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MIROIR (ou scènes de la vie d'une infirmière)

Le cadre :
Dans une institution de la banlieue parisienne, un service d'accueil pour adultes malades mentaux.

Les acteurs :
Soignés - Soignants
Soignants - Soignés

Première présentation :
Automne 1991

Résumé :

Il était une fois, dans un service tranquille une journée d'automne douce et colorée. D'étonnants personnages amenèrent dans leur longue voiture pâle, une toute jeune fille, délicate et fragile et nous la laissèrent sur le bord du perron. Une vingtaine d'années, des cheveux fous teints au henné, elle se présente à nous : en deux mots elle nous dit sa souffrance et son besoin de réconfort. Son regard est effrayant de dureté et de profondeur, il gêne, il explore et tous nous sentons mis à nu. J'ai l'impression confuse d'être en danger, j'ai une brusque envie de fuite.

J'essaie de comprendre, je la regarde.
Elle est jolie, avec de longs cheveux, des yeux d'un bleu étonnant. Elle porte sa tête délicatement penchée sur le côté. Ses mains très fines se nouent et se dénouent, s'élancent, se maîtrisent, se posent. Quand elle parle, elles ne se reposent pas et ajoutent de la puissance aux paroles. Elle porte un ensemble en jean et une chemise ouverte sur une chaînette en or. Autour du cou, une écharpe mauve…

Elle montre sur sa peau des séquelles de tortures qu'elle s'infligeait, petite, pour que ses parents s'occupent d'elle. Elle est détachée de son discours, rien de ce qu'elle dit ne semble l'affecter. Elle parle de ce diable familier qui vit en elle. Elle l'a apprivoisé mais parfois il est le plus fort, et elle se laisse happer par lui, la dévorant de l'intérieur. Elle réclame notre aide.
Ma respiration est un peu plus courte.
L'impression de danger ne me quitte plus.
Je vais essayer de l'éviter, demain on verra et dans deux semaines, je quitte le service. Mon stage est terminé.
Éviter ce serait facile si elle ne s'attachait pas à mes pas, si elle ne m'accrochait pas par surprise lorsque je passe près d'elle. Je ne sais pas ce qu'il faut faire car ne je me sens pas soignante. Je l'écoute tout en essayant de m'enfuir sans lui donner l'idée que j'en ai eu envie.

Ma blouse me sert de rempart, elle est sur moi, carapace puissante que me protège des coups de boutoirs de la maladie : je suis du bon côté !

Elle me tutoie, je la vouvoie. Je la tiens le plus possible à une distance relativement éloignée. Je sens bien que ce n'est pas correct, que j'aimerai avoir plus d'assurance pour l'accompagner un peu de son chemin tortueux.

Elle s'accroche. Toujours là, me fouillant de ses yeux clairs sans fond. Je joue les toreros, esquivant, ma muleta c'est l'infirmière. Elle n'a pas l'air de comprendre mon malaise, j'hésite à le lui dire ! Que dirait-elle si elle savait que.... enfin.... je crois.... que cette frêle jeune femme me fait un peu peur...

Parfois coincée par inadvertance, nous abordons ensemble quelques sujets un peu bâteau, des livres lus, des films à voir, des soleils ou des pluies du jour ou à venir, je me laisse emporter par ce plaisir du partage. Parler de Mishima et de Hermann Hesse, de Rimbaud et de Thiefaine, de Carl Orff et de Jacques Tati, parler sans crainte comme deux filles du même âge, et oublier un instant le monde autour. Et puis parfois un mot un peu cru qui ne colle pas au reste, une impression de souffrance qui passe ou un rire malencontreux, pas à sa place et le retour à la réalité. Et ma peur qui me reprend, qui m'enveloppe et s'étend.

Impossible pour moi de mettre des mots à ma peur. Les autres soignants, n'ont pas l'air de la trouver dangereuse. Souvent d'ailleurs, ils me proposent de m'occuper un peu plus d'elle : "vous avez le même âge, va donc la voir un peu". Le soir, chez moi, je pense beaucoup à elle. Comment faire pour l'aider...? mais de loin !
Ma délivrance arrive enfin, le dernier soir, je laisse le centre, je pars. Dans mon vestiaire mon jean, ma veste et mon écharpe mauve….

SYLVIA


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