'être contenu. Ce n'est pas forcément une mauvaise gestion de notre part. Il faut de la douceur et de la rigueur

Question n°9
-        Il faudrait des supervisions avec une personne de l'extérieur qui vienne régulièrement pour les volontaires (contrairement à la proposition d'aller voir un psychologue en ville)
-        Je ne suis pas une superwoman. Après on repart avec sa peur à domicile
-        Le temps aide à aller mieux, mais jusqu'à quand?
-        Il faut un soutien de la part des cadres, des supérieurs
-        La peur est quelque chose de douloureux et de typique de la psychiatrie
V.3        Annexe n°3: Texte sur la violence

"On dit d'un fleuve qu'il est violent parce qu'il emporte tout sur son passage, mais nul ne taxe de violence les rives qui l'enserrent." (Brecht)


"Mr Bedzawsky

Mr Alain Bedzawsky arrive dans le service accompagné par une ambulance. Il est d'accord pour être hospitalisé. Il arrive à 18h30, l'heure où les infirmiers sont mobilisés pour le repas des 20 patients de l'unité de soin. Un infirmier l'accueille, c'est-à-dire prend le courrier du médecin traitant et lui demande de patienter dans le couloir en attendant le médecin de garde.
C'est incroyable comme les patients se donnent le mot pour arriver toujours au moment où chacun vaque à ses tâches quotidiennes.
En attendant, l'infirmier pratique un inventaire des effets personnels du "pas encore patient". Rasoir, after-shave, coupe-ongle, ciseaux, sont mis de côté par sécurité. Un petit bout de shit est également retrouvé et jeté immédiatement dans les toilettes. L'argent, la carte de retrait sont retirés suivant la note de service n°25 et l'infirmier appelle le cadre de garde pour les lui remettre.
Au bout de 2h, le médecin de garde fait un entretien d'accueil. Le patient est tendu et délirant. Un traitement est instauré, pas réellement expliqué: "je vais vous donner un traitement pour vous détendre. Haldol, Nozinan et Lepticur + un somnifère si besoin, vous allez dormir et on verra demain."
Après le départ du médecin, le "enfin patient" demande à téléphoner: premier refus, le médecin ne l'a pas prévu.
Un infirmier l'accompagne jusqu'à sa chambre, tandis que l'autre, du bout du couloir, lui demande s'il a un régime alimentaire particulier: "vous mangez du porc?".
A l'heure du traitement du soir, le patient demande ce qu'il a comme traitement: "c'est ce que le médecin a prescrit".
Constantes prises: "pas très propre votre bras, faudra vous laver, il y a des douches ici". Certes il y a des douches mais le patient n'a pas de savon: "on n'est pas à l'hôtel ici!".
Impossible de s'endormir, à la télévision, le programme est intéressant mais il se termine à 22h45 et à 22h30, l'infirmier de nuit éteindra la télévision: "il faut dormir maintenant".
Alain s'énerve un peu, il est noté sur le dossier de soin: "agressivité verbale, intolérance à la frustration, demandes incessantes (savon, télévision), réticence à la prise du traitement, patient adhésif."
Enfin, il se couche.
A 2h du matin, il vient taper à la porte de l'infirmerie car il ne retrouve pas les toilettes. Pour cela, il allume la lumière du couloir et se fait rabrouer vigoureusement par l'infirmier présent. Il claque une porte et retourne se coucher.
A 7h45, réveil tonique, lumière en grand, "ça pue là-dedans, j'ouvre la fenêtre pour aérer un peu". Il ne fait que 5° dehors.
Alain totalement endormi par le traitement, vient en titubant déjeuner. Il renverse son bol de café (2 sachets pour deux morceaux de sucre, c'est le règlement économique interne), se fait houspiller par l'ASH qui trouve que les patients ne respectent pas son travail.
En sortant du self, il a envie d'aller aux toilettes, mais il est impossible de passer le couloir, il vient d'être lavé. Cris de l'autre bout, "attendez que cela sèche, j'ai ouvert les fenêtres, ça ne va pas tarder". De fait, il fait froid, Alain claque des dents et le dit à l'infirmier présent. "Ben oui mais on ne va pas déjeuner en pyjama".
L'ambiance est à son comble, l'ASH crie que "les gens sont vraiment dégueulasses de laisser leur chambre dans cet état, même un porc n'y vivrait pas".
Vers 9h, Alain vient voir les infirmiers qui déjeunent pour leur demander à quelle heure il pourra sortir pour téléphoner. "Quand le médecin sera passé".
Est-ce qu'il pourrait avoir une serviette pour sa douche? "Vous voyez bien que ce n'est pas le moment, on déjeune, attendez un peu".
A 10h30, toujours en pyjama et pas douché, notre patient s'est rallongé sur son lit. L'infirmier qui vient le chercher pour l'entretien médical lui en fait la remarque. Alain n'est pas très content.
Petit bureau, le médecin, l'infirmier, l'étudiant en soins infirmiers, une stagiaire psychologue. Alain a déjà rencontré l'étudiante, elle est venue le voir tout à l'heure dans sa chambre pour des renseignements qu'elle a notés pour sa démarche de soin qui validera son stage. Tout un tas de questions parfois indiscrètes, parfois étonnantes, que les voisins de chambre ont commenté.
Alain ne se sent pas très à l'aise, il est un peu tendu, d'autant que son histoire, il l'a déjà racontée trois fois.
Il demande à aller se promener dans le parc, ce qui lui est refusé, il n'a pas le droit d'avoir la visite de sa famille pour l'instant. Par contre, il peut donner un appel téléphonique du service au "moment où ça gênera le moins".
Pour la messe du dimanche, si l'équipe est en nombre, il pourra y aller. Mais le médecin ne précise pas que l'équipe le dimanche n'est jamais en nombre…
Pas satisfait de la tournure de l'entretien Alain sort en claquant la porte. Il dit à l'infirmier qui vient le voir ce qui se passe: "Je veux changer de médecin". Réponse: "Mais, c'est le seul médecin de l'unité."
Et le temps passe…
Les jours se succèdent, toujours un peu pareils.
Il demande alors que l'on joigne son tuteur pour avoir un peu d'argent pour ses cigarettes.
Le tuteur est OK: il envoie un mandat qui va mettre une quinzaine de jours à arriver. La patient se souvient qu'il a une carte de retrait: ne peut-on l'accompagner jusqu'à la poste et retirer 100 F?. L'idée est bonne, mais la recette ne distribue les cartes qu'un seul jour par semaine et ce n'est pas le bon.
Enervement, cris, Alain tape dans les portes, casse une vitre et veut quitter l'hôpital contre avis médical. L'interne appelé prescrit une injection et, si besoin, signe un protocole de mise en chambre d'isolement "on ne sait jamais". Pour être respectueux de la loi, il signe aussi une demande d'hospitalisation en péril imminent.
L'infirmier appelle des renforts, l'IM est faite. Le patient menace tout le monde de représailles, veut porter plainte, reste collé aux talons des infirmiers qui finissent par le mettre momentanément en chambre d'isolement."

(Serpsy, page consultée le 02/04/2000, "Vous avez dit violence?", www.serpsy.org)



VI        Bibliographie


PERIODIQUES

ROUSTANG F, «certains cas  », in Etudes freudiennes, n°30
«
violence et le soin en psychiatrie  », in Santé mentale, n°82, novembre 2003, p.21, 24, 25
«
violence, mots pour maux  », in Santé mentale, n°82, novembre 2003, p.30
«
mentales  le «  » fait-il encore peur    », in Vie et santé, n°1210, février 1995, p.30-31
«
la porte avant que je la défonce    », in Santé mentale, n°82, novembre 2003, p.57-58
«
à l’acte et inscription  », in Soins psychiatrie, n° 168, octobre 1994, p.18
«
moi jamais  La peur vécue par les soignants  », in Soins psychiatrie, n°92-93, juin-juillet 1988, p.26



DICTIONNAIRES ET ENCYCLOPEDIES

COMTE-SPONVILLE André, Dictionnaire philosophique, Paris, Puf, 2001, 646p
Encyclopaedia Universalis, version 9, CD-Rom, 2003
LAPLANCHE J. et PONTALIS J-B, Vocabulaire de la psychanalyse, Paris, 253p



IMAGE

Pour réaliser ma première page, je me suis servie de la couverture du magazine: Santé mentale, n°82, novembre 2003

REMERCIEMENTS


       

Je voudrais tout d'abord remercier mes guidants: Mme Doillon et M. Bernis. Ayant plus particulièrement travaillé avec ce dernier, je le remercie pour sa disponibilité tout au long de cette année. Il m'a permis de faire de ce mémoire ce que je souhaitais, c'est-à-dire une réflexion profonde sur ma pratique et pas seulement un écrit qui validera, ou non, mon admissibilité au diplôme d'état.

        Je tiens ensuite à remercier les équipes des unités Gauguin et Laurencin du CHS le Valmont pour leur participation active et riche lors de mes entretiens. Leurs témoignages ont beaucoup apporté à ma réflexion.

        Enfin, j'adresse un merci tout spécial à Mmes Zabbé et Clot du CDI. Elles m'ont apporté une aide précieuse, toujours avec gentillesse et bonne humeur, tant dans mes recherches documentaires que dans la phase informatisée de mon travail.